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Les légendes du Graal

1946

Bernanos et les Machines

29 Mars 2023 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Bernanos, #1946, #machines, #technique, #Fourastié

Bernanos

Bernanos bouscule, et Anne-laure de Sallembier ressent l'intime impression qu'il énonce ce qu'elle ne peut réussir à exprimer et qui lui paraît si juste ; à savoir que le totalitarisme prend racine à l'intérieur même de la démocratie avec la Technique. L'Etat totalitaire est un enfant de la Civilisation des Machines. En cause, une conception de l’homme radicalement nouvelle et imposée par « l’État technique qui n'aura demain qu’un seul ennemi: “ l'homme qui ne fait pas comme tout le monde” ou encore “l’homme qui a du temps à perdre” ou plus simplement “l’homme qui croit à autre chose qu’à la Technique”. »

Les deux mots magique du paradis de ''la civilisation des machines'' seront : « Obéissance et irresponsabilité ». Dans les salons Bernanos s'emporte : c'est lui le défenseur de la Démocratie.. ! Que faire si la démocratie nous trompe ? « Les totalitarismes sont les fils de la démocratie. J’emm… la démocratie. » !

Ce que tente d'expliquer Anne-Laure, qui défend Bernanos, c'est que le nazisme n'était pas une parenthèse. Il existe une complicité essentielle entre le libéralisme et le totalitarisme, et s'incarne aujourd'hui dans la technique ; et l'appui des intellectuels par une sorte d'hypertrophie de la rationalité.

« La machine s'est faite homme, par une espèce d'inversion démoniaque du mystère de l'Incarnation. » : c'est du Bernanos.

Plus précisément, Bernanos n'est pas l'ennemi de la technique, mais il se méfie terriblement des techniciens. « Non le danger n’est pas dans les machines, car il n’y a pas d’autre danger pour l’homme que l’homme même. Le danger est dans l’homme que cette civilisation s’efforce en ce moment de former »

Lancelot juge les positions de Bernanos exagérées ; et les propos, cette même année, de Malraux, en conférence à la Sorbonne semble lui répondre. Malraux s'interroge sur les valeurs de l’Occident européen, et juge que ce ne sont ni le rationalisme ni le progrès qui les fondent : « La première valeur européenne, c’est la volonté de conscience. La seconde, c’est la volonté de découverte. (…) La force occidentale, c’est l’acceptation de l’individu. Il y a un humanisme possible, mais il faut bien le dire, et clairement, que c’est un humanisme tragique. » ''L’homme et la culture '', conférence donnée à la Sorbonne le 4 novembre 1946, sous l’égide de l’UNESCO.

 

Il faut dire que Lancelot, lit à cette époque, les articles de Jean Fourastié (1907-1990) qui se veut délibérément optimiste ; au point que Jean Monnet lui demande de rejoindre son « club des optimistes », c'est à dire ses collaborateurs au Commissariat du plan.

Fourastié veut rassurer l’homme « quant au pouvoir qu’il peut exercer sur les esclaves mécaniques que sa science a créés »

Fourastié, examine la production industrielle américaine, la consommation et le niveau de vie, le rendement du travail humain, le genre de vie et la vie intellectuelle ; et cette évolution progressive du niveau de vie conduit de façon certaine « à une nouvelle forme de civilisation ». Il conclut également que le temps dégagé grâce aux bénéfices du progrès technique est investi dans des activités culturelles. Il prédit l’avènement d’une civilisation tertiaire, « civilisation intellectuelle de l’homme moyen. »

Fourastié dans son ouvrage ''La civilisation de 1960 '' paru en 1947, définit le progrès technique selon trois indices : - l'augmentation des rendements en nature, - l'augmentation du rendement du travail des producteurs directs , et - la baisse des prix salariaux. Ils semblent à Lancelot, assez discutables, et peuvent conduire à surestimer sur ces points l'importance du progrès et l'optimisme qui s'en déduit... ?

Emmanuel Mounier

Emmanuel Mounier, responsable de la revue Esprit, ne partage pas non plus le pessimisme de Bernanos, il le range sur ces propos, dans la catégorie des réactionnaires et des traditionalistes, réputés promoteurs d’un « esprit apocalyptique » et chantres d’un « prophétisme morose » . Mounier tient au christianisme, et le veut solidaire de la « notion de progrès ».

Mounier se représente l'antimachinisme comme « un mythe bourgeois ». il est convaincu que le développement du machinisme va connaître une « limite » : « Déjà on atteint des paliers, » exemple : le téléphone n'est plus perfectionnable ! Il veut éviter le catastrophisme. La pédagogie de ce moment charnière, est qu'il met à jour des thèmes qui nous habitent comme la nature et son viol par la technique, l'artificiel et notre suspicion. La technique ne serait-elle pas «  la nature totalement engagée par l’homme dans l’aventure de l’homme. » ? Il n'y aurait pas de mesure de l'homme,  « destiné à exercer la souveraineté sur toute la création terrestre, il est lui-même la mesure de la nature. ».

Depuis quand : « l’angoisse de la fin, à chaque seconde imminente, aurait plus de valeur que la promesse toujours offerte des jours » ?, nous demande Mounier.

 

7 février 1947 à 21h, Bernanos est à la Sorbonne, pour une conférence : '' Démocratie et Révolution'' ; alors que paraît son ouvrage ''La France contre les robots''.

Anne-Laure de Sallembier s'enthousiasme d'entendre Bernanos parler de la Révolution de 1789, comme celle de l’abolition des privilèges (nuit du 4-Août) et de la fête de la Fédération, c’est-à-dire de la nation unie autour de la notion de liberté, mais aussi du roi et de la religion chrétienne. 1789, dit-il a été rendu possible par l’homme du XVIIIe « tout hérissé de libertés ».

Fête de la fédération 1789

« Ce sens de la liberté propre au peuple français est tout ce qui permet de résister à l’ordre et à la réglementation des capitalistes américains, qui se préoccupent davantage de mécanique et de technique que de démocratie, et de ce point de vue ne valent guère mieux que les marxistes et les fascistes, lesquels ne font pas même semblant de croire à la liberté. »

 

Avant que Bernanos ne parte pour la Tunisie, nous lui demandons d'être positif et nous fournir quelques conseils pour résister à la ''Civilisation des machines''. ?

- Nous disposons du modèle antique de l’homme contemplatif : celui qui ne se soumet pas à l’impératif technicien de la production et lui préfère l’impératif proprement humain de la liberté.

L’homme contemplatif est précisément celui qui ne « rougit » pas d’avoir une âme, qui s’en soucie et qui estime que la vie intérieure – parce qu’elle a partie liée avec l’Esprit – vaut infiniment plus que celle que tente de lui substituer la civilisation des machines.

- Le peuple français, héritier de la civilisation grecque, demeure par excellence le peuple de la liberté. Il est donc capable de refuser l’obéissance et l’irresponsabilité qui sont les deux mots d’ordre de la civilisation des machines.

La liberté, entendue comme condition de possibilité de l’âme et, de son synonyme, la vie intérieure.

C’est par la vie intérieure que sont transmises des valeurs indispensables sans quoi la liberté ne serait qu’un vain mot.

La conscience n’est plus qu’une relique du passé ? « Les âmes ! On rougit presque d’écrire aujourd’hui ce mot sacré », s’indigne l’écrivain. « L’homme n’a de contact avec son âme que par la vie intérieure, et dans la Civilisation des machines la vie intérieure prend peu à peu un caractère anormal. »

« Il faut, d'abord et avant tout, re-spiritualiser l'homme. »

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1946 - L'Esprit Européen – Bernanos

24 Mars 2023 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Europe, #1946, #Bernanos, #Guéhenno

Lancelot obtient l'agrément pour participer aux "Rencontres Internationales de Genève", sous le signe de '' l'Esprit Européen", du 2 au 14 septembre 1946. Elles sont organisées par L'Europa-Union de Suisse, qui anime un mouvement fédéraliste en vue d'une communauté européenne, voire d'une union mondiale ( selon l'article 52 de la Charte de la toute nouvelle ONU).

Le Comité d'organisation, explique dans un texte-manifeste, ses intentions profondes : « Un monde nouveau est en train de naître. Sera-ce un monde civilisé? Quelle sera cette civilisation? Sera-t-elle à hauteur d'homme? Voici que l'heure est dangereuse et trouble. Les espoirs que la fin de la guerre avait fait naître n'osent plus se montrer au grand jour. Les vertus qui s’étaient trempées dans la résistance au mal ont peine aujourd'hui ä s'unir pour le bien commun. L'ivresse de la puissance et des grands nombres, la démesure, l'oubli de la sagesse, menacent les sociétés et les individus. II est vrai que la pensée de l'Europe, en sa totalité doive être tenue pour responsable de la catastrophe. Si les Européens ont donne l'exemple de bien des folies, l'Europe a été, durant 25 siècles, le lieu où souffle l'esprit - (durant des siècles, pour reprendre l'expression de Paul Valery, ). Le temps est venu de se demander ce qui est vivant, ce qui est valable, ce qui est juste, dans la pensée humaine et européenne» Extrait

Sont réunis des intellectuels, des écrivains et des artistes en provenance de plusieurs pays européens, principalement de France, de Suisse et d'Italie. l’Italien Francesco Flora, le suisse Jean Rodolphe de Salis, les français Julien Benda, Jean Guéhenno et Georges Bernanos, le suisse Denis de Rougemont, le hongrois et marxiste Georg Lukács, l’anglais Stephen Spender et l’allemand et libéral Karl Jaspers.

Ils ont accepté en plus de leur conférence de débattre avec des écrivains ou des essayistes : Jean Amrouche, René Gillouin, Jean Lescure, Maurice Druon ; des critiques : André Rousseaux, Jean Starobinski ; des philosophes : Maurice Merleau-Ponty ou Jean Wahl ; également, le chef d’orchestre Ernest Ansermet, le poète et essayiste Max-Pol Fouchet, le musicologue Antoine Goléa.

Lancelot et Geneviève amènent Anne-Laure, ravie de voyager et de se retrouver dans une ambiance de congrès. Ils ont le privilège de résider à l’Hôtel Beau-Rivage ; là même, où il y a quelques mois, le général de Gaulle, accompagné de son épouse, y résidaient lors du mariage de leur nièce.

Hôtel Beau-Rivage - Genève

En marge des conférences et des débats, sont proposés des manifestations théâtrales et musicales : Un récital Paul Valery, L 'Annonce faite à Marie de Paul Claudel, un Récital Ramuz et L'Histoire du Soldat, la Symphonie pour orchestre ä cordes (1941) de Honegger, et Fidelio de Beethoven.

 

Antony Babel recteur de l’Université de Genève, explique que « ce n'est pas un hasard que nous avions choisi un tel sujet. Nous voulions, avec d'autres, rechercher dans les décombres de l'Europe les éléments vivants qui pouvaient subsister»,

Ce qui touche Anne-Laure, c'est la référence à '' l'esprit européen'' par la figure de Germaine de Staël, développée par Denis de Rougemont, qui ajoute : « La Suisse est intacte. Elle seule a gagné la guerre. »

Pourtant la guerre n'est pas oubliée ; elle est même crainte : Jean Guéhenno, craint « une nouvelle guerre, non pas entre l’Est et l’Ouest, mais une guerre civile mondiale entre la justice sociale et la liberté. » et selon Denis de Rougemont : « Sauver l’Europe, c’est pratiquement et aujourd’hui, empêcher à tout prix la guerre »

Lors d'un débat, il est fait référence à deux ouvrages récents d'Arthur Koestler: - Le Zéro et l’Infini, dans lequel il décrit le mécanisme des aveux lors des grands procès de Moscou en 1936. Dans un régime totalitaire, l'individu représente ''zéro'', il n'existe que par et pour la collectivité. Pourtant, et Malraux le dit dans Les Conquérants : « Une vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie ». Une vie est un zéro mais c’est aussi un infini.

Guéhenno croit et défend ''l'esprit européen'' ; quant à l’objection « Mais l’américanisme, mais le soviétisme ! Mais que sont donc, je vous le demande, l’américanisme et le soviétisme sinon des déformations de l’esprit européen. (…) Et qu’ont-ils fait, l’un et l’autre ? Poussé à l’extrême un seul des principes de l’esprit européen, le principe d’efficacité, le principe du rendement. »

Koestler, dans ''Le Yogi et le Commissaire'', explique que le monde est partagé entre des hommes qui pensent que tout changement social ne peut s’opérer que du dedans de l’homme — c’est l’espèce « yogi », c’est l’espèce des belles âmes, si je peux dire — et d’autres hommes qui croient que tout changement ne peut se faire au contraire que du dehors — c’est l’espèce « commissaire ». « Eh bien, ni le yogi, ni le commissaire ne sont dans l’esprit européen. Ce qui est dans l’esprit européen, c’est, entre le yogi et le commissaire, l’individu. »

Et, plus précisément, pense Lancelot ; c'est, dans la tradition chrétienne : la personne.

Certains orateurs veulent séparer ''l'esprit européen'' de la question politique, comme Jaspers ; d'autres l'estiment liés ( Lukács..) ; ou seulement : empêcher le retour du fascisme. En question également : peut-on faire l'Europe sans la Russie ?

Le 12 septembre, Anne-Laure ne veut pas manquer la conférence de Bernanos. Comme attendu, il ne se veut pas aimable. Il compare le monde à un ''marché noir'' : après celui des cathédrales, il y a le peuple du marché noir, la démocratie du marché noir !

« La Démocratie est la forme politique du Capitalisme, dans le même sens que l’âme est la Forme du corps selon Aristote. »

« L’Europe chrétienne s’est déchristianisée, elle s’est déchristianisée comme un homme se dévitaminise. »

« Je vois se construire un monde où ce n'est pas assez de dire que l'homme n'y pourra vivre ; il y pourra vivre, mais à la condition d'être de moins en moins homme. Ce monde se donne l'illusion de se construire parce qu'on y tronque, mutile, retranche tout ce qui appartenait jadis à l'homme libre, tout ce qu'on avait fait à son usage et qui pourrait rappeler demain, au robot totalitaire, la dignité qu'il a perdue, qu'il ne retrouvera jamais plus. »

A suivre....

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1946 - L'existentialisme – Baden – D. Desanti.

19 Mars 2023 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Camus, #Communisme, #1946, #Desanti

Lancelot et Geneviève trouvaient un intérêt commun à la philosophie abordée par Jean-Paul Sartre ; même si une personnalité comme Camus semblait mieux convenir à Lancelot, alors que Geneviève reprenait volontiers quelques critiques communistes à propos de Sartre. Bien-sûr Lancelot conteste que l'absurde puisse faire partie de la condition humaine ; mais le doute - partie prenante de la foi – ne cesse de le renvoyer à cette tentation ; dans cette hypothèse les questions posées par Sartre, nous permettent de rester lucide. Pour Camus, c'est « la révolte qui joue le même rôle que le ''cogito'' dans l'ordre de la pensée. ». Camus propose la figure du révolté de Dostoïevski qui voudrait s'émanciper de toute divinité ; Nietzsche annonce lui, la conscience du nihilisme ; et pour Camus, la conjonction de Nietzsche et de Marx donne en Russie, le totalitarisme !

Albert Camus 1946 au journal Combat

Geneviève demande à Lancelot ce qu'il en est, pour Camus, du Parti communiste ?

- Selon Camus, et je partage son opinion, Staline - le révolutionnaire - n'est plus '' l'homme révolté '' ( si, il l'a été...), il est devenu « le policier, le fonctionnaire qui se tourne contre la révolte. (…) tout révolutionnaire finit en oppresseur ou en hérétique. » ( Camus).

 

Aux élections du 21 octobre 1945 le Parti Communiste est la première force politique et obtient 26,2 % des suffrages exprimés (contre 14,76 % en 1936), il dépasse la SFIO. Son image repose sur celle d'être le « parti des 75 000 fusillés ».

Le PCF bénéficie, de ses forts liens avec les autres partis qui, en Italie, en Yougoslavie et en Grèce, ont contribué à la défaite du nazisme et surtout, du rôle joué par l’URSS et l’Armée rouge avec le fort impact de la bataille de Stalingrad.

 

Geneviève reprend la crainte communiste que l'existentialisme ne soit qu'une manifestation d'un idéalisme bourgeois; en effet, ne s'inscrit-il pas dans une ligne métaphysique ; et les questions posées ne sont-elles pas qu'individuelles, abstraites et théoriques ?

Lancelot ne comprend pas cette réserve ''idéologique'':

- Nous ne cessons de vouloir nous baser sur la vérité ! Ce que les communistes refusent, c'est que l'homme est d'abord, un homme libre. « Nous voulons la liberté pour la liberté et à travers chaque circonstance particulière. » ( Sartre). Et Roger Garaudy de répondre à Sartre : pour vous, « Être libre, c’est refuser. La liberté est une négation : c’est le point de vue de ceux qui appartiennent au passé. »

L'esprit très rationnel ( et scientiste...) de Geneviève, est entièrement séduit par la dialectique marxiste. Il me semble qu'après cette période trouble de l'occupation, pendant laquelle seule la force semblait justifier la bonne attitude ( selon l'autorité civile) ; le marxisme offre un socle idéologique qui sécurise la raison, justifie des choix de vie non individualistes, pour une société juste dont on comprend tous les rouages. Geneviève souhaiterait-elle, également, tordre le coup à une suspicion douloureuse de sympathie envers le diable ; le parti communiste lui-même n'est-il pas fréquemment tourmenté par le pacte germano-soviétique de 1939 ?

Elaine va passer sa première année aux côtés de sa maman à Paris, avec l'aide d'une gouvernante Madeleine, qui va beaucoup s'attacher à elle. A partir du printemps 46, Elaine et sa gouvernante passent une très grande partie de leur temps à Fléchigné, en compagnie d'Anne-Laure. Notre ''bonne'' Louise nous a subitement quittés pour être hospitalisée, et y mourir rapidement. C'est ainsi, d'ailleurs, que Madeleine va devenir, de gouvernante d'Elaine, la gouvernante de Fléchigné.

 

En février 1946, Lancelot retourne à Baden Baden, pour un court séjour qu'il effectue avec Geneviève. C'est l’opportunité d'y rencontrer un jeune homme, Edgar Morin (1921-), afin de rapporter au ministère un état de la dénazification de l'opinion publique allemande.

Alfred Döblin (1947)

En 1946, E Morin est nommé Chef du bureau ''Propagande '' à la Direction de l'information au Gouvernement militaire français en Allemagne, il publie son premier livre ''L'An zéro de l'Allemagne'', dans lequel il pose la question de savoir comment le pays le plus cultivé d’Europe a pu produire cette monstruosité qu’est le nazisme.

Sur place également, Alfred Döblin (1878-1957), officier culturel français à Baden-Baden, juif allemand exilé en France depuis 1933, puis ayant acquis la nationalité française, et présent à titre d'occupant. Ce médecin psychiatre classé très à gauche est connu pour son roman ''Berlin Alexanderplatz''. Il a en charge le Bureau des Lettres au Service de l'Éducation Publique du Gouvernement Militaire ; et prépare un projet d’académie de littérature et des arts, à Mayence.

 

L'administration doit reconstituer une presse locale. Lancelot s'engage à défendre certains projets, et permettre quelques largesses dans la répartition du papier, et pour quelques subventions de la part des autorités militaires. C'est parmi d'autres, que voit le jour une publication appelée : '' Lancelot : der Bote aus Frankreich'' - créée et dirigée par Jacqueline Grappin-Prévost, la revue s'est donné pour but de faire connaître aux Allemands, par la traduction d’articles parus dans des revues françaises, la culture française contemporaine dont les avait tenus éloignés douze années de dictature et de guerre.

La revue '' Lancelot '' a profité de deux patronages: celui du gouverneur militaire de la zone, le général Pierre Koenig, et à Paris, de celui de Louis Aragon.

Trois vers tirés de son Cantique à Elsa servent de devise à tous les numéros de la revue :

« La terre accouchera d’un soleil sans bataille
Il faut que la guerre s’en aille.
Mais seulement que l’homme en sorte triomphant. 
»

Aragon explique le sens du titre : « …Lancelot-du-Lac est l’image la plus pure de la chevalerie de la France, de cet esprit de générosité qui s’oppose à la morale des maîtres, à la loi des seigneurs de la tradition germanique, codifiée par les nazis. Lancelot, c’est celui que n’arrêtent ni le qu’en dira-t-on, ni la règle établie, imposée. C’est celui qui met sa fidélité plus haut que son orgueil. Celui qui, par obéissance à sa dame (comme hier les vrais Français à leur patrie) n’hésita point à monter dans la charrette des condamnés, parmi les voleurs et les assassins, et calmement traversa la ville sous les crachats et les huées. Lancelot le chevalier à la charrette, jamais humilié des refus qui lui viennent de l’objet de son amour, mais l’inlassable champion de cet amour. Lancelot le contraire de Machiavel, Lancelot qui a rompu tant de lances pour les faibles et les asservis, qu’on l’imagine arrivant aux portes de Buchenwald ou de Dachau » (Cité d’après V. Wackenheim '' création de Lancelot) )

Dominique Desanti 1949

 

Enfin, c'est à Baden, au centre de presse, que Geneviève rencontre Dominique Desanti (1919-2011), une jeune femme d'origine polonaise mariée à un philosophe, qui travaille pour le journal communiste ''Action''. Geneviève sera emballée par le couple Desanti, et les retrouvera à Paris, dès que possible. Les Desanti souhaitent rencontrer le philosophe Heidegger, chez lui et Lancelot leur facilite la démarche.

 

Lors de la démission du général de Gaulle (20 janv 46), Lancelot comprend avec les responsables de son ministère que son retour sera cautionné par une nouvelle constitution qui lui convienne. La crainte d'une prise de pouvoir par les communistes reste vive ; mais à la différence de la Yougoslavie, en France, nous n'avons pas l'armée rouge mais des troupes américaines. Le PCF avec à sa tête Maurice Thorez revendique la présidence du Conseil.

Un projet de constitution est rejeté par le suffrage universel ( mai 46). Une nouvelle Assemblée Nationale est élue en juin, et De Gaulle définit, dans son coin, les grandes lignes d'un projet de constitution, marqué par un pouvoir exécutif qui procéderait directement du chef de l'état.

Selon Léon Blum : il en est du principe républicain d'avoir une Assemblée directement issue du suffrage universel ; et c'est elle, qui doit avoir le premier et le dernier mot.

Sous le gouvernement Bidault, le Référendum ( Oct 46) adopte la nouvelle constitution, celle de la IVe république. Le président du Conseil est investi par l’Assemblée nationale et responsable devant elle.

Les élections législatives du 10 novembre 1946 font du PC le premier parti politique de France avec 28,8 % des suffrages exprimés et la plus forte représentation à l’Assemblée nationale.

Une certaine désillusion politique, s'ajoute aux difficultés de la vie quotidienne : il est toujours difficile de se chauffer, se ravitailler. Selon votre classe sociale, vous vivez plus ou moins difficilement cette période d'après-guerre, Les grands rêves des jours d'après, seraient-ils déjà abandonnés ?

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