Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Les légendes du Graal

communisme

5 mars 1953 - La mort de Staline

1 Décembre 2023 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1953, #Staline, #Communisme

Staline, depuis 1922, est le chef du Comité central du parti communiste de l'U.R.S.S. ; à ce titre il est à la tête de la classe qui dorénavant conduit l'Histoire ; il voit plus loin que quiconque, il est infaillible.

Staline dans le coma

Mercredi 4 mars 1953 au matin, on apprend que Staline a été victime d'une attaque cérébrale dans la nuit du 2 mars dans son appartement moscovite. Quelques jours avant, il faisait enfermer son médecin personnel dans une prison du KGB ; la paranoïa du ''Petit Père des peuples'' l'avait conduit à voir des complots partout. Il va mourir faute de soins.

Aux côtés de Staline mourant, sa fille Svetlana et son fils Vassili ( éméché), entourés de Lavrenti Beria (54 ans), le redoutable chef de la police, de Viatcheslav Molotov (63 ans) le n°2 du régime, de Gueorgui Malenkov (51 ans), peut-être le dauphin désigné, et de Nikita Khrouchtchev (59 ans) chef du parti de Moscou. Les quatre hommes se distribuent le pouvoir. Enfin, ils assistent au dernier sursaut du dictateur : « une regard de fou, d'un homme en colère.. » précisera sa fille. Il meurt à 21h50, ce 5 mars.

Sa mort suscite des titres, en particulier dans l'Humanité, comme : « Staline, l’homme de la victoire, l’homme de la paix, l’homme du socialisme », « Immense émotion dans toute la France », « Les peuples de toute la planète partagent la douleur du peuple soviétique » ou « Staline notre maître en socialisme ».

 

A la chambre des députés, en France, Édouard Herriot (80 ans) qui préside la séance, demande une une minute de silence, et presque tous les députés se lèvent.

A Rome, on se souvient de la remarque méprisante de Staline : « Le pape, combien de divisions ? » Il se raconte, que Pie XII, aurait dit : « Maintenant il pourra voir combien de divisions nous avons là-haut ! »

Sur terre, là où selon Staline « C'est toujours la mort qui gagne. » ( propos rapporté par De Gaulle) plus précisément en Union Soviétique, Béria prend le pouvoir, seulement pendant trois mois. En effet, il est arrêté le 26 juin, et exécuté le 23 décembre. Entre temps, c'est Nikita Khrouchtchev qui, à partir du 7 septembre 1953, devient le premier secrétaire du Comité central du parti.

 

Que s'est-il passé ? - A Berlin-Est, des émeutes d'ouvriers du bâtiment, du fait de leurs conditions de travail, commencent le 16 juin ; suivent des grèves, et un mouvement qui s'étend à toute la RDA, avec la revendication d'élections libres. La répression soviétique est forte. Ce soulèvement est imputé à Béria qui tentait une timide libéralisation. Khrouchtchev, qui avait été nommé par Staline en Ukraine et participé aux purges de la grande terreur, s'est imposé.

 

A l'occasion de la mort de Staline, faute de diplomates soviétiques auprès du Saint-Siège, seuls ceux qui se rendent à l'ambassade russe d'Italie, peuvent exprimer leurs condoléances. Quelques représentants du Comité Central russe, en mission, peuvent les rencontrer.

Lancelot et Maurice Maillard profitent de cette opportunité, pour les questionner et les écouter parler.

 

Les communistes parlent d'une nouvelle société sans classes. Les hommes se distinguent dans leur fonction, et non par leur classe.

- Le bonheur ? Il est un devoir dans la société communiste !

L'homme et la femme soviétiques se consacrent totalement à l'élaboration du communisme dans notre pays. Il ne se laissent pas motivés par des pulsions brutes de la nature, mais par conscience de soi.

- Staline dictateur ? - Staline s'est toujours préoccupé du bien-être de sa population : le niveau de vie a augmenté, l'enseignement est développe, la médecine est gratuite. Il était le père de la nation en ce qu'il protégeait et assurer le pérennité des valeurs familiales et sociales. Il était autoritaire et juste.

Staline déclarait que les bolcheviks devaient compenser un arriéré de cinquante ou cent ans par rapport aux pays occidentaux ; et ils l'on fait en dix, vingt ans ! Les quotas de production ont pu ainsi être réduits, afin d'améliorer le sort du peuple.

- Les procès, le goulag ? - Les ennemis de classe existent, ils sont dénoncés comme des saboteurs. Ils sont arrêtés et logés dans des camps de rééducation.

Staline était comme un père protecteur, il a conduit l'Union Soviétique et l'Europe vers la victoire. A présent, elle est une nation éprise de paix. Elle reste une nation à l'avant-garde du socialisme mondial. l’URSS est le champion du monde libre, qui défend, dans ce monde bipolaire, le communisme, la véritable démocratie et la liberté des peuples contre l’impérialisme américain.

Maurice pense à la figure de Prométhée, pour décrire l'homme stalinien, mobilisé contre les forces du passé, en révolte contre les dieux.

Prométhée ne serait-il pas l’antichrist ? .Je rappelle que Prométhée, contre les dieux, a remis le feu aux humains. En leur donnant la raison et la technique, il leur donne le pouvoir d'agir et de régner sur la création.

- En effet, ajoute Lancelot, il y a cette phrase bien connue de Marx, « La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l'âme d'un monde sans cœur, de même qu'elle est l'esprit d'une époque sans esprit. C'est l'opium du peuple ». Mais, sur ce thème, Camus renvoie communisme et christianisme dos à dos, relevant l'aspect religieux du stalinisme....

- Le Christ apparaît comme celui qui répare cette transgression prométhéenne, répond Maurice

Lire la suite

Le Vatican et la guerre froide 3

16 Novembre 2023 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Guerre froide, #Aron, #Communisme, #Stay Behind, #1950s, #padre Pio

Le point de vue anti-communiste, est ancré dans le stalinisme, avec le soutien sans faille du PCF, et son secrétaire national Maurice Thorez qui conduit le culte de Staline.

Raymond Aron, 1954

La personnalité qui est la plus consciente des dangers d'une idéologie qui se cache derrière la défense des opprimés est Raymond Aron. Déjà avec avec le nazisme ; il prend conscience que chaque système totalitaire se présente comme une « religion séculière ». Pour ce qui est du communisme, dès avant la guerre, il remarquait qu' « en dépit de Staline, à cause de Hitler, nous inclinions à mettre le communisme du bon côté de la barricade. »

Raymond Aron (1905-1983) , est un philosophe, sociologue, politologue, historien et journaliste français. Le plus célèbre représentant de la pensée libérale en France après 1945

A Londres, Aron a entendu parler les polonais des massacres de Katyn : en 1940, 4000 officiers polonais furent exécutés d'une balle dans la tête, par les agents du NKVD ( police politique soviétique). En 1944, il constate la tentative d’hégémonie soviétique sur une partie de l'Europe. En 1945, il envisage sous le titre « La chance du socialisme », la perspective d’une alliance entre le libéralisme politique et le socialisme démocratique. Il dénonce « par voie d’autorité un socialisme d’État. », et estime qu' « un socialiste partisan de la famille occidentale s’oppose à un communiste dévoué au destin de l’Union soviétique »

En novembre 1946 devant les élèves de l’ENA (  Perspectives sur l’avenir de l’Europe) Aron rejetait une fois de plus le modèle soviétique : « Quoi que l’on pense du communisme, ce n’est pas un rêve, c’est un cauchemar »

Aron s'interroge sur la participation des communistes à un gouvernement pluraliste : peut-on rejeter « ceux qui ne songent qu'à le détruire ? L’anticommunisme finira peut-être, entraîné par sa logique, par détruire la démocratie. La non-résistance au communisme la détruirait plus sûrement encore. »

Comme religion séculière, et parce que « le marxisme est une hérésie chrétienne. », le communisme est « l’incarnation actuelle de l’anticatholicisme », et « se pose en Eglise rivale. »

Eglise persécutée en URSS, 1930

 

Début des années 50, par ses contacts avec Rome, Lancelot comprend que le but des soviétiques serait d'utiliser, en France en particulier, l'institution de l'Eglise pour détruire la foi populaire. Il s'agirait de la stigmatiser comme oppressive, autoritaire, emplie de préjugés et arrogante afin que le clergé n'ait pas d’autre choix que de l'ouvrir au monde et affaiblir l'institution romaine.

Derrière le rideau de fer, le clergé catholique est persécuté, le plus souvent accusé d'espionnage.

Cette prise de contrôle soviétique est à l’œuvre en Pologne. Boleslaw Piasecki , un ex-agent nazi, a lancé le réseau Pax, un service de propagande soviétique, dirigé par un prêtre orthodoxe et colonel du NKVD, Vassili Gorelov qui contrôle l'ensemble des publications religieuses polonaises et diffusent une pensée ''progressiste''... Gorelov aurait mis en place à Lviv en Pologne, une école de formation religieuse pour ''faux prêtres'' ?

L'objectif est aussi d'étendre l'influence de Pax en dehors du monde communiste, en France notamment. L'abbé Jean Boulier, en 1946, avait emmené Emmanuel Mounier en Pologne, en vue d'une collaboration entre Esprit et Pax.

Après la création de l'OTAN ( avril 1949) pour « la sauvegarde de la liberté et de la sécurité de tous ses membres par des moyens politiques et militaires. » par douze pays occidentaux, dont la France. Lancelot apprend la mise en place par les Américains et les Britanniques de réseaux appelés «Stay Behind», destinés à réagir en cas d’invasion soviétique, pour mener la résistance, et dépendant de la CIA, et du MI6. En Italie, un réseau similaire serait sous la supervision du ministre de l'intérieur. Il est censé rester passif et s'activer en cas de danger. Il pourrait agir également en cas de «subversion interne», comme empêcher le Parti communiste italien (PCI) de former un gouvernement.

Lancelot prend ses renseignements auprès des diplomates qui se doivent de répondre aux différentes sollicitions tels que les réceptions, événements ; mais aussi auprès de nos services de renseignements qui traitent avec le Vatican, en particulier dans ce contexte de guerre froide.

Aristocrate, Wladimir d’Ormesson, est au cœur d'une vie mondaine romaine ( ancrée Villa Bonaparte) qui contraste avec la progression du communisme en Italie et à l'étranger ; par exemple, il sert d'intermédiaire entre une certaine ''noblesse pontificale'' et l'Ordre de Malte. L'ambassadeur se définit comme d'Eglise, qui a la confiance des évêques, et se veut le porte-parole de l’Église de France. « Il devient paroissien de Saint-Louis-des-Français, il reçoit à genoux la bénédiction du pape quand il le voit, il choisit un confesseur, communie et se confesse souvent. Il admire aussi la grandeur des rites romains. » ( Thèse de Sophie Gauthier )

padre Pio

Émouvant, ce que l'ambassadeur raconte à Lancelot, à propos de la messe de padre Pio, à laquelle il avait assisté : « Je le dis parce que c’est la vérité, jamais de ma vie je n’ai assisté à une messe aussi bouleversante. Et cependant toute simple. Le Padre Pio n’agissait que selon les rites traditionnels. Mais il récitait les textes liturgiques avec une telle netteté et une telle conviction ; il se dégageait de ses invocations une telle intensité ; ses gestes, si sobres qu’il fussent, étaient d’une telle grandeur que la messe prenait je ne sais quelles proportions et devenait – ce qu’en réalité elle est et ce que précisément nous avons trop oublié qu’elle est – un acte absolument surnaturel. » ( Wladimir d'Ormesson - Le Figaro, 28-29 septembre 1968. )

Mais, d'Ormesson, lui-même se plaint de n'avoir qu'un Mgr Montini, avec de grandes qualités mais sans pouvoir, ou Mgr Tardini proche de l'Opus Dei, comme interlocuteurs. Tardini est un expert en relations internationales. L'ambassadeur joue de passer de l'un à l'autre, pour arriver à ses fins.

Lire la suite

La guerre froide - 1952 - Un espion au Vatican

11 Novembre 2023 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1952, #Vatican, #Tisserant, #Tondi, #Montini, #Communisme

Lancelot découvre le fonctionnement de la Secrétairerie d'État, à la tête de laquelle Pie XII, s’abstient de nommer un responsable autre que lui-même ; avec l'assistance de Mgr Domenico Tardini, qui est à la tête de la première section de la Secrétairerie d'Etat, et avec Mgr Giovanni Battista Montini ( le futur Paul VI) placé à la tête de la seconde section, avec le titre de substitut de la Secrétairerie d'État.

Pour ce qui est de la stratégie internationale, s'expriment et se concurrencent alors au sein de la Curie, une ligne résolument anticommuniste avec des cardinaux très proches du pape et une ligne plus neutraliste (autour de Mgr Montini ).

 

La guerre froide et la politique italienne, se répercutent sur le Vatican. En effet, tandis que la Démocratie Chrétienne ( DC) et le Parti Communiste ( PCI) s'affrontent lors de la campagne pour les élections municipales romaines, le 25 avril 1952, un jésuite de l’Université pontificale grégorienne, Alighiero Tondi, quitte ouvertement la Compagnie de Jésus pour rejoindre le Parti communiste italien, et annonce la révélation de prétendus secrets du Vatican.

Mgr Eugène Tisserant

 

A Rome, le personnage incontournable est le cardinal Tisserant (1884-1972), avec qui Lancelot eut déjà des contacts rapides à propos de l'Allemagne. En effet, il a participé à la réconciliation entre Paris et Bonn après la guerre, et pendant laquelle il aida à cacher au monastère de Maria Laach, Konrad Adenauer, qu'il présente au Général de Gaulle, et soutient pour en faire l'interlocuteur de la reconstruction. En septembre 1949, Adenauer occupe le poste de chancelier de la République fédérale d’Allemagne, nouvellement créée.

Le cardinal Tisserant est un contact privilégié par le gouvernement français, il va tenir un rôle important dans les relations entre l’Église et l’État. Sa priorité est le combat anticommuniste et il compte sur le courant catholique en France pour efficacement le soutenir.

 

Lancelot est mal à l'aise avec cette très forte et rude personnalité, et cela d'autant plus quand il découvre la variété du réseau d'influence mis en jeu.

Parmi les protégés de Tisserant : Claude Arnould - un ancien du 2è bureau, fondateur avec le jésuite Antoine Dieuzayde, du réseau de résistance Jade-Amicol dès 1940, et en liaison avec le MI6 britannique - s'est mis à disposition du Vatican. Ils organisent ensemble un combat contre le communisme. Ils rencontrent des personnalités comme Emile Roche ( pendant les années trente un ancien ''jeune radical '' avec Bertrand de Jouvenel et a créé avec Jean Luchaire le journal ''Notre Temps '' ) ; le secrétaire d'état Raymond Marcellin, qui, sous Vichy fut chargé de « diffuser les idées sociales de la Révolution nationale », puis participera à la résistance dans le réseau ''Alliance''.

Effectivement, nombreux sont ceux qui ont cru pouvoir faire confiance à Pétain, au début...

Mais le réseau s’élargit aussi, à des personnes comme Georges Albertini, collaborationniste, adjoint de Déat, devenu expert dans l'anti-communisme et conseiller de nombreux politiques....

Alighiero Tondi

 

Arnould et Mgr Tisserant sont convaincus qu'un informateur pour le compte des soviétiques est à l’œuvre au Vatican. En effet des prêtres envoyés clandestinement, sont arrêtés dès leur passage derrière le ''rideau de fer'' ( expression de Churchill en 1946). Un agent du contre-espionnage français, Jacques de Pressac, devient le collaborateur du cardinal et enquête sur cette affaire.

Depuis les années 30, le collège ''Russicum'' forme des missionnaires pour l'Union Soviétique. Et, précisément, après un passage par le Russicum , le jésuite Alighiero Tondi avait intégré pendant le second conflit mondial la Secrétairerie d'Etat et était devenu l'adjoint du substitut, Mgr Giovanni Batista Montini ( futur Paul VI) .

Un soir d’avril 1952, de Pressac surprend Tondi en train d’ouvrir la chambre forte de Mgr Montini.

Alighiero Tondi, en 1936, après son diplôme d'architecte était entré, à vingt-huit ans, dans la Compagnie de Jésus, et espionnait pour Moscou, via Palmiro Togliatti le Secrétaire Général du P.C italien. Le père Tondi considère que les riches possédants se servent de l'Eglise pour convaincre les démunis que leur souffrance est la volonté de Dieu. Le communisme permet de leur rendre leur dignité. Tondi reconnaît avoir dérobé des renseignements sur les prêtres préparés à être envoyés dans les pays de l'Est.

Le 25 avril, le jésuite annonce par la presse sa ''conversion'' au communisme, et son départ de l'Eglise. Il épousera la militante communiste Carmen Zanti et se fixera à Berlin-Est pour enseigner à l'université Humboldt.

Arnould après la défection de Tondi, ira jusqu'à mettre en cause Mgr Montini et obtient son départ du Vatican. Il partage à Lancelot son inquiétude du progressisme dans la presse catholique française, et aussi des mouvements d'émancipation en Afrique.

Lancelot, malgré les recommandations de beaucoup, se sent bien plus proche de Mgr Montini, plus discret, pétri de culture française et ami de Jacques Maritain, et qui échange avec beaucoup de tact et de sensibilité. Malheureusement, sa nomination à Milan ( en 1954), semble signifier la victoire des ''zelanti'' ( ''intransigeants'' en français).

 

Après la guerre, le PCF est fort de ses combats dans la résistance, fort d'un espoir pour une sociétaire plus égalitaire.

Avec Maurice Maillard, Lancelot va reconnaître à travers divers points de vue, ce qui est en train de se jouer... par exemple, le jésuite Emile Rideau ( et disciple de Teilhard de Chardin) reconnaît la ''séduction communiste '' (1946) qui s'exerce sur le chrétien, en ce qu'elle contient une promesse de salut et s'inscrit dans le sens de l'Histoire.

Joseph Robert disant la messe sur la table de la salle à manger d’une famille ouvrière avant 1955

Cependant certains, comme le père Gaston Fessard, jésuite, résistant, philosophe politique, craignent que l'avènement d'une société communiste, soit une menace pour le christianisme, et plus généralement une menace totalitaire, comme l'est le fascisme. Le père Fessard, rejette l'adage selon lequel « l’intérêt général prime l’intérêt particulier », cet intérêt général doit aussi demeurer particulier. Il tente une définition du ''bien commun '' : définition économique avec les biens publics mis en commun ; définition sociale : avec l'accès de chacun aux biens communs ; définition éthique avec la nature de la relation entre les individus de la communauté.

« Pour que puisse être comblé ce désir vivant au plus intime de chaque individu et le constituant personne, il faut que la communauté dont il est membre ne soit pas close sur elle-même et que le Bien commun qu’elle vise assure son ouverture sur l’infini vers lequel se tend la personne . » ( G Fessard : Autorité et bien commun - 1944)

A l'opposé, Jean Boulier prêtre jésuite aussi, se fait le compagnon de route des communistes. En 1948, il participe au congrès mondial des intellectuels à Wroclaw ( Pologne), et siège ensuite au conseil national du ''Mouvement de la Paix'' (1951). « Loin d’y voir une trahison, une atténuation, une dilution de ma foi, comme on m’en accuse, c’est de tout l’élan de ma foi, de ma foi catholique intégrale que je m’engage dans cette bataille, dans la lutte des classes, pour l’appeler par son nom, et que j’en souhaite la victoire ». Sanctionné par la hiérarchie, frappé d’interdit personnel en 1950, il est finalement réduit à l’état laïc en 1952.

De jeunes prêtres renouvellent le sens du mot ''mission'' et se tournent vers le monde ouvrier. Le syndicalisme est dominé par le marxisme. Le père Henri Perrin devient ouvrier à Paris. Il quitte la Compagnie de Jésus quand le Saint Office condamne en 1949, toute forme de collaboration entre chrétien et communiste.

Lire la suite

1953 - Le parti communiste et les Rosenberg.

22 Octobre 2023 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1953, #Rosenberg, #Communisme, #bombe atomique

Julius Rosenberg et sa femme, Ethel, mars 1951 - procès

Le 19 juin 1953, un homme et son épouse se sont succédé sur la chaise électrique, dans l'état de New-York, le couple Rosenberg.

Ils avaient été arrêtés au cours de l'été 1950, et jugés coupable le 5 avril 1951. Ils auraient divulgué à l'URSS, les secrets de la bombe atomique.

On n'a pas manqué de s'interroger, quand quatre années seulement après les Etats-Unis, le 29 août 1949,  l'Union soviétique procédait à son tour à l'essai d'une bombe de 22 kilotonnes sur le territoire du Kazakhstan, à la puissance à peu près comparable à celle utilisée par les Américains à Nagasaki en août 1945.

 

Le PC est le fer de lance du combat contre la condamnation du couple Rosenberg.

Pour Geneviève, Julius et Ethel Rosenberg « ont été les victimes innocentes, d'une machination policière montée par le FBI et le gouvernement américain en vue d'intimider le mouvement progressiste. » ( Le Monde, Déc 1952)

 

Un ancien du service des écoutes et du décryptage des SR devenu le SDECE en 45; ne craint pas de dévoiler à Lancelot, que dès 1943, nous savions qu'un programme américain de contre-espionnage visant à décrypter les communications avec les soviétiques, avait pris de l’ampleur avec la guerre froide. Il contribuait à découvrir les espions soviétiques parmi des scientifiques américains.

« Attention, l’Amérique a la rage (…) » Jean-Paul Sartre (« Les animaux malades de la rage », Libération, 22 juin 1953

 

Cependant, Lancelot doute du bien fondé de cette exécution ; cette décision judiciaire n'a t-elle pas été dicté par des considérations politiques ?

On mentionne que les accusés étaient communistes. Pour certains, puisqu'ils sont juifs, le tribunal est soupçonné d'antisémitisme...

Lancelot, comme beaucoup qui pensaient les Rosenberg, coupables ; comptaient sur la grâce du président Eisenhower. Le Monde écrivait le 11 décembre 1952 : « Aucune condamnation à mort n’a jusqu’à présent été prononcée aux États-Unis pour crime d’espionnage, même en temps de guerre. ».

L'ambassadeur américain en France, est incité à soumettre un rapport qui insiste sur le piège d'une manipulation communiste, et la sévérité de la peine serait en défaveur de l'image de l'Amérique.

Par deux fois - fin décembre et le 13 février - Pie XII intervient en faveur des époux Rosenberg.

Albert Béguin, Jean-Marie Domenach, François Mauriac, Jean-Paul Sartre, Raymond Queneau, Gaston Gallimard, Jean Cocteau, Albert Camus, Jacques Prévert, Marguerite Duras, Michel Leiris, Gérard Philippe... s'associent aux communistes, pour demander la grâce.

 

Que fait-on à l'Est ? - Lancelot, rappelle que lors du procès Slansky (Nov 1952), à Prague, onze dirigeants de Tchécoslovaquie ont été exécutés, dont huit étaient juifs.

L’exécution des Rosenberg, permet en outre, d'occulter les événements du 17 juin 1953 à Berlin Est. Au cours desquels, les communistes écrasent une révolte ouvrière, présentée comme l’œuvre de provocateurs fascistes...

 

Lancelot interroge à la revue Esprit, Jean-Marie Domenach, sur ce que lui inspire cette affaire : - Les américains, lui répond-il, comparent les Rosenberg – qui ne pèse pas lourd – à tous ceux qui meurent en Corée. Pour nous européens, avec le risque de guerre, ce couple devient les premiers qui pourraient mourir de la bombe atomique. « Nous nous imaginions que si leur vie était sauvée, celle de millions pourrait être sauvée du même coup. ». Nous voyons, nous, dans l'exécution du couple, « l'image d'une terreur mondiale et y avons opposé une incroyable mobilisation de la pitié. » ( Esprit, juil 53).

 

Aujourd'hui, nous savons que Julius Rosenberg était réellement coupable de trahison. Les plus hautes instances américaines le savaient sans vouloir le révéler ; les preuves de culpabilité, ayant été apporté par la cryptographie entrepris lors du projet Verona ( archives ouvertes en 1995).

Lire la suite

Paul Ricoeur

17 Octobre 2023 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Ricoeur, #Communisme, #idéologie, #1950s

Paul Ricoeur

Paul Ricoeur (1913-2005) a commencé sa collaboration avec la revue Esprit en 1946. Après-guerre il va accompagner tous les engagements de la revue, notamment celui de l'anti-colonialisme.

Lancelot, sans le connaître personnellement, apprécie toutes ses interventions. Pour cela de nombreuses occasions sont produites par les groupes ''Esprit'', lors de congrès, de cessions, ou pour des textes de travail...

Ricoeur, philosophe et enseignant à l'Université de Strasbourg, apporte la rigueur de l'universitaire. C'est un éducateur. Lancelot se souvient de son intervention ''La parole est mon royaume'' reprise dans la revue en 1955. Ricoeur confiait que chaque année, il se donnait l'objectif de lire l’œuvre complète d'un grand philosophe.

Lancelot utilise, les propositions de Ricoeur, pour enrichir ses réflexions et ses discussions avec le père Maillard, en particulier:

Paul Ricoeur va s'élever contre cette ''facilité'' que nous avons de décider qu'il existe, d’un côté, le « monde libre » et, d’un autre côté, le « monde totalitaire » ; et que nous n'avons d'autre choix, que de décider de quel côté nous sommes...

Il s'inscrit dans cette recherche ''personnaliste'' d'une troisième voie, et nous interroge : ne pourrait-on pas conserver, « du libéralisme politique, le respect de l’autonomie de la personne humaine, et du communisme, l’idéal d’une communauté égale et fraternelle. » ?

- Sauf que la société soviétique, n'est pas une communauté égale et fraternelle !

- Je suis d'accord ; et de même : « Comment nos plus justes plaidoyers pour les plus légitimes libertés seraient-ils entendus quand nous appelons “homme libre” le pauvre planteur du Guatemala ou le chômeur des bidonvilles nord-africains ? ».

 

Acceptons, avec le marxisme, de nous situer au niveau idéologique ; avant de revenir à la pratique quotidienne, et donc aux faits..

- Ne peut-on pas échapper au pouvoir de l'idéologie... ?

- Pour un communiste, tout développement intellectuel est idéologique... A contrario, penses-tu que l'idéologie pourrait n'être que systématiquement mauvaise... ?

Pourrait-on se passer de théories pour penser le monde et agir sur lui ? L'idéologie – à la différence de la religion, peut-être – propose un destin collectif, et non un salut individuel.

Les vacances de Monsieur Hulot - Jacques Tati - 1953

Chacun a son analyse du bon fonctionnement d'une société.

Nous ne partons pas de rien, nous participons déjà à une certaine vie sociale. Si on étudie les faits socioculturels, Claude Levi-Strauss, affirme mettre en évidence une ''structure symbolique '', qui permet de comprendre “l’esprit humain”, car elle est le produit d’une “fonction symbolique”, commune à tous les hommes.

Cette '' fonction symbolique '' est tout simplement la capacité d’avoir des représentations mentales. Elle permet à tout individu d’habiter pleinement son humanité en transcendant la matérialité de son existence et en s’affranchissant du déterminisme de l’instinct. L'intérêt de mettre en valeur cette fonction permet de comprendre comment nous mettons du sens sur le monde, comment nous le vivons et comment nous communiquons à son sujet...

 

Paul Ricoeur reprend le concept de fonction symbolique comme une fonction de l’imagination qui permet de donner un sens à l’expérience humaine.

L'idéologie, nous dit-il, est cet ensemble cohérent « de médiations symboliques (mythes, légendes, récits historiques, valeurs structurantes…) par lesquelles se structure la réalité sociale et politique. »

« Si l’on n’accorde pas que la vie sociale a une structure symbolique, il n’y a aucun moyen de comprendre comment nous vivons, faisons des choses et projetons ces activités dans des idées, pas le moyen de comprendre comment la réalité peut devenir une idée ou comment la vie réelle peut produire des illusions ; elles ne seront toutes que des événements mystiques et incompréhensibles. » ( P. Ricœur, L’idéologie et l’utopie )

 

Le marxisme se méfie d'une idéologie qui serait une forme de ''fausse conscience'' qui cacherait la réalité, comme par exemple la domination de classe, l'exploitation sous l'apparence des institutions.

Le marxisme prétend accéder à une réalité cachée derrière les apparences. Cette réalité est considérée comme la véritable nature des choses et est souvent appelée la '' réalité à nu ''.

Un exemple de la «réalité à nu» pourrait être la relation entre les travailleurs et les propriétaires des moyens de production. Selon le marxisme, cette relation est cachée par les phénomènes qui sont visibles à la surface de la société, tels que les relations salariales et les contrats de travail. La «réalité à nu» est que les travailleurs sont exploités par les propriétaires des moyens de production qui tirent profit du travail des travailleurs.

 

Pourtant, Ricoeur, critique cette prétention à « accéder à une '' réalité à nu '', à une pure praxis désymbolisée.. » et le concept de ''fausse conscience'' du marxisme. Il affirme que la conscience n’est jamais complètement fausse ou vraie. Selon Ricoeur, la conscience est toujours en mouvement et est influencée par des facteurs tels que l’expérience personnelle et les relations sociales.

 

Toutefois, il est vrai que l'idéologie est souvent présentée de manière négative, parce qu'opposée au réel. L'idéologie peut amener à distordre le réel.

 

Marxiste ou libéral, nous devrions parler d'un système, qui aurait fait la preuve de la démocratie, et de la justice... Mais, entre communisme et capitalisme, existe-t-il ?

Ricoeur imagine un régime basé sur « les principes du libéralisme politique au cœur même de l’État planificateur »

 

Le piège du marxisme, et de sa notion de classes sociales, et de classe dominante, c'est de rester fasciné par le problème de la ''domination''.

Et en premier lieu, se demande Lancelot, peut-être celle de la domination de l'homme sur la nature...

Un deuxième piège est celui de s'ériger en science... Nous avons vu précédemment le problème que pose la ''science prolétarienne''. !

Lire la suite

Une science prolétarienne

7 Octobre 2023 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Science, #science prolétarienne, #Joliot-Curie, #Communisme

Eugénie Cotton et M-C. Vaillant-Couturier

Geneviève par l'intermédiaire de son intérêt pour les sciences, se rapproche d'Eugénie Cotton, la présidente d’honneur de l'UFF qui vient de recevoir le prix Staline pour la Paix. Eugénie Cotton (1881-1967) est une scientifique française, physicienne et directrice de l’École normale supérieure de jeunes filles

Elle a publié plusieurs articles et contribué à la compréhension du paramagnétisme et à son application à la chimie analytique.

Geneviève est très fière de fréquenter quelques férus de science matérialiste ; certains lui auraient ''ouvert les yeux'', notamment, sur la Relativité et Einstein que personne n'ose critiquer.

Ainsi, Geneviève soutient à Lancelot que la Relativité avait été abordé avant Einstein, que c’est Lorentz qui l’a créée, et Poincaré qui l’a complétée et généralisée. Lancelot veut bien l'envisager ainsi, pour un début de réflexion ; mais - répond Lancelot - c'est quand même Einstein qui a éliminé l'hypothèse de l'éther, et affirmé que la vitesse de la lumière était constante, indépendamment de la vitesse de la source ou de l'observateur ! Et, surtout : c'est Einstein qui a généralisé sa théorie pour inclure une nouvelle proposition d'explication de la gravitation...

Geneviève répond que les deux hypothèses de la constance de la vitesse de la lumière, et aussi de l’équivalence entre la masse et l’énergie, sont arbitraires et sans fondement. Elles conduisent à des résultats absurdes et incompatibles avec les faits observés.

Lancelot s'étonne de ce genre de propos ; mais Geneviève insiste et prétend qu'Einstein n'a fait qu'obscurcir et déformer, ce que l'on avait découvert avant lui.

- L'Amérique veut nous faire croire qu'il s'agit là d'une révolution scientifique, « alors qu’il ne s’agit que d’une régression idéologique. Einstein a servi les intérêts de la bourgeoisie capitaliste, qui cherchait à discréditer la science classique et à imposer sa vision du monde. » 

Frederic Joliot-Curie

 

C'est ainsi, que la notion de ''science prolétarienne'' vient s'affronter à ce qu'elle nomme la ''science bourgeoise''

Étonnamment, Frédéric Joliot-Curie, lui-même, défend le concept dans la revue “Les Lettres françaises” en 1948.

  • « La science prolétarienne est une science qui se développe dans les pays socialistes, sous la direction du Parti communiste. Elle est fondée sur le matérialisme dialectique et historique, qui est la philosophie du marxisme-léninisme. Elle vise à découvrir les lois de la nature et à les utiliser pour transformer le monde en fonction des besoins du peuple et du progrès social. »

  • « La science prolétarienne est une science qui se distingue de la science bourgeoise par son contenu, sa méthode et son but. La science bourgeoise est une science qui reflète les intérêts de la classe dominante, qui s’appuie sur des dogmes et des préjugés, qui s’isole de la réalité concrète et qui sert à justifier l’exploitation et la guerre. La science prolétarienne est une science qui reflète les intérêts de la classe ouvrière, qui s’appuie sur l’expérience et la pratique, qui s’intègre à la réalité concrète et qui sert à libérer l’humanité de l’oppression et de la misère. »

  • « La science prolétarienne est une science qui se manifeste par des résultats concrets et révolutionnaires dans tous les domaines. Elle a permis à l’URSS de réaliser des exploits sans précédent dans l’industrie, l’agriculture, la médecine, la culture, la défense nationale et la conquête spatiale. Elle a permis aux pays socialistes de se développer rapidement et harmonieusement, en assurant le bien-être matériel et moral du peuple. Elle a permis aux pays coloniaux et semi-coloniaux de se libérer du joug impérialiste et de s’engager sur la voie du socialisme. »

 

Lancelot s’interroge : comment une vision politique peut-elle influer sur la science et ses découvertes, ou inversement ?

-La science communiste, qui s'affirme progressiste et matérialiste, s'enracine dans les enseignements de Mitchourine, qui soutenait lui-même : « C'est uniquement sur la base de la doctrine de Marx, d'Engels, de Lénine et de Staline qu'on peut réorganiser entièrement la science. »

La science bourgeoise, idéaliste et mystique, fondée par des biologistes réactionnaires , défendrait donc la « théorie de la mutation », et serait l’ennemie de toute la pensée rationnelle.

Lyssenko et Staline

 

Geneviève prend un exemple : la génétique. La science soviétique a bâti ses succès sur la théorie de Ivan Mitchourine, selon laquelle l’environnement peut modifier l’hérédité des organismes vivants. Aujourd'hui Trofim Lyssenko (1898-1976) enseigne, sur cette base l'idée selon laquelle les caractéristiques acquises par les plantes et les animaux peuvent être transmises à leur descendance.

La science bourgeoise, ne reconnaît toujours pas - appuyée sur Mendel, un religieux autrichien, et Morgan, un scientifique américain, opposée en cela aux '' lois de la dialectique '' - l'influence fondamentale du milieu extérieur... !

* Je note que Gregor Mendel (1822-1884), moine tchèque, découvre les prémices de la génétique et propose le concept de gène. Ces notions vont être reprises au début du XXe siècle, et Thomas Morgan (1866-1945), généticien américain, montre que les gènes sont localisés sur les chromosomes, structures présentes dans le noyau des cellules, mais dont on ne connaît pas encore nature chimique.

 

Lancelot ne connaît pas assez le sujet ; cependant, il s'est renseigné et fait part du scepticisme de la plupart des scientifiques et dénoncent même l'erreur de propositions comme, celle de dire qu'une espèce pouvait être transformée en une autre (par exemple, l’orge en seigle) ; et que l’obtention de caractères voulus pour un organisme provenait non pas de la sélection naturelle (une imposture bourgeoise), mais de la coopération entre individus. A croire que les plantes, pouvaient subir une '' rééducation socialiste '' et devaient être plantées en groupes pour que les éléments faibles puissent se sacrifier pour les forts... !

Bien-sûr, il n'est pas absurde de penser que l'environnement influence les informations héréditaires des organismes... Que la génétique n'est pas aussi déterministe qu'elle semble l'être...

 

En 1950, le manifeste du PCF affirme donc qu’il y a maintenant une science bourgeoise et une science prolétarienne, et que la science « est aussi affaire de lutte de classes, affaire du parti ».

Geneviève insiste encore et valorise la cohérence d'un intellectuel, un scientifique qui adhère au communisme et le fait, par la même rationalité qui le conduit dans ses recherches.

Lire la suite

1952 - Les Communistes et la Paix

2 Octobre 2023 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1952, #Communisme, #Esprit, #Europe

Dans un premier temps, parrainé par Robert Schuman très lié à l'Eglise, Lancelot travaille au Ministère des Affaires étrangères, en relation avec le Vatican, et au plus près du cabinet du ministre pour l'informer.

Robert Schuman ( 1886-1963) ministre pendant la Quatrième République, notamment aux Affaires étrangères, puis président du Conseil des ministres à deux reprises

Il est considéré comme l'un des pères fondateurs de la construction européenne.

Schuman est ministre des Affaires étrangères de 1948 à 1952; et doit son départ à la question coloniale alors qu'il est soupçonné de céder sur le démembrement de l'Empire ( nos colonies), au profit de la construction européenne.

 

Maurice Maillard est un prêtre jésuite qui a été autorisé par le provincial d'accompagner Lancelot dans sa mission ''politique''. De plus, le prêtre donne régulièrement des cours sur les rapports entre l'Eglise et l'Etat en France, aux étudiants de l' Académie pontificale ecclésiastique, institution fondée par Clément XI en 1701 ayant pour but de former le corps diplomatique du Saint-Siège.

Le père Maillard permit à Lancelot de s'initier au fonctionnement du Vatican, et très vite une véritable amitié va naître entre les deux hommes, fruit sans doute des longs voyages qu'ils firent ensemble sur le ''Rome-express'', qui leur permettait de partir de Paris en soirée et d'arriver avant la fin de matinée à Rome.

Lancelot, en particulier, va pour la première fois peut-être, interroger son questionnement sur une tradition religieuse qui l'habite, et à laquelle il tient ; mais finalement envers laquelle il n'est pas engagé; c'est ce que lui fait remarquer Maurice, plus âgé de quelques années.

La pratique religieuse de Lancelot, est étroitement liée aux événements qui l'obligent d'être présent dans une église. La raison de sa présence à ces cérémonies, relève plus de l'aspect social traditionnel, que de la spiritualité. Elle émerge cependant lors d'une plage silencieuse ou musicale, et au cours de ces instants où les yeux parcourent la beauté des lieux, environnée d'encens et d'une vague psalmodie latine, et rappelle un mystère qui dépasse de beaucoup la raison de sa présence.

Finalement, quelle différence entre une tenue en Loge, et une messe ; sinon que la première, en plus petit comité, satisfait mieux la raison et la fraternité; et que l'autre, marque culturelle et religieuse d'un territoire, satisfait l'entre-soi ?

Maurice, comme ancien ordonné accompagne de jeunes jésuites dans leur vocation. Il partage régulièrement avec Lancelot, les nouvelles problématiques que ces jeunes prêtres doivent parcourir.

En particulier, l'un d'entre eux, je l’appellerai Edmond, se rebelle et se déclare solidaire d'un ami prêtre-ouvrier à qui la hiérarchie demande de quitter son travail. Maurice note de plus en plus de conflits entre la conscience et l'institution ; les jeunes prêtres interrogent la réception dans l’Église de tout '' tout ce qui se fait d’important, le développement des sciences, de la critique historique, de la philosophie, de l'économie...''

 

Lancelot retrouve Geneviève, de plus en plus affiliée au Communisme. Cette situation - d'abord une originalité de leur couple - devient de plus en plus difficile.

 

Il ne s'agit plus seulement d'un engagement intellectuel ; Geneviève consent à la discipline rigoureuse du parti. En plus de participer aux réunions de cellule, distribuer la presse du parti, elle accepte des taches administratives quotidiennes au sein de l'Union des femmes françaises ( UFF), tout en y faisant des dons financiers réguliers.

Lancelot devient moins tolérant à ce qui lui semble n'être qu'une intolérable pression idéologique ; comme, soutenir sans condition l’Union soviétique et ses alliés, dénoncer les ennemis du communisme...etc. Il lui rappelle comment Edgar Morin , il y a moins d'une année, a été exclu du parti.

 

De plus, mais Lancelot ne le saura que plus tard ; ses amis communistes incitent Geneviève à se séparer de lui, qui la maintiendrait dans une culture bourgeoise et toxique.

Pour Lancelot, son épouse s'efforce de refouler sa culpabilité de son attitude pendant la guerre, jusqu'à désirer oublier l'existence de sa fille ; même si avec mauvaise foi, elle reproche à Lancelot et sa mère de la lui retirer, et alors qu'elle répète à chacun, qu'il est bien mieux pour Elaine de vivre à Fléchigné.

Depuis peu de temps, un homme Jean F. qui se présente comme cheminot, et aujourd'hui l'un des 3000 permanents du PC, futur député, accompagne et va jusqu'à venir chercher Geneviève dans leur appartement. Jean, manifestement, s'emploie à provoquer Lancelot, sur ses liens professionnels avec le Vatican, ses idées, et même ses goûts, comme si son seul intérêt était la dispute...

- Staline construit aujourd'hui une société qui donne du sens. C'est du concret, pas de la théologie ; dit-il. Et si le bonheur, pour tous et pas seulement pour les bourgeois, n'était pas au ciel, mais dans ce bas monde ?

Le procès-de-Prague 1952

 

Seulement, nous sommes en décembre 1952. Un ''procès'' vient d'écarter du bureau politique du PC, des personnalités comme André Marty, et Charles Tillon que Lancelot a côtoyé un peu au ministère des armées, sont accusés de déviationnisme, de fractionnisme et de manque de discipline. Cela renvoie aux nombreux procès en Union Soviétique, et actuellement au procès Slánský à Prague.

- Jean le reconnaît : cette décision envers Marty et Tillon, est aussi ''la manifestation de l’unité et de la fidélité au marxisme-léninisme et à l’Union soviétique.''

La presse française du Figaro, à La Croix et Combat, dénoncent le caractère arbitraire et antidémocratique de cette exclusion et la soumission du parti communiste à Moscou.

Pour ce qui est du procès Slánský, la presse française souligne l’antisémitisme du procès, qui frappe surtout des militants juifs ; et pour la plupart d’anciens résistants et antifascistes. Ils seraient accusés de crimes imaginaires et de complots invraisemblables.

- Pourtant, réplique Jean, un article de Sartre, intitulé « Les communistes et la paix », publié dans Les Temps modernes ( décembre 1952), défend la position du PCF sur la question de la guerre et de la paix, en s’opposant à la politique américaine et à la menace nucléaire. Il y critique aussi les intellectuels qui se réclament du socialisme mais qui refusent de soutenir le PCF. Sartre considère qu'il est le seul parti capable de représenter les intérêts des travailleurs et des opprimés. Il y affirme que le communisme est la seule voie pour réaliser une société sans classes et sans exploitation.

 

Geneviève est très impliquée par l'entremise de Dominique Desanti, à l'UFF. Autour de la revue ''Femmes françaises'', l'association féministe revendique 500.000 adhérentes. Il s'agit d'organiser des manifestations, des pétitions, des conférences, des cours du soir, des colonies de vacances et des activités culturelles et sportives pour les femmes.

La revue Esprit, tient à se mobiliser en faveur de la Paix, mais exprime des réserves de s'associer avec les communistes. Domenach l'avait déjà exprimé lors du congrès de la Paix, salle Pleyel en avril 1949, refusant de s'y associer. Si le socialisme démocratique pourrait constituer une garantie de paix, ils rejettent que ce puisse l'être avec un ''socialisme d’État'' tel qu’il est pratiqué en URSS.

Jean-Marie Domenach fait l'éloge de la Yougoslavie et s'élève contre l'idée que le régime de l’Union soviétique aime la paix.

Lancelot participe aux réunions des groupes ''Esprit '', et suit leur actualité grâce au ''Journal Intérieur'' qui est l'organe de communication du mouvement relancé en 1947, et animé par Paul Fraisse. Pour ce qui est de la revue Esprit , elle se veut une revue-carrefour, une revue de rencontres, une revue qui intègre d’autres courants de pensées que le seul courant de pensées de ses fondateurs. Chaque année un congrès se réunit en banlieue parisienne. Les groupes de Lyon ( Jean Lacroix), Grenoble ( Henri Bartoli), Strasbourg, Rennes...etc sont très actifs. On peut ainsi échanger avec Paul Ricoeur, Jean Lacroix, Jean-Marie Aubert, Georges Izard, André Déléage ou encore Louis-Émile Galey.

D'actualité, toujours de nombreux débats sur la Laïcité ; en effet la société catholique considère encore la laïcité comme un pis-aller. Pis-aller, ce qui signifierait que l'idéal de l'Etat terrestre serait l'Etat chrétien. L'état laïc, est une situation de fait, il garantit la liberté religieuse, mais reste en dessous de l'idéal chrétien....

Esprit prend part également à la réflexion sur les questions sociales comme l'humanisme au travail à laquelle prennent part des théologiens comme le dominicain Chenu, et le jésuite Calvez.

Carte satirique de l'Europe en 1952 - David Low

Ce qui intéresse Lancelot de Sallembier, ce sont les différentes visions de l'Europe qui s'affrontent, au sein même des participants aux débats conduits par ''Esprit''. La plupart s'opposent au fédéralisme, alors qu'un Marc Alexandre va le défendre.

Depuis la fin de la guerre, l'Europe suscite la méfiance du totalitarisme. N'est-ce pas tout simplement un mythe réactionnaire ? Les États-Unis, qui tiennent à l'idée, ne veulent-ils pas constituer un bastion stratégique dirigé contre l’URSS ?

Lancelot soutient le plan Schuman, d'une Europe construite autour d'une France neutre, avec pour objectif de constituer une troisième force mondiale. Elle pourrait commencer rapidement avec l'Allemagne et l'Italie ; et concurrencer les États-Unis et l’URSS.

Lire la suite

1947 - Un monde bipolaire.

3 Avril 2023 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1947, #De Gaulle, #Marshall, #Communisme

1947 : Une année en France, dont on se souviendra : c'est l'année de la mise en place de la IVe République, qui doit immédiatement faire face à la menace du Parti communiste ( « ils ne sont pas à gauche, ils sont à l'Est. » comme dira V. Auriol ) et à celle du Général de Gaulle, tous deux s'estimant incarner le recours à la politique du passé.

L'hiver toujours froid oblige à gérer avec soin son attribution de charbon. Les repas chez soi, ou au restaurant, sont qualifiés de jours ''avec'' ou jour ''sans'' (viande) ; d'ailleurs les boucheries ou les boulangeries n'ouvrent que deux ou trois jours par semaine.

Le ministère de la Défense où travaille Lancelot, vit difficilement l'entrisme des communistes au sein de sa direction. En septembre 45, Charles Tillon, nommé ministre de l’Air, met ses services civils sous la tutelle du PC, son départ en fin novembre soulage le commandement militaire.

Le 16 janvier 1947, c'est l'élection de Vincent Auriol à Versailles, comme président. Il rejoint l'Elysée, ''vide'' depuis 7 années. Le gouvernement est socialiste, gouverné par Paul Ramadier.

Le communiste Pierre Billoux devient ministre de la défense, et va proposer un projet d'une « nation en armes ».

De Gaulle à Strasbourg 1947

Ainsi, s'installe un tripartisme : PCF, Socialistes, MRP. Le général de Gaulle propose le 7 avril 1947, devant une foule immense : un Rassemblement du peuple français (RPF) qui se veut '' au dessus des partis '' ou du moins au dessus des clivages politiques. Beaucoup s'interrogent : un militaire, qui se pose au-dessus des partis, ne deviendra t-il pas, un autocrate ?

Les ministres socialistes et démocrates-chrétiens se désolidarisent des ministres communistes, alors que les mouvements sociaux se multiplient, que la guerre continue en Indochine et à Madagascar ; et qu'enfin Ramadier, les congédie du gouvernement ( 5 mai 1947 ).

La situation internationale se tend, entre le plan américain Marshall de reconstruction économique et le rapport soviétique Jdanov qui fixe à tous les partis communistes une nouvelle ligne anti-impérialiste.

La pénurie en Europe inquiète les américains. Un risque de faillite peut amener des révolutions. Il s'agit de freiner l’expansion soviétique et d'ouvrir de nouveaux marchés à l'économie américaine.

Les USA proposent leur aide à tous : il s'agit d'aider ''les amis'' de l'Amérique, sans être accusé de couper le monde en deux. Staline refuse, et exerce des pressions contre les pays qu'elle occupe et qui montrent leur intérêt.

Le Plan Marshall a, de fait, l'objectif d'aider les pays à se réformer, s'enrichir, et à résister au communisme; ses adversaires y voient une colonisation américaine ; et ses partisans un des bastion du monde libre. C'est le début de la guerre froide, et peut-être de la reconstruction européenne...

 

Déjà, le 5 mars 1946 au Westminster College, de Fulton (Missouri), en présence du président Truman, Winston Churchill prévenait dans un discours :« De Stettin dans la Baltique jusqu'à Trieste dans l'Adriatique, un rideau de fer est descendu à travers le continent. » . C'était la première fois que l'on employait l'expression de ''rideau de fer ''.

 

De début avril à la fin octobre 47, chaleur et sécheresse obligent la population à subir des restrictions d’eau ; et en même temps, la ration quotidienne de pain est ramenée, au 1er mai, de 300 à 250 grammes, en cause une récolte peu satisfaisante due aux gelées.

Au ministère, ce 1er juillet 1947, la parole se lâche avec l'annonce dans les journaux de la découverte dans la cheminée du château de Lamballe, d'un « plan bleu », un projet d'attaque armée contre les institutions actuelles. Nous avions connaissance, depuis l'année dernière, sans l'évoquer librement, de l'existence d'un ''maquis noir'' qui groupait des ''vichyssois'', des collaborateurs, des résistants d'extrême droite. M. de Vulpian ( château de Lamballe), le général Guillaudot, le commandant Loustaneau-Lacau et Max Jacquot, ont été arrêtés. On parle aussi de maquis rouge , avec des communistes, et de maquis blanc, avec des gaullistes, des catholiques.

Le ministre de l'Intérieur Edouard Depreux a tenu à dévoiler à la presse cette opération, et rallier autour du gouvernement toutes les forces démocratiques, au moment du départ des députés communistes.

 

A l'automne, aux élections municipales, le RPF obtient déjà 36% des voix, et s'empare des grandes villes de France.

En France, à présent le RPF mène l'opposition, et les communistes animent les grèves, aux côtés de la CGT. Une partie non-communiste du syndicat, va faire scission et former la CGT-FO.

Le gouvernement Ramadier quitte le pouvoir en novembre 47, pour être remplacé par un gouvernement MRP ( démocrate chrétien ), mené par Robert Schuman.

Lire la suite

1946 - L'existentialisme – Baden – D. Desanti.

19 Mars 2023 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Camus, #Communisme, #1946, #Desanti

Lancelot et Geneviève trouvaient un intérêt commun à la philosophie abordée par Jean-Paul Sartre ; même si une personnalité comme Camus semblait mieux convenir à Lancelot, alors que Geneviève reprenait volontiers quelques critiques communistes à propos de Sartre. Bien-sûr Lancelot conteste que l'absurde puisse faire partie de la condition humaine ; mais le doute - partie prenante de la foi – ne cesse de le renvoyer à cette tentation ; dans cette hypothèse les questions posées par Sartre, nous permettent de rester lucide. Pour Camus, c'est « la révolte qui joue le même rôle que le ''cogito'' dans l'ordre de la pensée. ». Camus propose la figure du révolté de Dostoïevski qui voudrait s'émanciper de toute divinité ; Nietzsche annonce lui, la conscience du nihilisme ; et pour Camus, la conjonction de Nietzsche et de Marx donne en Russie, le totalitarisme !

Albert Camus 1946 au journal Combat

Geneviève demande à Lancelot ce qu'il en est, pour Camus, du Parti communiste ?

- Selon Camus, et je partage son opinion, Staline - le révolutionnaire - n'est plus '' l'homme révolté '' ( si, il l'a été...), il est devenu « le policier, le fonctionnaire qui se tourne contre la révolte. (…) tout révolutionnaire finit en oppresseur ou en hérétique. » ( Camus).

 

Aux élections du 21 octobre 1945 le Parti Communiste est la première force politique et obtient 26,2 % des suffrages exprimés (contre 14,76 % en 1936), il dépasse la SFIO. Son image repose sur celle d'être le « parti des 75 000 fusillés ».

Le PCF bénéficie, de ses forts liens avec les autres partis qui, en Italie, en Yougoslavie et en Grèce, ont contribué à la défaite du nazisme et surtout, du rôle joué par l’URSS et l’Armée rouge avec le fort impact de la bataille de Stalingrad.

 

Geneviève reprend la crainte communiste que l'existentialisme ne soit qu'une manifestation d'un idéalisme bourgeois; en effet, ne s'inscrit-il pas dans une ligne métaphysique ; et les questions posées ne sont-elles pas qu'individuelles, abstraites et théoriques ?

Lancelot ne comprend pas cette réserve ''idéologique'':

- Nous ne cessons de vouloir nous baser sur la vérité ! Ce que les communistes refusent, c'est que l'homme est d'abord, un homme libre. « Nous voulons la liberté pour la liberté et à travers chaque circonstance particulière. » ( Sartre). Et Roger Garaudy de répondre à Sartre : pour vous, « Être libre, c’est refuser. La liberté est une négation : c’est le point de vue de ceux qui appartiennent au passé. »

L'esprit très rationnel ( et scientiste...) de Geneviève, est entièrement séduit par la dialectique marxiste. Il me semble qu'après cette période trouble de l'occupation, pendant laquelle seule la force semblait justifier la bonne attitude ( selon l'autorité civile) ; le marxisme offre un socle idéologique qui sécurise la raison, justifie des choix de vie non individualistes, pour une société juste dont on comprend tous les rouages. Geneviève souhaiterait-elle, également, tordre le coup à une suspicion douloureuse de sympathie envers le diable ; le parti communiste lui-même n'est-il pas fréquemment tourmenté par le pacte germano-soviétique de 1939 ?

Elaine va passer sa première année aux côtés de sa maman à Paris, avec l'aide d'une gouvernante Madeleine, qui va beaucoup s'attacher à elle. A partir du printemps 46, Elaine et sa gouvernante passent une très grande partie de leur temps à Fléchigné, en compagnie d'Anne-Laure. Notre ''bonne'' Louise nous a subitement quittés pour être hospitalisée, et y mourir rapidement. C'est ainsi, d'ailleurs, que Madeleine va devenir, de gouvernante d'Elaine, la gouvernante de Fléchigné.

 

En février 1946, Lancelot retourne à Baden Baden, pour un court séjour qu'il effectue avec Geneviève. C'est l’opportunité d'y rencontrer un jeune homme, Edgar Morin (1921-), afin de rapporter au ministère un état de la dénazification de l'opinion publique allemande.

Alfred Döblin (1947)

En 1946, E Morin est nommé Chef du bureau ''Propagande '' à la Direction de l'information au Gouvernement militaire français en Allemagne, il publie son premier livre ''L'An zéro de l'Allemagne'', dans lequel il pose la question de savoir comment le pays le plus cultivé d’Europe a pu produire cette monstruosité qu’est le nazisme.

Sur place également, Alfred Döblin (1878-1957), officier culturel français à Baden-Baden, juif allemand exilé en France depuis 1933, puis ayant acquis la nationalité française, et présent à titre d'occupant. Ce médecin psychiatre classé très à gauche est connu pour son roman ''Berlin Alexanderplatz''. Il a en charge le Bureau des Lettres au Service de l'Éducation Publique du Gouvernement Militaire ; et prépare un projet d’académie de littérature et des arts, à Mayence.

 

L'administration doit reconstituer une presse locale. Lancelot s'engage à défendre certains projets, et permettre quelques largesses dans la répartition du papier, et pour quelques subventions de la part des autorités militaires. C'est parmi d'autres, que voit le jour une publication appelée : '' Lancelot : der Bote aus Frankreich'' - créée et dirigée par Jacqueline Grappin-Prévost, la revue s'est donné pour but de faire connaître aux Allemands, par la traduction d’articles parus dans des revues françaises, la culture française contemporaine dont les avait tenus éloignés douze années de dictature et de guerre.

La revue '' Lancelot '' a profité de deux patronages: celui du gouverneur militaire de la zone, le général Pierre Koenig, et à Paris, de celui de Louis Aragon.

Trois vers tirés de son Cantique à Elsa servent de devise à tous les numéros de la revue :

« La terre accouchera d’un soleil sans bataille
Il faut que la guerre s’en aille.
Mais seulement que l’homme en sorte triomphant. 
»

Aragon explique le sens du titre : « …Lancelot-du-Lac est l’image la plus pure de la chevalerie de la France, de cet esprit de générosité qui s’oppose à la morale des maîtres, à la loi des seigneurs de la tradition germanique, codifiée par les nazis. Lancelot, c’est celui que n’arrêtent ni le qu’en dira-t-on, ni la règle établie, imposée. C’est celui qui met sa fidélité plus haut que son orgueil. Celui qui, par obéissance à sa dame (comme hier les vrais Français à leur patrie) n’hésita point à monter dans la charrette des condamnés, parmi les voleurs et les assassins, et calmement traversa la ville sous les crachats et les huées. Lancelot le chevalier à la charrette, jamais humilié des refus qui lui viennent de l’objet de son amour, mais l’inlassable champion de cet amour. Lancelot le contraire de Machiavel, Lancelot qui a rompu tant de lances pour les faibles et les asservis, qu’on l’imagine arrivant aux portes de Buchenwald ou de Dachau » (Cité d’après V. Wackenheim '' création de Lancelot) )

Dominique Desanti 1949

 

Enfin, c'est à Baden, au centre de presse, que Geneviève rencontre Dominique Desanti (1919-2011), une jeune femme d'origine polonaise mariée à un philosophe, qui travaille pour le journal communiste ''Action''. Geneviève sera emballée par le couple Desanti, et les retrouvera à Paris, dès que possible. Les Desanti souhaitent rencontrer le philosophe Heidegger, chez lui et Lancelot leur facilite la démarche.

 

Lors de la démission du général de Gaulle (20 janv 46), Lancelot comprend avec les responsables de son ministère que son retour sera cautionné par une nouvelle constitution qui lui convienne. La crainte d'une prise de pouvoir par les communistes reste vive ; mais à la différence de la Yougoslavie, en France, nous n'avons pas l'armée rouge mais des troupes américaines. Le PCF avec à sa tête Maurice Thorez revendique la présidence du Conseil.

Un projet de constitution est rejeté par le suffrage universel ( mai 46). Une nouvelle Assemblée Nationale est élue en juin, et De Gaulle définit, dans son coin, les grandes lignes d'un projet de constitution, marqué par un pouvoir exécutif qui procéderait directement du chef de l'état.

Selon Léon Blum : il en est du principe républicain d'avoir une Assemblée directement issue du suffrage universel ; et c'est elle, qui doit avoir le premier et le dernier mot.

Sous le gouvernement Bidault, le Référendum ( Oct 46) adopte la nouvelle constitution, celle de la IVe république. Le président du Conseil est investi par l’Assemblée nationale et responsable devant elle.

Les élections législatives du 10 novembre 1946 font du PC le premier parti politique de France avec 28,8 % des suffrages exprimés et la plus forte représentation à l’Assemblée nationale.

Une certaine désillusion politique, s'ajoute aux difficultés de la vie quotidienne : il est toujours difficile de se chauffer, se ravitailler. Selon votre classe sociale, vous vivez plus ou moins difficilement cette période d'après-guerre, Les grands rêves des jours d'après, seraient-ils déjà abandonnés ?

Lire la suite

Juin 1935 : Congrès international des écrivains

2 Octobre 2021 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Gide, #Malraux, #1935, #Communisme

Aragon, André Gide et Malraux

Ce soir d'ouverture, à la mutualité, prend place jusqu'au balcon, une foule ardente composée d'une majorité de jeunes. A la tribune, André Gide et André Malraux président ; ils sont entourés d’écrivains soviétiques, mais aussi d'Heinrich Mann, Egon Erwin Kisch pour l’Allemagne, d'E. D'Ors pour l'Espagne, de Sforza pour l'Italie, de Forster pour l'Angleterre, et aussi de Barbusse, Benda, Bloch, Guehenno, Cassou, Vaillant-Couturier, Nizan pour la France.

Ilya Ehrenbourg, est là, ambassadeur culturel de Moscou. La politique des communistes est alors à l’ouverture et le congrès de la Mutualité veut accueillir toutes les tendances antifascistes, tant qu’elles ne critiquent pas l’Union soviétique.

André Malraux lit un télégramme de Romain Rolland. A part Forster qui déclare ne pas être communiste, mais le serait s'il était plus jeune et plus brave, et Julien Benda, courageux, qui tient à clarifier que pour lui il y a une conception occidentale de l'Art qui s'appuie sur la métaphysique grecque, et une conception communiste de l'Art, matérialiste et qui annihilerait la culture du passé ; à part ces deux orateurs, le congrès s'annonce dans sa participation très favorable à la révolution communiste... Sauf encore, Robert Musil, mais il s'adresse en allemand ; et la presse se plaint de ne pas avoir reçu la traduction. Seuls les auditeurs connaissant la langue allemande, entendent un discours qui renvoie dos à dos bolchévisme et fascisme... !

Palais Mutualité-Le congrès des écrivains de juin 1935

« Je crois que ce qui retient bon nombre de nos écrivains, c’est leur manque de confiance dans le prolétariat, et même… un manque de confiance en l’homme. » selon André Malraux, à la tribune.

 

Le discours d'Erwin Kisch, lui, est lu en français par Vaillant-Couturier... Le soviétique Luppol, reprend le débat sur la culture, et les valeurs du passé ; valeurs que seul le prolétariat est en mesure de critiquer.

Barbusse n'est pas en forme et ennuie l'assemblée. Klaus Mann pétrifie la salle en lisant des témoignages d'artistes restés en Allemagne. Malraux improvise, s'agite... Le cas de ''Victor Serge '' divise la salle; mais la tribune clôt le débat et affirme sa confiance à l'égard de l'Union soviétique.

Haldous Huxley

Lancelot parvient à saluer Aldous Huxley qui le reconnaît, malgré l'épaisseur de ses verres. S'il ne croît pas à un régime fasciste dans son pays ; il remarque une fascisation des esprits ; pourtant il doute que l'on puisse longtemps – comme en Allemagne – réduire un peuple au rang de primitif, et enrégimenter la science comme le font les nationaux-socialistes. Michaël Gold du Daily Worker de New-York, note que même aux Etats-Unis des écrivains comme Mencken ou T.E. Elliot peuvent se fasciser... Si certains magnifient les pionniers du passé... Nous autres, dit-il, nous sommes pour les ouvriers, les pionniers de l'avenir... ! Les intellectuels lui semblent bien impuissants ; les ouvriers s'il s'organisent, peuvent vaincre le fascisme...

 

Lancelot et Elaine sont frappés par cet espoir que tous ( presque ) ici, semblent mettre dans la vocation collective des ouvriers, des paysans, des travailleurs... Voilà une foi, qu'ils ont du mal à partager...

Ils ont pu entendre la réponse que fait Alexis Tolstoï à un journaliste, qui lui demande si un tel congrès serait possible en Union Soviétique ?

- Dans notre pays, un tel congrès n'aurait pas de sens, puisque chez nous, cent soixante-dix millions de volontés sont tendues justement vers la conquête de la culture. Il n'est pas question de défendre celle-ci, mais de la répandre, de la répandre toujours davantage.

-Riche de l'expérience soviétique, pensez-vous que les intellectuels soient capables de défendre efficacement la culture ?

- Non, non, proteste Tolstoï. Je vous le dis très sérieusement. Les intellectuels isolés de la masse des lecteurs prolétariens doivent à tout prix modifier leurs conceptions...

Henri_Barbusse, Alexej_Tolstoi, Boris_Pasternak - Paris_1935

Lancelot se rapproche de Gide, qui explique que l'important c'est que les écrivains aient compris la nature du danger qui les menace et que, dans ce sentiment, ils se soient réunis par-dessus toutes les divergences particulières. La culture est menacée par le fascisme, n'est- ce pas la pensée profonde de chacun de nous ?

Beaucoup – parmi les radicaux et les socialistes – veulent rester confiants, l'antifascisme relève d'un contenu républicain, et donc d'une culture nationale... La France ne peut être fasciste !

 

Une question reste sous-jacente difficilement abordable, c'est '' la question russe '' et la possible critique du régime soviétique, avec l'actualité des premiers procès de Moscou.

Cette question est sans-doute la raison d'un certain malaise qui empêche Lancelot de communier à la ferveur communiste. Elaine l'explique plus fortement encore, par un confusionnisme ici entretenu. Le communisme chercherait dans notre culture, nos traditions, de quoi se masquer pour nous vendre leur révolution ; et plus exactement dit-elle – alors qu'elle vient de lire le ''Staline : Aperçu historique du bolchevisme '' de Boris Souvarine – pour vendre la dictature de Staline... !

L'ordre du jour, ici serait plutôt de défendre l'idée qu'en Union Soviétique la pensée libre y reçoit les plus grandes possibilités de développement. André Gide déclare : « Je n'admire rien tant en U.R.S S. que ce grand souci de protection, de respect des particularités de chaque peuple, de chaque petit Etat compris dans la grande Union soviétique; respect de la langue, des mœurs, des coutumes, de la culture, particulières à chaque petit Etat.

Lequel respect va directement à l'encontre de ce reproche courant fait au communisme et à l'U.R.S.S. de tenter d'égaliser, de niveler et d'uniformiser tous les hommes de l'immense Russie, en attendant de pouvoir opérer sur la terre entière. (...)

Ce que nous attendons de lui, et ce que commence à montrer l'U.R.S.S. après une dure période de luttes et de contrainte momentanée en vue d'une libération plus complète, c'est un état social qui permette le plus grand épanouissement de chaque homme, la venue au jour et la mise en vigueur de toutes ses possibilités. »

Le soir , dans la journée, les discussions se poursuivent au bar de la Mutualité ou autour des cafés alentour, en particulier pour Lancelot, à une table des Deux Magots.

 

Le 24 juin après-midi, Lancelot dut se rendre à la garden-party organisée au ministère des affaires étrangères par M. Pierre Laval, en l'honneur des congressistes, non pas des écrivains, mais des chambres de commerce mondiales qui étudient les causes et les remèdes du marasme économique actuel...

Ce congrès permit à de nombreux intellectuels de proclamer leur admiration pour l'URSS, et leur leur solide attachement au prolétariat qui édifie le socialisme. André Gide y a affirmé que « C'est dans une société communiste que chaque individu, que la particularité de chaque individu, peut le plus parfaitement s'épanouir. »

Le congrès se clôt par la fondation de l'association internationale des écrivains pour la défense de la culture, dirigée par un bureau international qui a pour mission le maintien et l'élargissement des contacts que le congrès a permis d'établir.

Elle s'assigne - selon les termes mêmes de la résolution adoptée - « à lutter sur son propre terrain, qui est la culture, contre la guerre, le fascisme, d'une façon générale contre toute menace affectant la civilisation ». A sa tête un présidium de douze membres, quelques-uns des plus grands noms de la littérature mondiale: André Gide, Henri Barbusse,, Heinrich Mann, Thomas Mann, Maxime Gorki, Forster, Aldous Huxley, Bernard Shaw, Sinclair Lewis, Selma Lagerlof, Romain Rolland, les quatre prix Nobel. Le siège de l'organisation est à Paris.

Lire la suite