Lancelot à Paris : 1920 – René Guénon -2-
La Tradition, pour Guénon, permet de reconnaître le sens de nos actions, si elles on en un... La Tradition a une ''origine divine'', une origine primordiale, reconnaissable dans les grands religions... Cette Tradition s'exprime par le symbole ; la particularité du symbole est qu'il n'exprime pas qu'un seul aspect d'une réalité, mais en manifeste plusieurs à la fois...
- Serait-ce pour cela que je ressens une difficulté à appréhender plusieurs vérités à la fois... C'est un peu déroutant... ? - Chez moi, nous nommons ''traditions'' les coutumes locales...
- La Tradition dont je parle, c'est bien-sûr, bien plus que cela ! Oui, elle se transmet, mais de maître à disciple … Oui, c'est une connaissance ; mais intérieure. C'est notre raison d'être. Chez nous, cette connaissance a pris forme dans la religion. La religion souhaite faciliter le rapport à la Tradition, par le dogme en aide à l’intelligence ; par la morale en aide à l'âme, et par les rites pour s'aider du corps... Pour ce qui est du sens profond, il me semble que les spiritualités orientales l'expriment mieux ; elles proposent par exemple, un ''non-dualisme'', assez étranger à notre religion...
La politique … ?
Guénon entrevoit en effet, une possible restauration d'une tradition occidentale ; et c'est pour lui l'unique moyen de sortir de la crise actuelle... Ce déclin ne date pas seulement de la Révolution, dit-il ; il faut remonter à Philippe de Bel, qui rompit la distinction médiévale des « deux glaives » ( en opposition à Boniface VIII – 1302), pour qui ces deux glaives sont ceux du Christ, et seul le glaive spirituel peut gouverner le glaive temporel, le pape étant juge et arbitre...
Puis les conclusions des traités de Westphalie (1648), mirent fin à ce qui subsistait encore de la ''Chrétienté '' médiévale : la religion devient un domaine géré librement par chaque État, avec une laïcisation progressive des relations internationales qui permet aux états de s'émanciper des dogmes religieux. Pour Guénon, l'esprit de la Tradition quitte alors l'Europe, pour l'Orient... Seuls quelques aspects de la Franc-Maçonnerie, et de la religion surent garder un léger fil de transmission... Une restauration est toujours possible, espère t-il...
Le Christianisme ?
- Dans votre cas, je dirais « oui ! . Par le Graal...
Peut-être gagneriez-vous à visiter la spiritualité orthodoxe, et l'hésychasme en particulier...
Le Graal, c'est cette coupe que les égyptiens représente pour signifier le cœur... Pour moi, le Graal, c'est le coeur du Christ. Le cœur envisagé comme le centre de l'être, être à la fois humain et divin.
Et si, vous parler de la Quête du Graal, et des chevaliers qui partent à sa recherche ; c'est que nous sommes en présence de quelque chose qui aurait été perdu, ou caché... Les francs-maçons parlent de la ''Parole perdue''...
L'homme a été écarté de son centre originel... Aujourd'hui enfermé dans la sphère temporelle, l'humain n'a plus accès à cette vision d'où toutes choses sont contemplées sous l’aspect de l’éternité.
La perte du Graal, c'est en somme la perte de la Tradition avec tout ce que celle-ci comporte...
Vous me parliez de votre ancêtre Roger de Laron templier ; et précisément, on pourrait penser que des organisations initiatiques médiévales, comme l'ordre du Temple, ont pensé préserver ce dépôt spirituel que représente le Graal... ?
Une question taraude Lancelot depuis quelque temps, et à ce jeune homme qui semble si bien le comprendre; il peut oser le demander...
- Mais moi, que puis-je faire de plus que tous ceux de ma lignée, dont mon grand-père, ma mère me parlent ?Je ne sais même pas ce que je vais faire de mes études... !
- Ne vous en faites pas ! Et, dites-moi simplement : comment connaissez-vous, la chevalerie..., la chevalerie du Graal … est-ce seulement de l’intérêt culturel... Peut-être bien plus.. ?
- Oui, j'y suis très attaché; quelque chose d'elle, pourtant si ancienne, résonne en moi ...
- Et bien, n'hésitez pas... « appelez à votre aide cette Chevalerie du Très Saint Graal... ! Lorsque vous commencerez à être un chevalier et que vous partirez à la quête de votre réalité divine, cette Chevalerie du Très Saint Graal vous aidera, vous répondra, et vous serez le maillon actif d’une chaîne immense qui peut changer l’humanité ».
* Lancelot écrivit ensuite: « Cela m'a semblé bien mystérieux... mais me confortait dans mon intérêt pour ce mythe du Graal qui prenait de plus en plus de place dans ma vie. » : selon une note, qui reprenait cet entretien ...
Je résume ainsi, à la suite, quelques enseignements que la fréquentation de René Guénon, a permis à Lancelot de garder pour lui... Même si nous y reviendrons vers 1928-1930, Lancelot, ensuite perdra le contact avec cet homme hors système, qui choisira de s'écarter du monde, ou plutôt de la modernité...
Lancelot retient que cet homme fin à l'esprit acéré, ne souhaite que renforcer le ''croyant'' dans sa foi ; tout en éveillant son intelligence, sa faculté de discernement ; et là est sa discipline. L'objectif de cette discipline est d'atteindre « le point sublime d’intuition où toute chose est perçue sous l’angle de la vérité » D.G. Ce point en-deçà du raisonnement... Peut-être, l'intuition comme saisie immédiate d'une réalité... Sa mère lui a tant parlé de cette faculté que Bergson a tenté d'appréhender...
Lancelot à Paris : 1920 – René Guénon -1-
Anne-Laure de Sallembier, note avec regret le rejet - de la part de nombreux d'Action Française ( A.F.) - de la philosophie allemande, de Kant ; mais aussi de Bergson, de Blondel … Elle corrige le ''politique d'abord'' de Maurras, en précisant qu'il signifie l'antériorité et non la primauté du politique... Effectivement, il faut commencer par l'humain , à l'image de l'ordre naturel, avant d'imaginer construire un ordre divin, sur terre et qui serait alors totalitaire... ! L'abbé Degoué, rétorque : « métaphysique d'abord car c'est la notion même de l'existence et de l'être qui se trouve en jeu. » ( De l'homme à Dieu, Maritain)
La mère de Lancelot, n'approuve pas les critiques de l'A.F. Sur la ''Société des Nations'' ; pour elle c'est un premier pas vers l'idéal de l'unité universelle ; voire même un ordre mondial dont Lancelot et Anne-Laure ont bien souvent entendu parler au sein du groupe de Bloomsbury...
Le père Degoué rejoint Maritain quand il dénonce le monde moderne « fondé sur les deux principes contre nature de la fécondité de l'argent et de la finalité de l'utile »
Jacques Maritain ( 1882-1973) s'associe avec Maurras, pour créer la ''Revue Universelle'' et continuer sur cet élan. Le premier numéro parait le 1er avril 1920 avec comme directeur Jacques Bainville et comme rédacteur en chef Henri Massis. Maritain doit en assumer la chronique de philosophie.
La fille du peintre symboliste, Noëlle Maurice-Denis, souhaite y participer, et leur présente un philosophe ''hors cadre'' René Guénon (1886-1951). Elle l'a entendu lire un travail sur « La métaphysique orientale». Elle est transportée d’enthousiasme et tente de l’introduire dans les milieux néo-thomistes qu’elle fréquente, ainsi que dans celui de l’Institut catholique de Paris.
Par chance, Lancelot est présent avec Bainville, rue du dragon, quand René Guénon y passe... Ils s'en retournent tous les deux, et décident de continuer une conversation prometteuse dans un café proche... En effet, quand Lancelot a prononcé le mot ''Graal'' dans sa présentation, René Guénon ne l'a plus quitté des yeux.
Ils s'amusent également chacun de se reconnaître comme amateur de mathématiques, Guénon ayant commencé une licence de mathématiques, avant d'être happé par sa recherche plus impérieuse d'une expérience spirituelle, avant d'être intellectuelle …. Et Paris, offre mille propositions qu'il s'est empressé d'expérimenter... En peu de temps, Lancelot comprend que Guénon ne craint pas de se fourvoyer... Il commença avec Papus, et son école Hermétique, ses prétentions paranoïaques l'ont mis en garde contre les périls charriés par ces sortes de secte... La transmission dont se réclamait Papus , dont celle des ''Elus-Coens'', ou de Joseph de Maistre, était fictive...
Il s'est approché également de loges maçonniques d'obédiences irrégulières, jusqu'à atteindre de hauts grades ; expériences décevantes également...
Guénon dénonce également l'erreur spirite, ainsi que le Théosophisme...
Ce qu'il reproche à ces mouvements c'est d'avoir fabriqué de toute pièces à partir d 'éléments disparates ( syncrétisme) une pseudo-théorie qui reposent sur aucune filiation authentique... Il les a fréquenté, étudié de l'intérieur...
Et, finalement il préconise de s'attacher à retrouver dans les religions le fond traditionnel qui leur est – à toutes – commun... Cette métaphysique est ce que Guénon nomme l'ésotérisme ; l'exotérisme étant la présentation faite à tous, qui s'adapte selon le temps et le lieu … « La langue Métaphysique par excellence est le symbolisme, capable de mettre en relation tous les degrés de la manifestation universelle, ainsi que toutes les composantes de l'Être. Le symbolisme est le moyen dont dispose l'homme pour "assentir" à des ordres de réalité qui échappent, par leur nature même, à toute description par le langage ordinaire. »
Lancelot sent dans cet homme jeune, grand, frêle, malhabile, et très attentif, un possible grand-frère ; quelqu'un qui pourrait le comprendre, et le conforter ou non dans ses choix... Comme, celui de la politique et de l'Action Française ; de la religion et de l'Eglise catholique ; de la science ou de la métaphysique... Ou encore, s'engager dans une voie et pour quel avenir... ? Quelles études... ?
Ce qui est incontournable : la Quête, le Graal... Ses ancêtres, son grand-père et aujourd'hui, sa mère dont il ne se doutait pas à quel point elle a continué cette recherche, et qu'elle a préparé ce chemin qu'il se doit aujourd'hui d'emprunter...
Guénon l'écoute et le questionne sur cette connaissance relayée de génération en génération, dont Lancelot se dit le témoin et l'héritier... Cela évoque pour lui, ce que la Tradition devrait être pour chacun de nous ; et comment elle se transmet : de maître à disciple...
A suivre...
Lancelot à Paris : 1920 – L'Action Française
La date d'incorporation du service militaire de Lancelot est fixé à Octobre 1920, pour une durée de deux ans...
Pendant l'absence de son fils, la Comtesse de Sallembier a été très efficace. Après quatre années de ''désert'', la mère de Lancelot a su renouer avec ses plus influentes relations.
![]() En 1920, la poétesse Anna de Noailles entourée du physicien Albert Einstein et des mathématiciens Emile Borel et Paul Painlevé. |
En particulier Paul Painlevé, mathématicien et ministre de la guerre (1917), et qui le redeviendra en 1925... Théoricien d'aéronautique, il avait appuyé les démarches de J.B. pour passer des ''dragons'' à l'aviation... Lui-même veuf depuis 1902, il semble s'appliquer à garder le contact avec Anne-Laure de Sallembier et s'empresse à prendre Lancelot sous sa protection. Le jeune homme d'ailleurs ne manque pas de lui exprimer son intérêt pour les mathématiques, et l'aéronautique...
Lancelot bénéficie, dans les ministères d'un besoin de jeunes gens dans les postes clé, et d'une ambiance ''après-guerre'' favorable à la détente... Aussi, Lancelot est affecté dans un service auxiliaire au Ministère des Armées, à Paris... Il s'engage à se présenter au concours de rédacteur dans le ministère et obtient l'habilitation de poursuivre des études. Après un examen exceptionnel qu'il réussit, Lancelot est admis en 1921 à suivre les cours de l'Université de droit.
La comtesse reprend pour une courte période sa vie à Paris ; jusqu'à ce que, finalement, elle rejoigne Fléchigné, après avoir engagé et formé une gouvernante pour s'occuper de l'appartement et des nécessités domestiques de son fils....
Lancelot, malgré les réserves exprimées par sa mère, rejoint La Fédération des étudiants d’Action française. Le mouvement gagne en notoriété, et s'affiche en opposition aux valeurs bourgeoises et conservatrices de la république, et en proposition d'une monarchie garante des valeurs chrétiennes et chevaleresques ...etc. L'Action Française est alors environnée de prestige – un prestige culturel et littéraire – c'est ''le parti de l'intelligence''. Il y a Maurras (1868-1952); mais sa mère a insisté pour qu'il rencontre d'abord Jacques Bainville (1879-1936)... L'historien est marié avec une normande de Marigny, où le couple passe l'été...
L'outrance qu'entretient la communication du mouvement, le slogan ''politique d'abord'' prenant le dessus sur ''catholique d'abord'' vont inciter, finalement, Lancelot à s'éloigner de cet engagement politique, au bénéfice d'une participation plus culturelle....
Comment ne pas être gêné par l'argument développé par Jacques Rivière, le jeune directeur de La NRF, quand il il dénonce l’annexion de la religion par un mouvement politique que dirige un athée... !
Enfin, vers 1925, Louis Latzarus, proche de l'A.F. publie La France veut-elle un roi ?: Le retour du roi semble une chimère. Le duc d’Orléans, inconnu des Français, n’a rien de remarquable : « voilà trop longtemps que, sous sa casquette marine, le prétendant regarde fièrement un horizon vide»
Parmi les comportements de ses camarades de l'A.F. s'exerce un antimaçonnisme qui gène Lancelot... Dans sa famille, ses proches, nombreux ont partagé cet engagement, sans d'ailleurs que leurs convictions correspondent à ce que les détracteurs en disent... De plus, la maçonnerie anglaise, qui a pignon sur rue, a laissé sur le jeune homme, une impression positive. Nulle par ailleurs, en France, il n'a encore rencontré un accueil aussi favorable à son intérêt pour la chevalerie et la quête du Graal...
Jacques Bainville est une personne avenante, chaleureuse, les cheveux plaqués et séparés par une raie, la moustache effilée, il parait jeune... Sa préoccupation, malgré la victoire, semble être la force de l’Allemagne... Il s'empresse – connaissant le goût de sa mère pour la culture allemande – de préciser à Lancelot, qu'il a fait de nombreux séjours dans ce pays. Il aime lire Heinrich Heine, mal aimé des autorités allemandes nationalistes, démocrate et partisan d'une monarchie constitutionnelle... Mais, il redoute que l'Allemagne retrouve toute sa puissance.
- Savez-vous, à votre âge j'étais fasciné par Louis II de Bavière, il m'a d'ailleurs fourni le sujet de mon premier livre...
La monarchie, oui... Mais, à l'étonnement du jeune homme, Bainville s'annonce sceptique sur le plan religieux, et se présente plutôt voltairien.
Le grand sujet de discussion parmi nos jeunes de l'Action Française, c'est le rapport entre Révolution française et Monarchie, Révolution française et République … '' L'anarchie démocratique et parlementaire, est fille de la Révolution''...
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Bainville se distingue parce qu'il fait une analyse du passé, à partir du présent... Par exemple, dans l'hérésie albigeoise : « On y reconnaît ce qui apparaîtra dans le protestantisme : une manifestation de l'esprit révolutionnaire ». Pour Bainville, l'ordre nécessite le recours au roi ( ou homme providentiel), et au développement des « classes moyennes » … A l'extérieur l'Allemagne a reproduit de siècle en siècle la situation de 1914... L'Histoire : un éternel recommencement.... ?
Lancelot s'aperçoit qu'il est difficile de se faire une opinion tranchée sur la tragédie que vient de vivre l'Europe... Quand Anne-Laure de Sallembier, ou le père Degoué, nomment l'Europe, ils signifient la civilisation européenne ; sa mère parle même de ''guerre civile ''… Ils regrettent que le nationalisme, au lieu de développer et d'exprimer une identité de l'intérieur, s'exprime essentiellement par une opposition entre nations... Cette Guerre pourrait avoir avoir détruit l'idée même de communauté culturelle, exprimée par Romain Rolland...
A la suite de cette réflexion, le père Degoué, dit s'être interrogé sur la position de Maurras, mais avait repris espoir avec un manifeste, en réponse à la critique de Romain Rolland, paru dans Le Figaro du 19 juillet 1919, intitulé ''Pour un parti de intelligence''... et qui affirme notamment : « Croyants, nous jugeons que l'Eglise est la seule puissance morale légitime et qu'il n'appartient qu'à elle de former les mœurs incroyants, mais préoccupés du sort de la civilisation, l'alliance catholique nous apparaît indispensable. » (…) Notre salut est d'ordre spirituel. A cette heure d'indicible confusion où l'avenir de la civilisation est en jeu, notre salut est d'ordre spirituel. » (…) « nous prétendons organiser la défense de l'intelligence française, c'est que nous avons en vue l'avenir spirituel de la civilisation tout entière. » (…)
A cette occasion Lancelot, entend parler de Jacques Maritain, signataire, du manifeste.
A suivre...
Noël - Années 1920
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25 décembre 1918
Grande fête des petits. Nous avions installé hier soir devant la bibliothèque de notre chambre, en guise de cheminée, les souliers des enfants et nous avions mis tout autour tous les joujoux que Lily avait achetés pour eux. Dès cinq heures du matin tout le monde était réveillé. À sept heures invasion de la chambre.
25 décembre 1920
Conversation amusante ce soir chez Madame Mühlfeld entre Gide, Valéry, Louis Artus. On parle de choses diverses, du dernier livre de Madame de Regnier, du Chéri de Colette Willy, de spiritisme. Chacun raconte sa petite histoire, mais le plus intéressant est certainement ce que m'a dit Louis Artus de sa femme, qui est catholique convaincue. Un soir elle se laisse aller à faire tourner des tables avec des amis et se révèle médium remarquable. Le lendemain, malgré elle, elle faisait à différentes reprises remuer des tables, chez elle, à son grand émoi et sans le vouloir ?
25 décembre 1921
Comme tous les ans, les petits sont venus dans notre chambre chercher les jouets et les cadeaux disposés dans les souliers. La joie de Marcel et de Françoise. Mais ce qui est plus beau à voir encore que la joie des petits, c'est la joie de la maman et l'amour avec lequel tous les cadeaux sont disposés.
25 décembre 1924
Hier soir, dîner très amusant et intéressant chez Maxime Leroy. J'étais ennuyé d'avoir accepté cette invitation. (...)
Non seulement je ne me suis pas ennuyé, mais je me suis amusé. L'état-major du Quotidien était au grand complet : Dumay et sa femme, à côté de qui je fus à table, Pierre Bertrand et sa femme, Guernut de la Ligue des Droits de l'Homme, Charles Brun et sa femme, etc. Petit côté ridicule, Maxime Leroy avait mis, sur le couvert de chaque convive, de ces petits objets de cotillon, qui ouverts, sont des bonnets en papier. Chacun se mis sur la tête son bonnet. Les bonnets rouges ne manquaient pas. Bientôt chacun oublia qu'il était ainsi affublé et l'on vit M. Guernut, par exemple, nous parler gravement des armements de l'Allemagne.
25 décembre 1926
Nous avons été chercher les enfants chez les Kapferer. Vraiment c'est incroyable ce qu'on est arrivé à faire accrocher sur les murs de certains bourgeois! Il y a dans son vestibule des décorations de Bonnard, d'une laideur totale, à tous points de vue, sans même cette pointe de bon goût discret qu'il y a chez certains artistes de ce groupe. Dans la salle à manger des toiles d'un nommé Dufy, c'est incroyable. J'ai même l'impression qu'en écrivant à ce sujet, je perds mon temps.
Extraits du Journal de Paul Landowski, sculpteur.
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Anne-Laure de Sallembier, légitimiste en 1920.
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Sur ce que contient l'idée de monarchie orléaniste chez Anne-Laure de Sallembier, après la Grande Guerre, et qui va sans-doute motiver l'engagement de son fils Lancelot dans l'Action-Française, du moins pour un temps...
Pour Anne-Laure, la révolution française ayant détruit l'édifice ancien, il ne s'agit pas de revenir en arrière... Après les échecs de Louis XVIII et Charles X, explicables par une malheureuse nostalgie d'un ordre ancien et périmé ; le royalisme semblait être devenu une cause perdue...
De plus, l'affaire Dreyfus, semblait avoir perdu le ''Parti du Roi'', dans le marasme réactionnaire des anti-dreyfusards ; tandis que les républicains consolidaient le régime en place...
La République conduit à la guerre...
L'Etat-nation est né de la révolution française, le nationalisme en est son exaltation. Le citoyen est subordonné « aux intérêts exclusifs de la nation, de l'Etat-nation, à sa force, à sa puissance, à sa grandeur. » ( Winock).
Les révolutionnaires de la première république de 1792, s'opposaient à l’Europe des dynasties ; et rêvaient d'exporter la révolution pour construire – disaient-il, l'Europe des nations …
La République française ( et même l'empire des deux napoléons) devient hégémonique : « Cette tradition, c'est celle qui fait de l'histoire de France celle de l 'humanité. » Michelet
La commune de Paris, jusqu’au-boutiste – lors de la guerre avec la Prusse - reproche au gouvernement « d'avoir failli à sa mission de défense nationale » ( Winock).
L'esprit de revanche sur l'Allemagne, va participer à fonder la IIIème République
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Ce nationalisme républicain, est pour la comtesse de Sallembier, une des causes des guerres de 1870, puis de 1914...
Mais, elle va regretter le syncrétisme de Maurice Barrès qui va intégrer sa vision nationale de la Révolution, au monarchisme sectaire de Maurras... !
Beaucoup de monarchistes, et en particulier dans la noblesse ancienne, ne vont jamais adhérer aux idées de Maurras...
Pour Maurras, les intérêts de la personne sont subordonnés à la nation, y compris la monarchie et L’Église... Pour cette raison, les amis de la comtesse- qui ne reconnaissent pas la Nation - se disent ''légitimistes'' pour se désolidariser des monarchistes maurassiens.
La dynastie royale se voue au royaume, et ce sont ses devoirs qui la rende légitime. Elle se doit humble, et reçoit sa vocation de Dieu. L'Eglise se porte garante ; de fait, elle ne peut être nationale ( gallicane).
Anne-Laure, condamne le colonialisme, conséquence de l’universalisme républicain...
L'individualisme relève des idées que portent la république, et qu'elle souhaite universelles...
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La comtesse de Sallembier n'aime pas le mot ''aristocratie'' qui se prête aux ''privilégiés'' du régime en place, et qui possède la richesse... Il y a bien sûr, aussi, une aristocratie de la République …
Elle préfère le mot de '' noblesse '' qui évoque le devoir et l'honneur... La noblesse s'acquiert par la famille, et le mérite....
Pour les légitimistes, la Grande-Guerre est une guerre civile.
L'Europe des peuples existe. Elle s'est construite au travers de grands faits culturels qui ont traversé cette entité : les pierres levées ; les grands textes fondateurs grecs, germains, celtes qui ont nourri tout l'espace carolingien ; les grandes légendes de la Table Ronde ou des Nibelungen, le monachisme chrétien, la révolution gothique, la Renaissance, etc...
Le XXe siècle, commence avec l'emprise de cette idée ''nationaliste', et l'effondrement de trois empires. Se préparent alors l'avènement de régimes nouveaux, et l'éminence d'une nouvelle guerre que Bainville prévoit...
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Chaque personne s'inscrit dans une lignée, une langue, une religion. La Tradition porte cette identité avec ses coutumes, son histoire ; elle s'inscrit dans un temps et un espace particuliers. La Tradition définit un peuple. Chaque peuple est singulier, aucun n'est supérieur à un autre...
Pour tout dire, Anne-Laure de Sallembier, regrette l'engagement de son fils dans l'Action Française...
«Mieux qu’à restaurer la Monarchie, l’Action Française cherchait en fait à instaurer sa propre monarchie... » Colette Capitain, historienne - L’idéologie de l’Action Française.
Lancelot de Fléchigné -4- Cambridge - Russell
A Cambridge, Lancelot suit des cours pour approfondir la langue anglaise, comme de nombreux étrangers.
Il a tardé pour contacter Bertrand Russell, comme le lui avait recommandé sa mère ; étant donné la popularité du personnage, ici... Finalement, il ose se présenter, et s'en voit récompensé, devant l'empressement de Russell pour l'inviter chez lui...
Il est de notoriété, ici, que Russell sort de prison, pour son action pacifiste. Russell en est très satisfait, cela lui a permis de lire et d'écrire son livre '' Introduction à la philosophie mathématique ''.
Une jeune femme, Dora, a rejoint Russell. Elle est féministe et matérialiste. Russell lui raconte les passionnantes discussions qu'il eut avant guerre avec Anne-Laure et J.B, les parents de Lancelot... Il se rappelle bien : « un beau couple uni, une sorte d'identité double, et fait de distinction simplifiée bien française ».. ! Selon les mots mêmes de Russell ; qui s'en amuse fort.... Mais, il exprime avec tristesse et révolte sa haine de la guerre, quand il apprend la mort de J.B. ….
Russell n'est pas surpris de savoir les raisons du choix de sa mère de l'appeler Lancelot... Mais, il l'est de se rendre compte à quel point le jeune homme est attaché à ce qu'il nomme ''La Quête''... Il se souvient de l'attachement d'Anne-Laure au concept du divin....
- J'examine les raisons qui pourraient appuyer ce concept, et je n'en vois pas... ! Du moins aucune ne me semble logiquement valide...
- Et des raisons pratiques, psychologiques … ?
- Il ne peut pas y avoir de raison pratique de croire en ce qui n'est pas vrai... ! Une chose est vrai, ou elle ne l'est pas !
- Mais, si on doute... ? Cette chose peut être, du moins, ''utile''... ?
- Oh...! On suspend son jugement... Croire en quelque chose, parce que c'est utile, me semble fondamentalement malhonnête... ! De plus, la plupart du temps, les règles dites utiles sont fausses, et font plus de mal que de bien … Ce qui nous est imposé, n'a aucune valeur... Et vous qu'en pensez-vous... ?
- Oui, si des règles, nous sont imposées, et que nous n'en voyons pas le sens ; elles sont peut-être fausses … Mais, à mon avis, une chose vraie, n'est pas une croyance ; elle est un savoir... Et, notre esprit ne peut pas se satisfaire seulement de connaissance qui ne seraient que des savoirs... Notre esprit nous appelle à imaginer, à expérimenter dans notre vie des intuitions, et même des raisonnements qui ne nous conduisent pas seulement qu'à des savoirs...
- Pourquoi... ?
- Mais parce que nous sommes limités aux conditions de notre existence... S'il y a un ''au-delà'', il ..
- La vie après la mort, n'a pas de sens... !
- '' L'au-delà'' ne fait pas partie de notre ''existence'', puisqu'il n'est pas créé... Il est ''tout-autre''... ?
- Bref.. ! Vous ne pouvez rien en dire !
- Non …. Pourtant les humains, n'ont jamais cessé de l'évoquer ….
- Et ce Graal, dont parlait votre mère... ?
- Nous n'imaginons en aucune façon trouver un graal... Pourtant, ma mère, mon grand-père, et beaucoup d'autres, ont pris et prennent le chemin de la Quête du Graal … !
- Vous aviez, je crois, avant la Révolution déjà, un ancêtre franc-maçon... ? Dora a étudié sérieusement le XVIIIe siècle Français...
Et à présent elle et Russell rêvent d'aller visiter la Russie soviétique, se faire une idée de la révolution bolchevique... Peut-être rencontrer Lénine … ?
Présentement Dora invite Lancelot à suivre des conférences à la ''Société Hérétique'' fondée en 1909 à Cambridge... Plusieurs membres de Bloomsbury y ont participé. Cette société anticonformiste est ouverte aux femmes ; elle s'interroge en particulier sur l'avenir de la Religion, et les règles et restrictions qu'imposent les religions... Son président en est Charles Ogden (1889-1957) ; et ce philosophe, linguiste va tenter de convaincre Lancelot, d'une méthode d'apprentissage de l'anglais, qu'il met au point, et destinée à promouvoir un ''anglais de base'', « un sous-ensemble simplifié de l’anglais ordinaire » qui deviendrait la langue internationale...
Si de nombreuses sociétés, et multiples associations prospèrent à Cambridge, il en est une à laquelle Lancelot aurait bien voulu adhérer: l' ''A.N.O.M.'' l'association de ceux qui n'ont pas de mission, en sont exclus tous ceux qui se croient indispensables. La fondatrice de cette société est une française : Maryse Choisy, une bien agréable personne, qui vient de Saint-Jean-de-Luz et a grandi dans le château de sa tante, la comtesse Anna de Brémont. Elle étudie la philosophie, et Bertrand Russell est l'un de ses professeurs.
A Cambridge, tout le monde peut parler de Ramanujan (1887-1920), un mathématicien indien autodidacte. Découvert par Godfrey Harold Hardy (1877-1947) et associé avec le Groupe Bloomsbury et les Cambridge Apostles...
Les mathématiciens, ici, sont stupéfiés par l'originalité des formules qu'il présente, alors qu'il ne peut pas toutes les démontrer ; pourtant elles vont s'avérer exactes et démontrées plus tard … Il a beaucoup travaillé sur des constantes telles que π et e, les nombres premiers ou encore la fonction partition d'un entier... En 1918, il fut élu ''Fellow of Trinity College'' pour ses recherches sur les fonctions elliptiques et la théorie des nombres.
Il vient de passer cinq ans à Cambridge ; mais il est malade, et souhaite repartir en Inde...
Grâce à l'entremise de Russell, Lancelot peut approcher le génie...
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Ramanujan, à l'opposé de son soutien et ami G.H. Hardy, est un mystique... pour lui, une équation qui a du sens, exprime une pensée de Dieu.
Il a appris seul, sans formation formelle. Sans papier, alors, il imaginait ''de tête'', et progressait en écrivant sur le sol...
Véritablement obsédé par les fractions, les séries divergentes, les intégrales elliptiques et les séries hypergéométriques, Ramanujan se désespéra de ne pas obtenir la reconnaissance de mathématiciens. En 1913, il envoie une lettre à G.H Hardy à Cambridge, et cela allait changer leur vie, à tous deux...
Quand on l'interroge sur sa manière d'arriver à établir une équation, il répond « C’était la déesse Namagiri, qui m'est apparu dans mon rêve et m’a aidé à résoudre ce problème... »
Hardy, dut apprendre à son protégé certaines connaissances bien établies en mathématiques, mais il reconnaît qu'il a appris beaucoup plus de lui ...
Ramanujan est timide et calme, et s'anime dès qu'il expose ses idées mathématiques ou philosophiques... Pour lui, toutes les religions sont dépositaires d'une part de la Vérité, même si certaines observances religieuses peuvent être discutables....
Lancelot de Fléchigné -3- Aldous Huxley
Aldous Huxley ( 25 ans) est très aimable avec Lancelot ( 19 ans); il se montre disponible, lui prête bien volontiers Nancy et se montre curieux des impressions du jeune homme... Huxley est brun, très grand, avec une voix pleine et posée, il porte des lunettes et voit mal. La première fois qu'ils se sont croisés, il s'est présenté comme le jardinier du domaine.. !
En effet, c'est ici, qu'il a passé le temps de la guerre; refusé pour le combat, en raison de ses problèmes de vue.
Ses phrases sont ponctuées d'un long silence, avec un regard scrutateur. Il aime parler, quand il se sent écouté.. Son discours est brillant et force le respect... Son père, son grand-père sont des intellectuels reconnus ; il a perdu sa mère quand il avait quatorze ans, et son jeune frère s'est suicidé... Ses deux frères aînés sont biologistes et lui s'il a envisagé de suivre des études scientifiques, à présent, il a décidé qu'il écrirait...
Huxley a obtenu une bourse d’études au Balliol College de l’Université d’Oxford, où il a étudié la littérature anglaise, lisant à l’aide d’une loupe et des gouttes pour les yeux qui dilataient ses pupilles. Il a également commencé à écrire de la poésie, et en 1916, a publié son premier livre, un recueil de poèmes intitulé The Burning Wheel ; la même année, il a obtenu son diplôme avec les honneurs.
A Garsington, Huxley a la chance d'y rencontrer Virginia Woolf, Bertrand Russell, T. S. Eliot et D. H. Lawrence...
En ce moment, il prend des notes pour écrire son premier roman... Ce sera un regard décalé de ce qu'il voit ici, peut-être même une parodie de cette manière de vivre... En effet, en 1921, quand le livre paraîtra ( Crome Yellow) , son contenu irritera beaucoup de ceux qui vivent ici...
Cette année 1919 est assez faste pour lui ; en plus de tout ce qu'il vit ici, le critique littéraire John Middleton Murry, réorganise le magazine littéraire Athenaeum et invite Huxley à le rejoindre... Enfin, alors même qu'il fréquente Nancy C. il est tombé amoureux de Maria Nys, une réfugiée belge invitée à séjourner dans le manoir de Garsington par Lady Ottoline Morrell. Ils se connaissent depuis 1916, se sont fréquentés, puis éloignés...
Finalement, en 1919, ils vont se marier.
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Dans son roman, Huxley décrit Crome à l'image de Garsington ; des écrivains y vivent, discutent et font la fête... Invité, un jeune poète naïf, Denis Stone est amoureux d'Anne Wimbush, la nièce de la dame du manoir, Priscilla Wimbush, une aristocrate mondaine, ''avec des manières''. Elle se plaît à ne s’intéresser qu'à des choses oiseuses, comme l'au-delà, le spiritisme et l’argent des paris. Se rapprochant de Virginia Woolf, Anne est féministe, elle est courtisée par Denis, mais ne semble pas se soucier de lui, lui préférant d'autres femmes... On y rencontre un libertin, un ascète et sa femme, un cynique et Mary Bracegirdle, une belle jeune femme naïve qui décide de se lancer dans une aventure amoureuse...
Dans une discussion avec Huxley, Lancelot écoute l'écrivain lui décrire un monde où la famille disparaîtra. Il faudra trouver d'autres valeurs, l'éros aura plus de place … Mais, l'essentiel, reste toujours de trouver un but à la vie humaine ; et il espère que cet essentiel ne puisse pas être aussi impermanent que l'amour humain …
Lancelot de Fléchigné -2- Bloomsbury
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Lancelot fait en 1919, l'expérience d'une courte année à l'université de Cambridge. Sa mère a eu l'opportunité de lui décrocher une chambre au Trinity Collège... Ces longs mois vont lui permettre un ensorcelant concentré de rencontres étonnantes...
Arrivé en Angleterre, il est accueilli par Vanessa Bell, restée en contact avec sa mère... Elle habite à présent une grande maison à Charleston près de Lewes à 70 miles de Londres avec son nouveau compagnon Duncan Grant et ses deux '' turbulents'' enfants de Clive, Julian et Quentin... Après la guerre et malgré les nombreuses disparitions parmi le groupe de Bloomsbury ; c'est ici que certains vont se retrouver... Lancelot a la chance d'y être facilement accueilli. Et aussi, à Garsington Manor, près d'Oxford, propriété de Lady Ottoline Morrell où se réunissent d'autres ou les mêmes membres du groupe...
Aldous Huxley (1894-1963), y passe, alors, la majeure partie de son temps... C'est là, aussi, que Lancelot est happé par Nancy C., une jeune femme délurée, mariée en 1916 et déjà séparée en 1919... Son amant est mort en 1918 au combat en France... Avec la complicité du groupe, elle s’occupe du jeune homme. Elle fait, au jeune français, une demande un peu étonnante: accepte t-il qu'elle soit son amie de cœur et de tendresse, mais sans plus... ! D'ailleurs elle est ''en affair'' avec Huxley...
Lancelot, séduit par la belle, se laisse entraîner dans ce tourbillon empli de tendres complicités, d'échanges de poèmes, de baiser volés... Parfois il la surprend avec Aldous alors qu'il s'échangent des caresses qui lui sont refusées...
![]() Avec A. Huxley ... |
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Nancy a vingt-trois ans, soit quatre ans de plus que Lancelot... Elle s'amuse beaucoup de ce qu'il lui évoque du Moyen-âge... Elle-même assure qu'elle vient de cette époque : n'a t-elle pas vécu enfant. dans un château médiéval, Nevill Holt.. ? Sa naissance est due à l'adultère de sa mère avec le romancier George Moore, il était son ''Lancelot'' à elle, dans ce royaume de Nevill Holt, son père officiel n'étant qu'un vieil homme terrassé par les difficultés... Ensuite, sa mère s'est installée à Londres ; elles ont régné alors, toutes les deux, avant guerre, sur une cour qui se pressait dans leur palazzo vénitien. Paul Morand, s'en souviendra … Pour ce qui est de sa naissance, Nancy lui fait promettre de garder ce secret pour lui ; elle lui pose son doigt sur ses lèvres, puis l'embrasse... Alors, Lancelot se surprend, à lui mentir ; il déclare que son père n'est pas l’officiel M. de Sallembier ; mais un ''chevalier du ciel'', abattu par les allemands...
Lancelot a des difficultés à comprendre les personnes qui parlent vite, et peut-être, également, son anglais s'avère t-il insuffisant ; mais Nancy lui parle lentement, en confidence, son visage proche du sien... Elle lui parle des fêtes qu'organisait sa mère au château, des voyages où elle l'accompagnait en Allemagne, en France... Avec son amie Iris Tree, elles ont aimé se déguiser ; et Iris choisissait souvent de se vêtir comme un page ou un jeune chevalier... Comme Iris, Nancy écrit de la poésie... Ses poèmes ont déjà été publiés ; en 1916 dans le premier numéro de l’anthologie annuelle de poésie contemporaine, intitulée Wheels.
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Nancy lui susurre quelques poèmes à l'oreille... « There was a man, adventurous and free,/Evil of soul, grown into league with hell. » Il a du mal à comprendre, il embrasse sa bouche, et elle revient à son oreille...
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| Photo par Lady Ottoline Morrell, avec Clive Bell, Huxley, Russell.. etc |
« Loved by a woman that no fear might quell ; / Their lives rose as the waves grow out at sea. »
Il rit. Elle continue, assène chaque vers comme un secret révélé... « they wandered through life's haunted rooms. / Each other's heart laid bare to each, and hid / In secrecy from all the rest, amid /
Their happiness and tragedies and glooms. »
Nancy explique à Lancelot, que la discontinuité de la langue causée par des ruptures de syntaxe, créent un espace poétique singulier. C'est ce que, à Bloomsbury, on appelle la « forme signifiante » ou ce que la forme apporte au contenu ; certains recherchent même à négliger le contenu, à l'effacer....
« Je suis Outlaw » dit-elle... Lancelot est subjugué par cette enchanteresse, mais il constate aussi, qu'il n'est qu'un jouet occasionnel, et qu'il ne peut rien espérer de plus; avec ce personnage bien plus imposant, que représente pour elle, Aldous Huxley...
Le début de la Quête de Lancelot de Fléchigné -1-
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En 1918, à la fin de la Guerre, Lancelot a dix huit ans ; il va bénéficier pendant ces années vingt, de « l’admirable foisonnement d’idées et d’œuvres de la période, » et de « la véritable liberté dont les gens ont joui alors » (Sartre)...
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Ce qui va suivre est une reconstitution de ce qu'a pu vivre Lancelot, à partir du journal, et des notes éparses qu'il a laissé ; afin d'enrichir et poursuivre la Quête...
Lancelot et sa mère, viennent de vivre - en retrait, à Fléchigné - pendant ces quatre ans, « un désert » selon l'expression d 'Anne-Laure. Pour le jeune homme, ce fut aussi un temps ''béni'', un présent inestimable qui prendra toute sa vie une valeur de plus en plus grande. Car enfin, il s'agissait de quitter Paris, et vivre proche d'une authenticité naturelle,, quitter le petit lycée avec sa rigidité infructueuse, et enfin bénéficier de la présence de sa mère...
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Il s'est arraché sans effort de la camaraderie ambiguë du collège, et y a gagné l'amitié amoureuse de Suzanne. Suzanne est la fille d'un couple, locataire d'une ferme appartenant au domaine de Fléchigné. Les bâtiments de la ferme, sont les plus proches voisins du manoir. Le mari, fermier, est parti au front ; il est rapidement tombé au « champ d'horreur ». Des réfugiés belges sont venus aider... Ces événements ont rapprochés les deux adolescents, qui utilisaient tous les stratagèmes pour se retrouver.
En 1914, Suzanne n'a que treize ans; elle aime écouter Lancelot lui rapporter le contenu de ses lectures, sa passion pour les chevaliers, les histoires du Graal …
Elle aime bien se serrer contre lui; mais le repousse s'il veut l'embrasser, car ce genre de choses s'apparente à ce dont il faut s'accuser quand on va à confesse... Oui, elle aime Lancelot, elle voudrait bien même, se marier avec lui...
Pourtant, une fin d'après-midi, avant de la quitter, il la serre contre lui :
- On peut bien s'embrasser sur la bouche, puisque que plus tard, on se mariera.
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- C'est pas possible...
- Pourquoi ?
- J'ai demandé à ma mère, si on pouvait se marier ensemble ; et elle m'a dit que ce n'était pas possible...
- Pourquoi... ?
- Parce que tu es noble... Tu devras te marier avec une fille noble … C'est ainsi...
- Si je suis noble, je peux faire ce que je veux.. ! Et, si je veux me marier avec toi, je le ferai !
Ils ont grandi ces quatre années ensemble. Ils se sont embrassés, et surtout ils ont parlé. Lancelot écrivait un journal ; il s'empressait ensuite de lui lire ses pensées, parfois des poèmes...
Déjà, Lancelot recherchait ''La Femme'' tandis que Suzanne attendait un ''amoureux'', c'est à dire un homme qui se destinait à elle.
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Ces quatre années furent un temps béni, aussi, pour tout ce qu'a pu lui apprendre l'abbé Degoué... Non pas, qu’il était savant de tout ce que Lancelot étudiait ; mais parce qu'il était son interlocuteur pour réfléchir, raisonner, rechercher un savoir dans la bibliothèque familiale ; et même enquêter pour approfondir une connaissance... Une pédagogie qui s'est avérée bien plus efficace que toutes les leçons dispensées au lycée...
Même s'il n'a pas perdu son temps, la guerre n'a t-il pas compromis la suite de ses études.. ?
L'abbé Degoué convainc la comtesse, que son fils, à dix-neuf ans, possède sans-doute plus de connaissances que la plupart des jeunes gens de son âge ; et si ce n'est de connaissances, de réflexion et de possibilité de raisonner, de progresser... De plus, sa jeunesse lui permet d'entreprendre sans préjugés, sans suivre les règles établies... Il aborde, questionne quiconque sans crainte de le déranger. Il dérange parfois, et s'en étonne...
Il devrait pouvoir poursuivre facilement des études à Paris. Mais, que souhaite t-il faire... ? Lancelot n'a aucun projet professionnel, seule sa curiosité le guide... Certains jours il voudrait persévérer dans les mathématiques ; d'autres, il se verrait bien comme ''homme de lettres'', ou mieux encore historien...
Lancelot n'est pas pressé ; et son premier désir serait d'aller en Angleterre, afin de pratiquer la langue anglaise ; et s'affirmer... En réaction, sans-doute, au voyage que sa mère et J.B. ont fait , sans lui … !
Anne-Laure de Sallembier craint la rencontre entre la liberté de mœurs de ses connaissance de Bloomsbury, avec la jeunesse de de son fils... Il pourrait être surpris, déboussolé...
La Chevalerie, l'honneur et la guerre de 1914. -2-
Les témoignages ont rapporté que c'était une guerre où l'on est tué, plus que l'on ne tue ; et sans voir l'ennemi. Le héros est un soldat qui s'offre aveuglément à suivre des ordres venus de l'arrière...
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Pendant ces quatre années, Anne-Laure n'était retourné à Paris, que très rarement et par obligation... Comment pouvait-elle à nouveau fréquenter le monde, côtoyer ces aristocrates, ou grands bourgeois et aussi leurs domestiques, maîtres d'hôtel et grooms; comme si de rien n'était...?
A Cochet (*) écrit que les Parisiens de 1916, ont perdu la conscience du drame humain... Que reste-t-il ? « Il semble donc qu'à Paris, la guerre se réduit à un thème décoratif, à des stéréotypes auxquels, par exemple, la mode féminine se conforme facilement. Le modèle national est le masculin, le militaire (…) »
« La mort de millions d'inconnus nous chatouille à peine » écrit Proust … « pour les autres, pour les Verdurin (ou pour Proust lui-même ?), les noyés du Lusitania, « les hécatombes de régiments anéantis », restent des notions, des images qui ne peuvent susciter que des « réflexions désolées », nécessairement conventionnelles. »
« Madame Verdurin, est contrariée par la guerre qui raréfie les fidèles de son salon (…), tandis que Proust affirme qu’« elle ne voulait pas les laisser partir, considérant la guerre comme une grande « ennuyeuse » qui les faisait lâcher. Aussi, elle aborde la guerre avec ironie."
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« Pour l'ensemble des non combattants, cette tranquillité morale - oscillant de l'oubli à l’indifférence - traduit aussi la confiance dans l'évidence de la victoire (…) ».
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Les Parisiens auraient-ils oublié en 1916 le risque permanent de la mort qu'assument les combattants ? On assiste à une scène typique de Proust avec un « pauvre permissionnaire » les « restaurants pleins et « les vitrines illuminées », qui regarde « se bousculer les embusqués retenant leurs tables » avant de se précipiter au cinéma. Il résume, selon Proust, toute « la misère du soldat », « non la misère du pauvre mais celle de l'homme résigné (…) »
Sources : (*) Cochet A., L'amour de la patrie dans « Le temps retrouvé » de Marcel Proust, 1998.,
Bernanos n'a pas abandonné, pour autant, son rêve d'enfant... Il condamne la ligne sociale conservatrice de l'Action Française, et envoie à Maurras, en 1919, sa lettre de démission...
« (…) Il ne faut plus décevoir les enfants de France, jamais. La seule tradition de ce peuple, qu’aucune secte, qu’aucun parti n’ose, n’est capable de revendiquer, la seule qu’aucun parti, qu’aucune secte ne saurait assumer, parce qu’elle ferait plus que les écraser, elle les rendrait ridicules, c’est celle de la chevalerie chrétienne française, C’est celle de la chrétienté, C’est celle de l’honneur de la chrétienté. » dans ' Nous autres Français '
Sous le titre « Nous autres français » sont réunis des pamphlets de Georges Bernanos écrits en 1938 et 1939. Bernanos n'a alors rien perdu de ses convictions... Bien après la Grand Guerre, il s'engage alors, en 1936 contre la "Croisade" du général Franco, contre Maurras, et en général contre les milieux catholiques réactionnaires et conservateurs.
La religion n’est pas une idéologie, ni l’Eglise un parti. Seul l’esprit de la chevalerie chrétienne peut avoir un impact sur les forces politiques de droite ou de gauche, mais aussi sur l’Eglise. L’honneur n’est pas un concept qui s’explique par la logique ou par les raisons. Le concept appartient à une autre dimension, se situant au dessus des raisonnements intelligibles. Bernanos refuse de voir l’honneur comme un concept faisant parti d’une idéologie ou une doctrine quelconque. « Il n’est besoin que d’un court dressage pour faire un fanatique, au lieu que l’élaboration d’un type humain comparable à celui de l’ancien chevalier français reste le travail des siècles. » ( Nous autres Français, page 237 ).
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Donc - ce 11 novembre 1918 - ils annoncent qu'à 6 heures du matin, dans la clairière de Rethondes (forêt de Compiègne) des généraux ont signé l'armistice, dans un wagon-restaurant qui - avant la guerre - emmenait les Parisiens à Deauville. ...
Il y a comme une atmosphère d’irréel, difficile à disparaître, qui à force de s'être répandue sur toute chose a modifié le quotidien ...
Bernanos propose que l'on écrive sur le monuments aux morts : « La Victoire ne les aimait pas »
Winston Churchill a 44 ans ; après être allé au front, il est ministre de l’Armement ; il écrira : «Les cloches sonnèrent, et je n’éprouvai aucune allégresse. Rien ou presque de ce qu’on m’avait appris à croire n’avait survécu et tout ce que l’on m’avait appris à croire impossible était arrivé. […] La victoire était indiscernable de la défaite.»
Les vivants font la fête ; ils disent que c'était la «der des ders».
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