phenomenologie
Le Graal, ça n'existe pas ! 5
'' Le Graal existe t-il ? ''
Je reviens à la question de l'être : '' est '' = ce qui est réel.
La phénoménologie, me semble t-il, nous invite à approfondir la réalité des choses ; et examiner toutes les dimensions de l'être d'une chose.
Heidegger dirait que '' l'être de l'étant '' c'est la nature de la relation que nous avons avec cet ''étant'' ( un peu comme si je réfléchissait sur '' la vie de ce vivant'' .
La plupart des étants que nous côtoyons sont des outils : ils ont une fonctions utilitaire ; et l'être d'un outil ce n'est pas la subsistance de cette chose. L'outil n'est pas qu'une chose posée devant nous, l'être de l'outil est dans l'usage que nous en faisons.
L'être d'une chose est dans sa subsistance, il est aussi, et – en premier - dans la manière dont il se donne.
A noter que l'outil, n'est pas condamné à être un outil ; le mode d'être de la chose dépend de ce que nous décidons d'en faire : on peut s'asseoir sur un coffre, ou un rocher, on peut s'asseoir et profiter de l'ombre d'une arbre... L'être, comme outil, ne réside pas dans la chose, il réside dans le rapport à la chose.
La question essentielle, c'est l'être de l'humain. L'humain est-il un étant comme les autres ?
L'être humain, m’apparaît comme un étant qui s'interroge sur l'être ; et peut-être même, l'être de l'être humain est de se poser la question de l'être.
Il a la capacité de se questionner. Il ne peut donc se résumer à sa corporéité.
- Ok, je pense donc je suis... Descartes l'avait dit.
- Oui. Alors allons plus loin : Si l'être de l'homme est dans la conscience, peut-on ''substantialiser '' la conscience ?
- Descartes a dit : « l'homme est une substance pensante. »
- Il était dualiste : L’homme, comme être pensant, posséderait une nature constituée de deux substances distinctes : une substance pensante et une substance corporelle...
Husserl, rejette l'idée de Descartes, que la conscience serait une composante matérielle. Pour s'expliquer, Husserl propose ce qu'il appelle '' l'attitude transcendantale ''.
Je vais tenter de comprendre ce qu'il nous en dit : le monde apparaît à notre conscience, et nous constituons le sens du monde, à travers notre conscience. Il s'agit d’explorer comment nous donnons du sens aux choses et comment ce sens émerge de notre expérience.
Ce qui caractérise l'homme, en plus de sa conscience ; c'est qu'il n'est pas figé dans son être, comme on pourrait penser d'un animal ; sa conscience le rend capable de réinventer son ''essence ''.
Heidegger critiquait aussi la position de Descartes : il pensait que l'humain était d'abord un être engagé dans le monde, et que l'existence précédait la pensée. L'essence de l'humain résiderait dans son ''être au monde '', le '' Dasein ''…
- Mais .. ?! L'essence ne se distingue t-elle pas de l'existence, n'est-elle pas la nature véritable de l'être ? D’ailleurs, Husserl – dans sa méthode phénoménologique – suspend son jugement sur les contenus des phénomènes, afin de préserver leur essence ….
- En effet... Pourtant, pour Heidegger, l’essence de l’homme réside dans son existence.
Et Sartre rajoute : '' l’existence précède l’essence ''. L’homme n’a pas de nature prédéfinie ; il se définit par ses choix et ses actions.
- Edith Stein a encore une position différente, celle que je préfère : - l’essence est inséparable de l’existence concrète d’un être. L'essence n'est pas une abstraction, elle est une structure qui se manifeste dans l'existence ; elle réside dans la singularité de la personne, l'âme en étant le noyau.
- L'âme … ? Comment les philosophes abordent cette notion ?
- Je dirais, pour Husserl que l'âme se déploie dans la conscience, elle représente notre subjectivité. Elle n'est pas une substance distincte du corps... De même pour Heidegger, pour qui l'âme est sans-doute liée au Dasein et à la quête de sens...
Edith Stein, rejoint Heidegger, mais rajoute que l'âme est le noyau dynamique de l'essence de chaque personne. Son intuition est que l''âme de l'humain ne serait pas que d'ordre naturel comme les autres vivants mais d’ordre proprement spirituel.
L’âme, par définition, impliquerait un espace intérieur dans l’organisme, humain ou animal.
Edith Stein souhaitait '' expliquer le mystère de l’existence humaine et surtout de son essence en devenir tout au long de sa vie libre et rationnelle.''
« Saisir le sens du réel » comme elle disait, consiste à articuler la rationalité philosophique à la vérité révélée.
Edith Stein adopte la méthode phénoménologique pour aborder le '' vécu de l'âme '' . Elle souhaite remplir cette notion d’un contenu d’expérience, et même '' redonner une pertinence philosophique à une notion devenue aujourd’hui très controversée.'' L'âme est « quelque chose qui peut nous apparaître et se faire sentir, tout en restant toujours pleine de mystère »
Edith Stein, en chrétienne, étend sa recherche dans le domaine de la personne pour passer « de la nature à la grâce ». C'est à dire passer à une anthroposophie ternaire ''corps-âme-esprit'' . L'âme aspire à une réalité au-delà de la nature. Nous le verrons plus tard...
Le Graal, est l'aboutissement du passage de la nature à la grâce. Il est une voie aux questions que je me pose et ne me pose pas encore. Le Graal représente l'existence de Ce qui ne peut se suffire à n'être qu'un objet physique. Le Graal se raconte et se transmet. Le Graal n'est pas le but, il est le Chemin.
Voilà, ce que Lancelot aurait pu répondre au libraire de Fléchigné.
Il aurait pu aussi parler de la Coupe, image du Graal.
Le Graal se reconnaît dans la Coupe du dernier repas qui annonce la mort, et la Présence vivante ( résurrection) de l'Homme-Dieu dans toute sa création. Je l'ai déjà évoqué, nous en reparlerons.
Gaston Berger et la phénoménologie
Gaston Berger eut à cœur d'ouvrir, en 1958, un centre de recherches sur Husserl à Paris.
Son maître en philosophie, fut Maurice Blondel. Il lui écrit ( en 1924) : « Des deux grandes tendances qui existent au cœur de tout homme : comprendre et agir – c’est à la première que je m’attacherai (...). Je veux comprendre, tel est mon point de départ. Je veux que tout me soit clair, que le monde me soit expliqué. »
Son ouvrage “Le cogito dans la philosophie de Husserl”, a été publié en 1941. Il éclaire certains points de la question phénoménologique.
Berger explique à Blondel comment il est arrivé là :
« Je suis parti du problème de la personnalité. Qui suis-je ? et même d’abord suis-je ? Comment se fait-il que je me détache du reste de l’univers, que je dise “je” et “moi”, et que je ne puisse m’empêcher de me considérer “comme un empire dans un empire” ? Si la nécessité règne partout, qu’est-ce donc qui me spécifie ? »
Il remarque combien, nous français, nous partons du cogito comme évidence simple et immédiate... Aussi...
« Penser le monde comme un phénomène, c’est-à-dire dégager du monde le Sujet, comme entend le faire la phénoménologie, est loin d’être chose facile. Non seulement nos habitudes intellectuelles s’y opposent, mais aussi nos attachements sensibles : la réduction phénoménologique a des conditions morales. Elle implique un détachement peu commun. »
Il s'agit, nous dit-il, comme d'une conversion... C'est un peu comme si « nous écartions tout ce qui a un sens, pour rester en présence de ce par quoi tout prend sens : la conscience pure, le ''je''. ». A distinguer donc, du moi psychologique...
Lancelot recherche comment un intellectuel comme Gaston Berger, dont il se sent proche, pourrait lui permettre une compréhension plus profonde de la phénoménologie.
Ce qui intéressait Berger, au travers de la méthode, c'est que '' la réduction phénoménologique '' permet de dévoiler le cogito et sa structure. Et surtout, comment la conscience donne forme au monde qui l’entoure . Cette manière dont nous constituons notre expérience du monde à travers nos actes de perception, de pensée et d’intention, représente ce que le philosophe appelle : la constitution transcendantale ; et c'est ce que nous tentons de comprendre, c'est à dire, comment la conscience structure et organise les phénomènes qui se présentent à elle.
Il y a '' corrélation transcendantale '', selon l'idée que la conscience et le monde sont interdépendants. Ils ne peuvent pas être compris séparément, mais seulement dans leur relation mutuelle.
- Pourquoi ce mot : '' transcendantal '' ?
- Ce mot évoque un rapport purement intellectuel. Rappelons-nous chez les scolastiques du Moyen-âge, la réflexion sur les transcendantaux : l'Être et l'Un, mais aussi le Vrai, le Bien... Et puis il y a cette définition de Kant : « J'appelle transcendantale toute connaissance qui ne porte point en général sur les objets mais sur notre manière de les connaître, en tant que cela est possible a priori' » ( Critique de la raison pure, introduction, § VII, III, 43 ) .
Je reprend le processus... En me répétant, je reformule certaines notions....
1 - La conscience se dirige vers un objet, ou une idée, cet acte de conscience est dit ''intentionnel'' car il se rapporte à quelque chose. '' La réduction '' consiste à explorer l'essence de notre conscience, en mettant de côté les préjugés et les présuppositions, et accéder à une compréhension plus profonde.
2 - La constitution transcendantale concerne la manière dont la conscience humaine donne forme et sens au monde. La conscience perçoit le monde, et elle le constitue. Par notre sensibilité, notre imagination, notre pensée, nous constituons un sens. Par exemple, basiquement, quand nous percevons un objet, nous lui attribuons toutes sortes de propriétés, et de significations...
Et, en pratiquant '' l'époché '' nous tentons de découvrir l'essence de l'expérience : ce que Husserl appelle, l'eidos.
- L'éidos révèle la nature essentielle d'un phénomène, ce qui le rend unique et universel. Mettant entre parenthèse nos préjugés, nos croyances, nous accédons à une vision plus authentique. Pour construire une théorie, un modèle, nous devons découvrir l'eidos du phénomène...
Revenons à l'Ego... Qu'est-ce donc ce qui le constitue ? L'ego apparaît au moment où la pensée surgit, il est conscience de soi.
Le ''cogito'' cartésien (“Je pense, donc je suis”) ne se limite pas à une simple affirmation de l’existence du sujet pensant. L’ego structure notre expérience et donne sens au monde. Husserl dirait que le cogito est profondément enraciné dans la conscience transcendantale et la réflexion phénoménologique... C'est à dire – je tente de traduire – mon ego permet à ma conscience d'exister et de se manifester ( sensibilité...). Je dis ''transcendant'' en ce qu'il s'agit de sortir de soi.... Si je pratique '' l'époché '' ( vous savez : ... ce retrait, cette mise en parenthèse de l'existant autour de moi), il reste le ''je trancendantal ''
Les décades de Pontigny - Groethuysen – la Phénoménologie - 1929
Elaine de L. et Lancelot au retour de Davos, retrouvent chacun leur vie d'avant... Lancelot s'était peut-être imaginé pouvoir continuer cette intimité et cette complicité qu'ils avaient partagées, d'abord timidement, puis avec plus de liberté; mais les occupations de l'un et l'autre les ont vite remis sur les rails de leurs habitudes anciennes. Elaine est très sollicitée par des cercles littéraires, et ses amis; l'entourage de Jacques et Raïssa Maritain valorise à l'excès la chasteté, et le respect du vœu de communion entre deux époux. Et enfin, Elaine ne souhaite pas imposer à sa famille, très protectrice - déjà contrainte d'accepter une séparation que les circonstances ont imposée - une liaison qu'elle ne jugerait pas convenable...
Lancelot et Elaine se retrouvent chez les uns et les autres; certains amis, dans la confidence, les reçoivent comme un couple.
Lancelot de par ses réseaux mondains, Elaine par ses publications et ses articles littéraires sont invités, par exemple:
Chez Daniel Halévy, à la porte verte d'une belle demeure du XVIIe siècle du quai de l'horloge, qui vient d'enregistrer un beau succès avec son livre '' La fin des notables '' et chez qui se rend régulièrement Anne-Laure de Sallembier. Lancelot, lui, regrette son attachement à de jeunes auteurs plus maurassiens que Maurras... Mais, peut-être est-ce en ce lieu que Lancelot prend conscience qu'il n'est plus le monarchiste - même orléaniste - qu'il pensait être....
A gauche Bernard GROETHUYSEN et Nicolas BERDIAEV |
Pontigny 1927. |
André Chamson et Lucie Mazauric habitent rue Thouin, et reçoivent après diner. Ils sont des familiers de tous ceux qui fréquentent assidument les librairies de la rue de l’Odéon, comme ''La Maison des Amis des livres'' fondée en 1915 par Adrienne Monnier où elle reçoit Jules Romain, Louis Aragon, André Breton, André Gide, Paul Valéry…; ''Shakespeare and Company'' de Sylvia Beach qui publia en 1922, Ulysse de James Joyce.
Paul Desjardins, rencontré à Davos, avait invité Lancelot et Elaine, aux fameuses décades d’été de Pontigny, qu'il anime. C'est en ce lieu, centre de rencontres intellectuelles, qu'ils entendent parler du philosophe Husserl et de la phénoménologie présentés par Bernard Groethuysen (1880-1946), allemand ( nationalisé français en 1938), qui parle admirablement de Goethe et d'Hölderlin... Avant la Grande Guerre, il a rencontré - grâce à Bergson - une traductrice et journaliste à L’Humanité, Alix Guillain (1876-1951), avec qui il a vécu dans une communauté d'artistes rue Campagne-Première. Il retournera enseigner à Berlin, en 1931, pour peu de temps...
Groethuysen participe activement, depuis 1924, aux décades. Maritain, Claudel, Du Bos, Gide, sont des habitués... En 1929, à Pontigny, l'invité vedette, et professeur du Collège de France est Paul Langevin. La décade est consacrée à la physique contemporaine avec le titre '' L'Univers sans figure et le courage de vivre". Etaient présents Gaston Bachelard accompagné de sa petite fille, Brunschvicg, René Poirier, Martin Buber...
Bernard Groethuysen, avec un ouvrage paru en 1926, sur la philosophie allemande, a introduit en France la phénoménologie. Il fait connaître Husserl (1859-1938) et se prête volontiers au questionnement des non-spécialistes...
Groethuysen, à la barbe broussailleuse, et se délectant de toute production de l'esprit, propose une expérience de pensée.
- Dans ce pays, on a perdu tout sens esthétique, toute idée du beau; cependant les musées restent ouverts, exposent des tableaux de grands peintres anciens... Les gens s'y intéressent pour leur valeur documentaire, ils y trouvent des renseignements sur les vêtements, l'architecture, et bien d'autres choses... Un étranger, habitué dans son pays lointain à s'intéresser à l'art, et décrire une oeuvre sur le plan esthétique: comment pourrait-il partager ce qu'il sait et ressent...?
Husserl, propose que nous fassions cet exercice: délaissons le tableau comme document, pour le voir comme une oeuvre d'art. C'est la situation requise par le phénoménologue qui pratique l’épochè. Réapprendre à voir, c'est marquer un arrêt, mettre entre parenthèse le superflu...
Dans la phénoménologie, on reconnaît que la connaissance ne repose pas seulement sur de la logique, ou du sensible; mais c'est dans l'activité de la conscience; et dans quel but?: - Donner du sens à son rapport au monde... L'humain s'ouvre sur le monde et vit le monde...
Ce sens-là n'est pas scientifique...? - Mais, il est en rapport avec la vérité existentielle...
Lancelot retrouve avec sa mère, Anne-Laure, le lien qui semble naturel avec les propos que lui tenaient William James, en 1907 ou 8; et qui résumaient la thèse du ''Pragmatisme'', philosophie d'une connaissance tournée vers l'action, donc identifiable à ce qu'elle produit...
A sa suite, la Phénoménologie, observe ce que la réalité laisse paraître, cette connaissance tente d'isoler l'existence des choses, pour mettre en évidence leur essence.