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Les légendes du Graal

jouvenel

1945 - Fabrègues – Jouvenel – Sartre – Denoël

14 Mars 2023 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1945, #Fabrègues, #Jouvenel, #Sartre, #Denoël, #Loviton

Toujours dans un contexte d'épuration, Lancelot va apporter son témoignage pour défendre des personnes pour qui il garde - malgré leurs errements qu'il considère compréhensibles - du respect.

Jean de Fabrègues à gauche avec Jean Peyrade ( écrivain scout, journaliste) maréchaliste, puis rallie la résistance gaulliste Jacques Boudet, journaliste et un proche de Bernanos

Ainsi de Jean de Fabrègues, à qui on reproche d'avoir maintenu - après novembre 1942 - son hebdomadaire Demain. Des amis résistants, apportent les preuves de son action aux côtés des prisonniers et il ne sera plus inquiété. Fabrègues reste un catholique de droite. Il s'inquiète de la puissance des « éléments matérialistes et marxistes » et il estime qu'à présent « le monde est engagé dans une immense lutte de valeurs » ; aussi il milite sur l'urgence de définir les institutions nécessaires pour défendre le respect de la personne humaine et assurer une « maîtrise des puissances collectives et des déterminismes matériels. »

Fabrègues craint une vision idéologique de l’organisation de la vie de la Cité, qui éluderait ''le spirituel'' et empêcherait de « voir le réel tel qu’il est ». Il en appelle à ceux qui lui semblent partager cette vision du monde, comme Gabriel Marcel, Gustave Thibon, Étienne Gilson, Gonzague de Reynold. Aussi dans certains domaines Daniel Rops, Daniel Halévy, souvent Thierry Maulnier, Jean Lacroix, Joseph Folliet, François Perroux, Raymond Aron, Jacques Madaule...

Après 1945, il devient rédacteur en chef de l'hebdomadaire France catholique.

Lancelot aime partager avec lui ses lectures de François Mauriac et de Georges Bernanos dont il a été proche dans l'entre-deux-guerres.

 

De même, Bertrand de Jouvenel (1903-1987), réfugié un moment en Corrèze ( aux côtés d'Emmanuel Berl, d'André Malraux et de sa compagne Josette Clotis), puis en Suisse : on lui reproche son interview d'Hitler en 1936 ; mais du fait de sa coopération avec le SR, échappe à l'épuration, mais se voit considéré, selon sa propre expression, comme un « pestiféré ».

Bertrand de Jouvenel 1955

Il a écrit entre 1943 et 1945, un ouvrage majeur '' Du Pouvoir '' qui paraît en mars 45, à Genève. Ce livre est né de la guerre, et du constat que la guerre n'est pas une chose du passé...

 

Le Pouvoir se présente comme une maladie, d'abord sous la forme de tentation, celle de la ''toute-puissance'', puis effective avec le totalitarisme. Très vite, la croissance du pouvoir, le rend irréversible. L'appareil mis en place, son administration s'apparente à « une chambre des machines » , dont les leviers sont toujours plus perfectionnés.

Issue de notre histoire, la démocratie ferait des gouvernants : des organes de la volonté générale ; ce qui peut être malheureusement une duperie, et un moyen de faire accepter leur pouvoir.

La liberté, seule devrait régir nos actions « arrêtée uniquement lorsqu’elle offense les bases indispensables de la vie sociale » (pp. 513-514). Pour Jouvenel, la liberté ne peut être ''un phénomène de masse ''. Il pourrait s'agir évidemment d'une vision toute aristocratique de la Liberté, si elle n'était pas l'attribut de chaque personne.

Jouvenel écrit ces pages, dans un contexte de ''guerre totale'' : où les peuples ont été « décervelés » au profit d’un bourrage de crâne belliqueux orchestré par le Pouvoir.

Jouvenel estime qu'il ne suffit pas de briser Hitler ; puisque, encore, l'Etat ( ou le Pouvoir) se présente comme le responsable du sort des individus.

Pour Jouvenel, les totalitarismes naissent des démocraties. Les sociétés traditionnelles, avec des ''corps constitués'' s'opposaient à un Pouvoir désireux de tout régenter. Un ''esprit libre'' n'a de cesse de dénoncer l’empiétement du Pouvoir.

« La démocratie, telle que nous l’avons pratiquée, centralisatrice, réglementeuse et absolutiste, apparaît donc comme la période d’incubation de la tyrannie » (p 36)

La masse du peuple en effet préfère à la liberté la sécurité. Et c’est bien ce qu’elle attend d’un Pouvoir fort. Jouvenel décrit une machination où Pouvoir et Individu conspirent ensemble à détruire l'harmonie de la Société.

Jouvenel propose quelques solutions dans cette lutte qu'est le ''Minotaure'' : - établir des ''contre-pouvoirs'' ; - suprématie du Droit ( indépendant du pouvoir) ; - affirmation de la ''dignité'' de la personne ( sens de la liberté).

Si le livre est peu commenté en France ; l’écho est important en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis.

Salle des centraux ( rue Goujon)

 

En France, suite à sa devenue célèbre conférence du 29 octobre 1945, Jean-Paul Sartre ( 40 ans) est devenu une vedette.

Lancelot a eu la chance d'être présent à Paris, ce soir là. Avec Geneviève, ils croisent dès 20h15 de nombreux groupes, assez jeunes, qui se pressent vers la rue Goujon. Impossible d'entrer dans la salle ; heureusement, une connaissance bienfaisante ( Lancelot marche aidé d'une canne), les infiltre vers les coulisses, et ils trouvent deux places devant la scène. Ils sont près de Gallimard. A 20h30, Sartre n'est toujours pas là ; et la foule semble toujours s'écouler vers le moindre recoin. Même la chaise du conférencier a été subtilisée. Des personnalités s'inquiètent de la situation, on parle d'appeler Police-Secours, sachant qu'à l'extérieur la situation est, parait-il, critique. Vers 21h15, Sartre apparaît. On lui propose de s'asseoir sur la table. Il refuse. Il demande à certains ( mais qui?) de sortir. Bien-sûr, personne ne bouge. La chaleur est intenable ; des personnes se trouvent mal.

Jean-Paul Sartre 1945 Café de Flore

Sartre - il parle sans notes - s'attelle à défendre '' l'Existentialisme'' : « une doctrine qui rend la vie possible... ». Contre les chrétiens, et contre les marxistes ; il affirme l'optimisme des existentialistes.

Une jeune fille s'évanouit. Ne faut-il pas évacuer la salle ? Sartre est encouragé à continuer. Il reprend son cours, sur la nature humaine - qui n'existe pas ( par essence, donc) - et commente de nombreux philosophes. Quelques idées fortes peuvent être retenues : - l'Homme ne se définit que par rapport à ses actions ; - l'Homme se conçoit lui-même, en dehors de lui-même il n'y a rien ; - l'Homme est essentiellement seul, et il est condamné à être libre ; - l’Existentialisme, orientée vers l'action, est un ''optimisme'', un humanisme. Pour Sartre, l'Européen de 1945 est un personnage qui peut se placer au centre du monde, et il est capable de comprendre chacun, qu'il soit chinois ou indien.

Il cite l'exemple du colonel Lawrence, qui « se voyait du dedans et du dehors. ». Personne n'a le courage d'apporter la contradiction ; vivement et sagement, la foule rejoint la sortie.

De nombreux articles dans les quotidiens font état - ce soir là - de la foule, des chaises cassées et des femmes évanouies. Nous apprenons que Sartre apercevant la foule, pensait qu'il s'agissait d'une manifestation hostile des communistes. La presse salue, le sang-froid du conférencier, son magnétisme personnel. Au même moment Julien Benda, au théâtre du Grand Colombier , renonça à sa conférence : la salle était vide.

La popularité de Sartre, grandit avec la parution de son roman ''Les Chemins de la Liberté'' dont 2 tomes sur trois sont parus, mais déjà épuisés.

 

Lancelot apprend, par la presse et avec stupeur, l'assassinat de Robert Denoël, dans la soirée du 2 décembre 1945, au boulevard des Invalides. L'éditeur accompagné de Mme Voilier ( Jeanne L.), se rendait au théâtre de la Gaîté, lorsque qu'un pneu de la voiture éclata. Pendant que Jeanne L. allait au commissariat pour chercher un taxi, Denoël qui s’apprêtait à changer la roue, a été agressé, puis abattu d'une balle dans le dos.

Denoël avait été poursuivi pour délit de collaboration, pour la publication d'ouvrages antisémites ( Céline, Rebatet), mais il semblait tiré d'affaires. On parle de vengeance politique, mais la presse fait plutôt état d'une bande de jeunes spécialistes d’agressions nocturnes qui sévissent dans le quartier, dont plusieurs viennent d'être arrêtés.

Par ailleurs, nous savons que Robert Denoël, séparé officieusement de sa femme, vivait avec Jeanne L. avec qui il était en ''relation d'affaires''. Puis, nous apprendrons que les affaires personnelles de Denoël, laissées dans la voiture ont disparu.

Plus tard, les éditions Denoël, vont devenir la propriété de Jeanne L. , déshéritant sa femme et son fils. Il semblerait que Denoël devait repasser devant la commission d'épuration, et qu'il avait d'ailleurs préparé un dossier à charge sur de nombreux concurrents ( dossier volé dans la voiture !) et craignait de ne plus pouvoir exercer son métier d'éditeur ; aussi il avait pris ses précautions pour transmettre ses parts à sa maîtresse.

Nous apprendrons plus tard encore, que Jeanne Loviton - après la mort de l’éditeur - a contre-signé les parts conservées en blanc par lui, et se retrouvait ainsi en possession des Éditions Denoël.

Chacun sait également que Gallimard convoitait les éditions Denoël ; ce qui sera réalisé, en 1951, quand Jeanne L. les lui vendra.

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1942 – Bertrand de Jouvenel

10 Septembre 2022 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1942, #Jouvenel, #Colette

Dans les années vingt, Lancelot croisait chez les époux Luchaire, Jouvenel et bien d'autres auteurs. C'était un même soir, qu'il avait rencontré Elaine de L.

Je rappelle que Bertrand de Jouvenel (1903-1987) , avait eu – avant guerre - comme beaucoup, la tentation de ''l'homme nouveau''. Il s'était – avec Drieu la Rochelle – engagé au sein du PPF de Jacques Doriot, avec qui il rompt dès 1938.

En 1941, il publie Après la défaite, qui fait de la victoire allemande celle de l’esprit qu'anime précisément, pense t-il, cet ''homme nouveau''.

Jouvenel dénonce les intellectuels qui se veulent être de purs artistes à l'image de Cocteau ou Guéhenno, qui se disent ''antifascistes'' mais qui, ont abandonné leur qualité de « vrai français ». Jouvenel ressent un vrai sentiment d'humiliation, nous aurions perdu le sens de la discipline, de l'ordre, de l'organisation, de la rigueur, dont fait preuve l'occupant... D'un côté, l'effondrement de la France, de l'autre l'émergence victorieuse de l'Allemagne !

 

Dans ''Après la défaite'' Jouvenel ne s'en prend pas seulement aux élites françaises qu'ils considèrent plutôt comme médiocres ; mais regrette qu'ils ne soient pas menés par une pensée directrice, « une même philosophie de la nation. ». Il fait le procès d'une démocratie parlementaire et d'une politique à courte-vue ; qui avait mis « le pouvoir aux classes les plus ignorantes de la société. » ; il y regrette l'absence d'une aristocratie, qui voyage, cosmopolite, cultivée.

Bertrand de Jouvenel, souhaite articuler ses propositions en politique intérieure, par trois axes : la ''biopolitique'', la géopolitique et les « sciences neuves ».

Le premier axe, se centre sur une approche qualitative des questions de population, hygiéniste, aristocratique, souhaitant arracher les jeunes d'une certaine tiédeur familiale...

La géopolitique comprend que « l'histoire est écrite sur le sol. », un peu dans l'esprit de Richelieu.

Jouvenel reconnaît actuellement la supériorité de la nation germanique et sa maîtrise à façonner l'Europe à sa guise ; et il pense que Vichy lutte pied à pied contre l'occupant, et il s'oppose à une collaboration poussée avec l'Allemagne ( seulement pour atténuer les souffrances des français...); et reste anglophile.

 

Parmi les notes de Lancelot concernant Jouvenel ; il fait état d'échanges sur l'économie, un sujet qui le passionne. Si Lancelot peut comprendre ses conclusions à propos de la décomposition sociale de l'occident ; il commence à douter que la ''révolution nationale '' de Pétain puisse relever ce défi, en particulier en collaborant avec le nazisme. Jouvenel exprime d'autres doutes doutes; européen, pacifiste, il ne croit plus que la république, et même la démocratie puissent répondre aux enjeux de notre avenir... Parce que finalement, il y aura bien une issue...Pourra t-elle advenir sans les allemands ? Ne sont-ils pas les plus forts ?

Proces-Nuremberg-1er-octobre-1946

« Aux démocrates, je préfère les communistes. » ajoute Jouvenel. Il exprime par là que la morale démocratique n'est que mensonge ; la preuve en serait, dit-il que la plupart de ces ''démocrates'' ne sont pas ''libéraux''. La modernité nous a amené la guerre, les gaullistes nous ramèneraient la troisième république, et les américains sont trop loin...

 

La grande question du ''pouvoir'', est celle de la gestion des ressources ( humaines , matérielles, …). Pour commencer, il faudrait s'interroger sur ce pouvoir : ne peut-il être que le fruit d'une conquête ? Dans quel but ?

La nation a renversé le roi, et a pris sa place ; mais il reste que c'est une minorité qui se dit consciente et qui gouverne ( le parti...). La course au pouvoir, alimente la guerre. L'avènement de contre-pouvoirs s'imposent !

Jouvenel pour satisfaire son esprit rationnel, s'empare de statistiques économiques ; il tente d'en extraire une vérité. A l'observation de courbes, il se préoccupe des '' limites ''. « Il n'y a point de vérité qui n'ait des limites. »

 

Pour Jouvenel, très vite, les conséquences de l'armistice et de la collaboration s'avèrent désastreuses ; à un ami avec qui il prévoyait la création d'un hebdomadaire économique, il lui écrit que « Ce journal économique n'avait de raison d'être national que si les vainqueurs se montraient disposés à faciliter ou du moins à permettre la reprise de la vie économique chez le vaincu. Ils semblent au contraire s'appliquer à la paralyser. Comment veux-tu que nous expliquions les problèmes économiques en faisant abstraction des mesures allemandes qui les aggravent ? Ce ne serait plus "le Fait" mais "le demi Fait" [...]. Je ne crois pas que nous puissions, dans la conjoncture actuelle, faire œuvre utile, c'est à dire œuvre française. »

Lancelot, par Rivet, est au courant des activités de Jouvenel pour le compte du SR, en particulier autour de l'ambassade allemande à Paris, et d'Otto Abetz qu'il connaît de puis longtemps...

Jouvenel, dont la mère Claire Boas de Jouvenel est juive, voit pour la dernière fois Abetz, le 17 mai 1941, avant de se retirer en Corrèze un an plus tard, à Pebeyre, près de Tulle. Non loin, à Argentat, réside Emmanuel Berl.

Le 28 mai 1941, sont signés par Darlan et Abetz les ''Protocoles de Paris '' qui sont des accords pour une collaboration militaire avec l'Allemagne en mettant à disposition de l'armée allemande des bases de l'empire français... !

En réaction, le 5 juin 1941 ; Jouvenel prévoit un projet '' d'adresse '' à l'attention du maréchal Pétain, et recherche des écrivains signataires.

Fin de la lettre : « Vous, Monsieur le Maréchal, qui avez écrit une des pages les plus glorieuses de notre Histoire, vous savez mieux que personne que jamais la France n'a commencé une guerre dans un camp pour la finir dans le camp opposé, si fortes que puissent être les raisons.

Contre cette éventualité, quelques avantages immédiats qu'on puisse attendre, les intellectuels soussignés élèvent une solennelle protestation. Une telle politique serait le reniement de tout notre passé, un désastre moral pire que le désastre militaire. C'est dans l'honneur d'une nation que réside le principe de son relèvement. Vous êtes, Monsieur le Maréchal, le gardien de cet honneur. »

 

Maurice Goudeket (1889-1977), marié à Colette depuis avril 1935, chroniqueur et directeur littéraire à '' Match '', et juif : ne peut plus travailler. Il est arrêté par la Gestapo au domicile de Colette, au 9 rue de Beaujolais, le 12 décembre 1941 : Colette l’aide à faire sa valise : « Elle m’accompagna jusqu’au départ de l’escalier. Nous nous regardâmes. Nous étions l’un et l’autre souriants, nous échangeâmes un baiser rapide. - Ne t’inquiète pas, dis-je. Tout ira bien.  - Va, me dit-elle avec une tape amicale sur l’épaule ». 

A une amie, Colette écrira : «  Il est parti très calme vers je ne sais où, chargé du crime d’être juif, d’avoir fait l’ancienne guerre comme volontaire et d’être médaillé ».

Il est transféré avec 743 personnalités juives françaises, au Camp de Royallieu à Compiègne.

Colette tente tout ce qu'elle peut, elle fait intervenir : Sacha Guitry, Robert Brasillach, Paul Morand et même Suzanne Abetz, l’épouse française de l’ambassadeur d’Allemagne Otto Abetz, admiratrice de Colette.

Finalement, il sera libéré le 6 février 1942.

Je rappelle, qu'en 1925, Colette et Bertrand de Jouvenel, mettaient fin à leur liaison. Et, commençait celle de Colette avec Maurice Goudeket.

Le 3 octobre 1941, Colette publie Julie de Carneilhan, chez Fayard.

Elle dresse le portrait d'une femme, la comtesse Julie de Cameilhan, qui lui ressemble : une femme qui ne plie devant rien, peut-être même pas devant l'âge.

Avec le comte d’Espivant , Colette évoque en particulier son deuxième mari, Henry de Jouvenel ( père de Bertrand) , homme politique éminent, qui n'est pas vraiment à son avantage …

Ce livre fait l'objet, à sa parution, d'un feuilleton dans Gringoire journal d'extrême droite, pendant l'occupation.

Craignant une nouvelle arrestation, fin de juin 1942, Maurice Goudeket gagne la zone libre et se cache chez un ami, à Saint-Tropez. Le 27 juillet 1942 : Misz Hertz, juive et Polonaise, amie de Colette depuis 1914 - mariée avec Léopold Marchand, l'adaptateur au théâtre de Chéri et La Vagabonde - se suicide quelques jours avant la rafle du Vel'd'Hiv.

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Après le 6 février 1934 - Le choix... 2

7 Septembre 2021 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1930, #Bergery, #Jouvenel, #Alain, #6 février 1934, #Mounier

Gaston and Bettina Bergery 1930s

Gaston Bergery (1892-1974), est pour Lancelot, de ces personnes, qu'il connaît de vue, puis qu'il salue après s'être croisés plusieurs fois; enfin qu'il rencontre avec plaisir et avec qui la discussion sur certains sujets s'engage facilement, avec intérêt parce que les divergences exprimées n'entament pas cette franche relation qui s'installe finalement entre Lancelot et ce radical un peu plus âgé. Froid, sûr de lui, il a tendance à faire la leçon ; et Lancelot se montre réceptif à ses avis qui tranchent des positions officielles....

Bergery fréquente les salons ; plutôt dandy et en concurrence de Drieu la Rochelle ; déjà marié deux fois ; il va épouser le 5 août 1934 Mlle Elisabeth-Charlotte Shaw-Jones, assistante de la créatrice de mode Elsa Schiaparelli.

On le craint, comme si on attendait de lui quelque grande surprise... Pour Drieu, c'est un ambitieux et un modèle pour son personnage Clérences ( Gilles)

Bergery était vers 1925, directeur du cabinet d'Édouard Herriot au ministère des Affaires étrangères. Ensuite il retrouve sa profession d'avocat, et sa spécialité en droit privé international l'amène à voyager. Devenu député radical en 1928 ; il est favorable à un rapprochement avec la SFIO. Il s'alarme du racisme et de la montée des idées fascistes. Le ''6 février'' est très grave et exprime à son avis l'inquiétude des classes moyennes ; cela plaide pour une réponse ferme en particulier des radicaux pour une unité de la gauche, parti de qui il s'est senti de plus en plus en décalage, au point de voter la défiance d'une majorité à laquelle il appartient, et finalement de quitter le parti Radical en 1933.... La SFIO de Léon Blum, lui semble tout aussi archaïque.

Il souhaiterait pouvoir refonder la république, revenir aux fondements de la Révolution française ; il rejoint en cela les ''non-conformistes'' des années trente.

Il tente de créer un mouvement qui promeut la justice sociale et s'oppose au fascisme. Il rejoint en novembre 34, George Izard et constituent ensemble le Parti frontiste.

 

Des universitaires ont été aussi fortement secoués par les émeutes du 6 février 34, Paul Langevin scientifique, enseignant et militant humaniste ; fonde avec Paul Rivet ethnologue militant et le philosophe Alain, pacifiste : Le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes ( CVIA).

Alain, lycée Henri-IV, en 1932

 

Emile Chartier ( Alain est l'un de ses pseudos), est ce ''grand professeur'' du lycée Henri IV, dont on se dit fier d'avoir été son élève.

Tels, Guillaume Guindey , Raymond Aron, André Maurois, Simone Weil, ou Georges Canguilhem, un ami de Jean Cavaillès, pacifiste, qui adhère au Comité de vigilance des intellectuels antifascistes.

Et, aussi, René Château, un ami de Bergery, dont on reparlera...

Après le 6 février 1934, Jeanne Alexandre et son mari, Michel Alexandre un ancien élève d'Alain, adhèrent au CVIA. Michel Alexandre est juif, ce qui dans ce contexte serait sans importance, la suite démontrera le contraire...

 

En 1934, Alain est proche de la retraite, il souffre de rhumatismes très douloureux. Pour l'heure, sa vision humaniste lui permet de défendre en même temps le pacifisme et l'anti-fascisme.

Pourquoi pacifiste ?

Chacun a en horreur ce qu'il connaît de la Grande Guerre. Préparer la guerre, ne peut qu’entraîner la fascisation des esprits, nécessaire pour soumettre l'individu aux exigences du combat.

Alain, persuadé de la force qui émane de la France, parie contre la fermeté vis à vis de l'Allemagne, contre la militarisation...

 

On dit que c'est après le 6 février 1934 que Drieu passa définitivement au fascisme.

Pour Lancelot, aussi, la soirée du 6 février 34, est un électrochoc : ce qui se passe en Allemagne, peut avoir lieu en France. Face aux difficultés financières, le slogan '' L'Allemagne paiera '' n'est plus crédible... et malgré l'antiparlementarisme ambiant ; la République n'est-elle pas en ce moment la seule garante de la démocratie... ?

 

L'interrogation de Lancelot, s'appuie sur la prégnance du discours fasciste en France, la montée des régimes totalitaires en Europe, la technicisation des réponses politiques qui feraient que le choix reviendrait à ceux qui savent ; en rejet si nécessaire des raisons d'un argumentaire humaniste.

Le communisme qui semble t-il, offre le cadre d'un engagement anti-fasciste, n'attire pas Lancelot. Première raison : le collectivisme qui asservit l'individu, et lui apparaît comme opposé aux valeurs humanistes. Le marxisme pose en valeurs : la production, le travail, le machinisme, supports d'une dictature techniciste.

Il ne s'agit pas de choisir entre une oppression de la part de quelques uns, ou une oppression de la part de la collectivité. Fascisme et communisme se rejoignent.

D'autre part, comme beaucoup de français, la peur du communisme provient de ce qui est appelé '' la cinquième colonne '' qui fait référence à une offensive guerrière où se rajoute aux colonnes attaquantes, celle - qui tel un cheval de Troie - attaque de l'intérieur : ce serait le rôle que l'on prêterait au PCF, inféodé au Komintern. L'URSS a deux objectifs, faire triompher la révolution en France, envenimer les relations entre la France et ses voisins jusqu'à la guerre, d'où son sa tentative d'exploiter la guerre civile en Espagne pour en faire un conflit européen...

 

B de Jouvenel 1938

Bertrand de Jouvenel, impressionné par cette révolte portée par les Ligues, se convainc de l'inefficacité des partis traditionnels. Il quitte le parti radical... Il propose, pour l'heure, un hebdomadaire La Lutte des jeunes, pour dénoncer la corruption du régime et servir les idées des ''non-conformistes'' ( de gauche ou de droite) vers un Etat à refonder... Vont y collaborer Jean Prévost, Henri De Man, Emmanuel Mounier, Robert Lacoste ou Pierre Drieu la Rochelle.

On y échange sur la planification et la régionalisation, le renforcement du pouvoir exécutif et un Conseil d’État en charge de la rédaction des lois... On imagine une Constituante puis un référendum. Ce serait une troisième voie entre les Ligues et le Front commun de gauche.

 

Lancelot est un peu dans l'état d'esprit exprimé par Emmanuel Mounier quand il dit qu'en créant la revue Esprit (1932) , il recherchait « un lieu où camper entre Bergson et Péguy, Maritain et Berdiaeff, Proudhon et de Man »

Chacun pensait que nous étions à la veille d'une révolution, ou du moins à l'entrée d'un monde nouveau ; et qu'il fallait conserver ce que Péguy avait défendu ; l'âme chrétienne, contre les puissances et « les violences d'argent ». Une révolution, pourrait-elle concilier le spirituel et le temporel ?

Déjà, la revue ' Esprit ' ( de E. Mounier), en janvier 34, rejette l'idéologie du parti national-socialiste d'Hitler, une doctrine irrecevable, raciste, une révolution où « le sang est le seul ferment de l'histoire », où la liberté et le ''destin personnel'' n'y ont pas leur place...

En avril 1934, Emmanuel Mounier écrit dans Esprit ; que s'il avait effectivement écrit '' ni droite - ni gauche '' ; il constate que des membres d'Ordre Nouveau qui partagent ce slogan, dérivent vers la Droite. Il constate aussi que à Gauche est le peuple qui vit ''les valeurs que nous défendons''.

 

Le Komintern puis le Parti communiste prennent conscience que le danger est, avant la social-démocratie, le nazisme. Aussi en juin 1934, le PC propose aux socialistes l'unité d'action, unité ouverte aux anti-fascistes et dons au parti radical... Maurice Thorez parle de Front populaire.

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Le Paris des Années 1920.. – Bertrand de Jouvenel

4 Mars 2021 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1920, #Jouvenel, #Colette, #Delbrêl

Si les sujets de discussions sont graves, l'ambiance - parmi les jeunes qui fréquentent les Conférences - est à la camaraderie et à la fête. Dans une chambre d'étudiants, dans un bureau ; certains amènent des jeunes filles qui admirent les débats, des liens se nouent...

Les parents de Bertrand de Jouvenel, se sont séparés tôt ; il vit avec sa mère Claire Boas, elle-même assez présente dans le monde politique et littéraire. Son père a épousé en 1912, la romancière Colette.

Au printemps 1920, Bertrand rend visite à son père et découvre celle qu'on lui a désignée comme « redoutable ». Il est fasciné par elle : naturelle, imposante... Elle décide de « former » son beau-fils, et, l'année suivante, deviennent amants; elle a 47 ans.. Jusqu'en 1925, Bertrand vit dans l'ombre de Colette... Cette liaison est connue, et - vis à vis de ses camarades -pose Bertrand sur un piédestal de l'initiation érotique...

Colette, Henri de Jouvenel, et son fils Bertrand sur la lande près de Rozven, en Bretagne (1921) ->

 

Bertrand est un lecteur passionné d’histoire, de politique et d’économie. Colette l’initie à d'autres lectures, en particulier les romans de son ami Proust, qu’elle compare à Balzac. C'est elle, dit-il, qui l'ouvre aux joies du monde : « Colette m’enseigna que le pain avait du goût, les troènes du parfum, les pavots de la couleur …elle regardait, elle écoutait, elle sentait, et le plaisir qu’elle prenait continuellement à ce qui existe se communiquait à son entourage. Alors que j’avais toujours cherché à être laissé en paix avec mes livres, à présent je la suivais et les théières de faïence chez les antiquaires de Saint-Malo, les crevettes dans le basin des rochers, tout me paraissait merveilleux …il est impossible de dire ce que je lui dois, pour m’avoir ainsi nourri ».

 

Bertrand de J. suit son père à la SDN en 1923. Il part pour Prague comme collaborateur du ministre des affaires étrangères de la Tchécoslovaquie.

Sa mère ne supporte pas cette liaison, elle tente de le fiancer, mais il crée le scandale en ne venant pas au repas de présentation ; Colette venait de lui remettre un pli où était écrit : « Je t’aime. ».

Sa famille lui présente une nouvelle jeune fiancée. Il en discute avec Colette et décident de se séparer. Marcelle Noilly-Prat a déjà écrit un roman ( Vivre en 1922) « très intelligente et de très bonne compagnie » ; ils se marient en décembre 1925.

Madeleine Delbrêl (1904-1964)

 

Parmi les jeunes de l'Action Française, Lancelot est interpellé, en 1922-23, par Jean-Augustin Maydieu. Étudiant doué et fougueux, il est camelot du Roi et il fait partie de la garde personnelle de Maurras, très religieux il est torturé par une histoire d'amour... Il a rencontré Madeleine Delbrêl chez le docteur Armaingaud qui tient salon ; elle s’intéresse à l’art, la littérature et la philosophie. Elle écrit des poèmes. En 1922, alors qu'elle écrit « Dieu est mort, vive la mort […] Puisque c'est vrai, il faut avoir le courage de ne plus vivre comme s’il vivait » ; elle fait la connaissance de Jean profondément croyant, qui se questionne sur sa vocation religieuse... Ils se revoient et commencent une relation amoureuse (1923)... Il part pour son service militaire, puis sans explication entre au noviciat dominicain, le 22 septembre 1925. Cette ''rupture'' plonge Madeleine dans une phase dépressive, et déclenche une recherche intérieure et, finalement, une conversion « violente » dit-elle l’année de ses 20 ans dans un éblouissement qui ne la quittera plus..

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