graal
La littérature médiévale sur le Graal en suivant la chronologie...
1009 : Destruction du Saint-Sépulcre par le calife fatimide al-Hakim.
1031 : Disparition du califat de Cordoue. La prise de Tolède en 1085 et celle de Huesca en 1096 ; annoncent la ''Reconquista '' en Espagne... Depuis le début du IXe siècle, les musulmans occupent la péninsule ibérique..
1095 : L’empereur byzantin Alexis Ier Comnène demande de l’aide au pape Urbain II ; celui-ci prêche au concile de Clermont la première croisade. 1099 : Prise de Jérusalem par les croisés.
1120 : Fondation de l’ordre militaire des Templiers.1122 Suger, abbé de Saint-Denis ; et 1137 règne de Louis VII.
1135 :Historia Regum Britanniae de Goeffroy de Monmouth
Geoffroy de Monmouth (vers 1100 - 1155), est un évêque et historien anglo-normand au service du roi Henri 1er d'Angleterre, écrivant en langue latine et familier du monastère de Glastonbury.
« Histoire des rois de Bretagne ») est une œuvre rédigée en latin entre 1135 et 1138
On y trouve la première apparition de personnages marquants tels que Merlin ou Uther Pendragon.
L’œuvre eut un grand succès au Moyen Âge. Elle marque la naissance littéraire de la matière de Bretagne et a une influence déterminante sur la légende arthurienne. Une adaptation en français est faite par le trouvère normand Wace en 1155 titrée Le roman de Brut.
Il n’est pas encore question du Graal, mais les fondements de la légende arthurienne prennent forme. Les légendes celtiques, le merveilleux et l’idéal chevaleresque permettent de donner à Arthur une grandeur comparable à celle de Charlemagne et donne à la dynastie des Plantagenêt une ascendance glorieuse.
1148-1149 : Deuxième croisade.
1155 : Mécénat d’Aliénor d’Aquitaine et de ses filles – André le Chapelain, De amore ; essor de la fin’amor – Troubadours de la 2e génération, Bernard de Ventadour
1155 :Roman de Brut de Wace
Wace (1100-1180) est un poète normand.
Le Roman de Brut, ou Brut, est une histoire légendaire de l’Angleterre de 14 866 vers rédigée en anglo-normand par Wace. Probablement commencé vers 1150, le Roman de Brut est achevé en 1155.
Wace traduit et adapte librement en anglo-normand l’oeuvre de Geoffroy de Monmouth. Il invente notamment la Table Ronde. Ce roman dédié à la reine d’Angleterre Aliénor d'Aquitaine relate l’histoire de l’ancêtre supposé du roi Henri II Plantagenêt, Brut, qui aurait lui-même eu pour aïeux Brutus, premier roi d’Angleterre, et Énée.
1180 : règne de Philippe Auguste.
1180 :Le Conte du Graal de Chrétien de Troyes
Dans ses cinq romans de chevalerie, Chrétien de Troyes développe la légende arthurienne et la « matière de Bretagne ». Il donne notamment une unité au cadre arthurien en fixant un ensemble de personnages clés dans lesquels puiseront ses continuateurs.
1187 : prise de Jérusalem, par Saladin.
1189-1192 : Troisième croisade.
1192 : Victoire de Richard Cœur de Lion contre les troupes de Saladin à Jaffa. Trêve …
1190-1200... : Première Continuation de Perceval ou Continuation Gauvain : Œuvre du pseudo-Wauchier de Denain
Ecrivain français de langue d'oïl et traducteur actif au début du XIIIe siècle.
Cette Première Continuation suit les aventures de Gauvain en oubliant à peu près totalement (du moins pour la plus ancienne version) le personnage de Perceval. C’est au tour de Gauvain de se rendre, et d’échouer, au Château du Roi Pêcheur. Cependant, les modifications du texte de Chrétien sont nombreuses. On ne peut plus à proprement parler de cortège, le Roi Pêcheur n’est plus mehaigné, et le Graal se déplace tout seul. Il se rapproche d’ailleurs dans cette version des chaudrons d’abondance du folklore celtique. Si la Lance qui saigne est christianisée par son assimilation à la lance de Longin, il n’en va pas de même pour tous les motifs de cette scène qui reste très largement mystérieuse, voire angoissante.
la Première Continuation ne clôt pas l’histoire du Graal. Gauvain échoue devant une épreuve préalable qui consiste à ressouder l’épée brisée et il s’endort alors que le roi allait lui révéler les ravages occasionnés par le « coup douloureux » portés par cette épée.
1204 : Parzifal de Wolfram von Eschenbach.
Un roman du Graal allemand qui s’inspire assez précisément du Conte du Graal de Chrétien de Troyes et également de sources indo-européennes...
1205-1210 :Deuxième Continuation ou Continuation Perceval ; Oeuvre de, ou rédigée sous l’autorité de Wauchier de Denain.
Wauchier de Denain, un clerc, traducteur par ailleurs d’ouvrages religieux en prose, a pour mécène le comte et la comtesse de Flandre, de la famille de Philippe de Flandre, le commanditaire du Conte du Graal.
Cette continuation se clôt après la tentative de Perceval de ressouder l’épée brisée. Tentative presque réussie, mais pas tout à fait puisqu’il reste une petite fêlure sur la lame. Or Perceval a posé les questions du Graal et de la Lance et rien ne s’est produit : la prouesse attendue de la part du héros du Graal est donc renouvelée. L’histoire n’est pas menée à son terme.
Cette oeuvre par contre, se recentre sur Perceval et se rapproche, en ce qui concerne le Graal, du texte de Chrétien : il y a à nouveau une procession, le Roi Pêcheur ne se déplace plus. La voie est ouverte vers une christianisation du Graal, et ce par divers épisodes, comme l’enfant dans l’arbre. Christianisation que l’oeuvre de Robert de Boron fixera...
1200-1210 : Le Roman de l’Histoire du Graal de Robert de Boron. ( il a eu connaissance des deux premières continuations)
L’oeuvre de Robert de Boron est conçue comme un roman en vers en trois parties : l’Histoire du Graal, le Merlin et le Perceval. Mais si nous avons conservé le Roman de l’histoire du Graal, il ne reste du Merlin en vers qu’un fragment et son Perceval en vers est perdu.
Cette oeuvre marque une étape décisive dans l’évolution médiévale du mythe du Graal. Son oeuvre, qui s’appuie sur Chrétien de Troyes et Wace (pour le personnage de Merlin notamment) se veut une christianisation : Merlin devient un « sergent » de Dieu et le Graal est relié aux Evangiles Apocryphes grâce auxquelles il devient une relique : le plat de la dernière Cène et le récipient dans lequel Joseph d’Arimathie a recueilli le sang du Christ.
1210 : Mises en proses des romans en vers de Robert de Boron : Merlin et Perceval, dont il nous reste deux manuscrits : le Didot-Perceval et le Perceval de Modène.
Le Graal est christianisé, conformément à l’Histoire du Saint Graal en vers de Robert de Boron. Le héros est Perceval, conformément au Conte du Graal de Chrétien, auquel il est d’ailleurs fait plusieurs fois référence, de façon explicite ou implicite, lorsque certaines aventures évoquent précisément celles du Perceval de Chrétien. On retrouve également un certain nombre de motifs issus des deux premières Continuations.
Le motif de la question à poser demeure, de même que l’échec de Perceval lors de sa première visite au Château du Roi Pêcheur. Le personnage de Gauvain par contre, disparaît totalement, et certaines de ses aventures sont désormais attribuées à Perceval, comme le tournoi contre Mélian de Lis.
Ces mises en prose sont importantes dans le devenir de la littérature arthurienne et du Graal. La prose en effet servait auparavant pour la traduction et le commentaire des textes sacrés. Désormais, le Graal est valorisé et en quelque sorte authentifié. Le lien entre le Graal et la prose est si étroit que, hormis les deux dernières Continuations du Conte du Graal, toujours en vers, les autres oeuvres traitant du Graal sont désormais en prose.
1204 : Les croisés saccagent Constantinople et fondent l’Empire latin.
1209-1229 : Croisade contre les Albigeois dans le sud de la France.
1215 : Quatrième concile de Latran. ( Lutte contre les hérésies : canon 21 relatif à la confession ...) et définit le concept de la transsubstantiation : « il identifie le sang et le corps du Christ réellement contenus dans le vin et le pain lors de la communion chrétienne. ». Le Graal est identifié au calice pendant la 'consécration' lors de la messe.
1190-1250 : Perlesvaus, Li Haut Livre du Graal. Anonyme, en ancien français
On ignore l’auteur et la date de cette oeuvre. Il est certain qu’elle a été écrite après le Conte du Graal et le Perceval de Robert de Boron auxquelles elle emprunte des éléments, mais on ne sait pas si elle se situe avant ou après le cycle du Lancelot-Graal.
Un roman qui fait suite au Conte du Graal. En effet, il s’ouvre alors que Perceval (qui se nomme dans l’oeuvre Perlesvaus, puis Par-lui-fait, puis Perceval) vient d’échouer au château du Roi Pêcheur. Nous suivons d’abord l’itinéraire de Gauvain, à la recherche du « bon chevalier » Perlesvaus, puis nous retrouvons ce dernier. La structure est donc inverse par rapport à celle de Chrétien. Un points intéressant : la violence du récit. A la différence de la Quête du Graal, l’oeuvre ne renie pas la chevalerie terrestre, mais est au contraire, un appel à la croisade, dans son opposition systématique entre l’Ancienne Loi, la Nouvelle, et la religion des sarrazins.
1217-1229 : Cinquième croisade.
1219 (Août) : Saint François d’Assise prêche auprès des croisés et du sultan.
1215-1235: Le cycle du Lancelot-Graal, avec notamment la Quête du Saint Graal
Le cycle du Lancelot-Graal est un grand ensemble élaboré en cinq parties, dont l’ordre de composition est le suivant : Lancelot, la Quête du Saint Graal, la Mort le roi Artu, auxquelles viennent s’ajouter une Histoire du Saint Graal et une Histoire de Merlin qui ne sont pas celles de Robert de Boron.
Ces récits ayant été composés par des auteurs différents, la variété d'esprit, d'inspiration et de mode d'écriture prévaut sur l'unité.
La Quête du Saint Graal se consacre exclusivement à l’objet mythique. Son apparition lors de la Pentecôte dès les premières pages du roman lance l’ensemble des chevaliers de la Table Ronde sur sa quête. On y retrouve Gauvain, mais ce dernier, symbole même d’une chevalerie trop terrienne, échoue. Lancelot, marqué par le péché et la faute que représente son amour pour Guenièvre ne peut que très rapidement apercevoir le Graal, après sa conversion, tandis que Perceval, Bohort et Galaad seuls parviennent au Graal dont Galaad découvre les ultimes secrets.
Tout en conservant le héros initial de la quête, Perceval, c’est désormais Galaad, fils de Lancelot et de la fille du Roi Pêcheur, chevalier vraiment pur à la « semblance » du Christ qui devient le héros du Graal.
Ce cycle a été l'une des plus importantes sources du Morte d'Arthur de Thomas Malory.
1230: Troisième Continuation, œuvre de Manessier. La Commanditaire est Jeanne, comtesse de Flandre et de Hainaut († 1244). Elle est la fille aînée de l'empereur Baudouin de Constantinople et de Marie de Champagne( fille d'Aliénor d'Aquitaine)
La rédaction du cycle du Conte du Graal est fortement liée à la famille comtale de Flandre. Chrétien de Troyes écrivait sous la protection de l'oncle de Jeanne, Philippe de Flandre. Manessier, auteur de la Troisième continuation, a dédié son œuvre à la comtesse Jeanne. Il est vraisemblable que son prédécesseur Wauchier de Denain, auteur de la Seconde continuation ait également fait partie de son entourage, sans qu'on puisse démontrer de manière certaine que l'ouvrage fut écrit pour elle.
Cette continuation s’enchaîne à la Deuxième Continuation, restée inachevée...
Manessier trouve un achèvement aux aventures du Graal. L’épée est ressoudée par Perceval puis de nouveau brisée. Elle ne sera ressoudée que lorsque Perceval aura tué Partinal de la Rouge Tour. Le Roi Pêcheur retrouvera alors l’usage de ses jambes. Perceval apprenant du Roi qu’il est son neveu, il fait le vœu de lui succéder. Perceval succède au Roi Pêcheur mais après sept ans de règne il se retirera dans un ermitage pour y finir pieusement ses jours, nourri par le Graal qui sera emporté avec lui dans les cieux...
« Au fur et à mesure qu’elle est retouchée, l’histoire du Graal ne cesse de se cléricaliser. Certes, la Troisième Continuation garde l’arrière-fond des luttes entre partis aristocratiques et leur lot de violences gratuites et de vengeances incessantes, propres au Conte de Chrétien de Troyes. Mais Manessier met, pour la première fois, explicitement en scène la lutte du héros contre le diable. De plus, Perceval devient prêtre à la fin de ses jours. La spiritualité est omniprésente dans un roman où foisonnent les symboles religieux. » Aurell Martin (2007). op. cit., p. 381
1225-1230: Continuation du Conte du Graal, œuvre de Gerbert de Montreuil.
Gerbert de Montreuil est un poète picard. Il dédie à Marie, comtesse de Ponthieu, un roman d'aventures : le Roman de la violette.
Gerbert de Montreuil, qui écrit que les descendants de Perceval conquerront Jérusalem (évidente allusion à Godefroy de Bouillon et à ses frères), pourrait avoir composé sa continuation pour les comtes de Boulogne.
Cette continuation, contemporaine de l’œuvre de Manessier, mais rédigée de façon indépendante, s’enchaîne également à la Deuxième Continuation.
Une voix divine explique à Perceval qu’il doit subir de terribles épreuves s’il veut entendre les secrets du Graal. Perceval se heurte aux portes du paradis, sur lesquelles il brise son épée. Il remporte de rudes épreuves avant son retour au château du Roi Pêcheur. Là, il réussit à ressouder l’épée de façon parfaite. Lors de sa présence au passage du cortège, son hôte lui révèle les mystères du Graal et de la lance brisée. Pour autant, Gerbert de Montreuil ne parvient pas à terminer l’histoire.
L’œuvre de Gerbert de Montreuil, bien qu’elle soit inachevée, à la différence de la Troisième Continuation, oriente, comme l’œuvre de Manessier, le motif du Graal dans un sens nettement religieux. La christianisation du mythe est désormais acquise, et ce depuis l’œuvre de Robert de Boron.
Un changement s’opère au 13e siècle dans l’approche du merveilleux celtique dont s’inspirait Chrétien de Troyes. Martin Aurell ( médiéviste) souligne cette différence :
« Les romans arthuriens adoptent un ton pédagogique, aux antipodes du mystère et de l’intrigue que Chrétien de Troyes avait su préserver dans son Conte. Des explications allégoriques sur les épisodes et objets des romans pullulent désormais dans la matière de Bretagne. Elles relèvent de la culture cléricale et savante, qui fait intervenir le diable dans des merveilles que les récits du XIIe siècle auraient présentées comme de simples exceptions aux lois de la nature. » Aurell Martin (2007). op. cit., p. 384
1236 : Ferdinand III de Castille prend Cordoue.
Les Croisades, les Templiers et le Graal. -2/.-
Au XIIe siècle peu de personnalités font part de leur réprobation face à '' la Croisade '' : ce pèlerinage en arme, la presque totalité de la Chrétienté se range derrière la bannière lyrique et envoûtante de Bernard de Clairvaux.
Les critiques augmentent au cours du siècle, et deviennent plus importantes à la fin du XIIIe ; celles-ci accompagnant la déroute de l’aventure. La noyade de Frédéric Barberousse en 1190, la mort de Saint-Louis devant Tunis en 1270, amènent ces auteurs à réfléchir à la légitimité d’un tel phénomène. Si la croisade est juste, pourquoi Dieu permet-il de si grandes déroutes ? Le rejet de la croisade est porté aussi par les nouveaux ordres monastiques, comme les franciscains et les dominicains, qui privilégient le prêche à la guerre, le glaive de la parole à celui du fourreau.
Les croisades, se muent en conflit idéologique, en plus de délivrer les Lieux Saints, il s'agit de convertir les peuples sarrasins et juifs par la force. Les croisés revivent l'Exode et la conquête de la terre promise...
Ce motif, nous le retrouvons dans les injonctions de Dieu faites aux élus de l'Estoire del Saint-Graal d'évangéliser la Grande Bretagne... C'est aux ordres mendiants que l'on doit la substitution de l'idée de mission à celle de croisade...
De fait, L'Eglise de Rome, s'inquiète de cette Légende du Graal, qui fait le ''buzz'' et qui circule et s'étend, par trop empreinte de celtisme, ou d'ésotérisme ( avec le Parzifal). Il s'agit de christianiser l'histoire de chrétien de Troyes, de gommer les ''révélations '' de Wolfram ; en effet plutôt que ses références au tombeau du Christ ( fruit des croisades et des templiers) ; le Graal se recentre uniquement sur le récipient ayant recueilli le sang du Christ, facilement assimilable au calice de la messe.
Robert de Boron, vers 1212-1214, s’attelle à cette sainte tache. Il rédige L'Estoire dou Graal, faisant largement appel à l’Évangile de Nicodème, certes apocryphe, mais très populaire à l'époque et cité par St-Thomas d'Aquin lui-même... Vers 1215-1220, il rédige Merlin.
On fait appel également à Gautier Map (1140-1210), proche d'Henri II Plantagenêt, qui rédige l'Estoire del Saint-Graal, et la Queste... , dont le médiéviste Albert Pauphilet ( en 1921) a montré l'origine cistercienne.
Cette fois, donc, les précieux objets qui constituent le cortège du Graal sont assimilés à ceux dans lesquels le Christ a pris son dernier repas. Le service du Graal est alors associé à l'image de la Cène. Ce rituel eucharistique établit en outre une distinction entre les hommes justes, purs, élus de Dieu qui sont autorisés à approcher la sainte relique, et les hommes ordinaires, simples pécheurs, pour qui ce mystère reste inaccessible.
Désormais, le monde sera dominé par la raison, la foi et les vertus religieuses, les anciennes croyances reléguées au rang de contes pour enfants. Les chevaliers se battront pour défendre la foi (la croisade), et non plus pour vaincre des créatures diaboliques, ces dernières ayant été balayées par la lumière divine du Graal.
D’ailleurs, une fois le Graal retrouvé, une fois que Galaad, à l’image du christ, a donné à cette société chevaleresque la dimension sacrée et spirituelle à laquelle elle aspirait, la société arthurienne, qui a rempli sa mission n’a plus aucune raison d’être. Il n’y a plus de monstres à pourchasser, plus de terres sauvages à conquérir et à christianiser, sa disparition est donc inéluctable. Avec la mort du roi Arthur, l’univers de la Table Ronde se disloque et disparaît, le temps des héros et des aventures extraordinaires est terminé.
Le Graal - 3/3 - mythe et christianisation
<-- Joseph d'Arimathie et ses compagnons emportant le Graal de Palestine, détail du manuscrit (1220-1230) conservé à la bibliothèque de Rennes
Le Graal de Chrétien de Troyes (1) est un objet mystérieux et énigmatique dont il ne dévoile ni les origines ni le contenu. Il n’est pas le Saint Graal de Robert de Boron, explicitement lié à l’histoire du Christ par l’intermédiaire de Joseph d’Arimathie.
Chrétien de Troyes se contente, selon le prologue, d’arrimer, de mettre en vers, le livre du Graal que lui a donné Philippe de Flandres et, plus sûrement, il donne une forme poétique à un récit oral qu’on pourrait qualifier de mythe originel. Il doit aussi beaucoup à des récits arthuriens plus populaires, proches du conte de fées (comme les lais de Marie de France), élaborés par des jongleurs continentaux (notamment armoricains) au contact de leurs confrères de Grande-Bretagne (surtout gallois) depuis la conquête de 1066..

C’est dire que les mythes celtiques ont subi, pour arriver jusqu’à lui, une double transformation : 1) d’abord de mythes en légendes et en contes (en Grande-Bretagne après quelques huit siècles de christianisation, 2) ensuite de légendes et de contes en récit déjà littéraires (surtout anglo-normands).
Le graal est-il mythique chez Chrétien de Troyes ?
Si oui, reste-t-il mythique lorsqu’il devient chrétien ?
L'écriture du Conte du Graal, est bien une création sur le plan imaginaire, et imaginer un mythe moderne, c'est transformer un « mythe vivant » en récit littéraire.
Le graal n'est pas chrétien pour autant … Il y a christianisation, par exemple d'une corne d'abondance ( mythologie celtique ) en coupe destinée à recevoir une hostie pour le roi pêcheur. Chrétien de Troyes ne nous renseigne pas, et Perceval ne pose pas la question attendue …
Ainsi le Graal porte divers possibles : le chaudron rempli de sang du dieu Lugg, la coupe d'or des jeunes filles des puits, le calice qui a reçu le sang du Christ …
Sources : Catherine Nicolas maître de conf. Montpellier
- Personnellement, je peux actualiser la question posée par Chrétien de Troyes, par celle-ci: y a t-il place chez l'humain à un "vide" que le mystère seul peut remplir … ?
(1) Je rappelle que Chrétien de Troyes (1135-1183) , est un clerc, un copiste, adaptateur de textes. Il écrit sur commande, ainsi pour Marie de Champagne ( 1128-1190) au service de laquelle il reste de 1160 à 1185. Le Conte du Graal est dédié à Philippe d’Alsace ( 1143-1191) ( prétendant éconduit de Marie de Champagne.. ). Chrétien écrit ce roman entre 1182 et 1190, et meurt avant de l’avoir terminé.
Le Graal - 2/3 -
La relique du Graal, eut, un tel succès, que nous la retrouvons en divers endroits...
Parmi les histoires les plus « sérieuses », retenons :
- Lors de la Quatrième croisade a lieu la prise de Constantinople, la ville aux nombreuses reliques : les croisés font main basse sur les trésors (reliques et pierreries) de Constantinople, butin remis entre les mains de l'évêque de Troyes, Garnier de Trainel, en 1204, dans lequel on trouve un morceau de la vraie Croix, du sang du Christ, et le Saint Calice de la Cène...
Des témoins affirment qu'en 1610 le Graal était encore à Troyes, mais qu'il disparut durant la période de la Révolution Française.
- Actuellement, Le Saint Calice, serait conservé la cathédrale de Valence en Espagne …
Le Graal est récupéré par Saint Pierre, et de pape en pape jusqu’à Sixte II qui, sous la persécution de Valérien, est confié en 258 à son diacre Laurent lequel la met en sécurité dans son village près de Huesca (Espagne). En 713 il est transporté par Audebert au monastère bénédictin de San Juan de la Pena qui se trouvera, un siècle plus tard, sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle en Galice. En 1437, le roi Alphonse V d’Aragon remet à la cathédrale de Valencia le calice de pierre (fabriqué entre le IVe s. av. J.-C. et l’an 1), taillé dans une agate verte, sur support d’or et socle d’onyx, portant l’inscription « La Florissante » en arabe, qui est placé sous la garde de la Confrérie du Saint Calice de la Cène et enchâssé dans la chapelle du Saint Calice. Enfin, la légende arthurienne, selon Joseph de Boron : Joseph d'Arimathie transmet le Saint Calice à son beau-frère (Hébron, ou Bron), époux de sa sœur (Enygeus), qui le transmet à son tour à son fils, Alain, qui le transporte aux Vaux d'Avaron, un endroit inconnu que certains interprètent comme étant l'île d'Avalon, elle-même identifiée à Glastonbury.
Le Graal - 1/3 -
C'est Chrétien de Troyes, en écrivant Perceval le Gallois ou le Conte du Graal (1181), qui enrichit la légende arthurienne d’un nouveau thème : la quête du Graal.
'Graal', provient ( XIIe s. ) d'une forme occitane (gré, gréau ou grial en langue d’oc) et une forme provençale (grasal) issues du latin médiéval gradalis qui désignait un « plat large et peu profond »...
Devenu nom propre vers 1200, le mot s’est spécialisé au sens de « plat de la Cène ». Dans Le Roman de l’Estoire dou Graal (1200-1210) de Robert de Boron, le Graal apparaît bien comme la relique précieuse qui a servi au Christ à Pâques, et ensuite à Joseph d'Arimathie pour recueillir le sang du Christ crucifié …
Pourtant, dès le IVe s., Hélène, la mère de l'empereur Constantin était à Jérusalem, à la recherche de sites chrétiens. En 327, elle pense découvrir la tombe de Jésus et un morceau de la vraie croix, et trouve divers objets, dont un calice. Une légende de l'époque ( tradition orthodoxe …) dit que Marie-Madeleine avait recueilli la coupe, et c'est ce qu'Hélène pense avoir trouvée. On l'appela la « calice de Marie ». Il est transporté à Rome.
Ensuite, l'historien du Ve s. Olympiodore écrit, qu'il est transporté en Bretagne en 410 pour le protéger, lorsque Rome est est mis à sac par les Wisigoths.
Ainsi, quelques dizaines d'années plus tard, le Roi Arthur est censé pouvoir le rencontrer.
Le Graal est décrit comme une coupe d’abondance dans le Lancelot-Graal ( 1225) lorsque, les Chevaliers de la Table Ronde étant réunis le jour de la Pentecôte, apparaît un vieillard en robe blanche tenant un jeune chevalier vêtu d’une armure couleur de feu, Galaad, qui annonce au Roi et à ses compagnons la venue du Graal, lequel, se manifestant dans les airs, remplit la palais de parfums et charge les tables de mets succulents.
Perceval: lecture de l'épisode du Graal
* L’épisode du Graal est une scène « unique », énigmatique et mystérieuse. Elle fera ensuite l’objet de trois commentaires : celui de la cousine, celui de la demoiselle à la mule fauve et enfin celui de l’ermite. Ils font appel au « péché » de Perceval, il est chassé du château … Cette scène a un caractère merveilleux, un peu comme s’il s’agissait d’un rêve… Elle n’a pas d’emblée un caractère chrétien. Même si elle se présente comme « liturgique » …Il s’agit de guérir le roi blessé ( entre les hanches...! ) et de redonner fécondité à sa terre. Perceval ne saura pas y prendre part. Il y a une procession avec des cierges, un calice… L’assistance est celle d’un repas fastueux. La lance saigne, et ce sont des jeunes filles qui portent deux des objets sacrés. L’explication de l’ermite invite à voir dans le Graal un ciboire dans lequel est portée l’hostie destinée au père du Roi pêcheur. Aussi, sommes-nous invités à donner une signification religieuse à la lance. Elle saigne, et semble accuser Perceval de son impiété ( Le christ est mort pour racheter les hommes... ! ). Une partie du mystère du Graal, lui sera révélée après sa conversion du vendredi saint. Le conte du Graal, offre dans cette scène un matériaux qui a subi d’autres influences que le christianisme.
Une liturgie pas si « catholique ... » !
- Dans la tradition médiévale, Il était absolument interdit aux femmes de prendre un tel rôle dans une procession de l’Eucharistie selon l’église catholique. Ce n’est que plus tard, vers l'an 1200, en particulier avec Robert de Boron, que le Graal est la coupe qui ramassa le sang de Jésus Christ sur la croix et la coupe qui se trouva à la Cène.
« Un graal entre ses 2 meins
Une damoisele tenoit, » (Perceval, vers 3158-3159)
- La règle du silence, était de bonne éducation… Le récit, cependant en fait la critique, et Perceval ne peut s’empêcher de vouloir comprendre : Il cherche à savoir pourquoi « Tant sainte chose est li Graals » ( Le Graal est chose si sainte) (Perceval, 6351), et à qui l’on fait son service. Mais, il se tait !
Par ailleurs, on lit que les aventures de Perceval, vont consister en une exploration de soi :
- Au début de sa quête : il savait peu à propos de sa famille jusqu’au moment où sa mère lui explique que son père et ses frères étaient des chevaliers : Perceval rencontre sa cousine à son départ du château du Graal qui lui donne son nom (nous découvrons le nom du Perceval pour la première fois (*) ). Et, il apprend encore plus de sa famille chez l’ermite, qui lui explique qu’il est son neveu… Le Roi Pêcheur et celui qui est servi par le Graal sont des membres de sa famille. Après, cette visite « ratée » au château du Roi Pêcheur, c'est à présent réellement que commence la quête du Graal… Sa quête est donc provoquée par ce silence qui lui a fait perdre les mystères du Graal...
(*) Il faut trouver, pour le chevalier, la brèche qui conduit d'un monde à un autre. Perceval l'a trouvée et son nom révèle cette découverte. N'est-il pas celui qui a ' percé le secret du Val '? En fait, il a su obéir au conseil du mystérieux Roi Pêcheur, à qui il rend visite dans le château du Graal : « Grimpez le long de cette brèche, lui dit-il, qui est taillée dans le rocher, et, quand vous serez arrivé là-haut, vous verrez devant vous, dans une vallée, une maison où j'habite. Dans le roc, symbole de la densité, une brèche s'ouvre et monte : telle est la voie. »
Pour le lecteur du Conte du Graal, il s’agit aussi d’une quête, puisque les mots qui précèdent ne sont que sentiers sur une « carte » d'une possible interprétation … Beaucoup d'autres cartes sont permises.... Ensuite, sera le temps de la véritable découverte du territoire ...
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Après sa visite au château, L'ermite explique à Perceval le secret du Graal ... |
Parsifal à Montsalvat, le château du Graal peinture murale par A. Spiess Le cortège du Graal avec le calice et la lance, en arrière-plane: le silencieux Parsifal et le roi blessé. |
Robert de Boron et le Graal. -2/2-
«La position de Robert de Boron dans la tradition romanesque du Graal est décisive, non pas tant, comme on le dit, par les innovations qu’il introduit dans l’histoire du Graal que par la forme d’écriture et de compilation qui est la sienne. Chacun le sait : il est le premier à faire du Graal le calice de la Cène (encore cette formulation est-elle doublement inexacte, car il ne s’agit pas vraiment de la Cène et le Graal n’est pas essentiellement un calice), dans lequel Joseph d’Arimathie a ensuite recueilli le sang du Christ...» Michel Zink – Collège de France
On lit généralement Robert de Boron comme le continuateur de Chrétien de Troyes, en effet le Joseph d’Arimathie « christianise définitivement le graal en s’inspirant d’écrits apocryphes » (J.-M. Fritz). « Pourtant rien ne dit, ni que la légende ait connu une évolution cohérente allant vers la christianisation, ni que les étapes de cette évolution au tournant du XIIe et du XIIIe siècles se réduisent à Chrétien et ses continuateurs d’une part, à Robert de l’autre. Le Parzival de Wolfram est même un indice du contraire et accréditerait plutôt l’idée que Chrétien, à sa manière épurée, n’a retenu que le peu qui l’intéressait d’une matière foisonnante. » Michel Zink
Robert de Boron n'a sans doute pas ignoré qu'à son époque, vers 1229, un moine de l'abbaye cistercienne de Fromont ( qui existait de puis 1141, et il n'en reste que des vestiges …), en Ile de France, non loin de Beauvais, avait écrit, en latin bien sûr, une sorte de chronique historique, et pour l'année 717 (!), s'exprime ainsi : « En Bretagne, un ermite se fit montrer par un Ange, l'histoire de Joseph d'Arimathie, celui qui descendit le corps de Chist de la croix et celle de la Coupe, avec laquelle le Sauveur avait célébré la Cène avec ses disciples et cet objet est connu dans l'histoire sous le nom de ''Grasal'' or, chez les francs il désignait un plat destiné à servir des personnes de haut rang. Ce document a disparu, mais des princes français le font refaire en ce moment... » Ce moine mélangeait tout, bien entendu, et jamais ledit document ne fut retrouvé, et le fait qu'il en fait allusion montre combien à l'époque, le merveilleux était bien accepté...
Robert de Boron et le Graal. -1/2-
Robert de Boron, né en territoire de Belfort, est au service de Gautier de Montbéliard. Gautier s'embarque pour la Croisade en 1201, et meurt en Terre sainte en 1212. Robert de Boron découvre la littérature byzantine et syriaque... Il a le projet d'une grande synthèse poétique... Il a l'intuition de rattacher les légendes celtiques, avec le mythe du Graal, ramené aux origines du christianisme et écrire une sorte d'allégorie chrétienne de la Rédemption.
Joseph of Arimathea walks on water holding the holy grail
Ses sources sont dans la Bible, mais aussi dans des textes apocryphes comme l'Évangile de Nicodème et La Vengeance du Sauveur. On nous dit, en particulier, comment Joseph fut maintenu en vie dans sa prison grâce au « vaissel » dans lequel le Christ avait institué l'Eucharistie au cours de la Cène, vase qui est aussi le calice où fut recueilli son sang. Le transfert de cette relique à Glastonbury assure le lien entre les âges et les civilisations : le calice devient le Graal. Le ''Merlin'' raconte l'histoire du Graal jusqu'à la fondation de la Table ronde annoncée sous forme de prophétie par ce curieux personnage, décrit précédemment par Geoffroy de Monmouth. C'est à la cour des Plantagenets qu'il écrit son œuvre. Bien au fait des mythes de son temps, des légendes celtiques, Robert de Boron affirme qu'il tient la substance de son récit d'un texte latin appelé le Grand Livre, rattaché à la Table Ronde … Une histoire reliée à celle des roi anglais, puisque par Merlin, le Roi Arthur est reconnu, roi des Bretons...
Le saint Graal à la Table ronde
Le XIIe siècle, qui abrite le récit est fort agité par les querelles brûlantes autour du dogme de la Transsubstantiation, adopté en 1215 par le Concile de Latran. C'est en vers que Robert de Boron a composé sa trilogie : le ''Joseph d'Arimathie ou Roman de l'estoire dou Graal '', ''Merlin '' et ''Perceval''. Seuls le premier de ces trois textes et le début du deuxième nous ont été conservés dans un manuscrit, mais une ou plusieurs versions en prose (Merlin en prose, Perceval de Modène et Didot-Perceval) nous transmettent le contenu de l'œuvre.