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Les légendes du Graal

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1945 - Fabrègues – Jouvenel – Sartre – Denoël

14 Mars 2023 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1945, #Fabrègues, #Jouvenel, #Sartre, #Denoël, #Loviton

Toujours dans un contexte d'épuration, Lancelot va apporter son témoignage pour défendre des personnes pour qui il garde - malgré leurs errements qu'il considère compréhensibles - du respect.

Jean de Fabrègues à gauche avec Jean Peyrade ( écrivain scout, journaliste) maréchaliste, puis rallie la résistance gaulliste Jacques Boudet, journaliste et un proche de Bernanos

Ainsi de Jean de Fabrègues, à qui on reproche d'avoir maintenu - après novembre 1942 - son hebdomadaire Demain. Des amis résistants, apportent les preuves de son action aux côtés des prisonniers et il ne sera plus inquiété. Fabrègues reste un catholique de droite. Il s'inquiète de la puissance des « éléments matérialistes et marxistes » et il estime qu'à présent « le monde est engagé dans une immense lutte de valeurs » ; aussi il milite sur l'urgence de définir les institutions nécessaires pour défendre le respect de la personne humaine et assurer une « maîtrise des puissances collectives et des déterminismes matériels. »

Fabrègues craint une vision idéologique de l’organisation de la vie de la Cité, qui éluderait ''le spirituel'' et empêcherait de « voir le réel tel qu’il est ». Il en appelle à ceux qui lui semblent partager cette vision du monde, comme Gabriel Marcel, Gustave Thibon, Étienne Gilson, Gonzague de Reynold. Aussi dans certains domaines Daniel Rops, Daniel Halévy, souvent Thierry Maulnier, Jean Lacroix, Joseph Folliet, François Perroux, Raymond Aron, Jacques Madaule...

Après 1945, il devient rédacteur en chef de l'hebdomadaire France catholique.

Lancelot aime partager avec lui ses lectures de François Mauriac et de Georges Bernanos dont il a été proche dans l'entre-deux-guerres.

 

De même, Bertrand de Jouvenel (1903-1987), réfugié un moment en Corrèze ( aux côtés d'Emmanuel Berl, d'André Malraux et de sa compagne Josette Clotis), puis en Suisse : on lui reproche son interview d'Hitler en 1936 ; mais du fait de sa coopération avec le SR, échappe à l'épuration, mais se voit considéré, selon sa propre expression, comme un « pestiféré ».

Bertrand de Jouvenel 1955

Il a écrit entre 1943 et 1945, un ouvrage majeur '' Du Pouvoir '' qui paraît en mars 45, à Genève. Ce livre est né de la guerre, et du constat que la guerre n'est pas une chose du passé...

 

Le Pouvoir se présente comme une maladie, d'abord sous la forme de tentation, celle de la ''toute-puissance'', puis effective avec le totalitarisme. Très vite, la croissance du pouvoir, le rend irréversible. L'appareil mis en place, son administration s'apparente à « une chambre des machines » , dont les leviers sont toujours plus perfectionnés.

Issue de notre histoire, la démocratie ferait des gouvernants : des organes de la volonté générale ; ce qui peut être malheureusement une duperie, et un moyen de faire accepter leur pouvoir.

La liberté, seule devrait régir nos actions « arrêtée uniquement lorsqu’elle offense les bases indispensables de la vie sociale » (pp. 513-514). Pour Jouvenel, la liberté ne peut être ''un phénomène de masse ''. Il pourrait s'agir évidemment d'une vision toute aristocratique de la Liberté, si elle n'était pas l'attribut de chaque personne.

Jouvenel écrit ces pages, dans un contexte de ''guerre totale'' : où les peuples ont été « décervelés » au profit d’un bourrage de crâne belliqueux orchestré par le Pouvoir.

Jouvenel estime qu'il ne suffit pas de briser Hitler ; puisque, encore, l'Etat ( ou le Pouvoir) se présente comme le responsable du sort des individus.

Pour Jouvenel, les totalitarismes naissent des démocraties. Les sociétés traditionnelles, avec des ''corps constitués'' s'opposaient à un Pouvoir désireux de tout régenter. Un ''esprit libre'' n'a de cesse de dénoncer l’empiétement du Pouvoir.

« La démocratie, telle que nous l’avons pratiquée, centralisatrice, réglementeuse et absolutiste, apparaît donc comme la période d’incubation de la tyrannie » (p 36)

La masse du peuple en effet préfère à la liberté la sécurité. Et c’est bien ce qu’elle attend d’un Pouvoir fort. Jouvenel décrit une machination où Pouvoir et Individu conspirent ensemble à détruire l'harmonie de la Société.

Jouvenel propose quelques solutions dans cette lutte qu'est le ''Minotaure'' : - établir des ''contre-pouvoirs'' ; - suprématie du Droit ( indépendant du pouvoir) ; - affirmation de la ''dignité'' de la personne ( sens de la liberté).

Si le livre est peu commenté en France ; l’écho est important en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis.

Salle des centraux ( rue Goujon)

 

En France, suite à sa devenue célèbre conférence du 29 octobre 1945, Jean-Paul Sartre ( 40 ans) est devenu une vedette.

Lancelot a eu la chance d'être présent à Paris, ce soir là. Avec Geneviève, ils croisent dès 20h15 de nombreux groupes, assez jeunes, qui se pressent vers la rue Goujon. Impossible d'entrer dans la salle ; heureusement, une connaissance bienfaisante ( Lancelot marche aidé d'une canne), les infiltre vers les coulisses, et ils trouvent deux places devant la scène. Ils sont près de Gallimard. A 20h30, Sartre n'est toujours pas là ; et la foule semble toujours s'écouler vers le moindre recoin. Même la chaise du conférencier a été subtilisée. Des personnalités s'inquiètent de la situation, on parle d'appeler Police-Secours, sachant qu'à l'extérieur la situation est, parait-il, critique. Vers 21h15, Sartre apparaît. On lui propose de s'asseoir sur la table. Il refuse. Il demande à certains ( mais qui?) de sortir. Bien-sûr, personne ne bouge. La chaleur est intenable ; des personnes se trouvent mal.

Jean-Paul Sartre 1945 Café de Flore

Sartre - il parle sans notes - s'attelle à défendre '' l'Existentialisme'' : « une doctrine qui rend la vie possible... ». Contre les chrétiens, et contre les marxistes ; il affirme l'optimisme des existentialistes.

Une jeune fille s'évanouit. Ne faut-il pas évacuer la salle ? Sartre est encouragé à continuer. Il reprend son cours, sur la nature humaine - qui n'existe pas ( par essence, donc) - et commente de nombreux philosophes. Quelques idées fortes peuvent être retenues : - l'Homme ne se définit que par rapport à ses actions ; - l'Homme se conçoit lui-même, en dehors de lui-même il n'y a rien ; - l'Homme est essentiellement seul, et il est condamné à être libre ; - l’Existentialisme, orientée vers l'action, est un ''optimisme'', un humanisme. Pour Sartre, l'Européen de 1945 est un personnage qui peut se placer au centre du monde, et il est capable de comprendre chacun, qu'il soit chinois ou indien.

Il cite l'exemple du colonel Lawrence, qui « se voyait du dedans et du dehors. ». Personne n'a le courage d'apporter la contradiction ; vivement et sagement, la foule rejoint la sortie.

De nombreux articles dans les quotidiens font état - ce soir là - de la foule, des chaises cassées et des femmes évanouies. Nous apprenons que Sartre apercevant la foule, pensait qu'il s'agissait d'une manifestation hostile des communistes. La presse salue, le sang-froid du conférencier, son magnétisme personnel. Au même moment Julien Benda, au théâtre du Grand Colombier , renonça à sa conférence : la salle était vide.

La popularité de Sartre, grandit avec la parution de son roman ''Les Chemins de la Liberté'' dont 2 tomes sur trois sont parus, mais déjà épuisés.

 

Lancelot apprend, par la presse et avec stupeur, l'assassinat de Robert Denoël, dans la soirée du 2 décembre 1945, au boulevard des Invalides. L'éditeur accompagné de Mme Voilier ( Jeanne L.), se rendait au théâtre de la Gaîté, lorsque qu'un pneu de la voiture éclata. Pendant que Jeanne L. allait au commissariat pour chercher un taxi, Denoël qui s’apprêtait à changer la roue, a été agressé, puis abattu d'une balle dans le dos.

Denoël avait été poursuivi pour délit de collaboration, pour la publication d'ouvrages antisémites ( Céline, Rebatet), mais il semblait tiré d'affaires. On parle de vengeance politique, mais la presse fait plutôt état d'une bande de jeunes spécialistes d’agressions nocturnes qui sévissent dans le quartier, dont plusieurs viennent d'être arrêtés.

Par ailleurs, nous savons que Robert Denoël, séparé officieusement de sa femme, vivait avec Jeanne L. avec qui il était en ''relation d'affaires''. Puis, nous apprendrons que les affaires personnelles de Denoël, laissées dans la voiture ont disparu.

Plus tard, les éditions Denoël, vont devenir la propriété de Jeanne L. , déshéritant sa femme et son fils. Il semblerait que Denoël devait repasser devant la commission d'épuration, et qu'il avait d'ailleurs préparé un dossier à charge sur de nombreux concurrents ( dossier volé dans la voiture !) et craignait de ne plus pouvoir exercer son métier d'éditeur ; aussi il avait pris ses précautions pour transmettre ses parts à sa maîtresse.

Nous apprendrons plus tard encore, que Jeanne Loviton - après la mort de l’éditeur - a contre-signé les parts conservées en blanc par lui, et se retrouvait ainsi en possession des Éditions Denoël.

Chacun sait également que Gallimard convoitait les éditions Denoël ; ce qui sera réalisé, en 1951, quand Jeanne L. les lui vendra.

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Lyon - 1941 – Mounier – Fabrègues

31 Juillet 2022 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1941, #Lyon, #Mounier, #Fabrègues, #Jeune France

Emmanuel Mounier

Il semble que le ministère de l'intérieur de Vichy, s'inquiète de l'influence de Mounier, sur ''Jeune France''. En effet, Fabrègues, se plaint que Mounier attaque régulièrement '' le Maréchal'' ; il sous-tend que le directeur d'Esprit avec sa bande y fait régner une " tendance démocrassouillarde chrétienne ''. Fabrègues relève, que ''Jeune France'' célèbre le 14 juillet, mais refuse de célébrer la fête de la Légion, invite Aragon aux journées de Lourmarin, et souligne l'accueil qu'y reçoivent les juifs...

Déjà en juillet, Emmanuel Mounier ne pouvait plus faire de conférences à Uriage ; le 25 août Esprit est interdit et en septembre Schaeffer reçoit l'ordre de mettre fin à la collaboration de Mounier à ''Jeune France''

On reproche même à Mounier de soutenir le mouvement communiste.

 

Lancelot, un samedi de septembre 1941, rejoint en bicyclette le petit appartement de la Croix-Rousse qu'occupe Mounier et sa famille. Lancelot a noté certains propos du directeur d'Esprit sur l'offensive allemande contre la Russie soviétique, ainsi dit-il: Chacun saluera la chute du stalinisme comme une délivrance pour l'Europe, en espérant que les conséquences ne soient pas équivalentes au mal. Cependant Mounier rappelle que le communisme avait soulevé une grande espérance ; et puisque on parle de croisade ( anticommuniste) et de chevalerie, pour lui « il n'est de croisade que de la vérité et de la charité. » …

Mounier rencontre à ce moment là, des personnes qui se déclarent en ''résistance'' . Ainsi, Alban Vistel à qui Mounier fait rencontrer André Philip et le mouvement ''Libération ''. Pour Vistel, la Résistance, signifie - en plus de l'action immédiate - de se projeter dans le futur ; ce n'est pas un repli nostalgique sur le passé, mais c'est une fidélité à ses valeurs spirituelles. La Résistance, dit-il, c'est la recherche d'un humanisme, et c'est en témoigner. « La résistance va au-delà de la guerre, parce qu'elle est le refus des compromis qui abaissent l'homme. »

 

Lancelot entend Fabrègues et tente de comprendre ce qu'il dénonce chez les amis de Mounier : « ces démocrates-chrétiens disent défendre la personne humaine, l'autonomie de pensée... Parler de liberté, n'est envisageable que dans le cadre d'une nation unie et organisée. Dans les circonstances où se trouve le pays, la communauté personnaliste de Mounier s'oppose à la communauté nationale, disciplinée et soucieuse du Bien commun. » Fabrègues reproche aussi à Mounier le fossé qu'il établit entre l'esprit et la vie...

On retrouve là, peut-être, un reproche portée par la thèse de l'incarnation développée par Gustave Thibon : « La valeur d’un idéal se mesure à sa capacité d’incarnation. ».

 

L'année 1941 est restée sur la rupture avec la ''ligne Laval'' ; et les mots de Pétain : « Vous n'avez plus ma confiance... ». Chacun ici, rejette la collaboration avec les allemands ; et chacun, encore, imagine la période propice à rêver la société de demain, pour l'instant limitée à la zone libre... c'est vrai... Les idées fusent, parfois contradictoires, sur une politique plus locale, plus technicienne, plus efficace ; et une économie plus dirigée, opposée au « laisser faire du capitalisme ». Le syndicalisme pourrait laisser la place à organisations mixtes travailleurs-employeurs. Mounier, dans Esprit, déclare « la guerre au monde de l'argent », et en appelle à « une révolution contre l'individualisme ».

Le 25 août 1941, Paul Marion, sur ordre de Darlan, interdit Esprit.

La ''Révolution Nationale'' regroupe des personnes, qui s'attaquent à l'économie du laisser-faire, au système parlementaire, à la société de masse. La plupart également considère que l'ordre social ne saurait être mieux maintenu que par l'autorité et la hiérarchie.

Cependant, très vite, la réalité de l'occupant qui étrangle économiquement la France, qui s'oppose au relèvement moral et social du pays, semble ne permettre qu'une politique fasciste, au service de l'Allemagne.

Le 8 décembre 1941, l'aviation japonaise a attaqué les bases américaines des îles Hawaï. Le congrès américain a voté la déclaration de guerre au Japon. La guerre est devenu mondiale. Wladimir d’Ormesson dans le Figaro, dit que «  le 3 octobre 1935, était tiré le premier coup de feu sur un rivage lointain et a mis le branle à un bouleversement qui maintenant a atteint son plein développement. » Il ajoute que nous, français, « nous ne pouvons qu'assister silencieux au déroulement d'un drame qui nous dépasse. Nous sommes hors de combat. ». Le 3 octobre 1935, l'Italie fasciste de Mussolini attaquait l'Ethiopie, à la suite, disait-on, d'un incident de frontière...

 

L'actualité est aussi, aux attentas contre des soldats de l'armée d'occupation. Des mesures de répression dont des milliers d'arrestation, sont décidées par le gouvernement, contre les étrangers, les juifs et les communistes.

Dans la journée du 10 décembre, et dans la nuit du 10 au 11, des descentes de police s'intensifient dans les garnis, hôtels, restaurants. Les Juifs étrangers entrés en France depuis 1936, sont arrêtés, groupés selon les cas, dans des Compagnies de Travailleurs ou dans des Camps de Concentration !!!

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