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1952 - L'Europe et la Civilisation chrétienne
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Lancelot fait part à son gouvernement, de la position du Vatican sur la construction d'une Europe unie. Le souhait de Pie XII est que cette unification se fasse sur des fondements chrétiens. Il espère beaucoup de l'engagement de Schuman, d'Adenauer et de Gasperi. Cela permettrait de prendre ses distances avec les Etats-Unis, et assurer sa neutralité entre les deux blocs.
A partir de la fin d'année 50 ; Pie XII tend à infléchir son discours anti-communiste.
Après le décret de 1949, sur l'excommunication... Le pape renonce à tout nouvel anathème. Il s'agit de reconnaître que la guerre avec l'arme atomique devient une absurdité à bannir absolument ; et qu'il convient de rechercher une forme de coexistence, basée sur le respect des libertés fondamentales ( dont la liberté religieuse).
En février 1951, Frédéric Joliot-Curie, au nom du Conseil mondial de la Paix demande au Vatican d'appuyer une « proposition de réduction des forces armées... ».
Pour tendre vers l'équilibre entre les blocs, le Vatican appuie le projet d'une Europe unie. Il soutient le Traité sur la Communauté européenne de Défense ( CED), du 27 mai 1952, proposé à la ratification des états.
En mai 1952, le maire de Florence, Giorgio la Pira, prend l’initiative d'un ''congrès pour la paix et la civilisation chrétienne'', une trentaine de pays sont représentés.
Le débat sur l'Europe, dans un contexte de guerre froide, sous-tend celui de la défense de notre '' civilisation chrétienne'' en regard d'une autre proposition, celle des communistes, avec le ''Mouvement mondial des partisans de la paix''.
Mais, interroge Lancelot, si le lien entre christianisme et civilisation occidentale est évident ; peut-on aujourd'hui, encore, promouvoir une civilisation chrétienne ?
Cette question mérite le débat, elle nourrit des discussions entre Maurice M. et Lancelot qui se sent d'autant plus concerné qu'elle habite la spiritualité de sa quête.
Charles Journet (1891-1975) est un théologien catholique suisse. Il deviendra cardinal en 1965. |
A ce propos, Maurice évoque évoque l'abbé Charles Journet (Fribourg) qui corrige l'idée du mythe d'une chrétienté de type médiéval, que l'on pourrait imaginer à partir d'une certaine ''Queste du Graal''... !.
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Journet s'inspire beaucoup de Maritain.
- Puisque tu as eu le privilège de fréquenter le couple Maritain ; peux-tu nous en dire plus de cette ''nouvelle chrétienté'' dont il parlait dans ce fameux livre ''Humanisme intégral ''
- Oui... Que suis-je capable d'en dire... ? Ce livre a été publié en 1936. Pour ce qui releverait d'un ''nouveau Moyen-âge'', il s'agit d'un titre d'ouvrage de Nicolas Berdiaeff, qui date de 1927. Elaine l'appréciait beaucoup. Nous l'avions rencontré chez les Maritain. Son discours politique, pessimiste, ne passerait plus aujourd'hui...
Jacques Maritain (1882-1973 est un philosophe et théologien français. Éminent thomiste. De Gaulle le nomme ambassadeur auprès du Saint-Siège en 1945. |
''Humanisme intégral'' (1936) de Maritain, son sous-titre est ''Problèmes temporels et spirituels d'une nouvelle chrétienté''. Il conçoit une ''nouvelle chrétienté'' autour d'un ''idéal social'', la chrétienté n'étant qu'un « âge de civilisation dont la forme animatrice serait chrétienne » Face à un humanisme marxiste, ou libéral bourgeois, inhumains ; il est de la responsabilité des chrétiens à montrer que l'ordre spirituel est de tendre « à tout pénétrer, à s'emparer de tout, à descendre au plus profond du monde. »
Nostalgie de la chrétienté médiévale ? Non. Cette nouvelle chrétienté tient à réhabiliter l'humain. Pour cela, elle repose sur trois principes : - l'autonomie du temporel ( il n'est plus un instrument du spirituel) ; – la transcendance absolue du spirituel, et la liberté de l'Eglise ; - rejet d'un dualisme, matériel-spirituel.
Maritain appelle à une nouvelle sainteté, la « sainteté profane », c'est un appel de pleine humanité sur les chantiers du monde.
Maurice, revient au père Journet, à propos de ''civilisation'' . Dans la lignée donc de Maritain, il préfère promouvoir la transcendance du christianisme qui est spirituel et éternel, alors que les civilisations sont contingentes et périssables.
- Cependant, le lien entre christianisme et civilisation occidentale, semble évident....Non ?
Lancelot se souvient que Paul Ricoeur se demandait si « le christianisme n'a pu être vécu que dans un contexte de civilisation aujourd'hui périmé, ... » ? ( C'était lors d'une conférence de la Post-fédération l'été 1946 à Melun).
![]() Paul Ricœur (1913-2005) est un philosophe français, protestant. |
Quand nous parlons de ''civilisation'', dit-il, nous comprenons bien que « nous appartenons à une certaine aventure qui a des contours géographiques et historiques et qui charrie certaines valeurs »
- « J'appartiens à ma civilisation comme je suis lié à mon corps. »
- « Une civilisation a des contours géographiques et historiques. » Nous n'y rencontrons pas toujours l'universalité de l'homme , mais une certaine aventure humaine.
* Certes, nous savons que naissent et meurent les civilisations ; mais une civilisation se construit sur des valeurs ?.
Dans ces formule de Ricoeur : « la dignité de l'homme itinérant est dans les valeurs éternelles qu'il découvre en les inventant historiquement. », je remarque une transcendance des valeurs ; même si, dit-il, - « Les valeurs ne se conservent que par la mémoire et l'invention des hommes. (…) Elles meurent quand nul n'y croit plus. »
- « Les valeurs des civilisations sont « garanties » par des valeurs'' religieuses''. » ( ici religieux ne signifie pas nécessairement foi en Dieu ). Lancelot pense alors, au communisme, qui a la prétention de construire une nouvelle civilisation....
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Maurice tente de prendre le contre-pied, et définir la civilisation occidentale actuelle sans référence au christianisme :
* Comment pourrait-on définir notre ''civilisation occidentale'' ? N'a t-elle pas été plusieurs fois inventée : avec l'antiquité, le christianisme, les invasions barbares, puis avec la féodalité, la modernité puis la révolution bourgeoise ? Ne faut-il pas être prudent sur les limites historiques et géographiques ?
-Peut-on reconnaître un ensemble de valeurs révélé par cette histoire européenne ? - On pourrait répondre : - l'humanisme... ? Non ?
Et aujourd'hui ? « Nous sommes à l'âge atomique.. »... Quelles chances vont nous offrir, les techniques modernes ?
* Il y aurait une autre manière de se poser la question, par exemple : En quoi la foi chrétienne concerne t-elle notre civilisation ?
- Reprenant l'image du corps, Maurice ajoute, ma civilisation, comme mon corps, est le '' Temple du Saint-Esprit'' . Il s'agit d'y incarner ma foi.
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- On parle donc, d'une civilisation à christianiser... D'ailleurs, il y a cette ''histoire'' de royaume, du règne à venir, de la fin de l'Histoire... Nous sommes invités donc à assumer les valeurs de l'époque, et de les convertir.
Oui, c'est bien cela, conclut Maurice... Même « si l'âge moderne était un âge païen » ? Si ''Dieu est mort '' ? Il reviendrait, à l'Eglise' de convertir et de ''baptiser'' ces valeurs nouvelles....
C'est ce qu'écrit le père Journet : « le christianisme du XXe siècle doit accepter de jouer un rôle dans les formations politiques, laïques et profondément sécularisées, à condition toutefois que la liberté de la Parole soit assurée ; il doit saisir toutes les occasions que lui offre le monde moderne, toutes les '' chances '' que lui fournit la civilisation contemporaine de baptiser cette civilisation, comme elle a tenté de baptiser celle des Grecs et celle des Barbares. »
1938 - Myrrha Lot – Maritain
Anne-Laure de Sallembier, qui navigue entre Paris et Fléchigné, continue de fréquenter la tribu de Ferdinand Lot à présent retraité, mais soucieux de transmettre par la publication de plusieurs ouvrages. Elle maintient le fil qui existe entre Lancelot et Myrrha, au sujet de la littérature médiévale autour de la quête du Graal. Lancelot et Elaine, alternent le '' thé du dimanche après-midi à Fontenay aux roses'' avec celui à Meudon chez les Maritain. La maison du 53, rue Boucicaut à Fontenay est une copropriété. La famille est voisine de la famille Langevin qui vit au rez-de-chaussée. Militant très actif, Paul Langevin fait partie du Comité de Vigilance des Intellectuels Antifascistes créé après le 6 février.
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Myrrha Lot se plaît à promouvoir la spiritualité orientale auprès des catholiques. Elle valorise ce qu'elle appelle le mysticisme liturgique et vante la doctrine de la déification dans l'Église grecque, qu'elle rapproche de la doctrine occidentale médiévale de la contemplation.
- A l'origine, la nature de l'Homme est surnaturelle. Les Pères grecs propose de s'approcher au plus près de cet héritage perdu, non par la croix, mais par la contemplation : Amour et Connaissance vont de pair. L'Esprit Saint réside dans le ''nous'' de l'âme, il est l'agent de la résurrection.
Cette doctrine de la déification n'a pas été développée dans la tradition occidentale, seul Maître Eckhart, peut-être, comme lointain disciple de l'Aréopagite, s'y approche, et a vu ses thèses condamnées... Dans cette vision, l'homme est transfiguré par les énergies divines. La déification suppose une complète harmonie de liberté et de grâce qui consistait, d'après saint Maxime le Confesseur, fréquemment cité par Lot-Borodine, « deux ailes » qui nous portent vers l'union parfaite avec Dieu.
Lancelot et Elaine sont sensibles à l'approche orthodoxe d'une anthropologie qui insiste sur l'idée que l'homme est par nature, par création, l'image de Dieu ; alors que la théologie latine met en avant la chute ( vision morale) et voit la résurrection comme la réparation après l'offense ; tandis que dans la tradition grecque, la résurrection restaure la nature divine qui existe dans l'humain.
Elaine insiste, que pour être complet, il est nécessaire de comprendre que l'homme seul est incapable d'accomplir – par lui-même – sa déification ; c'est par la seule énergie divine – la Grâce – qu'elle s'accomplit...
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Lancelot et Elaine assistent à la conférence de Jacques Maritain au Théâtre des Ambassadeurs, sur '' Les juifs parmi les Nations ''. Le philosophe n'était pas tranquille, les dominicains avaient tenté de le dissuader craignant que cela soit compris comme une apologie d'Israël... Des antisémites comme Henry Coston et Roger Lambelin ( celui-là même qui avait préfacé en 1920 les Protocoles des Sages de Sion), le menacent de s'opposer par la force, s'il le faut...
Deux pamphlets de Céline, ''Bagatelles pour un massacre'', et l’École des cadavres, sont parus. André Gide semble les prendre pour des canulars, « il empile “haut comme un sixième” des blagues pathétiques et sans importance ». Maritain s'indigne : « On ne peut pas aujourd’hui (et a t-on pu jamais le faire ?) parler de la question juive avec frivolité, ou en suivant complaisamment son humeur et ses ressentiments, ou avec l’euphorique truculence qu’un faiseur de bagatelles met à décrire ses asticots ».
L'essentiel du message de Maritain, tient en ceci : « les Juifs ne sont ni une race, ni une nation, ni un peuple », mais « un mystère » : le mystère d'Israël.
« Plus la question juive devient politiquement aiguë, plus il est nécessaire que la manière dont nous traitons de cette question soit proportionnée au drame divin qu’elle évoque ; il est incompréhensible que des écrivains catholiques parlent sur le même ton que Voltaire de la race juive et de l’Ancien Testament, d’Abraham et de Moïse. »
Bien sûr Maritain, évoque positivement les conversions au catholicisme, la sienne et celle de sa femme juive Raïssa qui dit elle-même de ce chemin : « Là où j’aurais craint de trouver lutte et opposition, je ne vis à ma grande joie qu’unité, continuité, harmonie parfaite.»
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Maritain, reprend : « si on entend par “peuple” « une communauté historique caractérisée non pas, comme la nation, par le fait (ou le désir) de mener une vie politique, mais par le fait d’être nourris d’une même tradition spirituelle et morale et de répondre à une même vocation, [les Juifs] sont un peuple, et le peuple par excellence, le peuple de Dieu. […] Ils sont une “maison”, la maison d’Israël . »
Maritain analyse le problème spécifique de l'Allemagne. Un pays où le peuple allemand est engagé dans un drame historique ; mais pourquoi sa recherche vers lui-même s'effectue t-elle en marchant sur les juifs et les chrétiens ? Il évoque la solution sioniste, en parlant de pis-aller...
la sagesse politique dit-il, est « que la grande masse des populations juives doit de toute nécessité rester là où elle est ». Parce qu’il n’est pas concevable d’« expulser des millions d’hommes parce qu’il ne peut être envisagé de les « faire mourir de faim [ou de] les massacrer tous. » ( nous sommes en 1938).
« Nous disons que ce n’est pas en chassant les Juifs, mais en transformant les structures économiques et sociales qui sont la cause réelle de ces difficultés et de cette crise, qu’on pourra efficacement remédier à celle-ci »
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Sur l'antisémitisme :
« l’antisémitisme détourne misérablement les hommes de l’effort réel qui leur est demandé. Il les détourne des causes réelles de leurs maux […] pour les précipiter contre d’autres hommes et contre une multitude innocente »
« L’antisémitisme est la peur, le mépris et la haine du peuple juif, et la volonté de le soumettre à des mesures de discrimination. Il y a bien des formes et des degrés d’antisémitisme. Sans parler des formes monstrueuses que nous avons à présent sous les yeux, il peut prendre la forme d’un certain orgueil et préjugé hautain, nationaliste ou aristocratique ; ou de simple désir de se débarrasser de concurrents gênants ; ou d’un tic de vanité mondaine ; voire d’une innocente manie. Aucune n’est innocente en réalité. En chacune un germe est caché, plus ou moins inerte ou actif, de cette maladie spirituelle qui aujourd’hui éclate à travers le monde en une phobie fabulatrice et homicide […] »
Maritain en revient au ''mystère d'Israël '' : qui serait de l'ordre de la vocation même d’Israël, « les Juifs […] seront toujours surnaturellement étrangers (id.) au monde » ; et renvoie à ce que Maritain appelle « la signification théologale de la dispersion d’Israël ».
« Il est là, lui qui n’est pas du monde, pour l’irriter, l’exaspérer, le mouvoir. Comme un corps étranger, comme un ferment activant introduit dans la masse, il ne laisse pas le monde en repos, il l’empêche de dormir, il lui apprend à être mécontent et inquiet tant qu’il n’a pas Dieu, il stimule le mouvement de l’histoire »
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Lancelot entend parler du Père Teilhard de Chardin, ce qui le renvoie treize années en arrière lors d'une causerie du prêtre sur la science qui l'avait marqué... Son désir de retrouver des personnes qui le connaissent, l'amène au N° 8 de la rue Léo-Delibes. Dans un ancien hôtel, s'est installée une sorte de communauté chrétienne, conduite par Marcel Légaut un professeur de mathématiques qui enseigne à la faculté de Rennes. Ils sont en plein travaux. Lancelot et Elaine sont invité à venir le dimanche. Ils suivent des causeries sur Nietzsche, et aussi à propos des “Réflexions d’un théologien sur les événements internationaux” du Père d’Ouince. Une autre fois, ils retrouvent Emmanuel Mounier qui présentent les groupes ''Esprit'' ; puis Marcel Légaut propose une méditation sur “Vous êtes le sel de la terre”. Enfin, le dimanche 18 décembre 1938, le Père Teilhard de Chardin est présent et parle de ses fouilles en Chine. Causerie illustrée de nombreuses projections. Elle se prolonge tard car le Père est accaparé par les camarades et leurs questions de tous ordres. Lancelot repart avec une précieuse version du ''Milieu divin''.
1936 - Maritain – L'humanisme intégral
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En cette année 1936, Avant que les Maritain ne partent en Argentine, Lancelot et Elaine participent à une présentation du dernier ouvrage de Jacques Maritain publié "Humanisme intégral"
La personnalité de Maritain reste influente sur ces jeunes ''non-conformistes'', en rupture de ce que Mounier appelle le '' désordre établi'', et qui face à une crise de civilisation en appelle à une ''révolution spirituelle'', d'où cette recherche de ''troisième voie''.
Malgré quelques divergences politiques ( Ethiopie, guerre d'Espagne, accords de Munich...) , Fabrègues reste fidèle au Maritain spirituel.
Quand des mesures disciplinaires sont évoquées de la part de Rome contre ''Esprit'', Maritain apporte sa caution morale à Mounier. Maritain préfère la formule ''révolution de l'esprit'' à '' révolution chrétienne'' ; de même il préfère dire que « les chrétiens s'expriment "en tant" que chrétiens », alors que Mounier pense que les chrétiens doivent s'exprimer « en chrétiens » pour être les coauteurs de la révolution spirituelle et personnaliste qu'Esprit entend susciter.
Humanisme intégral veut proposer un idéal concret : celle de l'édification d'une cité où toutes les dimensions de l'homme seraient restaurées. « L'humanisme intégral» est un « humanisme de l'incarnation »
- Vous pensez à cette fameuse société médiévale... ?
- Non ! Pas de retour en arrière. « C'est en avant que la sagesse chrétienne nous invite à nous déplacer ». Je note seulement que c'est la théologie médiévale qui a dégagé cette notion fondamentale : la personne, façonnée de naturel et de surnaturel...
- Une nouvelle civilisation ?
- Une autre civilisation inspirée par les exigences de l'Evangile : « N'est-il pas temps que du ciel du sacré que quatre siècles de style baroque lui avaient réservé, la sainteté descende aux choses du monde et de la culture, travaille à transformer le régime terrestre de l'humanité, fasse œuvre sociale et politique? »
- Aujourd'hui, quelle peut être notre position face au nazisme, à l'antisémitisme ?
- Nous croyons à la commune appartenance des humains à «la même nature humaine ». Notre démocratie semble se présenter comme une chiffe molle, sans détermination ni résistance intellectuelle. Elle est bien fragile si l'on ne vénère ensemble la vérité et l'intelligence, la liberté et la dignité, le bien moral et l'amour fraternel.
- Pourquoi en appeler à un humanisme intégral ?
- Pour ne pas en rester à la seule mesure humaine... Vous connaissez la formule : « L'homme est la mesure de toute chose » - selon le sophiste Protagoras et rapporté par Platon pour le critiquer... - Cette mesure est basée sur les sens de l'homme, sur le jugement de l'homme, toute chose relative... Et qui s'oppose à ce que pense Platon de la Vérité...
Il est nécessaire de présenter une vision complète de la vocation humaine. L'Homme comme personne inclut tout son potentiel, toutes ses virtualités, y compris la dimension spirituelle...
- S'agit-il de restaurer une théocratie ?
- Non ! La société à venir devra être personnaliste : « le bien de la cité demeure subordonné au bien de la personne. »
- Dans l’Humanisme intégral, vous écrivez : « C’est seulement dans une nouvelle chrétienté à venir que cette valeur éthique et effective du mot démocratie pourrait réellement être sauvée »
- Notre démocratie est-elle donc suspendue à l’avènement de la « nouvelle chrétienté » ?
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- Il s'agit de bâtir une société fondée sur un humanisme qui tire sa source de l’Evangile.
- L'Homme n'est pas une idée, une idée que l'on se fait de la nature humaine ; avec ses catégories, ses races... L'Homme est un existant. Chaque Homme est un être unique, irremplaçable : c'est ce que l'on veut dire quand on dit que l'Homme est une personne. - Aimez-vous Elaine, parce qu'elle répond à certaines catégories ( couleur de peau, forme du nez, taille ...etc) ? Ou pour ce qu'elle est ?
- Ce que l'on aime chez l'être aimé, n'est-il pas la réalité la plus substantielle et cachée, la plus existante de l’être aimé ?
La personne doit se sentir libre d'être ce qu'elle est, quelle que soit ses différences avec les autres. . Thomas d’Aquin souligne que la personne est: « ce qu’il y a de plus noble et de plus parfait dans toute la nature.» ( Somme théologique, Paris, PUF, 1990, I, 29, 3. )
Hegel, à la suite d'Augustin, déclare que la faculté de prendre conscience de soi-même est un de privilèges de l’esprit et que les grands progrès de l’humanité sont des progrès dans la prise de conscience de soi.
- Pourtant le repliement sur soi - ce moi haïssable de Pascal – peut causer quelques dégâts... ?
- L'Homme est tiraillé entre son individualité et sa personnalité véritable ( spirituelle).
- Ne pourrait-on pas parler de ''Personne'' sans faire référence à Dieu ?
C'est Elaine, qui parle : Louis Lavelle dont elle suit les cours, dit que que si l'Homme centrait son humanisme uniquement sur l'humain, c'est comme s'il rompait ses amarres, s'il naviguait sans boussole. Il attendrait tout de lui-même.
Maritain confirme : Notre ''humanisme'' a mal tourné parce qu'il était centré sur l'homme seul. Il rajoute même : « l’humanisme a abandonné son caractère héroïque, pour revêtir un caractère essentiellement utilitaire. » « il a cherché à reléguer dans l’oubli la mort et le mal, au lieu de les regarder en face... »
Elaine, souffrant de plus en plus, accepte l'opération chirurgicale. La confiance qu'elle a en son médecin, le confort de la clinique et la gentillesse du personnel l'aident à consentir à son sort. Lancelot est frappé de son acceptation; et tente d'être aussi positif qu'elle...
Devant ce sort injuste, comment ne pas en vouloir à cette vie qui nous livre ainsi à la mort ? Lancelot ne peut être davantage interpellé sur le sens de sa présence au monde.
1930 – Maritain, Rougemont
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Elaine de L. qui continue de fréquenter régulièrement les Maritain, a été ébranlée par le suicide de Jeanne Bourgoint le jour de Noël 1929. Elle et son frère Jean, ami de Cocteau, vivaient une relation fusionnelle depuis leur jeunesse... Comme Cocteau, ils étaient addictifs à l'opium... Comme Cocteau, son frère s'était converti, Jeanne refusant cette foi-pansement ...
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Ce qui est effroyable, c'est que dans le roman ''Les enfants terribles'' de Cocteau paru en juillet 1929; qui prenait le frère et la sœur comme modèles, dans ce roman le personnage qui représente Jeanne se donnait aussi la mort … !
Elaine n'appréciait pas trop le milieu surréaliste ou d'avant-garde que mettait en valeur le couple mécène Marie Laure et Charles de Noailles... Cependant, elle et Lancelot ne peuvent résister à l'une des fêtes fastueuses organisée à leur hôtel, place des États-Unis... C'est quelques temps après une projection publique au studio 28 de L’Age d’Or ( de de Luis Buñuel et Salvador Dalí ), en décembre 1930... Des militants de ligues nationalistes avaient investi le cinéma, chassant les spectateurs et hurlant des slogans antisémites...
On ne parle que de cela, d'autant que les Noailles ont financé le film... Lancelot et Elaine, revoient à nouveau Jeanne L. accompagnée de Xavier de Hauteclocque, alors rédacteur au quotidien le ''Petit Journal '', son nouveau compagnon; c'est ce que soupçonne Lancelot – alors qu'elle est mariée depuis 1927 avec un écrivain à succès et assez flambeur.... C'est la vie délurée parisienne...!
Elaine retrouve Jean Hugo, qui a beaucoup soutenu Jean Bourgoint, et qu'elle estime beaucoup, pour sa peinture et aussi pour son tempérament mystique... Il est en contact avec Maritain et l'abbé Mugnier, et souhaite se convertir... Seulement, sa situation maritale est compliquée; Elaine le sait bien, elle qui connaît bien Valentine, son épouse; et qui s'est laissée prendre dans les filets surréalistes de Paul Eluard, qui cherchait à se faire consoler du départ de Gala; puis d'André Breton qui se moque d'elle.... Non, Elaine n'aime pas bien les surréalistes!
L'abbé Mugnier, baptise Jean, le le 11 mars 1931, rue Méchain, chez les sœurs de Cluny ; Maritain est le parrain.
Lancelot et Hauteclocque échangent sur la situation en Allemagne.
De nouvelles élections au Parlement ont eu lieu le 14 septembre 1930. Le Parti national-socialiste ouvrier allemand (NSDAP), qui reçoit notamment l’appui financier d’Emil Kirdorf (l’un des magnats de la Ruhr), de Fritz Thyssen (président du conseil de surveillance des Aciéries réunies) et de Hljalmar Schacht (ancien président de la Reichsbank), passe de 2,6 % des voix en 1928 à 18,3 %.
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Au cours d'une soirée au Cercle des étudiants, il y a beaucoup de monde pour écouter une lecture de Ludmilla Pitoëf. Lancelot et Elaine sont présentés à Denis de Rougemont, et Robert de Traz invite le groupe à continuer la soirée chez lui... Denis de Rougemont est très intéressé par les propos d'Elaine qui est questionnée sur Maritain et le thomisme... Quelques jours plus tard, Elaine seule, se rend à un dîner chez Traz, où sont présents, Rougemont, Maritain, et Berdiaev...
Elaine se confie à Lancelot, du présent que lui a fait Rougemont, une édition du Tristan et Yseult de Bédier et de tous les propos qu'il lui a tenu sur l'amour, mais c'est surtout l'impression qu'elle eut, qu'il lui vantait l'adultère, à elle...! Pour qui, le fait d'être mariée empoisonne sa relation avec Lancelot.
![]() Denis de Rougemont Avec Emmanuel Mounier (à droite) lors d’un congrès d’Esprit, 1934 |
Denis de Rougemont, a 24ans, suisse, élégant; il va publier '' Le Paysan du Danube'' ( un récit de voyage sur sa quête du romantisme allemand...). Pourquoi est-il venu à Paris? - «J’ai refusé un poste de professeur en Chine, au lendemain de mes derniers examens. Je voulais aller vivre, agir, écrire, au lieu où se déroulait l’Aventure de l’esprit : ce ne pouvait être alors, et pour moi, que Paris. »
Ce soir là, il se présente comme s'il défendait sa spécificité romande d'être protestant, et la défendre contre l'offensive thomiste; il est vrai que Maritain insiste toujours auprès de ceux qu'il conseille, de maintenir le ''catholique, d'abord'', ainsi auprès de Mounier qu'il met en garde contre son ''interconfessionnalisme''; et contre certaines dérives des ''hommes d'action'' trop centrés sur leur réussite, et non sur le témoignage... Pour tous ces jeunes, Maritain parait bien ''antimoderne''; même s'ils retiennent de lui, la hierarchie ''individu-société-personne'' et la dialectique ''individu/personne'' ... Ce qui les différencie, c'est le rôle des chrétiens dans la société....
Lancelot, note une réflexion sur le concept de personne, qui est réservé à l'humain et qui possède un esprit ( dont la fine pointe est divine), tandis que celui d’individu est commun à l’homme et à l'animal. L'individualisme moderne, tend à exalter l'individu - en le camouflant en personnalité - alors qu'il avilit la personnalité véritable...
Jacques Maritain – Nicolas Berdiaeff – Un nouveau Moyen-âge
C'est Elaine qui a repris contact. Elle propose à Lancelot de l'accompagner à Meudon, chez les Maritain. Si Lancelot s'empresse d'accepter, c'est autant pour rencontrer le ''maître'' du lieu, que pour revoir Elaine...
Lancelot était allé écouter Jacques Maritain lors d'une conférence à la Sorbonne sur ''Métaphysique et mystique'', c'était le 12 novembre 1925.
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Elaine de L. est une habituée du dimanche après-midi, à Meudon. La maison des Maritain, profite du calme ambiant... La grille du jardin franchie, Raïssa et Jacques accueillent chacun avec chaleur, et curiosité . Lancelot et Elaine sont reçus dans un salon clair, au parquet brillant et sur le mur des tableaux de Rouault. Sur la cheminée les portraits de Léon Bloy, Saint-Thomas et Ernest Psichari ( converti et mort à trente ans, au front en 1914) ...
Jacques Maritain, le visage doux, serein, les yeux bleus et une grande mèche sur le front est le maître spirituel, que chacun interroge, autant sur des idées générales, que sur la conduite de sa vie …
On s'interroge sur l'amitié et l'amour... Maritain a une très belle formule : l'amitié, c'est de donner d'abord ce que l'on a, et indirectement ce que l'on est. L'amour c'est donner directement ce que l'on est …
Elaine, dans un entretien particulier avec son directeur spirituel, proche de Maritain, s'est confiée sur les circonstances de son mariage. C'est ce qu'elle a confié à Lancelot :
Elaine se souvient de sa rencontre avec son futur mari, présenté officiellement, lors d'une partie de chasse. Les deux fiancés se sont mesurés du coin de l'oeil, et peut-être se sont-ils plu... Ce jour là, elle craignait d'être seule avec lui, s'imaginant déjà couchée par lui, dans les joncs et la boue...
Dans le mariage s'est révélée, la tromperie dont elle a été victime : cet homme, qui - même si elle le reconnaît - la satisfaisait dans son désir sensuel ; elle ne l'aimait pas... Puis, cette connivence, pour la chair, qu'elle partageait avec son mari, s'est brisée quand elle a appris qu'il la trompait. Alors, elle s'est refusée, il l'a forcée, il est devenu violent, grossier...
Le prêtre lui avait fait cette réflexion, (qu'il avait retenu de Maritain lui-même...) :« on ne peut pas toucher à la chair de l’être humain sans se salir les doigts. Mais, se salir les doigts n’est pas se salir le cœur ». ( Maritain - Humanisme intégral 1936) .
La chair, ne sert-elle pas de langage à l'amour... ? Alors, le le cœur et la chair, ne font plus qu'un.
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Une autre fois, chez Maritain, on parle de la ''primauté du spirituel'', un sujet d'actualité pour tous les présents dont beaucoup sont proches de l'Action Française...
L'époque qui nous semble alors un modèle, dans cet esprit, est le Moyen-âge... Pourrons-nous, dans le monde nouveau à construire, restituer ces principes spirituels... ? « C’est du point de vue de Dieu que toute chose y était regardée »
L'humanisme de la Renaissance, cependant, a réhabilité la ''créature'' ne tant qu'Homme... L'Homme n'a t-il pas une part de l’initiative dans l’œuvre du Salut, sa ''liberté'' n'est-elle pas affirmée.. ? Ensuite, le rationalisme va détacher cette liberté de la ''Grâce'' qu'elle ignore, bien-sûr... On sépare le naturel du surnaturel, avant d'exclure le surnaturel...
La Renaissance a permis la prise de conscience de soi et favorisé le développement de la science et d'une nouvelle forme d'art...
Maritain remarque que ce désir de rationalité nous a fait perdre la conscience de la souveraineté de la personne, au profit d'une entité collective, l'Etat. On décrète alors la mort de Dieu …
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Maritain a rencontré en 1925, Nicolas Berdiaeff qui vient d'arriver à Paris. En 1927, au Roseau d'Or, Berdiaeff publie '' Un nouveau Moyen-Age'', il était un habitué des visites à Meudon.
Pour Berdiaeff, le monde moderne en continuité depuis la Renaissance - l'homme de plus en plus séparé de son centre spirituel - s'affronte à présent avec le bolchevisme qui présente un humanisme inhumain parce que basé sur une fausse conception de l'homme.
« Les temps médiévaux furent éminemment religieux, […] ils allaient entraînés par la nostalgie du ciel [et] […] toute la culture […] était dirigée vers le transcendant et l’au-delà » (N. Berdiaeff, Un nouveau Moyen Âge)
« Pour la pensée médiévale […], l’homme n’était pas seulement un animal doué de raison […], l’homme était aussi une personne », c'est à dire, un « univers de nature spirituelle », au-dedans duquel dieu « est et agit » tout en « respectant sa liberté » (J. Maritain, Humanisme intégral).
Berdiaeff n'idéalise pas le Moyen-âge, il en note aussi toute la barbarie ( et il pense à l'actualité, avec le fascisme italien...) et Maritain évoque et condamne les abus d’un système où les forces du temporel peuvent servir à défendre – et donc, parfois, à imposer – la religion...
Lancelot interroge Berdiaeff sur le régime politique qui pourrait accompagner ce ''Nouveau Moyen-âge''... ? Il pense à une monarchie, qui renoncerait aux castes et aux partis pour leur substituer des organes professionnels et culturels ( corporations …) unis dans une structure hiérarchique... La démocratie parlementaire est viciée par le capitalisme.
« Le nouveau Moyen Age sera, fatalement et au suprême degré, démotique et il ne sera pas du tout démocratique… Les démocraties sont inséparables de la domination des classes bourgeoises, et du système industriel-capitaliste. Les masses sont ordinairement indifférentes à la politique, elles n’ont jamais assez de force pour arriver au pouvoir » ( Un nouveau Moyen Age )
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Dans l'ordre temporel, que nous vivons ; qu'y a t-il de plus divin que le bien commun de la Cité ? Le monde, continue Jacques Maritain, souffre d'un immense besoin d'unité et d'universalité, et soutient l'attente qu'exprime Lancelot au sujet de la S.D.N. Et se différencie en cela à Maurras, qui n'a que sarcasmes pour cette organisation internationale... ( voir Jacques Maritain : Théonas, ou Les entretiens d'un sage... 1922)
Si Maritain affirme que « la cité chrétienne est aussi foncièrement anti-individualiste que foncièrement personnaliste. » ; pourtant, à sa suite, deux tendances s'opposent : Jean de Fabrègues souhaite un « État théologico-politique (…) appuyant sa légitimité et son rôle sur les valeurs du christianisme reconnues pour telles », et Emmanuel Mounier estimant que l'ordre humain ne sera véritablement ordonné ( et chrétien) que par le témoignage personnel de chacun ; il en appelle à un nouvel humanisme, ouvert au spirituel, indépendant du pouvoir politique. Mounier fait confiance à l'Homme ; Fabrègues pense l'Homme pécheur, et le besoin d'une autorité.
Lancelot et Elaine se rencontrent à présent fréquemment ; à l'occasion de conférences, d'une soirée théâtrale, ou d'une visite mondaine. Ils s’apprécient : Lancelot serait plutôt introverti, et s'efforce de répondre à l’invitation sociétale à s'engager dans l'action. A l'aise dans un groupe, Elaine se sentirait plus attirée par la relation, son physique et son caractère attirant la sympathie. Elaine apprécie sa nouvelle vie de femme indépendante ; mais ce lien d'épouse ( toujours existant) d'un homme dont elle s'est séparée, représente une anxiété qui ne la quitte guère...
Les années 20 - L'Action Française. 2
Lancelot commence à regretter le conservatisme de l'Action Française qui se traduit par ce nationalisme assez couramment partagé dans son milieu, qui continue à pointer l'Allemagne comme l'ennemi ; Maurras influença certainement la décision d'occuper la Ruhr en janvier 1923... Par contre, l'anticommunisme reste une conviction partagée par la plupart de ses amis...
De tout ceci, on débat au 33 rue Saint André des Arts, le siège des étudiants d’Action Française qui se trouve au deuxième étage. On critique cette république peu respectable, on mise sur le rôle de l'Eglise, on imagine un nouvel ordre monarchiste... Lancelot croise Jean de Fabrègues, pour écouter Henri Massis, il a trente-huit ans et est admiré, c'est en novembre 1924 aux Sociétés Savantes.
Au début de 1925, le Cartel des gauches regroupe, contre lui, les catholiques autour du général de Castelnau en particulier.
L'action Française garde encore son influence, et participe au brassage des idées que les jeunes peuvent vivre dans le quartier latin... Cependant, Jean de Fabrègues fréquente aussi bien Pierre Mendès France que Paul Nizan. Il y a là aussi Pierre-Henri Simon...
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Au sein des catholiques, la philosophie thomiste est au cœur d'une querelle. D'un côte Jacques Maritain (43ans), de l'autre Maurice Blondel (64ans)... Maritain, proche de l'Action Française ( le parti de l'intelligence...), défend la primauté de la raison - dont la source est divine - , qui doit pouvoir démontrer les vérités de la foi. ( Jacques Maritain, Réflexions sur l’intelligence et sur sa vie propre). L'ordre du monde affirme la primauté du religieux, pourtant Maurras pense que l'ordre du monde dépend de la volonté de l'homme ; et, dans les deux cas il est lié à la raison...
Dans ''Primauté du spirituel '' (1927) Maritain va argumenter que le primat dans l’action chrétienne revient au « spirituel ».
En face, l'approche est plus ''libérale'', et le ''surnaturel'' ne pré-existe pas en soi à la nature humaine, à l'action, il est, en quelque sorte immanent : la révélation s'accomplit dans l'action, dans l'histoire humaine... Il faut accepter l'autonomie de la raison. Blondel récuse l'idée d'un parti catholique …
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Lancelot, comme beaucoup de jeunes catholiques, a du mal à se situer : il préfère se voir comme un croisé, face à une modernité inéluctable ( c'est le ''monde d'après'' la guerre...) et inquiétante ; aussi le rétablissement d'une chrétienté renouvelée porte en elle une certaine espérance....
Aussi, est-il sensible à “une politique chrétienne” et il y a peu encore, s'en tenait avec le général de Castelnau à se battre pour “restaurer un ordre social chrétien” représenté par le monarchisme, appuyé sur la Tradition, en progrès perpétuel, puisque basé sur l'expérience... ( La ''Tradition'' est la constante adaptation des principes au réel.)
A noter la question de la ''démocratie'' - qui pour Maurras, est contredite par la ''Nature'' - , et se présente comme « ordre artificiel non viable »...
- C'est le pouvoir des ''meneurs'' ; de l'argent.. : la ''ploutocratie'' est libérale, individualiste … De plus la république, avec ses lois laïques, refuse toute inspiration chrétienne... La religion peut offrir un cadre dans la vie de l'individu et de la cité...
Le combat contre l’expansion du bolchévisme devient un point fort; et pointe l'effort nécessaire à faire pour rejoindre le monde ouvrier qui s'installe dans les banlieues... Aussi, des jeunes, et non des moindres : je peux citer : Jean Daujat (1906-1998), Maurice de Gandillac (1906-2006) , Jacques Arthuys 1894-1943), Louis Salleron (1905-1992), Jean-Pierre Maxence (1906-1956), Robert Francis (1909-1934), Etienne Gilson (1884-1978), Roger de Lafforest (1905-1998)... tous proches du royalisme, vont souhaiter réconcilier une vision monarchiste avec un christianisme social comme ''Le Sillon''... Ils sont loin d'être des conservateurs et se présentent pour renouveler les conceptions de l'Action Française...
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Pour l'heure, Lancelot, avec Jean de Fabrègues, et l'équipe des jeunes rédacteurs de la ''Gazette Française'' imagine un ordre des Chevaliers de Saint Michel qui défendrait un modèle occidental des valeurs chrétiennes... Ce serait, en quelque sorte, le ''sillon '' de la Tradition...
Cet ordre est lancé par un appel signé d'Amédée d’Yvignac, Pierre Arthuys, Henri d’Astier de La Vigerie et Guy de Montferrand.
Lancelot se souvient, le 28 janvier 1926, d'une journée solennelle où après la messe en la crypte de l’Église des Carmes, un déjeuner est offert à plus de soixante-dix convives dans la grande salle du restaurant Procope. Les discours présentent l'ordre ( ou la Ligue...) comme une nouvelle chevalerie qui attendrait son ''Saint-Bernard'', leurs armes : « la parole, la prière, le sacrifice. » ( Guy de Montferrand, La Gazette Française, 24 décembre 1925. ) ; « Vous ne pouvez être hérésiarques aux yeux d’aucune personne sensée lorsque vous proclamez la nécessité en France de la monarchie ». ( Henri Massis, La Gazette Française, 28 janvier 1926 )
Certains argumentent que ces droits et devoirs envers l'Eglise, sont négligés par Maurras ; et on garde le silence ...
On dit que Rome, se prononce contre la validité morale des principes politiques maurassiens, et dénonce le paganisme de Maurras...
Bernanos (36ans), qui s'était éloigné de l'Action Française, lui reprochant de ne pas se battre pour ''nouveau monde'' mais d'avoir épousé l'ancien.. , et auréolé du succès de Sous le soleil de Satan, regrette l'incroyance du chef politique mais affirme sa certitude de l’œuvre de salut menée par l’Action Française. Il fréquente à présent les réunions des Étudiants d’Action Française.
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Enfin, le 29 décembre 1926 tombe la condamnation, par le Pape Pie XI, de l’Action française, et de sept ouvrages de Charles Maurras...
Très clairement, les évêques de France réaffirment :
- Les maîtres de l’Action Française sont en opposition avec la foi et la morale catholiques.
- Les maîtres de l’Action Française n’ont aucun titre pour diriger les catholiques.
- Du danger de fréquenter les doctrines de l’Action Française.
Il dénoncent :
- Une conception païenne de la cité avec une Église réduite au rôle d’agent de l’ordre public
- La promotion du machiavélisme politique.
- La défiance envers une autorité spirituelle supranationale...
Mais, l’Action Française n’est pas condamnée en tant que monarchiste...
Les chevaliers de Saint-Michel attendront en vain la nomination d'un aumônier...
« La parole pontificale nous a fait un devoir de quitter cette obédience, celle d’Action Française, qui d’ailleurs ne se situait que dans l’ordre de l’action politique, non dans celui de la doctrine. » ( Amédée d’Yvignac, La Gazette Française, 17 février 1927. ). La Gazette reste encore royaliste, puis disparaît. Les ''chevaliers'' n'ont plus, ne survivront pas aux années vingt...
Pour Lancelot, ce coup au parti de l'A.F. va lui permettre de s'autoriser à s'écarter d'un nationalisme conservateur et paralysant...
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Lancelot s'émancipe de son groupe originel, et montre de l'intérêt a rencontré d'autres espaces, en particulier ceux représentés au GUSDN ( Le Groupement universitaire pour la Société des Nations) animé par Robert Lange qui bénéficie de l'aura de son oncle Bergson... Les réunions sont nombreuses, et les appuis de personnalités sont relativement intéressants, avec de nombreux contacts avec Genève et Londres... On fête l'entrée de l'Allemagne dans la SDN en 1926. Une paix est possible, et finalement l'action ( couronnée en 1926 par le Nobel de la paix) du vieux et sage Briand est reconnue par tous...
L'Ordre catholique se veut être ni de droite, ni de gauche.
« Nous luttons pour sauvegarder les éléments de justice et de vérité, les restes du patrimoine humain, les réserves divines qui subsistent sur la terre et pour préparer et réaliser l’ordre nouveau qui doit remplacer le présent désordre. Nous haïssons l’iniquité révolutionnaire bourgeoise qui enveloppe et vicie aujourd’hui la civilisation, comme nous haïssons l’iniquité révolutionnaire prolétarienne qui veut l’anéantir. C’est pour Dieu, ce n’est pas pour la société moderne que nous voulons travailler". Jacques Maritain, “En lisant Georges Valois”, La Gazette Française, 28 mai 1925.
Une rencontre étrange, en cette année 1925, va s'avérer déterminante beaucoup plus tard. Je n'ai pas d'éléments pour expliquer la présence de Lancelot à une réunion de ''tala'' avec des étudiants de Normal-Sup et de St-Cloud en majorité ; ce dimanche après-midi, rue de Grenelle. Lancelot est accueilli par un prêtre qui se présente comme le père Teilhard. Eut lieu ensuite une causerie traitant magistralement des rapports de la science et de la croyance. Lancelot, comme d'autres jeunes gens, sont émerveillés de la parole du prêtre.
Lancelot à Paris : 1920 – René Guénon -1-
Anne-Laure de Sallembier, note avec regret le rejet - de la part de nombreux d'Action Française ( A.F.) - de la philosophie allemande, de Kant ; mais aussi de Bergson, de Blondel … Elle corrige le ''politique d'abord'' de Maurras, en précisant qu'il signifie l'antériorité et non la primauté du politique... Effectivement, il faut commencer par l'humain , à l'image de l'ordre naturel, avant d'imaginer construire un ordre divin, sur terre et qui serait alors totalitaire... ! L'abbé Degoué, rétorque : « métaphysique d'abord car c'est la notion même de l'existence et de l'être qui se trouve en jeu. » ( De l'homme à Dieu, Maritain)
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La mère de Lancelot, n'approuve pas les critiques de l'A.F. Sur la ''Société des Nations'' ; pour elle c'est un premier pas vers l'idéal de l'unité universelle ; voire même un ordre mondial dont Lancelot et Anne-Laure ont bien souvent entendu parler au sein du groupe de Bloomsbury...
Le père Degoué rejoint Maritain quand il dénonce le monde moderne « fondé sur les deux principes contre nature de la fécondité de l'argent et de la finalité de l'utile »
Jacques Maritain ( 1882-1973) s'associe avec Maurras, pour créer la ''Revue Universelle'' et continuer sur cet élan. Le premier numéro parait le 1er avril 1920 avec comme directeur Jacques Bainville et comme rédacteur en chef Henri Massis. Maritain doit en assumer la chronique de philosophie.
La fille du peintre symboliste, Noëlle Maurice-Denis, souhaite y participer, et leur présente un philosophe ''hors cadre'' René Guénon (1886-1951). Elle l'a entendu lire un travail sur « La métaphysique orientale». Elle est transportée d’enthousiasme et tente de l’introduire dans les milieux néo-thomistes qu’elle fréquente, ainsi que dans celui de l’Institut catholique de Paris.
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Par chance, Lancelot est présent avec Bainville, rue du dragon, quand René Guénon y passe... Ils s'en retournent tous les deux, et décident de continuer une conversation prometteuse dans un café proche... En effet, quand Lancelot a prononcé le mot ''Graal'' dans sa présentation, René Guénon ne l'a plus quitté des yeux.
Ils s'amusent également chacun de se reconnaître comme amateur de mathématiques, Guénon ayant commencé une licence de mathématiques, avant d'être happé par sa recherche plus impérieuse d'une expérience spirituelle, avant d'être intellectuelle …. Et Paris, offre mille propositions qu'il s'est empressé d'expérimenter... En peu de temps, Lancelot comprend que Guénon ne craint pas de se fourvoyer... Il commença avec Papus, et son école Hermétique, ses prétentions paranoïaques l'ont mis en garde contre les périls charriés par ces sortes de secte... La transmission dont se réclamait Papus , dont celle des ''Elus-Coens'', ou de Joseph de Maistre, était fictive...
Il s'est approché également de loges maçonniques d'obédiences irrégulières, jusqu'à atteindre de hauts grades ; expériences décevantes également...
Guénon dénonce également l'erreur spirite, ainsi que le Théosophisme...
Ce qu'il reproche à ces mouvements c'est d'avoir fabriqué de toute pièces à partir d 'éléments disparates ( syncrétisme) une pseudo-théorie qui reposent sur aucune filiation authentique... Il les a fréquenté, étudié de l'intérieur...
Et, finalement il préconise de s'attacher à retrouver dans les religions le fond traditionnel qui leur est – à toutes – commun... Cette métaphysique est ce que Guénon nomme l'ésotérisme ; l'exotérisme étant la présentation faite à tous, qui s'adapte selon le temps et le lieu … « La langue Métaphysique par excellence est le symbolisme, capable de mettre en relation tous les degrés de la manifestation universelle, ainsi que toutes les composantes de l'Être. Le symbolisme est le moyen dont dispose l'homme pour "assentir" à des ordres de réalité qui échappent, par leur nature même, à toute description par le langage ordinaire. »
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Lancelot sent dans cet homme jeune, grand, frêle, malhabile, et très attentif, un possible grand-frère ; quelqu'un qui pourrait le comprendre, et le conforter ou non dans ses choix... Comme, celui de la politique et de l'Action Française ; de la religion et de l'Eglise catholique ; de la science ou de la métaphysique... Ou encore, s'engager dans une voie et pour quel avenir... ? Quelles études... ?
Ce qui est incontournable : la Quête, le Graal... Ses ancêtres, son grand-père et aujourd'hui, sa mère dont il ne se doutait pas à quel point elle a continué cette recherche, et qu'elle a préparé ce chemin qu'il se doit aujourd'hui d'emprunter...
Guénon l'écoute et le questionne sur cette connaissance relayée de génération en génération, dont Lancelot se dit le témoin et l'héritier... Cela évoque pour lui, ce que la Tradition devrait être pour chacun de nous ; et comment elle se transmet : de maître à disciple...
A suivre...
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