1965
Souvenirs d'enfance et d'adolescence
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La fin des années 60, s'est déroulée pour moi, sous la protection du Petit Séminaire de Marseille, qui s'est transformé, après Vatican II, en Centre des vocations ( Centre Le Mistral, rue d'Isoard ). Une équipe de jeunes prêtres, enthousiastes du renouveau de l'Eglise, animait notre collectivité, dans l'esprit d'une véritable famille, disponibles jour et nuit. Je me souviens du supérieur Louis Magnan, et de Bernard Combes, René Giffon, Albert de Méreuil, et bien sûr Bernard Cormier ; et surtout des pères Bob de Veyrac, mon directeur de conscience, qui gérait les ''cadets'', et de Bernard Chabert, avec les ''aînés''. Quelles belles années de travail en équipe, d'école du respect de chacun, du goût des études, de la prise en compte des questions qui animent les adolescents en général, et de celles que se posent de jeunes garçons sur leur vocation... !
Depuis, la visite - dans mon institution catholique et mariste de Saint-Joseph, près de la place de Castellane – d'un père mariste ( Lavisse, je pense...) je m'interrogeais sur mon désir d'être prêtre : je ne me souviens pas bien, pour un garçon de douze ans , ce que cela pouvait signifier. Peut-être s'agissait-il, de souhaiter vivre plus profondément dans un contexte religieux, c'est à dire goûter la vie en Dieu... Après la mort de ma mère, je suis parti visiter, sur proposition du prêtre, à ma demande, avec mon père un juvénat ( petit-séminaire mariste) situé assez loin, et isolé, me semble t-il. Mon père refusa cette décision avant la fin du lycée. Il finit par accepter que j'entre au Petit-Séminaire de Marseille, où je pouvais suivre des études ordinaires... J'y entrais en classe de quatrième, avec la difficulté de n'avoir jamais fait de latin, obligatoire. J'étais pensionnaire. Nous avions chaque jour la messe le matin, et la prière du soir. Après les cours et une récréation, nous entrions en étude avec la possibilité d'aller rencontrer son directeur spirituel, ou d'aller prier à la chapelle.
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J'ai acquis le goût de la lecture, avec la collection ''Signe de Piste'' ( le Prince Eric...) et de nombreux ouvrages spirituels.
A partir de la classe de seconde ; le Petit Séminaire devenait le Centre Mistral ; et nous n'avions plus cours dans nos locaux. Nous devions intégrer un Lycée ( privé ou public), mais restions pensionnaires. Je quittais les ''cadets'', pour devenir ''aîné'', avec en particulier des temps d'étude libres et non surveillés. J'intégrais l'école ''Timon-David'' jusqu'en terminale.
J'ai découvert la littérature : les '' Pensées de Pascal '' était mon livre de référence. J'achetais et lisais de nombreux livres de poche : Mauriac, Green, Cesbron, Hervé Bazin, André Gide et particulièrement Albert Camus ( Le mythe de Sisyphe, Noces...).
J'avais deux existences : l'une au Petit-Séminaire : joyeuse, fraternelle, spirituelle ; et l'autre chez mon père ( absent) et ma ''belle-mère '' tyrannique : douloureuse, haineuse, révoltante. Heureusement, je retrouvais ma sœur et ma voisine dont je pensais être amoureux... Je lisais beaucoup - Balzac par exemple - ou j'écoutais les Beatles avec la fille de nos voisins. Ma délivrance, lors des grandes vacances, était de partir seul, en train, chez mon grand-père...
A Marseille, l'été, je m'ennuyais dans notre pinède, écrasé par le crissement incessant des cigales... Il m'était interdit de rentrer dans la villa, même pour boire. Divers sentiments, brouillaient ma foi, et mes désirs. Celui de découvrir le féminin, sans-doute, mais ceux qui me faisaient véritablement souffrir étaient emplis de révolte et de haine.
Ma mère m'avait manqué. Ma belle-mère me harcelait.
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A présent, j'apprenais la haine. Je rencontrais l'absurde. Heureusement, je lisais ...
Dans cet état d'âme, je ne pouvais plus être prêtre.
La lecture d'Albert Camus m’apaisait ; elle mettait des mots sur une partie de ma souffrance.
Ce que je vivais me semblait dépourvu de sens. '' L'Homme révolté '', son livre paru en 1951 - l'année de ma naissance – appelait à refuser l'injustice, une des raisons de l'absurdité, mais à ressentir aussi la valeur de la vie. Il appelait à la révolte, mais pour changer la vie, et collectivement pour rendre la société plus juste. Il ne s'agissait pas d'une révolution, mais d'une quête de justice et de liberté sans sacrifier les valeurs humaines.
Alors même que je vivais douloureusement, mon adolescence. Lancelot se confrontait ( lui, avec de solides outils) à l'observation d'un univers cosmique, qui comme système fermé, ne pouvait échapper à l'augmentation de l'entropie.
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La philosophie de l’absurde et l’entropie en sciences ne se rejoignent-ils pas, dans leur exploration du désordre, de l’absence de sens et de l’inévitabilité de leurs conditions ?
Je rappelle - nous en avons déjà parlé - que l'entropie exprime le fait que tout type d'ordre, finit par se défaire. L'Entropie mesure le désordre.
L’existence tend à se désintégrer tout comme la chaleur de la tasse de café se dissipe.
L'Univers serait condamné à la “mort thermique”, état où l'entropie aurait atteint son maximum et où toutes les différences de température et les mouvements moléculaires significatifs disparaîtraient.
1965 - Les Nouveaux Prêtres
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Le père Clavel, curé près de Fléchigné, et Lancelot se sont échangés un livre, au thème similaire : Lancelot apporte, Les Saints vont en enfer de Gilbert Cesbron, paru en 1952, contre Les nouveaux prêtres de Michel de Saint-Pierre qui vient de paraître en janvier 1965.
Le livre de Cesbron, était paru la même année, où le livre de Béatrix Beck, Léon Morin, prêtre, avait obtenu le prix Goncourt. L'année précédente était sorti au cinéma : Le Journal d’un curé de campagne ( Bernanos) de Robert Bresson, prix Louis Delluc en 1951.
Aujourd'hui, Les nouveaux prêtres de Michel de Saint-Pierre (1916-1987), paraît en plein Vatican 2. Père Clavel, considère ce livre, comme une œuvre clairvoyante. Il est nécessaire, dit-il, de rappeler que le prêtre a pour objectif de proposer le salut à tous les hommes, non d'en faire des militants.
Le roman s'attache à l'expérience d'un jeune prêtre, nommé troisième vicaire à Villedieu, grande paroisse de la banlieue ouvrière de Paris. Dès son arrivée, il ressent le malaise qui règne entre le curé Florian et ses deux vicaires Barré et Reismann.
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Le père-curé s'est retiré dans la sécurité de sa piété personnelle et secrète, et a laissé à ses deux vicaires – entièrement dévoués - l'évangélisation de cette partie majoritaire ( 65%) de la population, ouvrière, et qui ne représente que 1,5% des ''pratiquants''. Ils sont exemplaires, simples et pauvres, et ont abandonnés la soutane.
Le père Barré est persuadé que l'Eglise doit "faire un bout de chemin'' avec les marxistes. Dans son zèle moderniste, il a vidé l'église de tout ornement. Son sermon iconoclaste lors de funérailles, révèle au grand jour, le mécontentement des paroissiens habituels. Les différents personnages vont s'affronter avec douleur et passion ; alors que l'abbé Paul Delance, par sa seule spiritualité répond, lui, aux attentes religieuses des gens.
A l'opposé, le roman de Cesbron, valorise l'expérience des prêtres-ouvriers. Pierre est un jeune prêtre, ouvrier, en pleine banlieue parisienne, il se met au service des habitants et se lie d'amitié avec un communiste, une prostituée, un opposant espagnol... De très nombreux dialogues entre les personnages, nous font comprendre combien la misère peut leur enlever de dignité, et parfois leur envie de vivre.
- « Oh que je les aime, pense Pierre, que je les aime ! … . »
Son zèle effraie ses supérieurs.
Le livre interroge l'engagement, la foi et la fraternité : il ne s'agit pas tant de religion, de spiritualité, que de compassion, de bienveillance et d'entraide...
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Michel de Saint-Pierre donnent la parole à ceux qui constatent l’échec du témoignage par l’exemple et contestent en outre cette méthode parce qu’elle détourne le prêtre de sa vraie mission de messager.
- « ( …) Vous autres, les jeunes, les nouveaux prêtres, vous avez tendance à vous arrêter là. Vous dites : « Je témoigne par ma vie. Le reste ne le regarde pas ». Mais oui ! Vous dites : « L’important n’est pas que l’on se convertisse. Il faut redonner audience et crédit à l’Église, qui ne doit pas apparaître comme une assemblée de bourgeois ». Témoignons donc en silence. Nous n’avons plus de croisade à prêcher. Allons, Joseph, ne me dis pas le contraire […] Tu sais ce que disait le père Chevrier, fondateur du Prado ? Il disait : « La mission de prêcher est la plus importante de toutes ».
Gilbert Cesbron accusa Saint-Pierre d'être un des « enfants gâtés » de l'Église qui, pour lui, sont déjà sauvés car ils sont comme les ouvriers de la première heure, ou le frère aîné de la parabole de l'enfant prodigue; ils ne se soucient pas, selon Cesbron, des brebis perdues de la classe ouvrière, le vaste troupeau que l'Église se doit de sauver
Pierre-Henri Simon , dans le Monde, regrette que Michel de Saint-Pierre, s'oppose ainsi à « l'effort de l'Eglise conciliaire pour rentrer dans le monde moderne en mettant à jour la formulation de sa doctrine et le style de sa pastorale » (Le Monde, 7 octobre 1964, p. 12).
Le père Clavel répond :- Oui, en effet, les saints pourraient aller en enfer ! Le Vatican avait pris soin dès 1937, de qualifier le communisme d'athéisme « intrinsèquement pervers ».
Hormis les soins d'urgence nécessité, évidemment... Les bénéfices de l'action sociale et les bénéfices des sacrements ne sont pas à confondre. Les uns concernent l'amélioration matérielle des conditions de vie, elle trouve son idéal dans un futur matérialiste, ou du moins politique ; les autres, concernent les besoins de l'âme.
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Lancelot avance un propos du père Chenu en 1965 : « il y a deux espérances, résume t-il, la temporelle et la chrétienne. Non seulement elles ne s'opposent pas, mais elles embrayent l'une sur l'autre ».
Pour ce qui est des écrivains catholiques, le Père Clavel assure à Lancelot, modestement, en être resté, pour ses goûts, aux Pensées de Pascal, à Péguy, surtout à Bernanos ou même Mauriac ...
Lancelot le rejoint facilement sur ces goûts, cependant, il ne peut s'empêcher d'ajouter :
- Savez-vous ce que Mauriac, a écrit de Cesbron ? C'est dans son '' Bloc-Notes '' : « Ce chrétien qui nous raconte une histoire n’escamote pas le mal : ni le mal physique, ni le mal moral, ni la chiennerie du sexe, mais tout ce qu’il regarde lui apparaît dans une lumière qui à moi m’a toujours manqué. Gilbert Cesbron est accordé au monde tel qu’il est. […] Ce « Tout est grâce ! » que j’aurai toute ma vie répété les yeux fermés, il le répète lui aussi, mais les yeux ouverts, sans jamais céder au dégoût, et débordant visiblement d’amour pour les créatures . »