heidegger
Le Graal, ça n'existe pas ! 2
Comment une chose existe ; une table, une musique, un concept, le Graal ?
Ainsi une musique n'est-elle pas plus qu'une succession de notes ? Mon patron, mon voisin bruyant, un cadavre ne sont-ils que des corps.... ?
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Une ''chose'' existe, d'abord en ce qu'elle se donne à nous, avant de la décrire.
Il y a ce que les sens m'en disent, et ce que mes connaissances ( croyances – savoirs ) m'en disent... De certaines choses, il y a ce que d'autres personnes m'en disent ( témoins, Tradition, Histoire, légendes...)
Et la réalité des concepts métaphysiques, des ''lois naturelles '', des formules mathématiques ?
Et l'être humain est-il un ''étant'' comme les autres ? Et, la pensée ?
La question de l'existence du Graal, condense toutes ces interrogations autour de l'être d'une chose...
Commençons par poser, qu'une chose ''est'' si je la perçois occuper un espace : je dis, cette table qui est devant moi existe. Le terme ''être '' est pris ici, dans le sens de la subsistance ( selon le mot de Heidegger).
Il me revient l'exemple du morceau de cire de Descartes : observons cette chose, puis approchons la d'une flamme ; nous voyons combien ses caractéristiques sensibles peuvent changer. N'en est-il pas ainsi de tout ce qui se matérialise ?
Pour Heidegger, existence n'est pas subsistance …
Prenons l'être humain. - S'il vient de mourir., son corps est toujours là. Pourtant mourir, ce n'est plus être… Être, ce n'est pas seulement occuper un espace...
Etre, exister pour un objet inanimé, n'est pas la même chose, qu'être pour un vivant...
- Le Graal, n'est peut être pas, pour moi, un '' objet inanimé '' ?
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La phénoménologie, m'invite à envisager les choses au travers de la relation que j'ai avec elle. La façon dont les choses m'apparaissent fait aussi partie de leur être. Prenons l'exemple de l'Adagietto de la Symphonie n° 5 de Gustav Mahler, reliée pour moi à ''Mort à Venise'' : je n'écoute pas une succession de notes, une description scientifique ne dit rien de cette chose. Cette chose ''est'' , dans la mesure de la relation que j'ai avec elle, au travers de mes émotions, des images produites, de la compréhension que j'ai de cette œuvre d'art.
Heidegger nous invite à ne pas considérer une chose comme séparée de nous; il y a toujours une relation entre nous et la chose qu'on examine. Et d'autant plus, si la chose n'est pas un objet inanimé... Ainsi, cette personne, si elle est mon patron, mon voisin bruyant, ou mon libraire...
Je retiens que je ne peux pas parler des choses comme uniquement ''subsistantes''. La philosophie m'invite à me questionner de la manière dont le monde '' se donne '' à moi ; et donc à réfléchir sur la nature de la connaissance que j'ai de cette chose, et même plus généralement, de la nature de la réalité.
Elaine, qui travaille sur la philosophie au Moyen-âge ( Et oui... le humains au Moyen-âge ne sont pas des brutes, des barbares, ils peuvent être de profonds philosophes...) ; rappelle à ce propos, la réflexion qui s'appuyait sur les ''catégories '' d'Aristote, pour caractériser une chose.
La première était la '' substance '' - pas pour signifier seulement la matière dont la chose est faite – mais qui est le substrat, l'essentiel de cette chose : l'essence de cette chose, une substance immatérielle, une pure pensée.
La seconde serait la '' forme '', qui confère à l'objet sa structure et son identité. On dira aussi que l'âme est la forme du corps...
Cette manière de penser la chose, a tendance à la limiter à l'idée matérielle de cette chose. Je pense alors à la matérialité de la relique du Graal, qui serait vue ici, ou là …
Bon, mais nous reviendrons sur tout ceci au Moyen-âge. En effet, les philosophes médiévaux ont développé ces notions en science et en théologie.
La question de l'existence du Graal occupe l'esprit de Lancelot, au point d'être abordée lors d'une séance de jeu de cartes. Ces séances s'organisent régulièrement à Fléchigné depuis la retraite de Lancelot. Ce soir là, sont présents le père Maillard et Elaine. Il suffit d'être quatre, la soirée libre pour que Lancelot propose le couvert, le gîte ( éventuellement) et une partie de Tarot ( le jeu d'Anne-Laure de Sallembier). Je signale cette soirée, parce qu'à la suite de sa visite chez le libraire, Lancelot fit part à Maurice Maillard de sa difficulté à ''disputer'' cette affirmation de la non-existence du Graal.
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- C'est d'autant plus difficile, j'imagine, que tu ne peux présenter à l'appui de son existence, qu'une liste de personnages légendaires, et d'histoires merveilleuses.... Pour ma part, concernant l'existence de Dieu, j'ai l'appui de la Révélation, de l'expérience mystique, et l'appui de toute une Tradition...
C'est ce soir là, peut-être, que vint à l'esprit de Lancelot, le projet de façonner l'équivalent pour ce qui concerne le Graal. Un quête au travers d'une lignée, à l'aide de la connaissance acquise le long de ces siècles en philosophie, en sciences, en art et en théologie.
Idée que j'ai reprise et menée en partie, dans ces livres.
1947 - Martin Heidegger
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Louis Pauwels (1920-1997), journaliste à Combat, voudrait rencontrer Heidegger. Lecteur au Seuil, il vient de publier un roman, '' Saint Quelqu'un '' qui retient l'attention des critiques. Lancelot a été séduit. Il s'agit , d'un homme ''ordinaire'' qui est amené suite aux circonstances, à '' s'évader '' de sa vie. C'est en effet, l'objet de la recherche de Pauwels. Un soir, il entretenait ses collègues à s'intéresser à Sri Aurobindo, du côté de l'Inde ; il voyait chez ce maître un dépassement de certaines limites dans lesquelles nous serions, nous chrétiens, enfermés. Son héros, a du mal lui-même à se situer « Je ne suis plus, pense t-il, je suis tout ce qui existe, je suis la lumière de ce qui existe. ». Ce détachement de soi, recherché dans le yoga, rejoint ici une extrême insensibilité qu'il va éprouver devant le cadavre de son petit garçon... C'est aller trop loin, pense Lancelot.
Pauwels s'enquiert auprès de Lancelot, de la difficulté à joindre Heidegger. D'autant que le conseil de l’Université de Fribourg a édicté à son encontre une interdiction définitive d’enseigner, en janvier 1946, en raison de son engagement nazi. Pourtant, depuis, que Sartre a fait, dans L'Etre et le Néant, référence au ''maître de Fribourg'', sa notoriété ne fait que grandir en France.
Précisément, en 1947, Martin Heidegger (1889-1976) s'adresse à ses disciples français, dans une '' Lettre sur l'humanisme'', et revient sur sa pensée depuis '' Etre et Temps'' (1927 - Sein und Zeit ). Lancelot et Pauwels se remémorent le concept qu'Heidegger a avancé avec le mot '' Dasein '', il peut se traduire par '' être-là'' '' être-présent'' et renvoie au mode d’existence de l’homme en tant que son être propre lui importe et en tant aussi que la possibilité de sa mort lui est constamment présente.
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- En effet, cela va plus loin que le ''cogito'' de Descartes : ce n'est pas seulement le ''je'' qui pense, et qui en déduit qu'il ''est''.
- Comment Heidegger en arrive t-il à critiquer l'humanisme ?
- Aujourd'hui, l'humanisme affirme une volonté, vecteur d'une liberté capable de se façonner elle-même, sans essence qui précéderait son existence, propriétaire de la nature.
Heidegger montre que cette conception humaniste de l’homme tend à l’enfermer dans une seule vision de la réalité.
- Ah ? Pourtant, on peut être humaniste avec des visions différentes de la liberté, et de la ''nature '' de l'homme. Marxisme, existentialisme, christianisme, se réclament de l'humanisme ; ils sont différents … ! ?
- Oui, et - c'est essentiel - ils « tombent pourtant d’accord sur ce point que l’humanitas de l’homo humanus est déterminée à partir d’une interprétation déjà fixe de la nature, de l’histoire, du monde, du fondement du monde, c’est-à-dire de l’étant [ce qui est] dans sa totalité. ».
- Le problème, ce serait cette interprétation fixe ?
- Et son caractère universel.
- Heidegger s'écarte de l'existentialisme selon Sartre, non ?
- Pour Sartre, l'humanisme consiste à affirmer l'individu et à le poser comme fondement de la valeur. Pour Heidegger, l'humanisme est « souci de l’Être ».
- Nous ramenons souvent l'humain à sa pensée, une pensée technique ( penser avant de faire) pour maîtriser le monde. L'homme est ''humanitas'' avant d'être un animal rationnel.
- D'ailleurs Heidegger nous invite à « réapprendre à habiter le monde en poète »
- Je reprends là un petit extrait de son texte : « Ce n’est qu’à partir de la vérité de l’Être que se laisse penser l’essence du sacré. Ce n’est qu’à partir de l’essence du sacré qu’est à penser l’essence de la divinité. Ce n’est que dans la lumière de l’essence de la divinité que peut être pensé et dit ce que doit nommer le mot ''Dieu'' » ( Lettre sur l'humanisme ...)
Cela pourrait signifier que : - Ce n’est plus l’Être qui vient de Dieu, c’est Dieu qui vient de la vérité de l’Être…
- Si je reformule : L'être est ce qui fait advenir autant la divinité que l'humain. Dieu ne peut être sans l'être. Nous ne pouvons savoir ce qu'est Dieu, nous avons seulement accès à l'expérience que nous faisons de ce dieu.
Nous n'irons pas plus loin dans cet échange ; d'autant que chacun reconnaît la complexité de la pensée de Heidegger, et de plus, à partir d'une traduction.
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Lancelot, prévient Pauwels que '' l'ermite de la forêt noire '', redoute en effet la visite de français qui ne cessent de le solliciter. S'il n'est pas en son domicile de Fribourg, il sera dans sa retraite de Todtnau Bord ( la montagne de la mort...?). Son refuge est un petit chalet, avec une pièce dortoir et un bureau. L'occasion sera un article pour la revue Fontaine.
C'est finalement, Alexandre Astruc, qui remplit cette mission.
Heidegger, dans son refuge, est en pleine méditation sur la bombe atomique, qui a « une importance capitale dans le domaine de la métaphysique. Elle marque la fin de l'âge technique. C'est son aboutissement, vous comprenez... Il y a eu Descartes, Leibniz, le machinisme. Mais, ici, la technique se détruit elle-même. » (…) « Ce qui est capital, ce n'est plus la découverte technique elle-même, mais la conscience que l'homme a de pouvoir détruire la création. J'insiste sur ce terme de ''conscience ''. »
Astruc l'interroge sur la liberté et la morale : « Il ne faut pas oublier que la réalité humaine (l'existence) est aussi vérité, c'est-à-dire valeur. Dans la vie banale, nous n'avons pas conscience de cette valeur. C'est le rôle de la métaphysique comme de l'art de la révéler à l'homme. Cette vérité existe indépendamment de l'homme, elle est avant lui. »