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Les légendes du Graal

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1952-54 - La Communauté européenne de Défense ( CED)

26 Novembre 2023 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Europe, #1954, #Mendès-France, #Communauté européenne de Défense

A ce jour, relevons quelques questions politiques que le gouvernement français se posent quant à la construction européenne, et face au danger d'une suprématie soviétique en Europe...

Faut-il laisser l'Allemagne se réarmer ?

Faut-il garantir la sécurité de l'Europe par les Etats-Unis ?

Faut-il envisager une Europe de la Défense, comme il existe une Europe de l'acier et du charbon ?

 

En 1950, Churchill se montrait favorable à une participation allemande à la défense européenne, par la création d’une armée européenne. Mais la France restera déçue par la position britannique, qui refuse l'idée de placer ses troupes sous un commandement unique, non britannique ; et rejette toute initiative européenne de caractère fédéral.

La France s'engage dans un choix européen, alors que les britanniques choisissent la coopération avec les États-Unis, et craignent une Europe « supranationale ».

En 1951, à Paris, débute une Conférence sur la création d'une Communauté européenne de Défense (CED). Il s'agit d'un '' projet de création d'une armée européenne, avec des institutions supranationales, placées sous la supervision du commandant en chef de l'OTAN, lui-même nommé par le président des États-Unis.'' ( wiki). Avec René Pleven, la France est à l'origine de la démarche.

En mai 1952 : le traité est signé à Paris, mais il doit être ratifié par les parlements nationaux des différents pays signataires ( France, Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, Italie).

 

Raymond Aron, note alors que « Sur la CED se déchaîna la plus grande querelle idéologico-politique que la France ait connue depuis l’affaire Dreyfus »

Une forte opposition s'organise chez les communistes, les nationalistes, inquiets d'une perte de souveraineté ou d'une remilitarisation allemande, et les neutralistes.

Le pape Pie XII, lancent des appels pressants à soutenir le projet européen et la CED. Au point, où le Grand Orient de France dit craindre « une Europe vaticane, instrument de restaurations politiques et religieuses. »

Pierre Mendès-France ( 1907-1982)

 

Pendant ce temps, la politique d'un Pierre Mendès-France (PMF), apparaît comme le seul recours.

En effet, cet été 1954, l'Empire français rend l'âme, en Indochine, l'échec de Dien-Bien-Phu (7 mai) nous accule à négocier la paix. La rébellion s'étend en Afrique du Nord. Moscou et Washington, intriguent pour une Europe à leur souhait.

P. M. F. a 47 ans, il reçoit l'investiture du Président Coty et dirige le gouvernement français entre le 18 juin 1954 et le 5 février 1955. François Mitterrand est son ministre de l'intérieur. PMF négocie directement avec le Viêt Minh, et le 23 juillet, l'assemblée nationale approuve les accords qui clôt la guerre d'Indochine ; mais devra démissionner - 9 mois plus tard ..! - sur la question algérienne.

 

La religion de Mendès, c'est la politique. Pour le reste, il s'affiche non-croyant.

Alors que surviennent, un grave accident de santé du pape et, en France, une campagne de presse, soutenant « la rébellion des prêtres-ouvriers » dont l'article de François Mauriac; Mendès-France se rend à Rome les 11 et 12 janvier 1955. Il rencontre les dirigeants italiens et le pape Pie XII, qui a tenu à le recevoir malgré ses problèmes de santé. Le président en sort bouleversé ; aux quelques personnes qui l'ont accompagné dont Lancelot, il confie : « A présent je comprends ce qu'est la grandeur ! ». Il constate que le pape est au courant, avec précision et compétence, des sujets qui préoccupent les français.

La rencontre avait été bien préparée et Lancelot entend que les prélats ont reconnu dans le Président du Conseil français, un homme de bonne volonté, alors que d'Ormesson était sceptique...

 

Lancelot dit de lui qu'il était têtu, et qu'il pouvait être cinglant ; avec ses proches, Mendès-France était peu conciliant, et sa politique de gauche ne souffrait pas de s'accorder au centre. Son successeur - aussi du Parti Radical - Edgar Faure (1908 – 1988), est son opposé.

Une chose que nous retenons de PMF, c'est '' le verre de lait ''qu'à dix heures tous les élèves boivent, distribué dans les écoles pour lutter contre la dénutrition et l’alcoolisme.

Le 30 août 1954, Pierre Mendès-France demande à l'Assemblée Nationale de se prononcer sur la ratification du traité sur la création d'une Communauté européenne de Défense (CED).

Les démocrates-chrétiens du MRP, déjà favorables à l'Europe des Six, sont pour. Les gaullistes et les communistes votent contre, les radicaux et les socialistes sont partagés.

- La CED est rejeté par l'Assemblée nationale française par 319 voix contre 264.

 

L'échec de la CED, va précéder l'éloignement de Mgr Montini ( futur Paul VI) nommé à Milan ( décembre 1954) , acquis par le parti romain, hostile à sa politique de dialogue avec l'Est.

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1952 - Les Communistes et la Paix

2 Octobre 2023 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1952, #Communisme, #Esprit, #Europe

Dans un premier temps, parrainé par Robert Schuman très lié à l'Eglise, Lancelot travaille au Ministère des Affaires étrangères, en relation avec le Vatican, et au plus près du cabinet du ministre pour l'informer.

Robert Schuman ( 1886-1963) ministre pendant la Quatrième République, notamment aux Affaires étrangères, puis président du Conseil des ministres à deux reprises

Il est considéré comme l'un des pères fondateurs de la construction européenne.

Schuman est ministre des Affaires étrangères de 1948 à 1952; et doit son départ à la question coloniale alors qu'il est soupçonné de céder sur le démembrement de l'Empire ( nos colonies), au profit de la construction européenne.

 

Maurice Maillard est un prêtre jésuite qui a été autorisé par le provincial d'accompagner Lancelot dans sa mission ''politique''. De plus, le prêtre donne régulièrement des cours sur les rapports entre l'Eglise et l'Etat en France, aux étudiants de l' Académie pontificale ecclésiastique, institution fondée par Clément XI en 1701 ayant pour but de former le corps diplomatique du Saint-Siège.

Le père Maillard permit à Lancelot de s'initier au fonctionnement du Vatican, et très vite une véritable amitié va naître entre les deux hommes, fruit sans doute des longs voyages qu'ils firent ensemble sur le ''Rome-express'', qui leur permettait de partir de Paris en soirée et d'arriver avant la fin de matinée à Rome.

Lancelot, en particulier, va pour la première fois peut-être, interroger son questionnement sur une tradition religieuse qui l'habite, et à laquelle il tient ; mais finalement envers laquelle il n'est pas engagé; c'est ce que lui fait remarquer Maurice, plus âgé de quelques années.

La pratique religieuse de Lancelot, est étroitement liée aux événements qui l'obligent d'être présent dans une église. La raison de sa présence à ces cérémonies, relève plus de l'aspect social traditionnel, que de la spiritualité. Elle émerge cependant lors d'une plage silencieuse ou musicale, et au cours de ces instants où les yeux parcourent la beauté des lieux, environnée d'encens et d'une vague psalmodie latine, et rappelle un mystère qui dépasse de beaucoup la raison de sa présence.

Finalement, quelle différence entre une tenue en Loge, et une messe ; sinon que la première, en plus petit comité, satisfait mieux la raison et la fraternité; et que l'autre, marque culturelle et religieuse d'un territoire, satisfait l'entre-soi ?

Maurice, comme ancien ordonné accompagne de jeunes jésuites dans leur vocation. Il partage régulièrement avec Lancelot, les nouvelles problématiques que ces jeunes prêtres doivent parcourir.

En particulier, l'un d'entre eux, je l’appellerai Edmond, se rebelle et se déclare solidaire d'un ami prêtre-ouvrier à qui la hiérarchie demande de quitter son travail. Maurice note de plus en plus de conflits entre la conscience et l'institution ; les jeunes prêtres interrogent la réception dans l’Église de tout '' tout ce qui se fait d’important, le développement des sciences, de la critique historique, de la philosophie, de l'économie...''

 

Lancelot retrouve Geneviève, de plus en plus affiliée au Communisme. Cette situation - d'abord une originalité de leur couple - devient de plus en plus difficile.

 

Il ne s'agit plus seulement d'un engagement intellectuel ; Geneviève consent à la discipline rigoureuse du parti. En plus de participer aux réunions de cellule, distribuer la presse du parti, elle accepte des taches administratives quotidiennes au sein de l'Union des femmes françaises ( UFF), tout en y faisant des dons financiers réguliers.

Lancelot devient moins tolérant à ce qui lui semble n'être qu'une intolérable pression idéologique ; comme, soutenir sans condition l’Union soviétique et ses alliés, dénoncer les ennemis du communisme...etc. Il lui rappelle comment Edgar Morin , il y a moins d'une année, a été exclu du parti.

 

De plus, mais Lancelot ne le saura que plus tard ; ses amis communistes incitent Geneviève à se séparer de lui, qui la maintiendrait dans une culture bourgeoise et toxique.

Pour Lancelot, son épouse s'efforce de refouler sa culpabilité de son attitude pendant la guerre, jusqu'à désirer oublier l'existence de sa fille ; même si avec mauvaise foi, elle reproche à Lancelot et sa mère de la lui retirer, et alors qu'elle répète à chacun, qu'il est bien mieux pour Elaine de vivre à Fléchigné.

Depuis peu de temps, un homme Jean F. qui se présente comme cheminot, et aujourd'hui l'un des 3000 permanents du PC, futur député, accompagne et va jusqu'à venir chercher Geneviève dans leur appartement. Jean, manifestement, s'emploie à provoquer Lancelot, sur ses liens professionnels avec le Vatican, ses idées, et même ses goûts, comme si son seul intérêt était la dispute...

- Staline construit aujourd'hui une société qui donne du sens. C'est du concret, pas de la théologie ; dit-il. Et si le bonheur, pour tous et pas seulement pour les bourgeois, n'était pas au ciel, mais dans ce bas monde ?

Le procès-de-Prague 1952

 

Seulement, nous sommes en décembre 1952. Un ''procès'' vient d'écarter du bureau politique du PC, des personnalités comme André Marty, et Charles Tillon que Lancelot a côtoyé un peu au ministère des armées, sont accusés de déviationnisme, de fractionnisme et de manque de discipline. Cela renvoie aux nombreux procès en Union Soviétique, et actuellement au procès Slánský à Prague.

- Jean le reconnaît : cette décision envers Marty et Tillon, est aussi ''la manifestation de l’unité et de la fidélité au marxisme-léninisme et à l’Union soviétique.''

La presse française du Figaro, à La Croix et Combat, dénoncent le caractère arbitraire et antidémocratique de cette exclusion et la soumission du parti communiste à Moscou.

Pour ce qui est du procès Slánský, la presse française souligne l’antisémitisme du procès, qui frappe surtout des militants juifs ; et pour la plupart d’anciens résistants et antifascistes. Ils seraient accusés de crimes imaginaires et de complots invraisemblables.

- Pourtant, réplique Jean, un article de Sartre, intitulé « Les communistes et la paix », publié dans Les Temps modernes ( décembre 1952), défend la position du PCF sur la question de la guerre et de la paix, en s’opposant à la politique américaine et à la menace nucléaire. Il y critique aussi les intellectuels qui se réclament du socialisme mais qui refusent de soutenir le PCF. Sartre considère qu'il est le seul parti capable de représenter les intérêts des travailleurs et des opprimés. Il y affirme que le communisme est la seule voie pour réaliser une société sans classes et sans exploitation.

 

Geneviève est très impliquée par l'entremise de Dominique Desanti, à l'UFF. Autour de la revue ''Femmes françaises'', l'association féministe revendique 500.000 adhérentes. Il s'agit d'organiser des manifestations, des pétitions, des conférences, des cours du soir, des colonies de vacances et des activités culturelles et sportives pour les femmes.

La revue Esprit, tient à se mobiliser en faveur de la Paix, mais exprime des réserves de s'associer avec les communistes. Domenach l'avait déjà exprimé lors du congrès de la Paix, salle Pleyel en avril 1949, refusant de s'y associer. Si le socialisme démocratique pourrait constituer une garantie de paix, ils rejettent que ce puisse l'être avec un ''socialisme d’État'' tel qu’il est pratiqué en URSS.

Jean-Marie Domenach fait l'éloge de la Yougoslavie et s'élève contre l'idée que le régime de l’Union soviétique aime la paix.

Lancelot participe aux réunions des groupes ''Esprit '', et suit leur actualité grâce au ''Journal Intérieur'' qui est l'organe de communication du mouvement relancé en 1947, et animé par Paul Fraisse. Pour ce qui est de la revue Esprit , elle se veut une revue-carrefour, une revue de rencontres, une revue qui intègre d’autres courants de pensées que le seul courant de pensées de ses fondateurs. Chaque année un congrès se réunit en banlieue parisienne. Les groupes de Lyon ( Jean Lacroix), Grenoble ( Henri Bartoli), Strasbourg, Rennes...etc sont très actifs. On peut ainsi échanger avec Paul Ricoeur, Jean Lacroix, Jean-Marie Aubert, Georges Izard, André Déléage ou encore Louis-Émile Galey.

D'actualité, toujours de nombreux débats sur la Laïcité ; en effet la société catholique considère encore la laïcité comme un pis-aller. Pis-aller, ce qui signifierait que l'idéal de l'Etat terrestre serait l'Etat chrétien. L'état laïc, est une situation de fait, il garantit la liberté religieuse, mais reste en dessous de l'idéal chrétien....

Esprit prend part également à la réflexion sur les questions sociales comme l'humanisme au travail à laquelle prennent part des théologiens comme le dominicain Chenu, et le jésuite Calvez.

Carte satirique de l'Europe en 1952 - David Low

Ce qui intéresse Lancelot de Sallembier, ce sont les différentes visions de l'Europe qui s'affrontent, au sein même des participants aux débats conduits par ''Esprit''. La plupart s'opposent au fédéralisme, alors qu'un Marc Alexandre va le défendre.

Depuis la fin de la guerre, l'Europe suscite la méfiance du totalitarisme. N'est-ce pas tout simplement un mythe réactionnaire ? Les États-Unis, qui tiennent à l'idée, ne veulent-ils pas constituer un bastion stratégique dirigé contre l’URSS ?

Lancelot soutient le plan Schuman, d'une Europe construite autour d'une France neutre, avec pour objectif de constituer une troisième force mondiale. Elle pourrait commencer rapidement avec l'Allemagne et l'Italie ; et concurrencer les États-Unis et l’URSS.

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1952 – Schuman -Rougemont -Corbin

12 Septembre 2023 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Europe, #Schuman, #Rougemont, #Corbin, #1952, #Eranos

On s'accorde à dire que c'est à partir du Congrès de La Haye de mai 1948, que le chantier de l'Europe a commencé. Huit cent "européistes" aux Pays-Bas, dont Camus, Malraux, des politiques, des hommes d'affaires se sont retrouvés aux Pays-Bas. Lors de la séance finale, les congressistes adoptent à l'unanimité le Message aux Européens préparé par le militant fédéraliste suisse Denis de Rougemont.

Depuis que Lancelot ( avec Elaine), avait rencontré Denis de Rougemont, lors d'une soirée au Cercle des étudiants vers 1930, ils n'avaient jamais rompu le contact.

Beaucoup avec Mounier, étaient passé au travers de ces années trente, en espérant, une troisième voie, voire même selon les mots de Rougemont, une'' révolution spirituelle''. Puis la guerre, avait renvoyé chacun à une réalité, bien plus triviale et tragique... Lancelot revit Rougemont, lors des "Rencontres Internationales de Genève", en 1946.

A présent, Schuman, lui-même, souhaitait rencontrer, sur un plan personnel, Rougemont. Il faut dire que Robert Schuman, s’intéressait de près à la question spirituelle.

C'est lors d'une discussion en aparté, que Schuman avait confié à Lancelot, qu'il était assez satisfait de sa disgrâce auprès de son ministère d'origine; et jusqu'à se porter garant auprès de la CIA, et lui permettre de le récupérer aux affaires étrangères sous le couvert du Saint-Siège. Le ministre évoqua Denis de Rougemont, chez qui il appréciait son ''personnalisme'', sa réflexion sur les totalitarismes, et sa spiritualité ouverte ( protestante).

Et finalement, c'est une grande chance, que l'occasion se soit présentée en juin 1952, lors d'une après-midi et du dîner : Lancelot put réunir Schuman, Nanik et Denis de Rougemont, et ( cerise sur la gâteau) Stella et Henry Corbin.

Les discussions tournent alors, bien-sûr autour de l'Europe, mais surtout concernent la spiritualité.

 

L'objectif d'une civilisation, dit Rougemont, c'est de donner un sens à la vie. « Elle pose un ordre, distingue le bien du mal, définit les raisons de vivre et de mourir, et dresse chaque homme, dès son enfance à s’y adapter et conformer. ».

- L'hindou a le karma, la caste... Dans un pays totalitaire, il y a le parti. L'européen, lui, semble un peu perdu. Il cherche, souvent il entre en conflit avec son milieu, les traditions, les préjugés...

- Cela ne daterait-il pas de cette religion « qui fit dépendre le salut de l’homme non point de l’observance des rites collectifs, mais de la conversion personnelle. » ? répond Rougemont.

« On peut donc définir l’Europe comme cette partie de la planète où l’homme, sans relâche, se remet en question, et veut changer le monde de telle manière que sa vie personnelle y prenne un sens. »

«Le fondement de cette révolution, son ressort et sa cause finale, c’est la notion, chrétienne à l’origine, de la valeur absolue de la personne humaine — de chaque personne humaine. »

Stella et Henry Corbin

 

Henry Corbin (1903-1978 ) répond qu'il y eut dans toutes les religions, des hérétiques. Lui-même s'intéresse aux hérétiques de l'Islam que sont les soufis, et les shi'ites... Loin de tout dogmatisme, il s'efforce de lier philosophie et théologie. C'est son professeur E. Gilson, qui l'a incité à apprendre l'arabe, il y a ajouté le persan et le turc... ! Deux rencontres l'ont de plus fortement marqués, Louis Massignon, et Denis de Rougemont... Corbin a traduit Heidegger, qu'il a rencontré avant guerre. Il a vécu à Istanbul, et actuellement son ''pays d'élection '' est l'Iran.

L'occident a perdu son ''sens'', au profit peut-être d'un esprit positif et d'une sécularisation de la société. D'ailleurs, si Corbin, parle de réconcilier l'Orient et l'Occident, c'est aussi de réconcilier la spiritualité et la rationalité, la théologie et la spiritualité... Et, c'est ce qu'il tente de présenter au '' cercle Eranos '' la première fois en 1949, devant des chercheurs, des intellectuels ; au cours de conférences où « chaque auteur traite de ce qui lui paraît essentiel pour l'homme à la quête de la connaissance de soi-même. ».

Les propos de Corbin interpellent fortement Lancelot, d'autant qu'il compare sa quête philosophique à la Quête du Graal, à laquelle seuls accéderont les chevaliers qui ont su s'en rendre dignes. Il fait référence à la querelle des universaux, au Moyen-âge, pour évoquer un monde de l' « imago », intermédiaire entre notre monde sensible, et le monde du pur Esprit.

Nos trois religions sont confrontés à un Texte. Nos théologies sont d'abord des herméneutiques ( un travail sur l'interprétation) ; et c'est sur l'esprit des textes qu'elles peuvent se rencontrer.

Article de Rougemont - l'Europe de la Culture

 

Rougemont plaide pour l'Europe de la culture ; d'autres pour l'Europe des marchandises. Si vous avez un bien A, et l'échangez contre un bien B ; à l'issue de l'échange vous possédez le bien B, et non plus le A ; c'est juste. Si vous avez un savoir A, et l'échanger contre un savoir B ; après l'échange, vous êtes riches des savoirs A et B... Et vous vous êtes fait un nouvel ami.

 

Robert Schuman, exprime lui, la responsabilité qu'il sent lui incomber, du bien commun. Devant les difficultés qui se présentent, s'il ne se décourage pas, c'est qu'il s'en remet – dit-il – à la Providence. Comment aurait-il pu affronter des élections, et les gagner, autrement ? La réconciliation entre L'Allemagne et la France est un autre défi, et préfigurera le projet européen.

Il comprend l'attachement de Corbin aux Textes, comme lui il dit apprendre du Nouveau Testament, « pour penser au plus près du Christ, et non pas selon les slogans du monde. ». Reconnaître dans un signe, comme l'Eucharistie, une Présence renouvelée lui donne l'énergie d'affronter les difficultés de la journée. « Je ne suis, dit-il, qu'un instrument imparfait, de la Providence. »

Schuman, qui hésitait jeune entre la prêtrise et l'engagement politique, a choisi le métier d'avocat, et la politique pour appliquer la doctrine sociale de l'Eglise et promouvoir la démocratie : « La démocratie doit son existence au christianisme. Elle est née le jour où l’homme a été appelé à réaliser dans sa tâche quotidienne la dignité de la personne humaine dans sa liberté individuelle, dans le respect des droits de chacun et dans la pratique de l’amour fraternel à l’égard de tous. Jamais, avant le Christ, de semblables concepts n’avaient été formulés».

Pour répondre à Rougemont, Schuman, pense que l'Europe, ne peut en rester à n'être qu'une entreprise économique et technique ; elle a besoin d'une âme, et il la reconnaît dans l'Europe chrétienne. L'Histoire a un sens, dit-il, elle tend vers plus d'égalité, et vers l'unité.

 

Lancelot interroge Henry Corbin sur ce ''cercle Eranos''. Et, ce qu'il va apprendre l'intéresse au plus au point.

Le projet de Olga Fröbe-Kapteyn (1881-1962), en 1933, était de construire un lieu avec une salle de conférence ("Casa Eranos") à côté de sa maison, sur les rives du Lac Majeur, à Ascona en Suisse . Elle se proposait d'accueillir des penseurs de tous ordres pour faire se rencontrer et dialoguer les philosophies orientales et occidentales.

Henry Corbin et Jung - Eranos

La présence de Carl Gustav Jung (1875-1961) a été décisive, et autour de lui des chercheurs dévoués à trouver la « racine commune de toutes les religions ».

Plusieurs sont devenus des habitués, comme Denis de Rougemont, Massignon, Rudolf Otto, Gershom Scholem, Gilbert Durant, Joseph Campbell, Marie Louise Von Franz, Mircea Eliade, et bien-sûr Carl Gustav Jung et son épouse Emma, et bien d'autres...

Trois types d'études y sont pratiquées : Mythologie comparée; Anthropologie culturelle; et Herméneutique symbolique.

Henry Corbin a donné sa première conférence, en 1949. Eranos est devenu, pour lui, important, Eranos donne un sens, une manière d'être...

Cette année 1952, Eranos se tient du 20 au 28 août. Le thème est l'Homme et l’Énergie ( Mensch und Energie )

Lancelot est enthousiasmé, et évoque la possibilité de s'y rendre ; Rougemont lui explique que les cessions ne sont pas vraiment publiques... Olga, est responsable de la programmation et de l’hébergement. Elle sélectionne et convoque les invités par lettre officielle ; mais peut-être pourrait-il trouver à se loger à Ascona, et assister à quelques conférences ; Rougemont promet de faire ce qu'il faut ; même si cette année, il n'y sera pas ; mais, Lancelot devrait y retrouver Corbin.

En effet, Henry Corbin, prépare une conférence sur '' le Temps cyclique dans le mysticisme et dans l’ismaélisme.''. A noter, que Jung devrait parler à propos de la synchronicité ( Über die Synchronicität).

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1946 - L'Esprit Européen – Bernanos

24 Mars 2023 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Europe, #1946, #Bernanos, #Guéhenno

Lancelot obtient l'agrément pour participer aux "Rencontres Internationales de Genève", sous le signe de '' l'Esprit Européen", du 2 au 14 septembre 1946. Elles sont organisées par L'Europa-Union de Suisse, qui anime un mouvement fédéraliste en vue d'une communauté européenne, voire d'une union mondiale ( selon l'article 52 de la Charte de la toute nouvelle ONU).

Le Comité d'organisation, explique dans un texte-manifeste, ses intentions profondes : « Un monde nouveau est en train de naître. Sera-ce un monde civilisé? Quelle sera cette civilisation? Sera-t-elle à hauteur d'homme? Voici que l'heure est dangereuse et trouble. Les espoirs que la fin de la guerre avait fait naître n'osent plus se montrer au grand jour. Les vertus qui s’étaient trempées dans la résistance au mal ont peine aujourd'hui ä s'unir pour le bien commun. L'ivresse de la puissance et des grands nombres, la démesure, l'oubli de la sagesse, menacent les sociétés et les individus. II est vrai que la pensée de l'Europe, en sa totalité doive être tenue pour responsable de la catastrophe. Si les Européens ont donne l'exemple de bien des folies, l'Europe a été, durant 25 siècles, le lieu où souffle l'esprit - (durant des siècles, pour reprendre l'expression de Paul Valery, ). Le temps est venu de se demander ce qui est vivant, ce qui est valable, ce qui est juste, dans la pensée humaine et européenne» Extrait

Sont réunis des intellectuels, des écrivains et des artistes en provenance de plusieurs pays européens, principalement de France, de Suisse et d'Italie. l’Italien Francesco Flora, le suisse Jean Rodolphe de Salis, les français Julien Benda, Jean Guéhenno et Georges Bernanos, le suisse Denis de Rougemont, le hongrois et marxiste Georg Lukács, l’anglais Stephen Spender et l’allemand et libéral Karl Jaspers.

Ils ont accepté en plus de leur conférence de débattre avec des écrivains ou des essayistes : Jean Amrouche, René Gillouin, Jean Lescure, Maurice Druon ; des critiques : André Rousseaux, Jean Starobinski ; des philosophes : Maurice Merleau-Ponty ou Jean Wahl ; également, le chef d’orchestre Ernest Ansermet, le poète et essayiste Max-Pol Fouchet, le musicologue Antoine Goléa.

Lancelot et Geneviève amènent Anne-Laure, ravie de voyager et de se retrouver dans une ambiance de congrès. Ils ont le privilège de résider à l’Hôtel Beau-Rivage ; là même, où il y a quelques mois, le général de Gaulle, accompagné de son épouse, y résidaient lors du mariage de leur nièce.

Hôtel Beau-Rivage - Genève

En marge des conférences et des débats, sont proposés des manifestations théâtrales et musicales : Un récital Paul Valery, L 'Annonce faite à Marie de Paul Claudel, un Récital Ramuz et L'Histoire du Soldat, la Symphonie pour orchestre ä cordes (1941) de Honegger, et Fidelio de Beethoven.

 

Antony Babel recteur de l’Université de Genève, explique que « ce n'est pas un hasard que nous avions choisi un tel sujet. Nous voulions, avec d'autres, rechercher dans les décombres de l'Europe les éléments vivants qui pouvaient subsister»,

Ce qui touche Anne-Laure, c'est la référence à '' l'esprit européen'' par la figure de Germaine de Staël, développée par Denis de Rougemont, qui ajoute : « La Suisse est intacte. Elle seule a gagné la guerre. »

Pourtant la guerre n'est pas oubliée ; elle est même crainte : Jean Guéhenno, craint « une nouvelle guerre, non pas entre l’Est et l’Ouest, mais une guerre civile mondiale entre la justice sociale et la liberté. » et selon Denis de Rougemont : « Sauver l’Europe, c’est pratiquement et aujourd’hui, empêcher à tout prix la guerre »

Lors d'un débat, il est fait référence à deux ouvrages récents d'Arthur Koestler: - Le Zéro et l’Infini, dans lequel il décrit le mécanisme des aveux lors des grands procès de Moscou en 1936. Dans un régime totalitaire, l'individu représente ''zéro'', il n'existe que par et pour la collectivité. Pourtant, et Malraux le dit dans Les Conquérants : « Une vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie ». Une vie est un zéro mais c’est aussi un infini.

Guéhenno croit et défend ''l'esprit européen'' ; quant à l’objection « Mais l’américanisme, mais le soviétisme ! Mais que sont donc, je vous le demande, l’américanisme et le soviétisme sinon des déformations de l’esprit européen. (…) Et qu’ont-ils fait, l’un et l’autre ? Poussé à l’extrême un seul des principes de l’esprit européen, le principe d’efficacité, le principe du rendement. »

Koestler, dans ''Le Yogi et le Commissaire'', explique que le monde est partagé entre des hommes qui pensent que tout changement social ne peut s’opérer que du dedans de l’homme — c’est l’espèce « yogi », c’est l’espèce des belles âmes, si je peux dire — et d’autres hommes qui croient que tout changement ne peut se faire au contraire que du dehors — c’est l’espèce « commissaire ». « Eh bien, ni le yogi, ni le commissaire ne sont dans l’esprit européen. Ce qui est dans l’esprit européen, c’est, entre le yogi et le commissaire, l’individu. »

Et, plus précisément, pense Lancelot ; c'est, dans la tradition chrétienne : la personne.

Certains orateurs veulent séparer ''l'esprit européen'' de la question politique, comme Jaspers ; d'autres l'estiment liés ( Lukács..) ; ou seulement : empêcher le retour du fascisme. En question également : peut-on faire l'Europe sans la Russie ?

Le 12 septembre, Anne-Laure ne veut pas manquer la conférence de Bernanos. Comme attendu, il ne se veut pas aimable. Il compare le monde à un ''marché noir'' : après celui des cathédrales, il y a le peuple du marché noir, la démocratie du marché noir !

« La Démocratie est la forme politique du Capitalisme, dans le même sens que l’âme est la Forme du corps selon Aristote. »

« L’Europe chrétienne s’est déchristianisée, elle s’est déchristianisée comme un homme se dévitaminise. »

« Je vois se construire un monde où ce n'est pas assez de dire que l'homme n'y pourra vivre ; il y pourra vivre, mais à la condition d'être de moins en moins homme. Ce monde se donne l'illusion de se construire parce qu'on y tronque, mutile, retranche tout ce qui appartenait jadis à l'homme libre, tout ce qu'on avait fait à son usage et qui pourrait rappeler demain, au robot totalitaire, la dignité qu'il a perdue, qu'il ne retrouvera jamais plus. »

A suivre....

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1928 - L'Europe

13 Avril 2021 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Europe, #1920, #Davos

Quelques nouvelles :

- En Novembre 1922, Albert Einstein a reçu le prix Nobel. Depuis la publication sur la Relativité Générale, il se consacre à tenter d'unifier les interactions gravitationnelle et électromagnétique.

Drapeau de l'Union paneuropéenne

- Un mouvement européistes a vu le jour, en 1923 avec Richard Coudenhove-Kalergi, un aristocrate autrichien qui développe le programme de Paneurope...

Le premier congrès paneuropéen, s'est tenu à Vienne en 1926, et a réunit plus de 2 000 participants, dont de nombreux intellectuels, écrivains, industriels et hommes d’affaires. Il a été salué par des intellectuels célèbres comme Stefan Zweig, Sigmund Freud, Albert Einstein, Heinrich et Thomas Mann, Jules Romain, Paul Valéry...

-En 1927, le Parti Radical est prépondérant, marqué à gauche, laïc, il gouverne au centre, et semble peu réformateur... Jouvenel et Luchaire s'y inscrivent en voulant le transformer de l'intérieur... Édouard Daladier en devient président.

- L'action Française est durement éprouvée par l'excommunication qui frappe ses adhérents.

- Le PCF adopte la stratégie '' classe contre classe '' ( exemple : pas de désistement en faveur des socialistes), en 1928, qui l'isole de la gauche.

- La dévaluation du franc, au détriment des rentiers qui avaient souscrit des bons du trésor, revigore l'industrie à l'exportation... L'industrie textile dont dépend la majorité des revenus familiaux de Lancelot, retrouve de l'essor au cours de ces années vingt. On modernise les moyens de production ; on innove pour les teintures...

Pour Coudenhove, l’Europe est constituée par « la philosophie grecque, le droit romain, la religion chrétienne, le mode de vie d’un vrai gentleman et la déclaration des droits de l’homme».

Les responsables politiques nationaux restent attachés à une stricte conception de la souveraineté... Aristide Briand, semble être le seul à évoquer « une sorte de lien fédéral » qui devrait unir « les peuples qui sont géographiquement groupés, comme les peuples d’Europe ».

- L'Allemagne étant exclue de la SDN, et les intellectuels allemands désireux de participer à des rencontres internationales, conjuguent leurs efforts avec un projet Suisse, sur Davos, d'une Université Internationale, à la faveur de la présence de nombreux étudiants en cure dans cette ville de montagne... Un comité composé d'universitaires locaux et étrangers, se donne la mission d'inviter en 1928, des élites intellectuelles européennes à des semaines de travail et d'échange, autour de cycles de conférences.

Quatre années de suite, de 1928 à 1931, ces universitaires seront accompagnés d'étudiants, et de jeunes gens, habilités par leur pays respectif.

Davos

Les premiers Cours Universitaires de Davos, seront lancés en mars 1928, en présence du prix Nobel Albert Einstein

Dès cette annonce, Lancelot s'est empressé de trouver une manière d'y être présent ; et recevoir une habilitation du gouvernement français...

Paul Painlevé lui propose même, dans le cadre de son ministère, la mission ( toute confidentielle ) d'établir un rapport sur les activités et les participants à cette rencontre internationale. Lancelot bénéficiera des conseils de Roger Picard, un professeur de Droit, qui est au Comité de la LDH, socialiste, et conseiller politique...

Lancelot propose à Elaine de l'accompagner.

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