Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Les légendes du Graal

1938 - Myrrha Lot – Maritain

9 Janvier 2022 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1938, #Myrrha Lot, #Maritain, #Antisémitisme

Anne-Laure de Sallembier, qui navigue entre Paris et Fléchigné, continue de fréquenter la tribu de Ferdinand Lot à présent retraité, mais soucieux de transmettre par la publication de plusieurs ouvrages. Elle maintient le fil qui existe entre Lancelot et Myrrha, au sujet de la littérature médiévale autour de la quête du Graal. Lancelot et Elaine, alternent le '' thé du dimanche après-midi à Fontenay aux roses'' avec celui à Meudon chez les Maritain. La maison du 53, rue Boucicaut à Fontenay est une copropriété. La famille est voisine de la famille Langevin qui vit au rez-de-chaussée. Militant très actif, Paul Langevin fait partie du Comité de Vigilance des Intellectuels Antifascistes créé après le 6 février.

Myrrha Lot se plaît à promouvoir la spiritualité orientale auprès des catholiques. Elle valorise ce qu'elle appelle le mysticisme liturgique et vante la doctrine de la déification dans l'Église grecque, qu'elle rapproche de la doctrine occidentale médiévale de la contemplation.

- A l'origine, la nature de l'Homme est surnaturelle. Les Pères grecs propose de s'approcher au plus près de cet héritage perdu, non par la croix, mais par la contemplation : Amour et Connaissance vont de pair. L'Esprit Saint réside dans le ''nous'' de l'âme, il est l'agent de la résurrection.

Cette doctrine de la déification n'a pas été développée dans la tradition occidentale, seul Maître Eckhart, peut-être, comme lointain disciple de l'Aréopagite, s'y approche, et a vu ses thèses condamnées... Dans cette vision, l'homme est transfiguré par les énergies divines. La déification suppose une complète harmonie de liberté et de grâce qui consistait, d'après saint Maxime le Confesseur, fréquemment cité par Lot-Borodine, « deux ailes » qui nous portent vers l'union parfaite avec Dieu.

 

Lancelot et Elaine sont sensibles à l'approche orthodoxe d'une anthropologie qui insiste sur l'idée que l'homme est par nature, par création, l'image de Dieu ; alors que la théologie latine met en avant la chute ( vision morale) et voit la résurrection comme la réparation après l'offense ; tandis que dans la tradition grecque, la résurrection restaure la nature divine qui existe dans l'humain.

Elaine insiste, que pour être complet, il est nécessaire de comprendre que l'homme seul est incapable d'accomplir – par lui-même – sa déification ; c'est par la seule énergie divine – la Grâce – qu'elle s'accomplit...

Lancelot et Elaine assistent à la conférence de Jacques Maritain au Théâtre des Ambassadeurs, sur '' Les juifs parmi les Nations ''. Le philosophe n'était pas tranquille, les dominicains avaient tenté de le dissuader craignant que cela soit compris comme une apologie d'Israël... Des antisémites comme Henry Coston et Roger Lambelin ( celui-là même qui avait préfacé en 1920 les Protocoles des Sages de Sion), le menacent de s'opposer par la force, s'il le faut...

Deux pamphlets de Céline, ''Bagatelles pour un massacre'', et l’École des cadavres, sont parus. André Gide semble les prendre pour des canulars, « il empile “haut comme un sixième” des blagues pathétiques et sans importance ». Maritain s'indigne : « On ne peut pas aujourd’hui (et a t-on pu jamais le faire ?) parler de la question juive avec frivolité, ou en suivant complaisamment son humeur et ses ressentiments, ou avec l’euphorique truculence qu’un faiseur de bagatelles met à décrire ses asticots ».

L'essentiel du message de Maritain, tient en ceci : « les Juifs ne sont ni une race, ni une nation, ni un peuple », mais « un mystère » : le mystère d'Israël.

« Plus la question juive devient politiquement aiguë, plus il est nécessaire que la manière dont nous traitons de cette question soit proportionnée au drame divin qu’elle évoque ; il est incompréhensible que des écrivains catholiques parlent sur le même ton que Voltaire de la race juive et de l’Ancien Testament, d’Abraham et de Moïse. »

Bien sûr Maritain, évoque positivement les conversions au catholicisme, la sienne et celle de sa femme juive Raïssa qui dit elle-même de ce chemin : « Là où j’aurais craint de trouver lutte et opposition, je ne vis à ma grande joie qu’unité, continuité, harmonie parfaite.»

Maritain, reprend : « si on entend par “peuple” « une communauté historique caractérisée non pas, comme la nation, par le fait (ou le désir) de mener une vie politique, mais par le fait d’être nourris d’une même tradition spirituelle et morale et de répondre à une même vocation, [les Juifs] sont un peuple, et le peuple par excellence, le peuple de Dieu. […] Ils sont une “maison”, la maison d’Israël . »

Maritain analyse le problème spécifique de l'Allemagne. Un pays où le peuple allemand est engagé dans un drame historique ; mais pourquoi sa recherche vers lui-même s'effectue t-elle en marchant sur les juifs et les chrétiens ? Il évoque la solution sioniste, en parlant de pis-aller...

la sagesse politique dit-il, est « que la grande masse des populations juives doit de toute nécessité rester là où elle est ». Parce qu’il n’est pas concevable d’« expulser des millions d’hommes parce qu’il ne peut être envisagé de les « faire mourir de faim [ou de] les massacrer tous. » ( nous sommes en 1938).

« Nous disons que ce n’est pas en chassant les Juifs, mais en transformant les structures économiques et sociales qui sont la cause réelle de ces difficultés et de cette crise, qu’on pourra efficacement remédier à celle-ci »

L'Action Française - 5_juin_1936

Sur l'antisémitisme :

« l’antisémitisme détourne misérablement les hommes de l’effort réel qui leur est demandé. Il les détourne des causes réelles de leurs maux […] pour les précipiter contre d’autres hommes et contre une multitude innocente »

« L’antisémitisme est la peur, le mépris et la haine du peuple juif, et la volonté de le soumettre à des mesures de discrimination. Il y a bien des formes et des degrés d’antisémitisme. Sans parler des formes monstrueuses que nous avons à présent sous les yeux, il peut prendre la forme d’un certain orgueil et préjugé hautain, nationaliste ou aristocratique ; ou de simple désir de se débarrasser de concurrents gênants ; ou d’un tic de vanité mondaine ; voire d’une innocente manie. Aucune n’est innocente en réalité. En chacune un germe est caché, plus ou moins inerte ou actif, de cette maladie spirituelle qui aujourd’hui éclate à travers le monde en une phobie fabulatrice et homicide […] »

 

Maritain en revient au ''mystère d'Israël '' : qui serait de l'ordre de la vocation même d’Israël, « les Juifs […] seront toujours surnaturellement étrangers (id.) au monde » ; et renvoie à ce que Maritain appelle « la signification théologale de la dispersion d’Israël ».

« Il est là, lui qui n’est pas du monde, pour l’irriter, l’exaspérer, le mouvoir. Comme un corps étranger, comme un ferment activant introduit dans la masse, il ne laisse pas le monde en repos, il l’empêche de dormir, il lui apprend à être mécontent et inquiet tant qu’il n’a pas Dieu, il stimule le mouvement de l’histoire »

Pierre Teilhard de Chardin

Lancelot entend parler du Père Teilhard de Chardin, ce qui le renvoie treize années en arrière lors d'une causerie du prêtre sur la science qui l'avait marqué... Son désir de retrouver des personnes qui le connaissent, l'amène au N° 8 de la rue Léo-Delibes. Dans un ancien hôtel, s'est installée une sorte de communauté chrétienne, conduite par Marcel Légaut un professeur de mathématiques qui enseigne à la faculté de Rennes. Ils sont en plein travaux. Lancelot et Elaine sont invité à venir le dimanche. Ils suivent des causeries sur Nietzsche, et aussi à propos des “Réflexions d’un théologien sur les événements internationaux” du Père d’Ouince. Une autre fois, ils retrouvent Emmanuel Mounier qui présentent les groupes ''Esprit'' ; puis Marcel Légaut propose une méditation sur “Vous êtes le sel de la terre”. Enfin, le dimanche 18 décembre 1938, le Père Teilhard de Chardin est présent et parle de ses fouilles en Chine. Causerie illustrée de nombreuses projections. Elle se prolonge tard car le Père est accaparé par les camarades et leurs questions de tous ordres. Lancelot repart avec une précieuse version du ''Milieu divin''.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article