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Les légendes du Graal
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Guénon - La Crise du Monde Moderne... et de l'Occident. 2

3 Juin 2021 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Avenières, #1920, #Guénon, #Tarot

C'est précisément, pour pallier à sa difficulté d'organiser son voyage, que Lancelot, se propose de conduire lui-même, Guénon, à la propriété de Mme Veuve Dina, « Les Avenières », non loin de Cruseilles, en Haute-Savoie.

A partir de 1924, Paul Chacornac eut pour clients de sa librairie ésotérique du quai St-Michel, Monsieur et Madame Dina. Lui, Hassan Farid Dina, était un ingénieur égyptien; elle, une américaine, Marie W. Shillito, fille du roi des chemins de fer canadiens. En janvier 1929, Mme Dina témoigne un vif intérêt pour les travaux de René Guénon ; son mari est décédé en 1928. Elle propose à René Guénon, de classer, évaluer les travaux et notes qu'a laissé son mari, féru de questions occultes, et les accommoder en vue d’une publication.

En septembre 1929, Lancelot accompagne René Guénon, en Haute-Savoie. Les rentes de René Guénon viennent d'être affectées par la crise de 1929, et l'idée d'un repos en montagne lui convient.

 

Mary Wallace Schillito, découvrant en 1904, le panorama, décide d'y construire sa demeure. En 1907, le château des Avenières est achevé. En 1914, elle épouse un ingénieur indien Assan Farid Dina. Il adjoint une chapelle au château, dont les murs portent l’inscription « L’Univers est un œuf, l’œuf est un Univers » et sont couverts de mosaïques représentant les cartes du Tarot d’après Oswald Wirth. Le château devient le lieu de rencontre de la bonne société parisienne, qui vient y débattre de philosophie, égyptologie et ésotérisme. En 1928, Assan Farid Dina fait un malaise et meurt en traversant le canal de Suez sur une goélette anglaise qui l’emmenait à Ceylan, où il avait le projet de se recueillir sur la tombe de sa mère.

Lors des étés 1924 et 1925, au château des Avenières, Oswald Wirth, mit fin à la rédaction d'un ouvrage qu'il entreprenait depuis plusieurs années, ses travaux ont inspiré les figures du Tarot des Avenières...

 

Deux années ont été nécessaires à des ouvriers italiens pour réaliser les mosaïques. Les mosaïques dans la chapelle d'or sont signées A.DINA ( pour Amina Dina) 1917. Amina Dina est la soeur de Assan à qui on doit sans-doute la conception de ce tarot

 

Lancelot découvre donc le panorama des Alpes avec une vue plongeant jusqu’au lac d’Annecy et portant au loin sur le Mont Blanc, et le château avec ses 35 pièces... Guénon est émerveillé de découvrir la chapelle avec ses murs décorés de panneaux de mosaïque fait dans les règles des verriers et mosaïstes vénitiens représentant l’ensemble des arcanes du Tarot, répartis en deux salles et sous deux voûtes étoilées de symboles stellaires...

Lancelot s'intéresse également aux travaux scientifiques d'Assan Dina ; et avec Guénon vont visiter l'observatoire télescopique  installé au sommet du Salève...

 

« Voici des choses étranges : nous sommes sur le mont Salève, dont le nom semble être encore une forme de Montsalvat ( le château du Graal) , et tout à côté il y a aussi le mont de Sion ( l'emblème de la présence et de la bénédiction de Dieu ). Le nom de Cruseilles est assez remarquable également ; c’est à la fois le creuset dans le sens tout à fait hermétique, et la creuzille, c’est-à-dire la coquille des pèlerins ». R Guénon.

 

Guénon imagine de se faire construire près du château, une maison séparée pour y travailler au calme et sans être dérangé par les visiteurs...

 

Lancelot apprend que le Général Ferrié, qu'il connaît par ses travaux sur la télégraphie sans fil, et la conception de postes radio pendant la Guerre ; il est également spécialiste d'astronomie... Le général Ferrié s'est donc intéressé au projet d’un observatoire d’astronomie physique, ici même, que Assan Dina était prêt à financer...

 

Le 5 mars 1930 , René Guénon (42ans) et Mary Dina (52ans) partent en Égypte. Trois mois après, Mary rentre seule... Guénon devient musulman, et ne reviendra plus en France...

René Guénon, sa femme Fatma Harem et leurs deux filles -->

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Guénon - La Crise du Monde Moderne... et de l'Occident. 1

29 Mai 2021 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Guénon, #1920, #Graal, #Regnabit, #Sacré-Coeur

René Guénon avait avait acquit une certaine notoriété. Lancelot avait suivi sa conférence donnée à la Sorbonne, le 17 décembre 1925 sur la métaphysique orientale; la métaphysique ayant été abandonnée par la connaissance occidentale, disait-il... Au même moment Henri Massis publiait '' La défense de l'Occident''...

En 1927-28, René Guénon publiait '' La Crise du Monde Moderne'' ouvrage qui heurta alors beaucoup de sensibilités, en particulier celle de Maurras, et de la hiérarchie catholique.

 

En 1924, Guénon, publiait déjà Orient et Occident. Pour lui, l'Occident était le jouet de ses passions et se perdait dans l'action ; alors que l'Orient préférait la recherche et la contemplation...

Ce déclin de l'Occident est ressenti par beaucoup d'intellectuels, chacun ayant ses raisons. Pour beaucoup de catholiques, le déclin s'est opéré dès la fin du Moyen-âge, quand l'individu s'est imaginé se libérer en « s’émancipant d’un monde gouverné par la Chrétienté et subordonné à la gloire de Dieu ». Inconséquence qui ne pouvait mener qu’à la catastrophe : « Seconde chute originelle », écrit Jacques Maritain.

Par contre - pour accéder aux connaissances métaphysiques - René Guénon, invite l'Occident à se tourner vers l'Orient. Il invite même l'Eglise à s'y convertir : «  L'Église a tout intérêt, quant à son rôle futur, à devancer en quelque sorte un tel mouvement, plutôt que de le laisser s'accomplir sans elle et d'être contrainte de le suivre tardivement pour maintenir une influence qui menacerait de lui échapper (chapitre 9).  »

 

C'est à l'occasion de la sortie de ce livre que Lancelot revit Guénon chez lui, un appartement dans les bâtiments de l’ancien archevêché de Paris, rue Saint-Louis-en-l’Ile.

Guénon recevait beaucoup de monde, mais il conservait une légère timidité ; il restait toujours calme, d'humeur égale, toujours bienveillant sans jamais un mot blessant avec ceux qui le contredisaient...

Depuis quelque temps, il avait lié des contacts avec des catholiques intéressés par sa conception symboliques de figures religieuses. Le Père Félix Anizan lui avait ouvert sa revue Regnabit, dédiée à l’étude du symbolisme métaphysique et universel du '' Sacré Coeur ''. elle se disait ''universelle'' et ouverte à diverses conceptions... Cette dévotion se retrouve exprimée au travers de multiples symboles tels que celui du sang, de la source sacrée, du Saint-Graal, des cinq plaies du Christ, de la lance de Longinus, de la croix, etc… On y décèle divers sens: la source de vie, le moteur de l'être … Bossuet voyait dans le Coeur du Christ "l'abrégé de tous les mystères du christianisme". Ce symbole a nourri l'artiste symboliste chrétien Louis Charbonneau-Lassay (1871-1946)...

 

« La Société du Rayonnement Intellectuel du Sacré-Coeur ne veut pas être une oeuvre de piété. Elle veut être un organe de conquête.[...] nous pensons que la Révélation du Sacré-Coeur est toute l'idée chrétienne manifestée en son point essentiel, et sous l'aspect qui est le plus capable de saisir la pensée humaine.[...] Cette Révélation s'adresse à l'esprit, pour le mettre ou pour le remettre dans le sens de l’Évangile. Puisque le symbole est essentiellement une aide à la pensée -- puisqu'il la fixe et puisqu'il l'entraîne -- c'est à la pensée que s'adresse le Christ en se montrant dans un symbole réel qui, même aux peuples antiques, est apparu comme une source d'inspiration, comme un foyer de lumière. » Regnabit, V, n. 8 (janvier 1926), p. 102-104.

 

Le premier article de Guénon est publié dans le numéro d’Août-Septembre 1925, il est titré « Le Sacré-Coeur et la légende du Saint-Graal ».

Et, c'est à la suite de la publication de ''La Crise du monde moderne'' ; et avec l'appui de Jacques Maritain que son ami Mgr Lucien Paulot, évêque de Reins, pria les supérieurs du Père Félix Anizan, de mettre fin à la collaboration de René Guénon avec Regnabit ; il lui est reproché d'affirmer une Tradition primordiale inspiratrice du christianisme, et même l’universalisme du symbole du ''Sacré-Coeur''...

 

Une curiosité :

A la fin du XIXème, fut fondé à Paray-le-Monial, ce qui devait être un musée et un centre d'études appelé Hiéron du Val d'Or. Le Hiéron est devenu une société avec les buts de chercher l'origine chrétienne du ''Sacré-Coeur'' et moins explicite, la préparation pour l'an 2000 d'un règne politique et social du Christ-Roi … Afin de s'opposer à la maçonnerie anti-chrétienne, il y avait l'idée de création d'une « maçonnerie chrétienne du Grand Occident ».

 

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Jean Cavaillès - 1929

24 Mai 2021 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Cavaillès, #1930, #Mounier

Jean Cavaillès

A l'instigation de Painlevé, Lancelot et Albert Lautman rencontrent un jeune philosophe et mathématicien Jean Cavaillès qui doit accompagner, en février 1929, Léon Brunschvicg, philosophe des sciences, au deuxième Cours universitaires de Davos...

Agrégé de philosophie, Jean Cavaillès prépare une thèse sur la théorie des Ensembles, en mathématiques, donc. Il est actuellement répétiteur à Normale Sup. et loge sur place...

Un point commun à ces jeunes gens, se trouve être les mathématiques, en plus d'être germanistes...

Paul Painlevé, un ''savant en politique '', ministre de la guerre, s'intéresse de près à ce qui se passe en Allemagne; il milite avec d'autres scientifiques pour une coopération internationale, en particulier, dans le domaine intellectuel. Il espère organiser un congrès du désarmement avec l'appui de la revue internationale '' L'Europe Nouvelle''.

Painlevé s'inquiète de l'esprit de revanche allemand nourri par la crise économique; et se démarque d'un pacifisme intégral, souhaitant que la SDN se dote d'une armée... Aux élections allemandes de 1928, le parti national-socialiste a remporté 800.000 voix, il en obtiendra 6.400.000 deux ans plus tard.

Lancelot est encouragé par Painlevé à maintenir le contact avec des intellectuels allemands et l'informer régulièrement sur l'opinion allemande.

 

Par ailleurs, Lancelot et Jean Cavaillès sympathisent et se reconnaissent dans l'intérêt qu'ils portent au christianisme; Jean va inviter Lancelot à le rejoindre parfois à la ''Fédé''. La Fédé développe l'oecuménisme et encourage le dialogue entre les jeunes de différentes traditions; s'y retrouvent des juifs, des orthodoxes, et même des agnostiques. La branche allemande, diffuse la pensée de Karl Barth (1886-1968) professeur de théologie à l'université de Göttingen...

 

Lancelot se détache petit à petit de son milieu intellectuel d'origine; il découvre un christianisme social, libre et tolérant... Il ne rompt pas avec Jean de Fabrègues, qui - avec le soutien de Bernanos tente de rénover l'Action Française- mais se heurte au dogmatisme ( et à l'athéisme) de Maurras... Fabrègues reste mesuré, l'esprit ouvert, avec foi mais sans fanatisme... Il défend l'idée d'un ''ordre'' de droite catholique; un ordre qui ne serait ni économique, ni social, mais ontologique...

E. Mounier

En 1929, Emmanuel Mounier, agrégé de philosophie (2e après Raymond Aron), devient familier des dimanches de Jacques Maritain à Meudon. Lancelot se souvient de son admiration pour Péguy... Il prépare une thèse sur Jean des anges (1536-1609), mystique espagnol. Il suit les cours d'Etienne Gilson sur « les doctrines de l'intelligence au Moyen Age ». Mounier s'intéresse à la question mystique '' autour du problème de la personnalité, du renoncement '' et '' du rapport d'un homme à ses actes'' ; tout cela dans une dimension historique... Les crises de civilisation en Occident ne correspondent-elles pas à des crises de la pensée morale qui sont aussi des crises de l'action...?

 

Les souvenirs de Lancelot sur cette période des premières années des années trente ; ce sont de grands débats autour d'idées qui semblent toutes aussi nouvelles les unes que les autres...

C'est sur le constat d'une certaine décadence que les désaccords sont le moins prononcés. 1900 semble lointain et regretté. Depuis la Guerre, la France s'endort, frileuse, spectatrice de ce qui se passe autour d'elle... Nos maîtres à penser, annoncent la ruine de nos valeurs humanistes, et une ''crise de civilisation''.

P. Valéry

Paul Valéry en 1931, publie '' Regards sur le monde actuel.'' « Le résultat immédiat de la Grande guerre fut ce qu’il devait être : il n’a fait qu’accuser et précipiter le mouvement de décadence de l’Europe. »

 

Avant que Cavaillès ne parte pour Davos (1929), Lancelot est invité en même temps que lui à une séance de controverse au 21 rue Visconti où se tiennent régulièrement les rencontres de ''l’Union pour la Vérité'' ( ceux-là même qui organisent les Décades de Pontigny); y viennent régulièrement des écrivains comme Gide, Malraux... Cette fois-ci le thème est sur '' le Temps et l'Eternité'' et a réunit Gabriel Marcel, Brunschvicg, Maritain, Benda ...etc. Plutôt une bataille d'égo, que de recherche de la vérité, semble t-il... Marcel ne reconnait pas, à la pensée de Brunschicg, son caractère religieux: le dieu des philosophes, n'est pas le dieu d'Abraham...

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Drieu la Rochelle - ''Une femme à sa fenêtre'' 1929

19 Mai 2021 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Drieu la Rochelle, #1930, #Ocampo

Drieu la Rochelle - 1928

Lancelot et Elaine, grâce à Drieu la Rochelle, croisent Emmanuel Berl (1892-1976), beaucoup plus abordable, qui s'amusent ensemble à briller d'intelligence, même si tous deux affirment : « l'intelligence, ça ne sert à rien ». Lancelot observe cependant avec curiosité intellectuelle Berl qui est le neveu de Bergson, et serait le chevalier servant d'Anna de Noailles. Il est marié avec Suzanne Muzard, qui dans quelques mois, va suivre André Breton.

Nous sommes en 1927, et ce qui interpelle Lancelot, c'est l'angoisse qu'exprime Berl sur « la misérable condition spirituelle de l'Europe ». Avec Drieu, ils publient des petits cahiers qu'ils appellent ''Les derniers jours'' (1927), exprimant l'urgence devant la décadence croissante et la révolution qu’ils sentent se préparer: « Tout est foutu »; « Il n’y a plus une minute à perdre » .

«Puisque l’ordre bourgeois et la culture qu’il produit tendent d’un train rapide vers la mort, puisque le machinisme capitaliste, possédé par le démon de la quantité pure ne sait créer qu’une humanité d’esclaves dans un univers frustré de toute valeur spirituelle, où placer ma foi sinon dans la Révolution ? Elle est mon espérance, mon symbole, mon lieu» '' Les derniers jours'' 1927

Et,

« On voit déjà éclater dans les singuliers mouvements de sympathie qu’a provoqués l’infortune de l’Action française la fraternité qui existe, en dépit des protestations de haine, entre les athées de l’antidémocratisme et les athées du Capitalisme quand il est conscient de soi-même, et les athées du Socialisme et du Communisme. Tous ceux-là travaillent à l’achèvement d’un certain monde moderne, merveilleuse mécanique sévère et dénuée de tout secours de l’Esprit. Mais un jour viendra où les hommes se révolteront contre le joug atrocement positiviste des Maurras et des Mussolini, des Lénine et des Ford. Alors les hommes hurleront un affreux besoin mystique. Vous réveillerez-vous pour les désaltérer, dieux de l’Orient et de l’Occident ? Quant à toi, belle raison spirituelle des grands siècles, qui rêvera encore de toi. ?»

 

L'autre question du moment parmi certains intellectuels est de choisir entre ''l'homme de pensée'' ou ''l'homme d'action'' ... Drieu reproche au surréalistes de rejoindre le Parti Communiste, au risque d'abdiquer leur liberté d'artistes.

Elaine n'hésite pas à aller dans son sens, pour valoriser ''la sainteté'' de l'homme de pensée, en opposition à ''l'héroïsme '' de l'homme d'action... Drieu n'écarte pas le langage religieux, il reproche même à l'Eglise d'avoir perdu son génie. Dans son livre ''Blèche'', ne s'est-il pas peint en journaliste catholique..?

Drieu qui s'est remarié avec Olésia Sienkiewicz (1927), n'en souffre pas moins de solitude... Il avoue - dans l'amour - n'aimer que la déesse ; moins, la femme. Ils sont installés, 70, rue Saint-Louis-en-l'Ile, et Drieu commence un nouveau roman '' Blèche'' et Olésia tape le manuscrit.

Drieu a besoin de solitude; il prend une chambre d'hôtel. Olésia part à la montagne. Avril 1928, il part seul en Grèce; et se retrouvent à son retour. Ils se séparent de plus en plus souvent...

 

Dans ''Une femme à sa fenêtre'' ( décembre 1929) - roman qu'Elaine a salué - le héros est communiste...

Lancelot s'étonne: que lui trouve t-elle? Il n'est pas romantique, plutôt misogyne, souvent cynique ...! - C'est un homme à la virilité fragile, sincère, mais désespéré.

''Une femme à sa fenêtre'' n'est-il pas la description - encore une fois - d'un monde en déccadence?

Je dirais plutôt celle d'un drame individuel...

L'hôtel ''Acropolis'' où se retrouve la bonne société, suggère l'idée d'un désenchantement, même d'une déchéance...

C'est un espace hors du temps.

Quand-même... je lis... « l'ancien Palais-Royal (...) avait l'air d'une vieille caserne où aurait logé autrefois une armée depuis lors vaincue et dispersée. Elle ne se détacha pas sans effort sa vue de cette façade délabrée et dispersée»... Belle image de notre république...!

Margot, «se penche sur l'abîme», dit-il ... Elle veut se sauver, plutôt que sauver le monde...

Boutros, lui aussi « se moque de la doctrine '' il cherche '' le mouvement, quelque chose qui défie la mort, qui risque la mort, tout ce que j'aime au monde.»

Lancelot et Elaine, lisent critiquent et échangent avec Drieu. Peut-être se reconnaissent-ils dans ces phrases de Drieu, du même livre: « Le grand Dieu qu'ils ont effleuré déjà ce matin sur la terrasse, ils le retrouveront plus tard, quand épurés par les dures épreuves, les terribles conséquences de la rencontre sexuelle, ils seront capables de lui porter des atteintes plus essentielles.» Et plus loin encore: « Leur cœurs sincères se criaient : Nous sommes un homme et une femme ; nous ne sommes que par cet acte éphémère et pourtant, toi et moi, nous pouvons nous relancer, par cet acte, bien au-dessus de cet acte, bien au-dessus de nous-mêmes »

Elaine qualifie Drieu d'idéaliste absolu... « Je ne me ferai plus tuer nulle part, ni pour Mussolini ni pour Lénine » ( Sur les écrivains) .

Victoria Ocampo

En avril 1929, à Paris, lors d'un dîner chez la comtesse Isabel Dato ( qui est ( a été) sa maîtresse), Drieu croise Valéry, un philosophe espagnol José Ortega y Gasset qui est venu avec une belle femme, dont il fait rapidement la connaissance : Victoria Ocampo, argentine, elle a 39 ans, cultivée, femme de lettres, elle recherche des contacts littéraires pour envisager une revue franco-argentine.

En même temps qu'une liaison amoureuse s'établit entre Drieu et Ocampo, Elaine va piloter Victoria dans différents cercles ; elle s'intéresse à quelques personnages éminents que Victoria a rencontré comme Rabindranath Tagore, un philosophe indien; ou qu'elle envisage de rencontrer comme Carl Gustav Jung (1875-1961)...

 

Le 6 novembre 1929, Jacques Rigaut, compagnon de route des surréalistes et ami de Drieu se suicide. La mort est la chose « la plus précieuse qu’ait un homme », et « mourir c’est l’arme la plus forte qu’ait un homme » dans ''Le feu follet'' de Drieu la Rochelle.

«  Cette société va tout de travers. Elle ne zigzague même plus sous l'effet de tiraillements contradictoires. Tout le monde tire dans le même sens, vers le fossé. (...)

Mais, derrière toute cette faiblesse de parole et de pensée des uns et des autres, qui s'étale ici dans ce décor intemporel, je n'oublie pas la brutalité qui la compense, dehors, dans le quotidien. Plus une société est faible dans sa pensée morale, plus elle manque de contradiction intérieure, plus elle est brutalement lourde sur la pente où elle glisse. L'humanité, sortie de la violence, y retombe plus tard, par fatigue, ne pouvant plus, ne sachant plus se tenir. Il y a tous ces gardes dans la salle, cette police maîtresse de Paris, contre laquelle il n'est plus de citoyens pour se dresser. Elle agit partout avec un arbitraire insultant. Les honnêtes gens peuvent craindre la façon dont elle traite les malhonnêtes gens : aujourd'hui, on chambarde les bureaux de Mme Hanau, hier on boxait Almazian. Attention. Et c'est un fait européen, il en est ainsi partout. Faiblesse des hitlériens, des fascistes, faiblesse qui s'exaspère et qui griffe. La pensée est faible, le poing se contracte. Nous allons vers de hideuses convulsions de vieux enfants.

Je ne fais plus attention à ce qui se passe, j'attends la fin de l'audience, Je m'ennuie et rien ne vient me tirer de mon ennui. Seule, un instant. la vue de cette brochette de compères : Bloch, Audibert, Hersent, de Courville, me fait rigoler. » DRIEU LA ROCHELLE, Les Nouvelles littéraires du 8 novembre 1930.

Hors le communisme, hors l'Action Française; les ''jeunes turcs '' du parti radical, lui semblent plus en phase avec ce que chacun peut attendre: une réforme de l'état et l'organisation fédérale des états européens... Drieu s'engage politiquement dans cinq articles donnés à ''la Voix'' ( de Bertrand de Jouvenel, réacteur en chef)

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Les décades de Pontigny - Groethuysen – la Phénoménologie - 1929

14 Mai 2021 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Groethuysen, #Phénoménologie, #1930

Elaine de L. et Lancelot au retour de Davos, retrouvent chacun leur vie d'avant... Lancelot s'était peut-être imaginé pouvoir continuer cette intimité et cette complicité qu'ils avaient partagées, d'abord timidement, puis avec plus de liberté; mais les occupations de l'un et l'autre les ont vite remis sur les rails de leurs habitudes anciennes. Elaine est très sollicitée par des cercles littéraires, et ses amis; l'entourage de Jacques et Raïssa Maritain valorise à l'excès la chasteté, et le respect du vœu de communion entre deux époux. Et enfin, Elaine ne souhaite pas imposer à sa famille, très protectrice - déjà contrainte d'accepter une séparation que les circonstances ont imposée - une liaison qu'elle ne jugerait pas convenable...

Lancelot et Elaine se retrouvent chez les uns et les autres; certains amis, dans la confidence, les reçoivent comme un couple.

Lancelot de par ses réseaux mondains, Elaine par ses publications et ses articles littéraires sont invités, par exemple:

Chez Daniel Halévy, à la porte verte d'une belle demeure du XVIIe siècle du quai de l'horloge, qui vient d'enregistrer un beau succès avec son livre '' La fin des notables '' et chez qui se rend régulièrement Anne-Laure de Sallembier. Lancelot, lui, regrette son attachement à de jeunes auteurs plus maurassiens que Maurras... Mais, peut-être est-ce en ce lieu que Lancelot prend conscience qu'il n'est plus le monarchiste - même orléaniste - qu'il pensait être....

A gauche Bernard GROETHUYSEN et Nicolas BERDIAEV

Pontigny 1927. 

André Chamson et Lucie Mazauric habitent rue Thouin, et reçoivent après diner. Ils sont des familiers de tous ceux qui fréquentent assidument les librairies de la rue de l’Odéon, comme ''La Maison des Amis des livres'' fondée en 1915 par Adrienne Monnier où elle reçoit Jules Romain, Louis Aragon, André Breton, André Gide, Paul Valéry…; ''Shakespeare and Company'' de Sylvia Beach qui publia en 1922, Ulysse de James Joyce.

Paul Desjardins, rencontré à Davos, avait invité Lancelot et Elaine, aux fameuses décades d’été de Pontigny, qu'il anime. C'est en ce lieu, centre de rencontres intellectuelles, qu'ils entendent parler du philosophe Husserl et de la phénoménologie présentés par Bernard Groethuysen (1880-1946), allemand ( nationalisé français en 1938), qui parle admirablement de Goethe et d'Hölderlin... Avant la Grande Guerre, il a rencontré - grâce à Bergson - une traductrice et journaliste à L’Humanité, Alix Guillain (1876-1951), avec qui il a vécu dans une communauté d'artistes rue Campagne-Première. Il retournera enseigner à Berlin, en 1931, pour peu de temps...

Groethuysen participe activement, depuis 1924, aux décades. Maritain, Claudel, Du Bos, Gide, sont des habitués... En 1929, à Pontigny, l'invité vedette, et professeur du Collège de France est Paul Langevin. La décade est consacrée à la physique contemporaine avec le titre '' L'Univers sans figure et le courage de vivre". Etaient présents Gaston Bachelard accompagné de sa petite fille, Brunschvicg, René Poirier, Martin Buber...

Bernard Groethuysen, avec un ouvrage paru en 1926, sur la philosophie allemande, a introduit en France la phénoménologie. Il fait connaître Husserl (1859-1938) et se prête volontiers au questionnement des non-spécialistes...

Groethuysen, à la barbe broussailleuse, et se délectant de toute production de l'esprit, propose une expérience de pensée.

- Dans ce pays, on a perdu tout sens esthétique, toute idée du beau; cependant les musées restent ouverts, exposent des tableaux de grands peintres anciens... Les gens s'y intéressent pour leur valeur documentaire, ils y trouvent des renseignements sur les vêtements, l'architecture, et bien d'autres choses... Un étranger, habitué dans son pays lointain à s'intéresser à l'art, et décrire une oeuvre sur le plan esthétique: comment pourrait-il partager ce qu'il sait et ressent...?

Husserl, propose que nous fassions cet exercice: délaissons le tableau comme document, pour le voir comme une oeuvre d'art. C'est la situation requise par le phénoménologue qui pratique l’épochè. Réapprendre à voir, c'est marquer un arrêt, mettre entre parenthèse le superflu...

Dans la phénoménologie, on reconnaît que la connaissance ne repose pas seulement sur de la logique, ou du sensible; mais c'est dans l'activité de la conscience; et dans quel but?: - Donner du sens à son rapport au monde... L'humain s'ouvre sur le monde et vit le monde...

Ce sens-là n'est pas scientifique...? - Mais, il est en rapport avec la vérité existentielle...

Lancelot retrouve avec sa mère, Anne-Laure, le lien qui semble naturel avec les propos que lui tenaient William James, en 1907 ou 8; et qui résumaient la thèse du ''Pragmatisme'', philosophie d'une connaissance tournée vers l'action, donc identifiable à ce qu'elle produit...

A sa suite, la Phénoménologie, observe ce que la réalité laisse paraître, cette connaissance tente d'isoler l'existence des choses, pour mettre en évidence leur essence.

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1928 Davos - 5 -Hans Driesch - Erich Przywara

9 Mai 2021 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Driesch, #Przywara, #1928, #Davos

Hans Driesch, 1932

Marietta et Elaine, échangent beaucoup sur le professeur Hans Driesch, de Leipzig. Il aurait bien connu Rudolf Steiner, mort récemment... Sa conférence a semblé très obscure par son approche scientifique, avec des références en embryologie, biologie, psychologie du conscient et du subconscient, parapsychologie, ...etc Un débat - le soir, dans une salle réservée de l'hôtel et avec un public, parait-il, trié sur le volet, Marietta s'est arrangé de tout - a permis à Lancelot et Elaine de saisir un peu mieux, de quoi il s'agissait...

Les travaux embryologiques et les spéculations métaphysiques de Hans Driesch mettent au centre du débat le statut ontologique du vivant : ce qui est ''être vivant'' ( la composante subjective, en lien avec ce qui fait la différence entre une 'cellule morte' et une 'cellule vivante'...)

Driesch estime nécessaire d’introduire en biologie un type de causalité n’existant pas dans l’ordre physico-chimique : une « causalité holistique » ( = holistique parce que, la simple somme de ses parties ne suffisant pas à le définir.  ) avec une interdépendance universelle et selon ce que dit Ernst Mach (1838-1916) : " tout ce que se passe ici et maintenant est le fruit de tout ce qui s'est passé partout depuis toujours ''

Driesch, fait état de l’existence de « lois holistiques » [Ganzheitsgesetze] spécifiquement biologiques... Mais là, le chemin est trop complexe pour continuer ici ...

« La vie ne consiste pas en un arrangement particulier de phénomènes inorganiques. La biologie ne peut être, par conséquent, une physico-chimie appliquée. La vie est une réalité originale et irréductible et la biologie est une science qui a ses principes propres et indépendants. »

D'Arcy Thompson (1860-1948) biologiste et mathématicien écossais ; reprend cette idée : « Comme Kant le disait, « la cause du mode d’existence de chaque partie d’un corps vivant est incluse dans le tout ». Et, selon la tendance ou l’aspect de notre pensée, on peut considérer les parties coordonnées, soit en tant que rapportées et ajustées à la fin ou la fonction du tout, soit en tant que rapportées ou résultant des causes physiques inhérentes à l’ensemble du système de forces auquel le tout a été exposé, et sous l’influence duquel il est venu à l’existence »

 

Le débat s'est ensuite centré sur la Théosophie , et particulièrement l'apport de Rudolf Steiner (1861-1925)... En effet, Steiner développe une démarche anthroposophique, qui s'appuie philosophiquement sur une recherche spirituelle de l'être humain, et de sa relation avec le monde, pour mettre en œuvre une pratique adaptée à l’humain, en pédagogie ( à l'aide de pratiques artistiques...), en médecine, en agriculture, en économie, en pharmacologie...etc ; avec des méthodes de travail concrètes, vivantes qui respectent la nature humaine et son environnement...

Steiner, a parcouru l'Europe pour des conférences, et pour ses dernières quinze années, il s'est attaché à construire le centre de son activité - le Goetheanum – qui se situe à Dornach, près de Bâle, en Suisse.

Elaine et Lancelot décident alors de s'y rendre lors de leur retour...

 

Enfin, avant de quitter Davos ; il est temps de revenir sur la relation qui se crée entre Lancelot et Elaine. Pour rester dans le cadre intellectuel de Davos, je vais tenter de la décrire en me référant au journal de Lancelot et à ses notes, sur le thème présenté par l'un des philosophe allemand invité Erich Przywara (1889-1972).

Erich Przywara, est également jésuite, et poussée par Marietta, Elaine se permit, comme prêtre de lui demander plusieurs entretiens... Et, il fallait bien l'effronterie de jeunes filles, pour que Elaine ose rencontrer le prêtre pour lui demander conseil sur sa relation avec Lancelot, mais par le biais du thème de sa conférence ; et pourtant, lui avouer très vite qu'elle n'a presque rien compris à son exposé sur l' ''Analogia Entis''....

 

L'analogia entis, la clef de voûte d'une « vision religieuse du monde » …

- S'agit-il de comprendre le suprême lien qui relie Dieu et l'humain ? Suprême, dans le sens qu'il est métaphysique...

- Oui, mais il s'agit d'une pensée consciente de ses limites... Pour ce qui est de la métaphysique ; on peut faire de Dieu, la Totalité du monde, ou à l'inverse, faire du monde, l'émanation de Dieu... Je suis dans la logique chrétienne de - la Révélation comme réalité - et Dieu, au-delà... !

- Je ne comprends pas...

- Dieu, dans une ressemblance - si grande soit-elle - s’avère toujours plus dissemblable... Dieu, semblable à l'homme, dans l'incarnation, se présente être un Dieu incompréhensible ...

- Et le lien avec l'Humain... ?

- L'humain, (créé à l'image de Dieu ) est une « manifestation de Dieu ». Créé, il tend vers Lui...

 

- Un lien, exprime un ''aller vers'' … De part et d'autre d’ailleurs... pour l'Homme c'est ce désir d'unité d'être et de conscience qui n'existe qu'en Dieu...

- Je suis consciente quand je suis présente au monde, et à moi-même...

- Et si vous avez une intention d'aller vers... Vous donnez un sens au monde... Vous sortez de vous-même...

- Cela s'apparente à ce que j'expérimente depuis ma rencontre avec Lancelot, je fais l'expérience d'être sortie de moi...

- On existe, au moment où l'on sort de soi... C'est, aussi, le sens de Existence... L'Essence, est en référence à ''esse'', l'être, ce qui est ( du côté de l'esprit).

 

- Etre évoque une plénitude... Et, pour moi, en ce moment , le plein m'évoque de n'être plus '' à moitié'', comme j'ai l'impression que je l'étais... . Si je vous dis : quand il est statique, je suis dynamique ; quand il est conscience, je suis manifestation, quand il est pensée, je suis acte ; quand il est absolu, je suis relatif ; quand il est immobile, je suis changement ; quand il est sans-forme, je suis forme... Je vous choque ?

- Non... L'Humain est une véritable manifestation de Dieu...

- En particulier un homme et une femme qui s'aiment, alors... ?

- Ils exercent l'acte d'être, en analogie avec l'Esprit … Tout être tend au-delà de lui-même à s'accomplir.

 

Ce soir là, Elaine, se sent assurée de la valeur de ses sentiments. Elle rejoint - dit-elle – l'accomplissement de l'amour courtois. Au-delà de ce qui semble interdit, il intègre une vision chrétienne pour dépasser le simple désir charnel. Les deux amants, ont d'abord privilégié la parole, le serment, la noblesse des sentiments, la conduite généreuse, la politesse, et le langage. A la Dame, de décider l'entrée progressive de la sensualité, l’utilisation de l'exercice érotique avec sa grammaire faite de baisers, de caresses, de discussions libertines, et d'étreintes qui cherchent à éviter l’adultère et l’acte sexuel ; ou non....

Ce soir là, Elaine invite Lancelot dans sa chambre. Il y a encore quelques semaines ; elle aurait pensé mourir de honte, à se voir dans les bras d'un homme... Ce soir là c'est la honte qui meurt. Elle s'accepte sensuelle, et se réalise dans sa sensualité nue et sans honte.

Lancelot est alors bouleversé... C'est soudain la beauté de ce corps qu'il découvre... Cette beauté s'offre dans la nudité de la femme qui a besoin d'être plus que soi et de goûter l'union...

Les conférences de la dernière semaine sont plus difficiles à suivre... De plus, les sujets traités, dans les conférences, sont assez techniques, exigent des connaissances spéciales en jurisprudence et sciences sociales...

Avant la clôture de la Rencontre, une dernière excursion rassemble professeurs et étudiants. La compagnie des Chemins de fer rhétiques ( RhB ) offre en effet aux participants un aller-retour à Saint- Moritz, initiative fort appréciée malgré une météo peu favorable.

 

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1928 Davos - 4 - Marietta Martin

4 Mai 2021 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Marietta Martin, #Davos, #1920, #1928, #Tillich

Marietta Martin

Après le repas, pendant que Lancelot, s'est isolé pour ranger ses notes et écrire quelques impressions; Elaine fait la connaissance d'une française de son âge, Marietta Martin (1902-1944*), en Suisse depuis un an, contrainte de séjourner dans un sanatorium, celui de Leysin dans le canton de Vaud. Il y a trois ans, elle a passé sa thèse sous la direction de Fernand Baldensperger, ici présent, professeur de littératures comparé à Paris.

Après avoir commencé des études de Médecine, elle a changé de voie pour la littérature. Elle parle six langues étrangères; voyage dans toute l'Europe, sa soeur est mariée avec un diplomate. Elle connaît bien les auteurs du XIXe siècle, en particulier Stendhal et travaille sur le Saint-Simonisme. Elle écrit également de la poésie. Elle présente donc beaucoup d'intérêts communs avec Elaine...

 

Lancelot découvre une jeune fille menue, à la démarche de danseuse qui semble à peine toucher la terre; sur son front de grosses boucles de cheveux noirs, et des yeux étincelants.

Elle adore faire du cheval, étrangement elle ajoute: « Mourir en plein galop, ce serait magnifique. »

Balcon sanatorium Davos

 

Marietta se confie à Elaine, sur la mort qui occupe beaucoup ses pensées... Aussi, dit-elle, « La vraie vie ne commence qu'à l'excès. »

Pour elle tout s'est joué avec son année de philosophie. D'une part le choc des ''systèmes'' qui se fracassent entre eux; de l'autre la beauté et le mystère d'un monde...

«  J'ai connu le désespoir de se retrouver seule sur la terre, abandonnée de toute croyance, sans plus d'espoir d'éternité, infime, perdue, désolée dans l'espace et le temps sans limites. »

La philosophie pourrait sembler du bavardage, la religion une duperie ; du moins... aussi longtemps que la mort demeure inexpliquée.

Marietta dit vouloir regarder la mort en face: « Parlez-moi de la mort, ou taisez-vous! »... Elle y a retrouvé de quoi illuminer sa vie... « C'est la mort qui explique tout. Sans la mort, la vie est absurde. »

 

Liegekur Davos, Sanatorium

Marietta s'est liée d'amitié avec Charles du Bos (1882-1939), quelqu'un d'exquis, attentif, qui l'a aidée lorsque ses doutes lui faisaient côtoyer l'absurde.. Lui-même venait de se convertir... Pour lui l'intelligence est source d'amour : de Saint-Jean à Augustin, Thomas d'Aquin, Ignace de Loyola, etc... tous des inspirés, des spirituels... Du Bos est un critique littéraire, un critique original, qui pense que dans toute œuvre s'exprime l'âme immortelle... Mme Wharton, que Lancelot connaît bien, a confié son livre '' The House of Mirth'' ( Chez les heureux du monde ) - à Du Bos – pour sa traduction.

Une maladie chronique accompagne Du Bos, il fait souvent état de douleurs qui l'accompagnent. Marietta ressent à quel point la maladie peut permettre d'appréhender certaines valeurs essentielles. La maladie appelle, et demande une réponse... Elle met aussi à l'épreuve... Quand la souffrance empêche même de penser ; la maladie devient ''immobile'', il n'y a plus ni présent, ni passé, seulement l'instant présent... Seul le corps peut bouger... C'est pour lui, l'image de la Croix...

 

Marietta a la foi. Elle en parle comme d'un secret, parce qu'elle ne relève pas que des croyances. D'ailleurs, dit-elle, elle a retrouvé la foi, dépouillée de ses croyances...

Après son année de Philosophie, Marietta s'est dirigée vers la médecine. Là, elle croise le visage doux, d'un homme, jeune interne qui donne des cours. Elle l'aime. Il est marié. «  Je l'ai vraiment aimé ; En tout bien tout honneur (…) je sais qu'il a deux enfants... » . « Mon regard ne le quitte pas pendant les cliniques, j'essaie de l'hypnotiser, »... « Je me suis un peu brûlé le bout des ailes. » « J'en conserve un peu d'expérience, un peu de douceur. »

 

Au cours d'une promenade sur des sentiers enneigés, Lancelot et Elaine se sont pris par la main, pour s'aider à ne pas glisser... Ils se sont rapprochés, se sont serrés l'un contre l'autre, et se sont sentis aimés...

Elaine ne sait que faire de ce cadeau qu'elle désirait... « Je suis une femme mariée...»

Elle se confie à Marietta... Comment vivre en même temps, cette peur du péché et le plaisir d'aimer... ?

Marietta lui répond, « Je suis une femme qui, après expérience (oh oui!) a dû reconnaître qu'elle n'est bonne qu'à aimer et à être aimée, et qui s'y est résignée... avec ivresse. »

 

Chacun, ici, tente de profiter des belles heures qu'offrent la montagne et la météo. Le Davoser Ski-Club se met à disposition des professeurs et étudiants, et leur propose des initiations aux sports de neige. Ces exercices augmentent cette ambiance particulière communautaire, où après l'étude autour de grand maîtres réputés, la vie offre sa continuité dans une grande fraternité...

Un cortège nocturne aux flambeaux a spontanément été organisé par les étudiants : « un long serpent de feu déroule ses plis enflammés sur notre “Promenade”, de Platz à Dorf, entraînant professeurs, étudiants, curistes et Davosiens dans un mouvant tumulte »

 

Lancelot assiste à la rencontre bienfaisante entre Paul Tillich et Fritz Medicus (1876-1956) ; le premier exprimant sa reconnaissance au second pour lui avoir fait découvrir la richesse de l'idéalisme allemand avec en particulier l'oeuvre de Schelling, qui fait le lien entre théologie et philosophie...

L. Alenza - Satire on romantic suicide

On peut s'interroger ensuite sur la correspondance qui existe entre l'esprit humain et la réalité... Cela n'a t-il pas une influence sur le sens de notre vie..? La réponse idéaliste repose sur un ''Absolu'' ( la Nature, la Raison, un Sens ( de l'histoire ..) …)

La Grande Guerre fut désastreuse pour la pensée idéaliste... En effet, elle a conduit Tillich a faire l'expérience de l'abîme caché au fond de l'existence humaine, ce qui interroge et la philosophie et la théologie...

Par contre le vitalisme de Nietzsche exprime cette expérience de l'abîme... Nietzsche valorise le combat, la lutte ( Par-delà le bien et le mal) ; vivre c'est donner libre cours à une énergie créatrice, un élan, un élan vital … Si « Dieu est mort », alors la vie n'est qu'un chaos sans but où s'affrontent les êtres.

Paul Tillich, en cela, considère que dire que Dieu est mort, signifie qu'aucun nom, aucune définition ne peut être donnée de Dieu, et qu'Il nous concerne existentiellement ( c'est même une fonction religieuse de l'athéisme) ...  « Quand on est vraiment saisi par l’inconditionnel, Dieu ne peut être nié qu’au nom même de Dieu »

C'est pour cela, que le langage religieux est nécessairement symbolique.

Lancelot croise un étudiant qui a suivi son directeur adjoint de l'E.N.S. Célestin Bouglé, un sociologue positiviste. Il s'agit de, Albert Lautman, engagé à la LAURS ( Ligue d’Action Universitaire Républicaine et Socialiste); cependant, ils font état d'une connaissance commune, Daniel Gallois, normalien et maurassien, proche de Jean de Fabrègues... Mais, ce qui intéresse Lancelot, c'est le choix d'Albert Lautman pour la philosophie des mathématiques... Très vite la discussion se porte sur la confiance que nous pouvons avoir de l'intuition mathématiques et de son développement ; peut-elle rivaliser avec la perception sensorielle, dans l'appréhension de la réalité objective ?

Pour Platon, « c’est par le beau que toutes les belles choses deviennent belles » (Phédon). La beauté existe donc en elle-même... Elle est une essence, une réalité pensée par le philosophe... Les idées platoniciennes sont indépendantes du monde sensible, elle sont supérieures au monde sensible : elles constituent la vérité authentique... Et, en particulier pour les idées mathématiques... « La réalité inhérente aux théories mathématiques leur vient de ce qu'elles participent à une réalité idéale qui est dominatrice par rapport à la mathématique, mais qui n'est connaissable qu'à travers elle. »

Ceci étant, Lautman ne se satisfait pas de cette simplification. Il se donne l'objectif de travailler sur ce sujet... ( Il sera fusillé par les allemands le 1er août 1944, près de Bordeaux)

Avec Lautman, Lancelot fait connaissance d'un professeur agrégé de Littérature, Paul Desjardin présent ici comme journaliste. Ce passionné de controverses intellectuelles, organise lui-même dans une abbaye à Pontigny, des ''Décades'' ( ou Entretiens) : il s'agit d'organiser '' une libre coopération intellectuelle, ouverte au plus grand nombre et régie par «l'amour actif de la vérité et du droit» ''. Desjardin invite Lancelot et Elaine aux prochaines Décades de 1929...

Note (*) : Marietta Martin, est une résistante dès 1941, elle écrit et diffuse ''La France continue''. Emprisonnée, elle décède en Allemagne en Novembre 1944...

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1928 Davos - 3 - Albert Einstein et Paul Tillich

28 Avril 2021 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Tillich, #Einstein, #1920, #1928, #Davos, #Carl Schmitt, #fascisme

Paul Tillich

Paul Tillich (1886-1965), pasteur allemand, enseigne à Dresde, la science de la religion. Pour lui, la foi est le fait d'être saisi par une préoccupation ultime ; et celle-ci lui paraît présente dans la culture, science y compris...

A Davos, Tillich est très sollicité, entouré d'étudiants et de collègues. Son ancien professeur, Fritz Medicus, présent, assure qu'il est le philosophe de l'avenir...

 

Einstein et Tillich partagent la même conception du religieux : pour le premier, un homme qui a trouvé une réponse à la question du sens de la vie, est un homme religieux, et Paul Tillich écrit : « Être religieux signifie s’interroger passionnément sur le sens de notre vie et être ouvert aux réponses, même si elles nous ébranlent en profondeur . »

 

Lancelot découvre Paul Tillich, et considère comme un signe que celui-ci évoque ces ''questeurs de vérité '' que sont le jeune Werther, ou les héros des romans du Saint-Graal... Le Quester est à la recherche du Graal - c'est-à-dire ce qu'il y a de plus élevé: connaissance, sagesse, foi … Il est habité de ''Préoccupations ultimes''.

Arthur Hughes - Sir Galahad

 

Tillich constate que la principale source de désaccord entre la religion et la science se trouve dans ce concept de Dieu personnel. Einstein décrit la loi de causalité comme s'appliquant à tous les événements physiques, il est inconcevable pour lui qu'une « Volonté Divine existe en tant que cause indépendante d'événements".

Cependant Einstein exprime son émerveillement devant la « grandeur de la raison incarnée dans l'existence », il ne remarque pas alors, que la théologie moderne appelle cela une « expérience du numineux » c'est à dire la sensation que l’on est en présence de quelque chose au-delà de la compréhension ou du contrôle . En attaquant la conception du Dieu personnel, Einstein se rebelle contre un mélange ancien et dépassé d'éléments mythologiques et rationnels ; aussi Tillich considère qu' « aucune critique de cette idée déformée de Dieu ne peut être opérante.»

Einstein n'a pas remarqué, ajoute Tillich, que '' Dieu'' est un symbole, que le prédicat ''Personnel'' ne peut être dit du Divin « que symboliquement ou par analogie, et qu'il s'affirme et s'annule en même temps. »

 Ce symbole de Dieu est nécessaire à l’existence de l’homme: « Car, comme le dit le philosophe Schelling:" Seule une personne peut guérir une personne. « raison pour laquelle le symbole du Dieu personnel est indispensable à la religion vivante. C'est un symbole, pas un objet ».

Pour Tillich - Le symbole religieux rend compte de la tendance au concret dans la conception religieuse et l’expérience de Dieu... Dans l’expérience de la préoccupation ultime, il y a toujours un contenu plus ou moins concret et en fait les symboles religieux s’identifient à ce nouveau concret.

 

Il y a plus. La suspicion de Tillich se porte également sur le concept de relativité. qui semble éliminer « tout point de référence absolu ». Ce qui est certain, dit-il, c'est que la théorie de la relativité a révélé plus clairement qu'il ne l'était auparavant l'existence de l'infini... Pour Tillich, la théorie, revêt la nature d'un mystère plus profond encore...

Einstein relève le malentendu : il parle de ''relativité'' d'une procédure qui définit une quantité physique ( longueur, temps d'une horloge...), et d'invariance pour la vitesse de la lumière ...etc

Si la Relativité ne considère plus l'espace et le temps, comme des données absolues, mais comme dépendant de la mesure faite par l'homme, comme si le temps et l'espace ''naissent'' de la mesure... alors les thèses de Bergson, par exemple, sont caduques.

Plus généralement, dans un mouvement d'idées tel que le ''relativisme'', on observe que toute connaissance y est considérée comme relative au sujet connaissant... On y dénonce les illusions de l'absolu ; ou du moins on ne prétend pas s'exprimer sur le ''Pourquoi'' des choses...

 

Beaucoup de jeunes gens et jeunes filles fréquentent ces cours ; l'ambiance est à l'étude, à la controverse ( les ''Diskussionsabend'') et à l'amusement plus ou moins officiel.

Diverses soirées musicales sont organisées pour soutenir l’événement, comme le concert de Maria Philipi déjà évoqué, ou le récital de la soprano autrichienne Emmy Heim lors de la quatrième semaine...

Le moment musical le plus couru est sans nul doute le concert donné par le professeur – et violoniste ! – Albert Einstein, au profit des '' Cours universitaires''.

Les journées se terminent tard ; Lancelot et Elaine ne se quittent pas de la journée ; et c'est une véritable complicité qui s'établit entre les deux. Sagement, le soir, l'un et l'autre regagnent leur chambre respective. Devant l'une ou l'autre porte la discussion souvent continue, puis Elaine avoue sa fatigue et chacun se retire seulCarl Schmitt lors d’un discours, en 1930.

Carl Schmitt - discours, en 1930.

 

Une conférence, celle du philosophe et juriste allemand Carl Schmitt de Bonn, a été l'occasion de discussions passionnées et très actuelles... sachant, que - il n'y a aucun doute - le philosophe est un ardent admirateur du fascisme italien : Benito Mussolini, à la tête du parti national fasciste et après sa marche sur Rome, est devenu premier ministre en 1922...

En Allemagne, Hitler chef du parti NSDAP, lors du congrès de Nuremberg de 1927, exalte la communauté du peuple uni sous la direction du chef.

Carl Schmitt va parler de politique, et même de théologie politique.

Sa première grande idée: - Tous les concepts de la théorie moderne de l’État sont « des concepts théologiques sécularisés ». L'Etat moderne tend « d’imiter les décrets immuables de la divinité ». L'Etat est une création récente, c'est « l'instrument qui a permis aux monarchies européennes, à partir du XVIe siècle, de mettre fin aux guerres privées et d'établir la tranquillité, la sécurité et l'ordre dans les limites de leurs territoires. »

La pensée de Carl Schmitt se construit sur une critique du libéralisme et de la démocratie libérale... Il évoque une démocratie d'acclamation ce qui suppose une homogénéité raciale du peuple, et un lien fort entre le leader et son peuple. L'affaire du politique, c'est l'unité politique du peuple. Et un peuple – en opposition à une foule hétérogène – se définit par son identité.

 

Les débats provoqués par la conférence vont préciser certains points qui émanent de la pensée de Carl Schmitt.

Le fascisme rénove le nationalisme parce que c’est un mouvement qui se présente comme révolutionnaire et moderniste. Le fascisme comporte une dimension sociale et veut imposer un État fort, fondé sur des méthodes nouvelles de gouvernement... Schmitt prétend que le fascisme ouvre sur une démocratie fondée sur l'alliance ''mystique'' entre un chef et un peuple. Il s'agit d'une ''démocratie de masse''. Il dénonce une décadence économique, sociale et morale de la bourgeoisie capitaliste. La politique, comme la religion, implique des mythes, qui sont moteur de l'action.

 

- La démocratie ne repose t-elle pas sur un socle de valeurs comme les droits fondamentaux de la personne, et sur le droit avec la séparation des pouvoirs ...?

- Précisément, non! Ces conceptions libérales sapent le principe de souveraineté et neutralise la puissance de l'Etat. L'unité nationale doit s'imposer contre le pluralisme des intérêts économiques.

« Seul un État faible est le serviteur capitaliste de la propriété privée. Tout État fort […] montre sa puissance véritable non contre les faibles, mais vis-à-vis des puissants au plan social et économique. […] C’est pourquoi les employeurs et plus particulièrement les industriels ne peuvent jamais complètement faire confiance à un État fasciste et doivent présumer qu’un jour il se transformera finalement en un État des travailleurs avec une économie planifiée. »

 

- Qu'en est-il de la sphère privée de la personne?

- En tant que religion politique, le fascisme s’ingère dans l’économie, dans l’art, la morale, etc. Il subordonne entièrement le privé au public. " Tout est politique''!

Carl Schmitt prévoit que l'Etat de droit bourgeois ( une fausse démocratie ) disparaisse ... Par la monarchie? Le monarchisme des royalistes lui semble naïf . Et, le parlementarisme est dépassé... La véritable représentation du peuple ne peut se faire qu'avec un leader, acclamé ( démocratie directe).

 

Quelques intellectuels, présents, n'hésitent pas à exprimer leur préoccupation devant ces thèses, même si elles semblent assez populaires. Ainsi, Victor Basch (1863-1944) exprime les fondements humanistes pour une défense de Droits de l'Homme. Il relève également l'antisémitisme et le racisme en oeuvre dans les théories fascistes...

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1928 Davos - 2 - Albert Einstein et Paul Tillich

23 Avril 2021 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1920, #1928, #Davos, #Einstein, #Tillich, #Relativité

Une photo relate un de ces moments précieux, auquel ont assisté Lancelot et Elaine et qui permit de passionnants échanges entre Albert Einstein et Paul Tillich.

Einstein avec Tillich ( à droite)

La conférence inaugurale d'Einstein portait sur « Les concepts fondamentaux de la physique en son développement » ; Tillich a donné deux conférences, l'une sur « Religion et culture» et l'autre sur « Le savoir religieux ».

 

Einstein, réside à Berlin, il rassure son auditoire, il n'usera pas de formules mathématiques ''compliquées'' .

Un préalable...: « Les concepts physiques sont de libres créations de l’esprit humain et ne sont pas comme il semble, seulement déterminés par le monde extérieur » ( L’évolution des idées en physique )

« C'est la pensée, ce sont les idées qui sont à l’origine de toute théorie physique »... Les mathématiques ont un caractère de certitude absolue... simplement par le fait que l'on s'accorde « sur les propositions fondamentales (axiomes) ainsi que sur les méthodes à suivre pour déduire de ces propositions fondamentales d’autres propositions » 

« Ici surgit une énigme qui, de tout temps, a fortement troublé les chercheurs. Comment est-il possible que les mathématiques, qui sont issues de la pensée humaine indépendamment de toute expérience, s’appliquent si parfaitement aux objets de la réalité ? La raison humaine ne peut-elle donc, sans l’aide de l’expérience, par sa seule activité pensante, découvrir les propriétés des choses réelles ? »

« Nous constatons avec évidence combien sont dans l’erreur les théoriciens de la connaissance qui croient que la théorie vient par induction de l’expérience.[…] Il n’y a pas de méthode inductive qui puisse conduire aux concepts fondamentaux de la physique. Faute de comprendre ce fait, nombre de chercheurs au XIX siècles ont été victimes d’une erreur philosophique fondamentale. Ce fut probablement la raison pourquoi la théorie moléculaire et la théorie de Maxwell ne purent s’établir qu’à une date relativement tardive. » 

 

Aujourd'hui, nous ne pouvons pas concevoir que toute la physique puisse être bâtie sur le concept de matière, comme le croyaient les physiciens au début du XIXe s.

Pour le moment nous acceptons deux concepts. Pouvons-nous considérer la matière et le champ comme deux réalités différentes et distinctes ? Une petite particule de matière étant donnée, nous pourrions nous figurer naïvement qu'il existe une surface définie de la particule au delà de laquelle elle cesse d'exister et où apparaît son champ de gravitation. Dans cette image, la région où les lois du champ sont valables est brusquement séparée de celle où se trouve la matière. Mais quels sont les critères physiques qui permettent de distinguer entre la matière et le champ ? Avant d'avoir connu la théorie de la relativité, nous aurions pu tenter de répondre à cette question : la matière a une masse tandis que le champ n'en a pas. Le champ représente de l'énergie, la matière représente de la masse. Mais nous savons déjà qu'une telle réponse est insuffisante quand on considère les connaissances ultérieurement acquises.

 

La théorie de la relativité nous a appris que la matière représente d'immenses réserves d'énergie et que l'énergie représente de la matière. Nous ne pouvons pas ainsi distinguer qualitativement entre la matière et le champ, puisque la distinction entre la masse et l'énergie n'est pas d'ordre qualitatif. La plus grande partie de l'énergie est concentrée en matière, mais le champ qui entoure la particule représente également de l'énergie, bien qu'en quantité incomparablement plus petite. Nous pourrions par conséquent dire : la matière se trouve là où la concentration de l'énergie est grande et le champ là où la concentration de l'énergie est petite. Mais s'il en est ainsi, la différence entre la matière et le champ est plutôt d'ordre quantitatif que d'ordre qualitatif... Nous ne pouvons imaginer une surface définie, qui sépare nettement le champ et la matière...

Nos lois de structure, c'est-à-dire les lois de Maxwell et celles de la gravitation, ne sont pas valables pour de très grandes concentrations d'énergie ou, comme nous pourrions dire, pour les lieux où se trouvent les sources du champ. Mais ne pourrions-nous pas modifier légèrement nos équations, de façon qu'elles soient partout valables, même dans les régions où l'énergie est énormément concentrée ?... Ne pourrions-nous pas rejeter le concept de matière et construire une physique basée uniquement sur le champ ? La matière qui produit des impressions sur nos sens n'est réellement qu'une grande concentration d'énergie dans un espace relativement petit. Nous pourrions regarder la matière comme des régions dans l'espace où le champ est extrêmement intense. On pourrait de cette façon créer un arrière-plan philosophique nouveau... Notre problème ultime serait de modifier nos lois de champ de telle sorte qu'elles restent encore valables dans les régions où l'énergie est énormément concentrée. Mais nous n'avons pas jusqu'à présent réussi à exécuter ce programme... [Avant de le faire, il faut mieux connaître] comment les formes de matières sont construites... On aborde alors les idées nouvelles de la théorie des quanta... ». ( L'évolution des idées en physique, des premiers concepts aux théories de la relativité.)

 

Einstein utilise l’idée des quantas de Planck, un concept pas toujours pris au sérieux à l’époque. Einstein montre qu’on peut les utiliser pour mieux comprendre certains aspects de la physique.

 

La relativité générale est fondée sur des concepts radicalement différents de ceux de la gravitation newtonienne. Elle énonce notamment que la gravitation n'est pas une force, mais la manifestation de la courbure de l'espace (en fait de l'espace-temps)...

 

Les lois régissant le mouvement des corps ont été pendant longtemps basées sur des « évidences » : le temps était « absolu », ou universel : il s’écoulait partout de la même manière.

Le temps, l’espace et le mouvement sont en fait des concepts plus subtils : le « tic-tac » d’une horloge n’est pas le même si on le mesure sur une horloge au repos ou en mouvement par rapport à l’observateur. Il en est de même pour le « mètre étalon », dont la longueur n’a pas la même valeur selon qu’il se déplace ou non par rapport à l’appareil de mesure. Nous savons aussi qu’il existe une vitesse limite, celle de la lumière, pour le mouvement de n’importe quel objet matériel. Enfin, la masse d’un corps peut varier et se transformer en énergie utilisable.

 

Enfin Einstein, fait part de ce qui le préoccupe actuellement, du fait des conclusions de Bohr avec Heisenberg, qui affirment que dans le domaine atomique ( que nous qualifions aujourd'hui, de façon plus large, de quantique), on ne peut plus définir l'état initial selon les modalités de la physique classique. Le ''principe de Causalité'' ( Leibnitz) ( une cause → un effet ; donne le sens du temps …) est contredit. Sachant qu'en relativité restreinte, la vitesse de lumière est invariante, elle ne peut pas être dépassée et garantit le principe de causalité...

Précisément Einstein, insiste sur ce principe de causalité stricte, et qu'il est donc inutile d'aller chercher dans la chaîne des causalités «  une volonté des esprits invisibles » : une croyance « digne de l'homme primitif ». Pour Einstein le concept d'un Dieu personnel est un vestige anthropomorphique des temps primitifs, d'une religion de la peur. Sa religiosité ne porte plutôt sur un sentiment spinoziste, un « sentiment d’émerveillement » face à la rationalité et à la beauté de l'univers.

 

Einstein pense pouvoir élaborer une théorie unique pour expliquer comment le monde s'organise à l'aide de lois élémentaires et universelles.

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1928- Cours Universitaires de Davos - 1

18 Avril 2021 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1920, #Davos, #1928

1928- Cours Universitaires de Davos - 1

Pour le voyage aller, Lancelot s'est efforcé de trouver de la place dans les ''1ères Classe'' du ''Arlberg Orient Express'' , jusqu'à Zurich ; ensuite il faut changer de train, et s'approcher de Davos au plus près, puisque le chemin de fer n'y accède pas...

Lancelot et Elaine se retrouvent en Gare de l'Est.

Arlberg-Orient-Express (avec voiture-salon Pullman) vu vers 1928

Je reprends à présent, le texte retranscrit du ''journal'' de Lancelot :

« Après l'excitation du voyage qui se prépare, puis qui débute dans la confusion, l'attente, la recherche de sa place. Nous retrouvons le calme alors que nous n'avons pas encore avancé...

Ressentir le départ, puis le mouvement, est une première victoire.

Dans le cocon du train ; il est assez étrange de vivre hors espace, n'ayant plus que le temps comme référence... Notre pensée elle-même, sort de ses repères convenables ; elle s'émancipe, prend le large...

Devant ce paysage qui défile, sommes-nous quelque part ? Je vois des gens qui observent le train, mais cette image semble si peu réelle, ce que j'en ai perçu est incomplet, fugace.

Le temps reste de notre côté, et les arrêts, s'ils ouvrent des possibles à d'autres, n'entament en rien notre sereine sécurité.

Les yeux, rivés sur un paysage déroulant, ne peuvent contrôler notre imagination... Ne demandez jamais à votre voisin : « A quoi pensez-vous... ? » Ce serait bien indiscret...

Le défilé du paysage, me remplit de nostalgie : il se donne et se retire aussitôt, à jamais... Le miracle, c'est que cet arrachement ressenti est compensé par la présence d'une femme près de moi... La voir dans la vitre, alors que mon regard vagabonde de l'autre côté... Elle, est une amie; et le fait qu'elle ait acceptée de m'accompagner, m'ouvre la possibilité qu'elle puisse devenir ''mon'' amie. Ce long voyage, la complicité dans le compartiment, les possibilités de l'aventure qui nous lie à présent, rendent ce moment inoubliable.

« A quoi pensez-vous ? » me demande Elaine. Son sourire semble me dire qu'elle est heureuse, et qu'elle voudrait partager ce bonheur...

Je rêve à tout ce que ce voyage nous donne la possibilité de faire... que de rencontres en perspective... ! Et vous ?

J'ai honte... Je pensais à tort et à travers... Mon imagination élaborait divers canevas de roman. C'est que le voyage sous-tend l'aventure, l'évasion... Le train stimule l'imagination...Chaque personne qui passe dans le couloir, ou s'assoit, pourrait nous cacher son identité, ses raisons d'être là... et, pourtant, elle est susceptible de nous entraîner dans des aventures que nous ne soupçonnons pas mais que le romancier peut imaginer pour nous...

 

Davos, est une petite ville ''hors du monde d'en bas'', posée dans une vallée, entre 1400 et 1800 m d’altitude.

Depuis 1860, les curistes profitent de l'air vivifiant de la vallée aérée, pour soigner en particulier la tuberculose pulmonaire... Un des premier patient eut l'idée d' investir dans la construction de maisons de cure et de pensions.

Ce lieu a déjà attiré l'attention avec la publication, quatre ans plus tôt, du livre, Der Zauberberg, de Thomas Mann ( La Montagne Magique).


 

Comme la plupart des invités, Lancelot et Elaine, ont chacun leur chambre réservée dans le luxueux Grand Hôtel Curhaus. Cent-vingt étudiants français et allemands ( majoritaires) ont été invités ( à leurs frais) à participer à ces ''Cours universitaires'' auxquels se rajoutent autant d'étudiants curistes sur place.

Ce premier Cours Universitaire de Davos est ouvert par le maire Erhard Branger avant, Hans Driesch, philosophe et biologiste allemand, qui parle alors au nom de son pays, Lucien Lévy-Bruhl ( 71ans) , le célèbre philosophe et sociologue pour la France, et Albert Einstein. Chacun se propose de sceller la fragile amitié enfin retrouvée... Ces Davoser Hochschulkurse font figure de '' Locarno des intellectuels '' … On ne craint pas de croire en une Union des intellectuels sans distinction de patrie et de confession.

Ce dimanche 18 mars 1928, peu avant 11h, la foule se presse devant l’entrée du Grand Hôtel Curhaus. Chacun cherche du regard le visage souriant du ''plus grand physicien contemporain '' et prix Nobel, Albert Einstein. Il prend la parole à 17h00, pour la conférence inaugurale.

C’est ensuite dans la grande salle de spectacle de l’Hôtel Curhaus qu’un banquet est offert à l'assemblée cosmopolite ; entrecoupé de moments musicaux interprétés par les compositeurs Béla Bartock et Julius Weismann eux-mêmes avec le concours de la violoniste Riele Queling.

Les deux premières semaines, du 19 au 31 mars, sont consacrées plutôt à des interventions de nature philosophique et littéraire, et les deux semaines suivantes (2 au 14 avril) ont pour thème le droit et les sciences sociales. Les conférences sont données dans la langue du conférencier, allemand ou français et sont réparties sur les six jours de la semaine, elles durent quarante-cinq minutes... En général, elles commencent entre 9h et 10h ; après le repas elles reprennent vers 16h ou 17h, avec le repas du soir à 19h. quelques soirées sont dévolues à des Arbeitsgemeinschaften qui rassemblent des petits groupes d’universitaires autour d’enseignants pour des temps de discussion et de débat.

 

Finalement pour les auditeurs, les conférences ne sont que le prétexte d'un travail plus réel qui s'effectue au hasard de rencontres, à la table des restaurants, autour de verres de bière dans les brasseries, ou sur les chemins enneigés des environs de Davos...

Lancelot remarque que « Les conférenciers étaient prêts à nous parler à toute heure de la journée, jusque tard dans la nuit dans un salon de thé [...]. La plus grande liberté prévalait dans les disputes entre professeurs et étudiants qui savaient qu'ils ne les sanctionneraient pas, par une examen... »

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