pauwels
Planète – L'Intelligence artificielle
C'est avec un esprit de détente, et de curiosité – après la lecture du '' (Le ) matin des magiciens'' de Jacques Bergier et Louis Pauwels ( 1960) – que Lancelot feuillette le nouveau numéro de '' Planète ''. Lancelot a déjà rencontré les deux auteurs, avant qu'ils aient acquis cette nouvelle notoriété. Il a apprécié cette proposition d'incursion à l'intérieur du « réalisme fantastique » ainsi dévoilé, et il ne pouvait pas ne pas la prendre au sérieux. « Rien de ce qui est étrange ne nous est étranger ! » est le point de départ de découvertes à chaque numéro de la revue qui a été créée suite au succès du livre (500.000 ex en 1965).
Edgar Morin parle de « phénomène Planète », qui tire à 100.000 exemplaires dès les premiers numéros.
La revue mélange les genres : sciences, et science-fiction, ésotérisme et religion, sociologie et littérature...
Les auteurs s'expliquent : « On définit généralement le fantastique comme une violation des lois naturelles, comme l’apparition de l’impossible. Pour nous, ce n’est pas cela du tout. Le fantastique est une manifestation des lois naturelles, un effet du contact avec la réalité quand celle-ci est perçue directement et non pas filtrée par le voile du sommeil intellectuel, par les habitudes, les préjugés, les conformismes »
Effectivement, la mécanique quantique, les matériaux semi-conducteurs, la cybernétique offrent dans l'avenir sans aucun doute des perspectives, tout à fait matérielles, que nous avons du mal à imaginer.
Précisément le numéro 35 de Planète propose un article de Jacques Bergier, sur la ''prévision de l'avenir'' qui fait un inventaire de quelques « bureaux d'augure ( prévision) américains et européens. » ; tels que la Rand Corporation et sa ''méthode Delphi'', une approche structurée et itérative utilisée pour recueillir les idées et les opinions d’un groupe d’experts afin de parvenir à un consensus sur un sujet spécifique.
Il cite l'organisme français S.E.D.E.I.S. fondé par Bertrand de Jouvenel, que connaît bien Lancelot, et qui reçoit son bulletin , dans lequel d'ailleurs, il avait lu, pour Jouvenel, la nécessité d’appuyer le discours politique sur les données de la science écologique pour minimiser les conséquences négatives sur la nature des activités humaines. Nous en reparlerons.
Enfin, J. Bergier présente l'Hudson Institute, un organisme de recherche fondé en 1961, par Herman Kahn, physicien, stratège nucléaire et éminent futuriste. A partir de l’analyse des systèmes et d’outils mathématiques ( théorie des jeux) , il a développé la méthode des scénarios. Il est connu pour son analyse des effets possibles d'une guerre nucléaire. Dès 1962, il met au défi les chercheurs de « penser l'impensable ».
On lui doit l'idée de la Machine du Jugement Dernier, qui apparaît dans le film de Stanley Kubrick, “Docteur Folamour”, ( titre original : “Dr. Strangelove or: How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb”), une comédie militaire et satirique sortie en salle en 1964.
J. Bergier annonce que les prochaines industries qui devraient gagner beaucoup d'argent, pourraient concerner : - le Laser, - la Super-conductivité qui permettraient de fabriquer de « très petites machines électriques, la fabrication d'électro-aimants permettant de produire l'énergie atomique légère ; - les Convertisseurs d'énergie qui « permettent de transformer n'importe quelle forme d'énergie en électricité. ». Il prévoit avant 1980, la naissance de l'industrie de l'automobile électrique, de robots domestiques, et de l'électronique de poche ; - la biologie moléculaire appliquée...
Le film suivant de Kubrick, en collaboration avec Arthur C. Clarke, - 2001, l'Odyssée de l'espace (1968) , permet de s'interroger si l’intelligence humaine et l’intelligence informatique fonctionnent de manière similaire.
Dans le film, HAL est le nom du système informatique embarqué du vaisseau spatial habité Discovery One, chargé d'enquêter à l'autre bout du système solaire sur le signal émis par un monolithe basé sur la Lune en direction d'un point proche de la planète Jupiter.
HAL est un système avancé de machine pensante capable de participer avec fluidité à une conversation, via une interface de synthèse vocale optimisée. Il est apte à prendre de manière autonome des décisions et gère tous les systèmes de navigation, de contrôle et de communication du vaisseau. En principe, HAL est capable de diriger seul le vaisseau.
Un dysfonctionnement repéré par Franck et Dave, les décident à déconnecter les fonctions « intellectuelles supérieures » de HAL …
Seulement lorsque Dave demande d’ouvrir les portes de la nacelle, le superordinateur répond étrangement : « Je suis désolé, Dave. J’ai bien peur de ne pas pouvoir le faire... Cette mission est trop importante pour que je vous permette de la mettre en péril. » !
C'est lors de la conférence de Dartmouth, en 1956 que le terme '' intelligence artificielle '' a été proposé par John McCarthy, pour nommer la simulation de l'intelligence humaine.
On pourrait se demander si une Intelligence artificielle conçue pour un objectif précis, ne s'efforcera pas de l'atteindre quels qu'en soient les moyens. Sans éthique, elle pourrait même éliminer les êtres humains qui viendraient l'en empêcher...
L'intelligence humaine est combinée avec la motivation et l'objectif final. Par exemple, il nous semblerait irrationnel de vouloir compter tous les brins d'herbe du monde... Par contre, une machine super-intelligente pourrait avoir à peu près n’importe quel but final ; elle pourrait également agir de manière antithétique à nos propres intérêts.
Autre point, en Intelligence artificielle, nous pouvons concevoir des systèmes modulaires qui se concentrent sur une compétence spécifique. Par exemple, la reconnaissance d'images, ou la traduction automatique. On peut améliorer une compétence sans effet sur l'autre.
Si un humain ne peut généralement exceller dans toutes les compétences ; une Intelligence artificielle en combinant tous les systèmes, le pourrait-il ?
1947 - Louis Pauwels – Les apparitions de Marie.
Lancelot s'est attaché aux déambulations du jeune Pauwels. Brillant, il vient de remporter un beau succès avec son premier roman, pour lequel on le compare déjà à Bernanos ; grâce auquel il a rencontré Mauriac, et avec qui il s'est confié sur son prochain livre ( et obtenu – peut-être – une préface!) : il s'agit d'une ''aventure'' dit-il, ou une méditation sur la Guerre, l'amour et la mort. Expérience pénible, avoue-t-il : « cette aventure, aggravée par l'obligation de l'exprimer, les mots sitôt lancés revenant sur moi pour m'interdire toute dérobade, m'a mis, en son milieu, corps, raison et cœur en grand péril.»
Lancelot et Pauwels, partagent leur goût pour la lecture des romans de Julien Green. Certes, son style académique, et sa réserve fournit un surnaturel trouble, sans férocité... Pourtant, comme le dit Pauwels : « il y a chez Green cette volonté profonde d'échapper à l'apparente réalité de ce monde et d'en dénoncer l'emprise étouffante. de se refuser à la vraisemblance et de n'entreprendre le dialogue avec les êtres et les choses que dans la mesure où Il réussit à provoquer entre eux et lui cette secrète communication d'existence à existence qui, seule, justifie la création romanesque. Il s'agit pour Green, comme pour tout esprit vraiment méditatif, de résister à ce monde qui ne nous offre que des occasions de nous absenter de nous-mêmes, et de nous installer fermement dans notre dedans. Mais ainsi, pour le romancier, grâce à ce refus et à cette ascèse, s'établit peu à peu un chemin du dedans de lui-même vers le dedans des êtres et des choses. Alors, sans cesser d'être vivants et « possibles », ses personnages se meuvent dans un univers chargé de tous les mystères de la condition humaine. On voit que la démarche de Green est proprement mystique. »
Hélas, chacun regrette que sa veine romanesque se soit tarit, semble t-il, avec son dernier roman : ''Si j'étais vous...'' A moins que l'écrivain ait rejoint un certain catholicisme de la désespérance ? Plutôt que ''si j'étais vous'' , ne s'agit-il pas de dire :« si j'étais enfin moi-même ! »
Un jour, la discussion tourne autour des ''apparitions'' de la Vierge. Et au mois d'août 1947, Pauwels s'en va à Moissac, faire le reportage d'une nouvelle affaire :
Les apparitions ont commencé, il y a un an, pour une une enfant de 7 ans, Nadine Combalbert, qui gardait des oies à l'orée de ce bois. Elle revint chez elle, effrayée, et confia à sa mère qu'elle venait de voir la Vierge. '' Le bruit se répand rapidement et, bientôt, d'autres enfants déclarent avoir assisté à l'apparition d'une belle dame, vêtue d'une robe blanche, et ornée d'un diadème éclatant. Le mois suivant, quelques centaines de curieux font pèlerinage au bois d'Espis. Le bruit de ces merveilles ne fit que croître et, aujourd'hui, la célébrité de ce bosquet déborde les frontières.''
Le 12 août 1947, Pauwels est dans le bois d'Espis, à 4 kilomètres de Moissac.
Sa conclusion ? : - Vraiment, je ne sais à quoi m'en tenir. Rome a envoyé des enquêteurs en civil. Un ecclésiastique, qui touche de fort près l'archevêché de Tarbes, m'assure qu'il s'agit d'une psychose collective, bien entretenue par des Industriels du Centre, des royalistes angevins et un Belge très riche. Je sais encore que le prix des terrains voisins du bois a centuplé en six mois et j'apprends (mais ce renseignement est-il exact ?) que l'on a déjà collecté plus de quatre millions pour une future basilique.
En tout cas, on ne peut reprocher aux membres du clergé leur extrême prudence Ici, l'on dit que tant de mauvais vouloir s'explique par la crainte d'une concurrence faite à Lourdes par Espis. La voix des hôteliers de Moissac se joint, bien sûr, à celles des pèlerins.
Le père Douince, directeur de la grande revue jésuite de Paris Les Etudes, songeait, je crois, à faire faire une enquête sur les «Phénomènes d'Espis». Mais cette enquête s'avère maintenant impossible, car toutes les pistes ont été brouillées par les intrigues commerciales et les nombreux mystificateurs. « Au reste, nous sommes débordés », conclut le porte-parole de l'évêque.
Ce qui est intéressant à observer, c'est que nous sommes à un moment d'apogée du culte marial, avec en 1950, l’affirmation par Pape Pie XII de la foi de l'Église en l'Assomption de la Vierge Marie . Certains parlent du retour de la Vierge en France, ainsi en 1938 dans le diocèse de Quimper à Plouvenez-Lochrist, puis à Ortoncourt dans les Vosges en 1940 ou encore à L'Île-Bouchard en Touraine en 1947.
A l’Île Bouchard, en Indre et Loire, le 8 Décembre 1947, trois petites filles ( 12, 10, et 7 ans ) passent prier à l’église pour la fête de l’Immaculée Conception. Elles voient la Sainte Vierge et l’ange Gabriel qui la contemple, un genou à terre. A l’école, leur récit leur attire les moqueries des religieuses et du curé. Elles retournent à l’Eglise où avec une quatrième voyante, elles reçoivent ce message : « Dites aux petits enfants de prier pour la France qui en a grand besoin! »
En cette fin d'année 47, le climat social s'est alourdi, par les grandes grèves, les émeutes devant les boulangeries, la guerre froide. On est au bord de la guerre civile. Le gouvernement Schuman mobilise deux classes d’âges sous les drapeaux pour faire face aux troubles.
En mai 1945, Lancelot apprend que les curés des paroisses catholiques de Berlin ont l’idée de faire porter une statue de la Vierge de pays en pays pour consolider la paix toute récente. Ils pensent à une statue de Notre Dame de Fatima, qui avait dit : « Si l’on écoute mes demandes, la Russie se convertira et l’on aura la paix » (13 juillet 1917). Le projet du jeune père Demoutiez prend corps : le 13 mai 1947, une statue de Notre-Dame de Fatima part de la Cova da Iria ( Fatima) pour aller présider le congrès marial de Maastricht aux Pays-Bas, et commencer un voyage à travers les frontières d’Europe et du monde entier. Elle va voyager 10ans, parcourir le monde ; la France refusera la visite.
1947 - Martin Heidegger
Louis Pauwels (1920-1997), journaliste à Combat, voudrait rencontrer Heidegger. Lecteur au Seuil, il vient de publier un roman, '' Saint Quelqu'un '' qui retient l'attention des critiques. Lancelot a été séduit. Il s'agit , d'un homme ''ordinaire'' qui est amené suite aux circonstances, à '' s'évader '' de sa vie. C'est en effet, l'objet de la recherche de Pauwels. Un soir, il entretenait ses collègues à s'intéresser à Sri Aurobindo, du côté de l'Inde ; il voyait chez ce maître un dépassement de certaines limites dans lesquelles nous serions, nous chrétiens, enfermés. Son héros, a du mal lui-même à se situer « Je ne suis plus, pense t-il, je suis tout ce qui existe, je suis la lumière de ce qui existe. ». Ce détachement de soi, recherché dans le yoga, rejoint ici une extrême insensibilité qu'il va éprouver devant le cadavre de son petit garçon... C'est aller trop loin, pense Lancelot.
Pauwels s'enquiert auprès de Lancelot, de la difficulté à joindre Heidegger. D'autant que le conseil de l’Université de Fribourg a édicté à son encontre une interdiction définitive d’enseigner, en janvier 1946, en raison de son engagement nazi. Pourtant, depuis, que Sartre a fait, dans L'Etre et le Néant, référence au ''maître de Fribourg'', sa notoriété ne fait que grandir en France.
Précisément, en 1947, Martin Heidegger (1889-1976) s'adresse à ses disciples français, dans une '' Lettre sur l'humanisme'', et revient sur sa pensée depuis '' Etre et Temps'' (1927 - Sein und Zeit ). Lancelot et Pauwels se remémorent le concept qu'Heidegger a avancé avec le mot '' Dasein '', il peut se traduire par '' être-là'' '' être-présent'' et renvoie au mode d’existence de l’homme en tant que son être propre lui importe et en tant aussi que la possibilité de sa mort lui est constamment présente.
- En effet, cela va plus loin que le ''cogito'' de Descartes : ce n'est pas seulement le ''je'' qui pense, et qui en déduit qu'il ''est''.
- Comment Heidegger en arrive t-il à critiquer l'humanisme ?
- Aujourd'hui, l'humanisme affirme une volonté, vecteur d'une liberté capable de se façonner elle-même, sans essence qui précéderait son existence, propriétaire de la nature.
Heidegger montre que cette conception humaniste de l’homme tend à l’enfermer dans une seule vision de la réalité.
- Ah ? Pourtant, on peut être humaniste avec des visions différentes de la liberté, et de la ''nature '' de l'homme. Marxisme, existentialisme, christianisme, se réclament de l'humanisme ; ils sont différents … ! ?
- Oui, et - c'est essentiel - ils « tombent pourtant d’accord sur ce point que l’humanitas de l’homo humanus est déterminée à partir d’une interprétation déjà fixe de la nature, de l’histoire, du monde, du fondement du monde, c’est-à-dire de l’étant [ce qui est] dans sa totalité. ».
- Le problème, ce serait cette interprétation fixe ?
- Et son caractère universel.
- Heidegger s'écarte de l'existentialisme selon Sartre, non ?
- Pour Sartre, l'humanisme consiste à affirmer l'individu et à le poser comme fondement de la valeur. Pour Heidegger, l'humanisme est « souci de l’Être ».
- Nous ramenons souvent l'humain à sa pensée, une pensée technique ( penser avant de faire) pour maîtriser le monde. L'homme est ''humanitas'' avant d'être un animal rationnel.
- D'ailleurs Heidegger nous invite à « réapprendre à habiter le monde en poète »
- Je reprends là un petit extrait de son texte : « Ce n’est qu’à partir de la vérité de l’Être que se laisse penser l’essence du sacré. Ce n’est qu’à partir de l’essence du sacré qu’est à penser l’essence de la divinité. Ce n’est que dans la lumière de l’essence de la divinité que peut être pensé et dit ce que doit nommer le mot ''Dieu'' » ( Lettre sur l'humanisme ...)
Cela pourrait signifier que : - Ce n’est plus l’Être qui vient de Dieu, c’est Dieu qui vient de la vérité de l’Être…
- Si je reformule : L'être est ce qui fait advenir autant la divinité que l'humain. Dieu ne peut être sans l'être. Nous ne pouvons savoir ce qu'est Dieu, nous avons seulement accès à l'expérience que nous faisons de ce dieu.
Nous n'irons pas plus loin dans cet échange ; d'autant que chacun reconnaît la complexité de la pensée de Heidegger, et de plus, à partir d'une traduction.
Lancelot, prévient Pauwels que '' l'ermite de la forêt noire '', redoute en effet la visite de français qui ne cessent de le solliciter. S'il n'est pas en son domicile de Fribourg, il sera dans sa retraite de Todtnau Bord ( la montagne de la mort...?). Son refuge est un petit chalet, avec une pièce dortoir et un bureau. L'occasion sera un article pour la revue Fontaine.
C'est finalement, Alexandre Astruc, qui remplit cette mission.
Heidegger, dans son refuge, est en pleine méditation sur la bombe atomique, qui a « une importance capitale dans le domaine de la métaphysique. Elle marque la fin de l'âge technique. C'est son aboutissement, vous comprenez... Il y a eu Descartes, Leibniz, le machinisme. Mais, ici, la technique se détruit elle-même. » (…) « Ce qui est capital, ce n'est plus la découverte technique elle-même, mais la conscience que l'homme a de pouvoir détruire la création. J'insiste sur ce terme de ''conscience ''. »
Astruc l'interroge sur la liberté et la morale : « Il ne faut pas oublier que la réalité humaine (l'existence) est aussi vérité, c'est-à-dire valeur. Dans la vie banale, nous n'avons pas conscience de cette valeur. C'est le rôle de la métaphysique comme de l'art de la révéler à l'homme. Cette vérité existe indépendamment de l'homme, elle est avant lui. »