pretres ouvriers
1965 - Les Nouveaux Prêtres
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Le père Clavel, curé près de Fléchigné, et Lancelot se sont échangés un livre, au thème similaire : Lancelot apporte, Les Saints vont en enfer de Gilbert Cesbron, paru en 1952, contre Les nouveaux prêtres de Michel de Saint-Pierre qui vient de paraître en janvier 1965.
Le livre de Cesbron, était paru la même année, où le livre de Béatrix Beck, Léon Morin, prêtre, avait obtenu le prix Goncourt. L'année précédente était sorti au cinéma : Le Journal d’un curé de campagne ( Bernanos) de Robert Bresson, prix Louis Delluc en 1951.
Aujourd'hui, Les nouveaux prêtres de Michel de Saint-Pierre (1916-1987), paraît en plein Vatican 2. Père Clavel, considère ce livre, comme une œuvre clairvoyante. Il est nécessaire, dit-il, de rappeler que le prêtre a pour objectif de proposer le salut à tous les hommes, non d'en faire des militants.
Le roman s'attache à l'expérience d'un jeune prêtre, nommé troisième vicaire à Villedieu, grande paroisse de la banlieue ouvrière de Paris. Dès son arrivée, il ressent le malaise qui règne entre le curé Florian et ses deux vicaires Barré et Reismann.
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Le père-curé s'est retiré dans la sécurité de sa piété personnelle et secrète, et a laissé à ses deux vicaires – entièrement dévoués - l'évangélisation de cette partie majoritaire ( 65%) de la population, ouvrière, et qui ne représente que 1,5% des ''pratiquants''. Ils sont exemplaires, simples et pauvres, et ont abandonnés la soutane.
Le père Barré est persuadé que l'Eglise doit "faire un bout de chemin'' avec les marxistes. Dans son zèle moderniste, il a vidé l'église de tout ornement. Son sermon iconoclaste lors de funérailles, révèle au grand jour, le mécontentement des paroissiens habituels. Les différents personnages vont s'affronter avec douleur et passion ; alors que l'abbé Paul Delance, par sa seule spiritualité répond, lui, aux attentes religieuses des gens.
A l'opposé, le roman de Cesbron, valorise l'expérience des prêtres-ouvriers. Pierre est un jeune prêtre, ouvrier, en pleine banlieue parisienne, il se met au service des habitants et se lie d'amitié avec un communiste, une prostituée, un opposant espagnol... De très nombreux dialogues entre les personnages, nous font comprendre combien la misère peut leur enlever de dignité, et parfois leur envie de vivre.
- « Oh que je les aime, pense Pierre, que je les aime ! … . »
Son zèle effraie ses supérieurs.
Le livre interroge l'engagement, la foi et la fraternité : il ne s'agit pas tant de religion, de spiritualité, que de compassion, de bienveillance et d'entraide...
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Michel de Saint-Pierre donnent la parole à ceux qui constatent l’échec du témoignage par l’exemple et contestent en outre cette méthode parce qu’elle détourne le prêtre de sa vraie mission de messager.
- « ( …) Vous autres, les jeunes, les nouveaux prêtres, vous avez tendance à vous arrêter là. Vous dites : « Je témoigne par ma vie. Le reste ne le regarde pas ». Mais oui ! Vous dites : « L’important n’est pas que l’on se convertisse. Il faut redonner audience et crédit à l’Église, qui ne doit pas apparaître comme une assemblée de bourgeois ». Témoignons donc en silence. Nous n’avons plus de croisade à prêcher. Allons, Joseph, ne me dis pas le contraire […] Tu sais ce que disait le père Chevrier, fondateur du Prado ? Il disait : « La mission de prêcher est la plus importante de toutes ».
Gilbert Cesbron accusa Saint-Pierre d'être un des « enfants gâtés » de l'Église qui, pour lui, sont déjà sauvés car ils sont comme les ouvriers de la première heure, ou le frère aîné de la parabole de l'enfant prodigue; ils ne se soucient pas, selon Cesbron, des brebis perdues de la classe ouvrière, le vaste troupeau que l'Église se doit de sauver
Pierre-Henri Simon , dans le Monde, regrette que Michel de Saint-Pierre, s'oppose ainsi à « l'effort de l'Eglise conciliaire pour rentrer dans le monde moderne en mettant à jour la formulation de sa doctrine et le style de sa pastorale » (Le Monde, 7 octobre 1964, p. 12).
Le père Clavel répond :- Oui, en effet, les saints pourraient aller en enfer ! Le Vatican avait pris soin dès 1937, de qualifier le communisme d'athéisme « intrinsèquement pervers ».
Hormis les soins d'urgence nécessité, évidemment... Les bénéfices de l'action sociale et les bénéfices des sacrements ne sont pas à confondre. Les uns concernent l'amélioration matérielle des conditions de vie, elle trouve son idéal dans un futur matérialiste, ou du moins politique ; les autres, concernent les besoins de l'âme.
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Lancelot avance un propos du père Chenu en 1965 : « il y a deux espérances, résume t-il, la temporelle et la chrétienne. Non seulement elles ne s'opposent pas, mais elles embrayent l'une sur l'autre ».
Pour ce qui est des écrivains catholiques, le Père Clavel assure à Lancelot, modestement, en être resté, pour ses goûts, aux Pensées de Pascal, à Péguy, surtout à Bernanos ou même Mauriac ...
Lancelot le rejoint facilement sur ces goûts, cependant, il ne peut s'empêcher d'ajouter :
- Savez-vous ce que Mauriac, a écrit de Cesbron ? C'est dans son '' Bloc-Notes '' : « Ce chrétien qui nous raconte une histoire n’escamote pas le mal : ni le mal physique, ni le mal moral, ni la chiennerie du sexe, mais tout ce qu’il regarde lui apparaît dans une lumière qui à moi m’a toujours manqué. Gilbert Cesbron est accordé au monde tel qu’il est. […] Ce « Tout est grâce ! » que j’aurai toute ma vie répété les yeux fermés, il le répète lui aussi, mais les yeux ouverts, sans jamais céder au dégoût, et débordant visiblement d’amour pour les créatures . »
1954 - Les prêtres ouvriers
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Le gouvernement français s'inquiète, de ce que le Vatican considère comme les ''problèmes de l'Eglise de France'' ; en particulier celui des prêtres-ouvriers.
Cette expérience de la ''Mission de France'' afin de rechristianiser les milieux ouvriers et ruraux en France, concerne une centaine de prêtres qui ont laissé la soutane pour le bleu des ouvriers, et se confrontent à ce qu'ils nomment, ''l'exploitation capitaliste''. Le roman de Gilbert Cesbron, Les saints vont en enfer (1952) est un très bon livre qui reconstitue la vie d'un coin de banlieue industrielle, dans lequel un prêtre ouvrier doit trouver sa place.
En 1953 Le nouveau nonce apostolique à Paris, Paolo Marelle, qui succède à Giuseppe Roncalli ( le futur Jean XXIII), reçoit pour mission de mettre un terme à l'expérience des ''prêtres-ouvriers'', pour son imprégnation marxiste.
La Mission de France et son séminaire établi à Limoges, sont également tenus pour suspects.
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Lancelot, étudie les répercussions sur les milieux intellectuels et les politiques, qui s'intéressent à ces questions, alors qu'elle ne pourraient sembler qu'ecclésiastiques. Edmont Michelet ( RPF) s'inquiète des répercussions sur le prestige de la France ; des députés socialistes protestent contre « la convocation, par un nonce, des cardinaux français... ». Des catholiques français dénoncent l'ingérence dans l'Eglise de France : « Il s’agit de savoir si les évêques sont les successeurs des apôtres ou de simples préfets... » ( J. Lacroix, dans Esprit, décembre 1953).
Mauriac s'interroge: « peut-être... Il faudrait que des hommes mariés, s’ils sont ouvriers et saints, puissent être prêtres et distribuer le pardon et le corps du Seigneur à leurs camarades. » ?
Le 8 février 1954, sous la pression de Rome, une « purge » ( mot du père Congar) frappe les dominicains de France, soupçonnés, entre autres choses, d’inciter les prêtres-ouvriers à la résistance. Les trois supérieurs provinciaux sont « invités » à remettre leur charge, les pères Congar, Chenu, Boisselot et Féret écartés.
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Dans le Figaro du 16 février 1954, François Mauriac plaide « pour un nouveau concordat » qui protégerait l’Église de France contre les interventions désastreuses des congrégations romaines. Il plaide pour une reconquête spirituelle dans des milieux où l’Église est discréditée. Il juge que le prêtre de Gilbert Cesbron ( Les Saints vont en enfer) est plus accordé au monde tel qu’il est ; que celui de Bernanos.
« S’il faut choisir entre l’efficacité apostolique et l’intégrité sacerdotale, je choisis l’intégrité sacerdotale. » répond Pie XII
Tout au long de cette crise, Lancelot est chargé d'organiser des rencontres ( secrètes) entre le gouvernement français et le Saint-Siège. Robert Lecourt ( 1908-2004, député MRP), Alfred Michelin et Mgr Jean Villot (1905-1979) sont chargés de négocier, en tenant compte de la question de l'enseignement privé. Georges Bidault souhaiterait même un ''Concordat''.
En décembre 1953, un texte, un memorandum est prêt : il concerne entre autres, la nomination des évêques, l'Ecole avec un régime souple mais complexe, de coopération substitué à la loi Barangé. la représentation du Saint-Siège en France, ..etc.
Le document est remis par notre ambassadeur à Mgr Tardini le 8 janvier 1954.
Le 1er mars 1954, prend fin officiellement, l'expérience des ''prêtres-ouvriers''.
Un problème de santé du pape, la ''rébellion des prêtres-ouvriers'', une campagne de presse ( l' article de François Mauriac), l'arrivée au pouvoir de Mendès France en juin, empêchent la négociation autour d'un ''concordat'' de se poursuivre ; elle devra attendre 1956, pour que le Président du Conseil Robert Lecour et Lancelot organisent des séances de travail, dans lesquelles s'investit Guy Mollet.
En mars 1957, Lecourt et Michelin rencontrent Mgr Tardini, pour qui le texte soulève trop de questions, « trop de principes qui ont valeur générale pour l’ensemble de la catholicité ». Après la chute de Guy Mollet, le 22 mai 1957, les présidents suivants se désintéresseront de la majorité des autres questions religieuses, pour s'attacher à la question scolaire.