philosophie
William James (1842-1910) et la Vérité
Comme Anne-Laure de Sallembier rencontrait Edith Wharton, elle eut aussi l'avantage de côtoyer l'écrivain Henry James... Elle imaginait d'ailleurs, qu'Edith et lui étaient amants et cachaient leur liaison en utilisant un personnage créé par leur imagination romanesque … ( cf Article - Edith Wharton – une américaine à Paris.)
Surtout, Anne-Laure a rapporté de nombreuses notes de ses entretiens avec William James (1842-1910), le frère d'Henry, qui en 1909-1910 avait rejoint l'Europe, alors qu'il était d'ailleurs malade du cœur et venu se reposer chez son frère... Il avait démissionné d'Harvard en 1907; et devait mourir le 26 août 1910 d'une crise cardiaque...
Le père d'Henry et William était un grand théologien, disciple de Swedenborg... Il s’intéressait, comme ses fils, aux fantômes et à la parapsychologie…
Henry, expatrié en Angleterre, romancier, est le plus connu... Il a un tempérament d'artiste avec un bon sens de l'humour. Il apprécie le luxe des dîners anglais et des salons littéraires
William, l’aîné, se veut plus sérieux... Il a quitté New York pour les verts pâturages de l'Université de Harvard, où il introduit la psychologie à l'université, philosophe ''pragmatiste'' il s'est révélé être une sorte de prophète... Bergson a rencontré William à Londres, il écrit à un ami : « C'est un homme si modeste et sans prétention, mais quel génie intellectuellement ! J'ai le pressentiment que ce qu'il a mis en lumière s'imposera et constituera un tournant dans l'histoire de la philosophie. »
Anne-Laure semble s'être confiée et a parlé de sa Quête... Elle interroge William sur '' la Vérité ''…
Ne devons-nous pas penser et agir à partir de principes ''vrais''.. ? La Quête serait bien décevante si elle reposait sur des principes faux ! N'est ce pas identique en science... ?
- Oui, pour savoir si une chose est vraie, il faut- dit-il – poser une croyance, la tester et l'intégrer dans un corpus plus large... James doute que l'on puisse observer le Réel ''en soi'' ( ce qui supposerait sortir de ses croyances, dit-il...)
« La vérité vit à crédit. » « Nos pensées et nos croyances, poursuit James, passent comme monnaie ayant cours tant que rien ne les fait refuser, exactement comme les billets de banque tant que personne ne les refuse. Mais tout ceci sous-entend des vérifications, expressément faites quelque part, des confrontations directes avec les faits, sans quoi tout notre édifice de vérités s'écroule, comme s'écroulerait un système financier à la base duquel manquerait toute réserve métallique. Vous acceptez ma vérification pour une chose, et moi j'accepte pour une autre votre vérification. Il se fait entre nous un trafic de vérités. Mais il y a des croyances qui, vérifiées par quelqu'un, servent d'assises à toute la superstructure. »
Les vérités sont des croyances que nous ( ou d'autres pour nous) vérifions …
Mais ce qui est étonnant chez William James, c'est qu'il rajoute : Il est des croyances ou vérités auxquelles la seule « volonté de croire » suffit... !
Par exemple, sur la question du libre arbitre: W. James dit « Mon premier acte de libre arbitre est de croire au libre arbitre ».
Abordons, à présent, le ''Pragmatisme ''
« Les idées ne sont pas vraies ou fausses. Elles sont ou non utiles. » Telle est la thèse centrale que défend William James
Anne-Laure est vivement interpellée par cette remise en question de '' La Vérité '' : Une et Imposante... Elle pensait devoir choisir entre Une Vérité surnaturelle et une Vérité matérielle ; les deux s'appuyant sur le raisonnement, tel la déduction à partir d'hypothèses... Méthode que W. James récuse ; il préfère s'en tenir à l'étude des faits : inutile de discuter sur l'essence d'un objet, il serait suffisant d'en discuter les caractéristiques, et son utilité … !
Et... La question brûle les lèvres d'Anne-Laure : Croyez-vous en Dieu... ?
- Oui... ! « c'est la croyance qui donne des couleurs à la vie et qui fait la différence ».
Ce qui intéresse James, ce ne sont pas les éventuelles '' preuves '' de l'existence de Dieu... idiotes... ! Ce sont les phénomènes de la religion : la prière, l'expérience mystique, en particulier les conversions ...etc
Sa première idée est l'inconscient, mais il n'interdit pas une force supérieure... L'esprit en nous est bien plus vaste que notre conscience...
Anne-Laure réussit même à lui faire exprimer sa croyance en ''quelque-chose de plus grand que notre monde'', mais pas forcément un dieu unique … Plutôt une multitude de puissances ; dans la nature agissent tant de forces différentes et qui interagissent avec l'humanité mais sans contraindre notre liberté... Ce Dieu donc, n'est pas le maître du bien et du mal...
Anne-Laure trouve le personnage sympathique. Il tient à ce que ses idées soient claires, compréhensibles, et critiquent les discours obscurs qui se justifieraient parce qu'ils seraient profonds ...!
W. James est un bon orateur... Il est passionnant à écouter ; et à la grande différence de son père, il respecte les femmes. Il accepte la conversation, écoute les questions...
- N'ayez pas peur de penser, d'agir... Affirmez votre liberté... !
La Quête de la Vérité - Philosophie
Nous étions déjà à Heidelberg... mais, revenons il y a quelques mois au temps de la préparation de ce voyage...
En cette époque, où un monde nouveau et scientifique semble avoir du mal à faire sa place, où le nouveau siècle tarde à s'établir, la philosophie ne craint plus à se remettre en cause, à tel point que c'est la notion même de Vérité qui est questionnée, et, sans tabou religieux...
Je propose – à l'aide des notes d'Anne-Laure – de réviser la notion...
- Si vous recherchez la Vérité au travers l'histoire de la philosophie en espérant ainsi bénéficier du progrès de la pensée, alors vous pensez que la Vérité n'est pas éternelle et immuable... ?
- Non... C'est, simplement, présumer que l'esprit évolue au cours des siècles dans sa prise de conscience... La Vérité pourrait être ce qu'elle est ; et l'esprit humain, lui, de plus en plus réceptif...
Mais, vous pourriez être sceptique, avec Pyrrhon ; ne pas faire confiance en vos sens... David Hume ( XVIIIe s), est persuadé que l'homme est inapte à atteindre la vérité absolue...
Si je dis , l'être est en devenir.... Je peux déjà me projeter dans l'antiquité avec Héraclite...
Ensuite Platon pense que les idées sont capables de contenir toute vérité intelligible ; et que le réel est intelligible...
Aristote ajoute qu'en étudiant le monde sensible, nous pouvons accéder aux ''causes'', jusqu'à '' l'essence''...
Pour Augustin d'Hippone, les vérités sont en Dieu.
Pour Thomas d'Aquin, la théologie tient ses principes de la Révélation ; et la philosophie est sa servante, la raison naturelle va du bas vers le haut (Dieu) : « la vérité est l'adéquation de l'intellect aux choses »
Descartes pense que la raison est la « faculté de bien juger et distinguer le vrai d'avec le faux ». Une méthode est nécessaire... Il nous faut saisir les idées ( entendement), pour ensuite les affirmer ou les nier.. Malheureusement notre entendement est limité, et notre volonté est infinie... !
Spinoza reprend la conception classique de la vérité comme correspondance de l'idée et de l'objet.
Vous voulez dire que la recherche de vérité est une expérience de pensée : accord avec les faits et accord avec soi, pour devenir une évidence... ?
Mais, Leibniz se méfie de l'évidence intuitive.
Pour Kant, la connaissance vraie ne peut être qu'une connaissance scientifique qui porte sur la nature. La vérité scientifique ne porte que sur les phénomènes; elle ne reflète donc pas la réalité telle qu'elle est en elle-même, mais telle qu'elle est pour nous. Les concepts métaphysiques ( Dieu, la liberté, l'âme...) sont exclus de la connaissance scientifique ; et la croyance se substitue au savoir...
Nous sommes tentés de dire, que la Vérité voudrait ressembler à la Réalité...
Mais pour Bergson, la réalité est ''mouvante'' ( elle est un point de l'espace et du temps...) ; elle est particulière, singulière ( comme l'instant = division du temps) ... Et la Vérité se veut universelle...
Bergson, nous permet d'envisager qu'il peut y avoir coïncidence de l'esprit humain avec le cœur de l'être, cela se réaliserait dans l'intuition (comme la durée...)...
On retrouve, la soi-disant ''évidence intuitive'' … ? et, Bergson répond qu'effectivement ; il y a comme un caractère non-exact de la vérité, qui ne peut être atteinte que par d’autres formes de discours, comme la métaphore, l'analogie...
A suivre avec William James ...
Le Congrès de philosophie d'Heidelberg - 1908 - 1
Nous savons déjà que, Anne-Laure et Jean-Baptiste fréquentent de près le cercle très philosophique des amis et parents Poincaré ; et en particulier Emile Boutroux, marié à Aline Poincaré, la sœur d'Henri...
Emile Boutroux est un grand connaisseur et admiratif de la philosophie allemande ; il a même travaillé une douzaine d'années à l’université d'Heidelberg... Anne-Laure va faciliter sa vie mondaine, et le soutenir dans la préparation du Congrès International de Philosophie...
Précisément en cette année 1908 - après Paris en 1900 - il se tient à Heidelberg; et Anne-Laure et Jean-Baptiste, vont accompagner le couple Boutroux, à ce qui sera un grand événement mondain et intellectuel...
Il n'est pas sans importance pour la suite, de noter que le fils d'Anne-Laure, Lancelot, l'accompagne ( pour la première fois dans ses voyages) à Heildelberg... Lancelot à huit ans est déjà un garçon sensible, à l'esprit très éveillé...
C'est ici, que Lancelot apprend le sens de l'un de ses premiers mots allemands préférés: gemütlich... M. Boutroux, l'emploie dans son toast, pour remercier les allemands de leur accueil cordial en particulier celui de leur hôte M. le Professeur Elsenhans; ensuite, ils utiliseront fréquemment ce mot pour décrire l'ambiance des restaurants, des hôtels...
Ces congrès - que les chemins de fer et le télégraphe facilitent - renforcent la communication et la coopération entre savants, mais n'effacent pas les rivalités nationales... Le choix des villes concluent une compétition entre gouvernements, et reflètent la situation géopolitique...
L'Allemagne, depuis 1870 est perçue comme un pays prédominant...
Cependant, en ce 1er septembre 1908, jour d'anniversaire de la défaite française de Sedan; nous remarquons le tact de nos hôtes et aussi de la majorité de la population d'Heildelberg... Même si nous assuyons quelques échanges de quelques ''gallophobes'' qui se scandalisent de cette délicatesse...!
L'Université et la ville, le Gouvernement grand-ducal de Bade lui-même ont rivalisé d'efforts pour faire fête au Congrès.
Le programme en marge du congrès est varié et abondant, avec le choix de valoriser le côté pittoresque de la vieille Allemagne : le vieil hôtel Ritter, les fresques du Carcer peintes par les étudiants punis et incarcérés... Et, bien-sûr, la ruine mélancolique du vieux Schloss ( château), si étrangement rouge dans le cadre vert des montagnes.
Un soir, tous les invités du Congrès, purent embarquer dans des des chalands sur le Neckar, et assister à un prestigieux spectacle du château sorti soudain de la nuit, tout brûlant d'une lumière magique, comme si quelque sabbat ressuscitait dans ses murs les fêtes et l'orgie d'antan. Une de ces images rares que l'oeil n'oublie plus.
L'Université, Ruprecht-Karls-Universität Heidelberg ou Ruperto Carola du nom de ses deux fondateurs, ouvre largement ses portes aux visiteurs, chacun peut remarquer l'installation coquette et confortable ( gemütlich ) de ses salles et surtout sa merveilleuse bibliothèque.
Pendant l'été 1878, Mark Twain est resté trois mois à Heidelberg pour y apprendre l'allemand... Dans son livre ''A Tramp Abroad '' publié en 1880, Twain décrit ses impressions quant à la vie universitaire à Heidelberg de manière aussi détaillée qu'humoristique. Il dépeint l'université comme une école d'aristocrates où les étudiants mènent un style de vie élégant et décrit la forte influence exercée par les sociétés d'étudiants.
Wilhelm Meyer-Förster, dans sa pièce Alt Heidelberg (1903) - l'une des pièces allemandes les plus jouées dans la première moitié du 20e siècle -, est aussi frappé par cette vie universitaire... Il y raconte l'histoire d'un prince allemand qui vient à Heidelberg pour étudier, et qui tombe amoureux de la fille de son aubergiste.
A suivre, avec l'état des recherches sur '' la Vérité ''
Henri Bergson, philosophe.
Plusieurs heures avant le début du cours de Henri Bergson (1859-1941), le valet de pied de la comtesse de Sallembier, retient sa place; puis une procession de voitures s'aligne devant le Collège de France. Bergson parle sans notes, parmi les auditeurs beaucoup d'hommes et de femmes du monde, et aussi des sténographes assermentés qui retranscrivent la parole du Maître avec exactitude...
Anne-Laure y croise également Charles Péguy, qui est un disciple fervent du philosophe... Depuis quelque temps elle fréquente le salon de Geneviève Bizet ( ex Straus, et née Halevy) au 104, rue de Miromesnil, et rencontre avec plaisir le clan Halevy, des gens cultivés et sans le moindre snobisme, en particulier Daniel Halévy (1872-1962), ami de Péguy et condisciple de Proust ... Geneviève Bizet lit tout ce qui parait et adore la conversation d'intellectuels... plutôt masculins; les femmes y sont moins nombreuses qu'ailleurs.
Bergson semble bien frêle, avec son col empesé ; mais quand il enseigne, ses paroles débordent d'énergie... Il propose de voir le monde dans leur épaisseur, et pour cela de ralentir le temps... Le réel c'est la durée, et « percevoir c'est immobiliser »... L'espace se loge dans les plis du temps, dans ses ondulations...
" (...) si vous voulez vous préparer un verre d'eau sucrée, fait-il remarquer à ses auditeurs du Collège en 1901, il faut attendre que le sucre fonde. Le temps de la fonte peut sembler inutile à celui qui a soif, il n'en a pas moins une valeur absolue. Car c'est à l'intérieur de ce temps que quelque chose de nouveau advient. Or ce quelque chose se donne à nous comme un bloc de durée, sans division possible. Ce que j'éprouve dans mon attente, ce n'est pas le "temps-longueur" des mathématiciens et des pendules, mais le "temps-invention", flux universel qui se creuse, s'intériorise, au lieu de s'écouler mécaniquement d'un point à un autre. C'est l'univers même en train de se faire. Décomposer la fonte en une infinité de petits morceaux de sucre qui se meuvent dans l'eau, c'est rater sa vérité profonde, car le monde n'est pas une somme de petits morceaux, pas plus que mon attente n'est faite de petites impatiences."
Bergson éclaircit des notions, qui sont traversées par le concept de durée, et qui vont occuper bien des scientifiques: le fini, l’infini, le relatif, l’absolu, le mouvement…
«Si j’envisage non plus du dedans mais du dehors le mouvement de mon bras qui se lève, si au lieu de le sentir, de me sentir l’accomplissant, je le regarde du dehors s’accomplissant, je vois qu’il traverse un point puis un autre point et ainsi de suite ; il parcourt autant de points qu’on voudra, et ce mouvement n’est pas autre chose, pour moi, que la succession des positions du mobile le long de sa trajectoire.»
La connaissance venue de dedans est absolue, «simple» et «indivisible». Celle que l’on a du dehors est relative, obtenue par «composition». C’est pourtant cette dernière qui est la connaissance d’usage, «car nous avons contracté l’habitude de considérer le mouvement comme étant essentiellement cela», une suite divisible de «positions qui se succèdent», mais qui, prises une à une, seraient autant…d’arrêts ( sources: Bergson côté cours de Robert Maggiori)
Le symbolisme est finalement une abstraction générale assez forte où les humains vont progresser de représentations en représentations pour signifier le plus de choses communes avec le moins de mots possibles.
La Quête qui nous motive ici, utilise le signe du Graal; ce signe fixe une attitude que nous exprimons par rapport à ce que nous souhaitons signifier... Le signe est un pont entre moi et la chose, il m'indique le trajet à suivre ... Le concept lui, s'inscrit plutôt dans une saisie intellectuelle...
Bergson emmène le lecteur vers une psychologie originale de la relation du sujet aux choses.
Pour ''connaître ''; il est nécessaire de conceptualiser, et de percevoir; le concept a tendance à figer...
« Il faut que, par un effort d’intuition, nous cherchions à nous replacer dans la chose que nous voulons penser. Au lieu de prendre, du dehors, des vues sur elle, il faut que nous cherchions à sympathiser avec elle » Henri Bergson, Histoire de l’idée de temps. Cours au Collège de France
La pensée religieuse ou magique comme la pensée « scientifique » ne nous montrent qu’un aspect relatif de la réalité : ils symbolisent le monde plus qu’ils ne nous le montrent tel qu’il est.
La Quête du Graal, interroge l'âme, la mort et l'existence d'un ''au-delà''. Anne-Laure en cherche un écho dans l'oeuvre de Bergson...
Bergson entend intégrer dans sa réflexion, les témoignages de la science, mais aussi l'expérience mystique...
Dans le contexte de la psychologie de l’époque de Bergson, l’hypnose ( par exemple) renverse la subordination de l’esprit au corps en montrant l’action causale de l’esprit sur le corps.
Dans le contexte de la IIIe République, la raison doit empêcher un retour en arrière vers la superstition... A l'inverse, Bergson pense que le fait religieux exprime un besoin biologique de l’espèce qu’aucune morale laïque ne saurait satisfaire.
Par la croyance, la nature humaine réagit en défense contre sa raison qui désenchante, contre l'inévitable mort et le néant possible, contre l'annihilation de la personne... Ces scénarios sont eux-même produits par l'intelligence ( la raison) parce que l'homme a la possibilité d'accéder à l'être, par sa négation ...
« Les philosophes ne se sont guère occupés de l’idée de néant. Et pourtant elle est souvent le ressort caché, l’invisible moteur de la pensée philosophique. Dès le premier éveil de la réflexion, c’est elle qui pousse en avant, droit sous le regard de la conscience, les problèmes angoissants, les questions qu’on ne peut fixer sans être pris de vertige » L’évolution créatrice, H Bergson
L'angoisse du néant, chez l'homme, est pour Bergson consubstantielle à l'intelligence; c'est en quelque sorte le ''péché originel'' de l'homme...
La mort est un ''scandale'' pour l'esprit. Nous avons l'expérience de la durée, et nous ne pouvons envisager l'instant dernier... Notre seule expérience est celle de la mort d'autrui...
Cette faculté créatrice qu'est l'intuition nous amène au coeur de l'être. La conscience nous permet d'affirmer l'existence: entre, penser un objet et le penser existant, il n’y a absolument aucune différence...
L’expérience de la conscience révèle notre participation à un principe conscient plus grand et impérissable... Et, l’impossibilité à se représenter le néant pourrait signifier l'existence de l'Etre même ...
« Quand un instinct puissant proclame la survivance probable de la personne, (on a) raison de ne pas fermer l’oreille à sa voix . » L’Evolution créatrice.
Henri Poincaré, mathématicien et philosophe.
Il est vrai que le ''tout Paris'' connaît mieux Caroline Otero que Marie Curie, ou Boni de Castellane que Henri Poincaré... Cependant un grand siècle scientifique se met en place...
La France et le pays de Descartes ( on vient de fêter en 1896 le tricentenaire de la naissance de Descartes) , la raison est déterminante et chacun a foi en une vérité absolue ... Pourtant des penseurs et savants questionnent la connaissance en soi... Poincaré proclame que la géométrie d'Euclide n'est la plus vraie que parce que, elle est la plus commode... Le positivisme est mis à mal, alors que la science ouvre des portes: la théorie atomique, la radioactivité ...etc
N'oublions pas - parmi ceux qui réagissent au positivisme scientiste - la mouvance symboliste et décadentiste, la mode de l’occultisme, l’attrait pour le spiritisme et, d’une manière générale, le renouveau du spiritualisme dont Bergson reste le principal représentant au tournant du siècle.
Comme de nombreux parisiens cultivés, Anne-Laure de Sallembier se presse devant le Collège de France, pour entrer dans la salle n°8 et écouter notamment Bergson; ou courre les conférences données par Henri Poincaré ( ainsi, celle donnée à ''Foi et Vie'' sur '' La morale et la science''...
Poincaré ne publiait pas lui-même ses cours à la Sorbonne et ses conférences... Ses étudiants ou ses collaborateurs ( comme JBV) s'en chargeaient.
Sans-doute est-ce le goût de l'érudition, de la Quête, qui ont réunit Anne-Laure et Jean-Baptiste; en particulier ce sur quoi - de la littérature à la science, en passant par la philosophie - la Connaissance s'enrichit chaque jour au point de nous faire penser que nous pouvons peut-être accéder à la Vérité...
Ce siècle nouveau leur permettra t-il de conclure la Quête du Graal ...?
Henri Poincaré (1854-1912), est un personnage qui passerait facilement inaperçu... Il est petit, myope. Enfant, il voit mal au tableau et développe une mémoire auditive. Il se souvient de ses cours, sans prendre de notes. Il dessine mal, mais possède une vision spatiale, qu'il développe en géométrie... Il peut effectuer toute une suite de calculs mentalement, et les coucher sur papier en rentrant chez lui... Après avoir compris, il écrit vite, très vite au point de commettre des erreurs...
Il aime lire, et écrire... Il s'essaie sur un roman, et des pièces de théâtre...
Henri Poincaré souffre d'insomnies, et de troubles de l'attention. Il ne pratique pas le sport. Il n'est pas liant et peu enclin aux confidences. Il se soumet aux règles de vie par désintérêt, et provoque ainsi des fautes par distraction....
Depuis l'âge de 18ans, il se considère agnostique et se méfie de l'institution catholique, de ses positions anti-intellectuelles, et son influence sur la vie sociale... Il professe le droit à '' la libre pensée''. Il est républicain, et pour la propriété individuelle. Il est pour que les femmes se libèrent de l'influence cléricale et acquièrent tous les droits civiques ...
Dreyfusard, il critique les méthodes d'analyse du bordereau qui semble accuser Dreyfus...
En ce début de siècle, Henri Poincaré est considéré comme l'un des derniers savants ''universels''; que l'on questionne sur des domaines qui s’étendent des mathématiques à la physique aussi bien que de l’astronomie à la philosophie. Il œuvre, toute sa carrière durant, à la vulgarisation de ses résultats et des grands travaux de la science.
Pour Poincaré, une formation littéraire ( avec pratique du thème et de la version latine...) est mieux formée pour suivre les subtilités du raisonnement mathématique que le bachelier scientifique... Pour lui Science et philosophie ne s'opposent pas; la philosophie étant le cadre réflexif de diverses activités.
La recherche de la vérité est au coeur de l'activité humaine.
« Vouloir faire tenir la nature dans la science, ce serait vouloir faire entrer le tout dans la partie »; la science ne peut pas nous faire connaître "la véritable nature des choses", mais "les véritables rapports des choses"
La science nous fait connaître quelque chose de la réalité : « les rapports entre les choses ; en dehors de ces rapports il n’y a pas de réalité connaissable »
Poincaré parle de ''relativité"... Relativité, parce que si, un système est connu par l'observation du scientifique, cette observation donne lieu à un modèle, qui n'est qu'une convention... Les principes de la mécanique, les axiomes géométriques... sont des conventions... La science ne dit pas le ''vrai'', elle dit ce qui est commode pour notre raison...
Ce modèle est rationnel, et interdépendant de celui qui l'observe et d'autres systèmes ... Tout est interdépendant, et non pas soumis au hasard...
Anne-Laure extrapole les propos de Poincaré, sur la philosophie, et sur la religion... Les dogmes ne sont que des conventions...
« Douter de tout ou tout croire sont deux solutions également commodes, qui l’une et l’autre nous dispensent de réfléchir. » (Extrait de La Science et l’hypothèse, 1908)
Jules de Gaultier – le Bovarysme.
En particulier au Mercure, les préoccupations et les discussions tournent beaucoup autour des relations entre les hommes et et les femmes … A ce propos, une figure de femme entretient de longues discussions, celle d'Emma Bovary... !
Madame Bovary est parue pour la première fois, en 1856, dans La Revue de Paris.
Nous dirions que c'est une histoire banale... et précisément, fait scandale à cause de sa banalité même : deux adultères et un suicide. Un fait divers, marqué par son époque.. Une femme insatisfaite, qui, après avoir cherché des sensations intenses dans la littérature, les images de la religion et la relation amoureuse, n’échappe à son milieu que par la mort. Ce portrait fait par Flaubert (1821-1880) semble si juste, réaliste ; qu'est adopté un néologisme basé sur ce personnage : « le bovarisme » ou « bovarysme »... Ce terme est employé une première fois en 1880 dans le Siècle pour qualifier la ''maladie'' ( Flaubert était médecin) dont souffre Emma...
L'homme qui entretient Anne-Laure de Sallembier, de ce sujet est Jules de Gaultier (1858-1942), que nous avons déjà évoqué...
Jules – homme élégant, à l'attitude noble - est un simple receveur des finances, qui va faire de la philosophie et publier dans les revues les plus prestigieuses… Il connaît bien la Normandie, qu'il apprécie ( Anne-Laure y est bien-sûr attachée …) ; à Paris, dit-il, il est comme « dans une chambre sans fenêtre » ...
Il soutient que le bovarysme, qui toucherait beaucoup de femmes, serait d'être amoureuse de l'amour, au lieu d'être amoureuse d'un homme ( bien réel...)... Comme Don Quichotte ( pour l'homme...), Emma Bovary mélange la vie, et ses illusions ; et ils ne peuvent pas supporter la réalité...
- Il s'agit donc d'une maladie... ?
- Non …. C'est un état de fait … !
- Vous exagérez...
- Pensez-vous que chacun d'entre nous puissions avoir la connaissance effective de la réalité … ? Le premier pas – disons créateur - de l'homme, c'est de distinguer le moi du monde extérieur … Il voit la diversité du monde, il distingue des ''phénomènes''...
- Il se fait une idée du monde qui l'entoure ….
- Oui, mais attention... Ce monde n'est pas figé. Il évolue...
- Mais, ce qui se montre à nous, peut nous mentir ! ?
- Oui... et de plus, notre perception aussi … Le tout repose nécessairement sur une illusion... !
- Alors... Comment accéder à la Vérité … ?
- « Croire ! Contempler ! ce double vœu a hanté de tout temps les cervelles philosophiques ; il a partagé le monde des philosophes en deux types rivaux et ennemis : le sacerdote et l’artiste. »
En fait, Jules de Gaultier pense « que toute vérité, qu’elle soit morale ou scientifique, n’est jamais vraie en soi, mais qu’elle ne l’est qu’en fonction de son utilité présente ou passée. »
Jules de Gaultier se rattache à à Schopenhauer, par son éducation philosophique...
« Le monde est un spectacle à regarder et non un problème à résoudre » dit-il.
Anne-Laure de Sallembier, découvre Nietzsche, grâce à Gaultier qui tient la chronique philosophique du Mercure... Il ne réside pas à Paris, mais Anne-Laure le voit régulièrement lors de ces passages. Élégant, physique d'officier de cavalerie, il parle posément en bon professeur. Il semble ne parler que de ''bovarysme'' ; il en a fait la clé de voûte de sa philosophie. C'est une manière de parler de la limite de la Connaissance ; et concerne l'humain en général... « toute réalité qui se connaît elle-même, se connaît autre qu’elle n’est. Ainsi s’énonce, resserrée en la forme d’un aphorisme, la notion du Bovarysme ».
Ce que nous appelons connaissance est en fait une création de notre part. La réalité phénoménale est autre qu'elle n'est ! Notre perception repose sur une illusion... Il ne resta au philosophe que de croire ou contempler...
Proche de Nietzsche, Gaultier reste fondamentalement persuadé que toute vérité, qu’elle soit morale ou scientifique, n’est jamais vraie en soi, mais qu’elle ne l’est qu’en fonction de son utilité présente ou passée.
Le « rationalisme » lui apparaît comme étant « une confusion des catégories de l’intelligence et de la croyance ».
Seuls les artistes ne sont pas dupes des illusions qu'ils créent. L'art est essentiel, c’est un des moyens que la vie choisit pour manifester « qu’elle veut aussi prendre conscience d’elle-même ». C'est ce que Gaultier appelle : la « justification esthétique de l'existence ». Le philosophe-artiste est critique du monde, même s'il reste sensible aux idées du temps...
Le philosophe tente de comprendre le mécanisme des actions humaines et de chercher quel peut bien être leur but, et si elles en ont un, ou si la vie n'est pas autre chose qu'un ensemble de gestes évoluant parmi les ténèbres du hasard.
La philosophie rejoint les mythes qui ré-enchantent la banalité du quotidien, non que ce quotidien soit banal, mais parce qu'ils en traitent avec génie ( analogue à un sujet traité avec art, ou sans art …) Schopenhauer dit, comme Shakespeare... Frédéric Nietzsche, est en même temps un grand poète et un grand philosophe.
Je peux imaginer comment ce discours a pu émouvoir Anne-Laure ; elle, qui tentait de comprendre comment l'histoire du Graal, de Perceval, des chevaliers de la Table Ronde, et des femmes-fées, pouvaient encore parler à des hommes et femmes de raison en ce début du siècle … !
La question posée par ''le bovarysme'', est qu'il peut se développe dans un sens absolument opposé à la personnalité réelle de l'individu. On parle alors de maladie, s'il s'agit de fausse passion, fausse vocation. Le ''non-vrai'' devient une condition de l'existence ; jusqu'au moment où le rêve se brise au contact de la réalité... Par exemple, quand Emma imite la signature de son mari sur les billets qu'elle a souscrits, malheureusement, son imagination ne change pas la loi du monde. Les effets souscrits sont représentés à leur échéance. Impayés, ils sont protestés. Emma, plutôt que d'avouer, choisit la mort.
Pour Gaultier, encore, l''instinct de vie'' pousse l'individu à créer de l'illusion pour vivre ( idoles …) ; à l'opposé'' l'instinct de connaissance'' en doute et démystifie...
Baudelaire disait : « … Je sortirai quant à moi satisfait d'un monde où l'action n'est pas la sœur du rêve. » ( Reniement de saint Pierre, des Fleurs du Mal )
Nietzsche affirme que le mythe est d'une manière générale « le lit de paresse de la pensée » … Et donc, s'il s'agit de nourrir sa pensée par les mythes, il faut ne pas s'y laisser enfermer, telle une croyance ; mais s'y laisser inspirer, interroger... Le mythe a cette faculté de proposer une multiplicité de sens …
Anne-Laure de Sallembier – La Quête et la vie mondaine
En quoi la vie mondaine, contribue t-elle à la Quête … ? La comtesse Anne-Laure de Sallembier en est persuadée : par exemple, quand elle interroge ses amis sur la place de l'art dans leur vie... Anne-Laure appartient à une société où la place de l'esthétique est prépondérante...
Si l'esthétique s'offre à la sensibilité, elle est destinée à l'esprit : un esprit ouvert à l'Absolu...
L'Art passe par l'humain, et lui offre une prise de conscience de soi … Et, à cette époque, ce qui est flagrant c'est la tension constante entre le masculin et le féminin...
Exemple mondain: la femme y est sujet et objet de beauté... La sensibilité provoque les cœur et le corps ; mais finalement ce sont l'âme et l'esprit qui s'enrichissent de l'expérience esthétique ...
« Je tiens l’art pour la tâche suprême et l’activité proprement métaphysique de cette vie » Nietzsche (1844-1900) (La Naissance de la tragédie)
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Comme nous venons de le voir, la place du vêtement est essentiel dans une soirée mondaine. La femme, alors s'y sent investit d'une mission : la toilette féminine est une œuvre d’art.
« Mme la comtesse Greffuhle, délicieusement habillée : la robe est de soie lilas rosé, semée d’orchidées et recouverte de mousseline de soie de même nuance, le chapeau fleuri d’orchidées et tout entouré de gaze lilas » Proust - dans la revue Le Gaulois et intitulé ''Une fête littéraire à Versailles''
Ce qui gène Anne-Laure, favorisée alors par sa jeunesse et ses traits ; c'est d'être ''objet '', et non ''sujet''...
Cependant ce n'est pas le cas. Marcel Proust fait de l'élégante, une artiste. Il assigne à la femme qui porte le vêtement un rôle de créateur.
« Je me disais que la femme que je voyais de loin marcher, ouvrir son ombrelle, traverser la rue, était, de l’avis des connaisseurs, la plus grande artiste actuelle dans l’art d’accomplir ces mouvements et d’en faire quelque chose de délicieux » Proust À la recherche du temps perdu, La Pléiade, 1987 t. II – Ici la duchesse est une artiste dans l'art d'accomplir des gestes, dans le mouvement du corps...
Mme Swann au bois déploie « le pavillon de soie d’une large ombrelle de la même nuance que l’effeuillaison des pétales de sa robe […] ayant l’air d’assurance et de calme du créateur qui a accompli son œuvre et ne se soucie plus du reste » Proust À la Recherche du Temps Perdu, La Pléiade, 1987 t. I.
La femme artiste, finit d'âtre assimilée elle-même comme oeuvre d'art. Elle est ''contaminée'' par sa toilette ; cette impression est valorisée par la comparaison d'un tableau : Oriane et son manteau avec un « magnifique rouge Tiepolo » RTP, tome III ; ou Albertine et son manteau de Fortuny qui évoque un tableau de Carpaccio...
« Quand il avait regardé longtemps ce Botticelli, il pensait à son Botticelli à lui qu’il trouvait plus beau encore et, approchant de lui la photographie de Zéphora, il croyait serrer Odette contre son cœur. »
Oui, tout ceci est ''beau'' ; mais ce n'est pas la vie... ! ?
Cette question est fondamentale pour Proust : l'Art réside t-il dans la femme peinte ou dans la femme réelle … ?
« (…) tout mon argent passait à avoir des chevaux, une automobile, des toilettes pour Albertine. Mais ma chambre ne contenait-elle pas une œuvre d'art plus précieuse que toutes celles-là ? C'était Albertine elle-même. » La Prisonnière, RTP, t. III
La femme comme œuvre d'art... ?... Non... En conclusion :
« Mais non, Albertine n'était nullement pour moi une œuvre d'art. Je savais ce que c'était qu'admirer une femme d'une façon artistique, j'avais connu Swann. »
En 1907, une femme peut s'affirmer comme ''artiste de l'élégance'' et contrer cette tentation (perverse) de l’idolâtrie... Ce qu'il faut admirer, c'est l'artiste en œuvre...
L'art pour Proust éclaircit la vie, la révèle à elle-même :
« La grandeur de l'art véritable, au contraire, de celui que M. de Norpois eût appelé un jeu de dilettante, c'était de retrouver, de ressaisir, de nous faire connaître cette réalité loin de laquelle nous vivons, de laquelle nous nous écartons de plus en plus au fur et à mesure que prend plus d'épaisseur et d'imperméabilité la connaissance conventionnelle que nous lui substituons, cette réalité que nous risquerions fort de mourir sans avoir connue, et qui est tout simplement notre vie. » Le temps Retrouvé, RTP, t. IV
M. de Norpois est un diplomate, et son art fait de tact et d'usages, se rapproche de celui de l'écrivain : trouver les bons mots, la bonne formule...
Pour Anne-Laure, la question essentielle de l'Art, trouve une réponse avec la proposition de Marcel Proust :
« (…) le style pour l'écrivain aussi bien que la couleur pour le peintre est une question non de technique, mais de vision. Il est la révélation, qui serait impossible par des moyens directs et conscients de la différence qualitative qu'il y a dans la façon dont nous apparaît le monde, différence qui, s'il n'y avait pas l'art, resterait le secret éternel de chacun. » Proust, Le Temps Retrouvé.
Ainsi l'art permet d'accéder au vrai ; à la vraie vie , qui n'est pas la vie sociale avec ses conventions ; mais la vie intérieure.
1900 – L'occultisme - Lady Caithness (1)
Beaucoup de femmes trouvent de l'intérêt à la mouvance théosophique, quant à leur ''émancipation '' dans la société et aussi, pour celles qui y accèdent, pour leur sexualité.
En effet, ''On'' considérait que le corps féminin était un obstacle au développement spirituel .. ! Et des femmes, comme Lady Caithness, développent un discours différent...
Lady Caithness, présidente de la société théosophique de Paris, est née Maria Mariategui en 1830 a Londres, de père espagnol et mère anglaise (catholique), les deux appartenant a des familles de la haute aristocratie... Elle se marie en 1853, avec le comte de Medina Pomar. Elle est veuve en 1868, et commence à s'intéresser au spiritisme...
En 1872 elle se marie en secondes noces avec James Sinclair, comte de Caithness, appartenant a l'une des familles les plus anciennes, et riches, de l'Ecosse. Elle publie alors '' Old Truths in a New Light,'' sa vision personnelle de la tradition occulte.
En 1877 se produit l’événement de de sa vie spirituelle: elle reçoit dans son domaine de Holyrood, en Ecosse, une révélation provenant de l'esprit désincarné de Mary Stuart (1542-1587). Elle reçoit alors des communications par la voie mediumnique – de Mary Stuart – des années durant...
Portée par les idées féministes qui circulent dans les milieux spiritualistes ; vers 1879, elle s'éloigne de son mari, et s'installe a Paris... Son mari meurt en 1881, la laissant héritière de son patrimoine : femme libre et riche …
Elle se lie en particulier avec Anna Kingsford ( 1846-1887) et Edward Maitland (1824-1897), qui font des longs séjours chez elle tant a Paris qu'a Nice. Des séances spirites se tiennent régulièrement chez elle ...
Entre 1883 et 1884 elle fonde la ''Société Théosophique d'Orient et d'Occident '', une branche française de la Société Théosophique de Mme Blavatsky.
Lady Caithness va mourir d' une crise d' asthme en 1895, a 1'âge de soixante-cinq ans. Son corps est inhumé avec des funérailles catholiques.
Ci-dessous: Un message de Marie, reine d'Écosse, avec son monogramme.
Examinons, à présent, quelques aspects de la pensée de Lady Caithness :
- Pointons l'importance pour elle du thème de la réincarnation ( alors qu'elle tient à rester dans le christianisme...)... Elle va tenter de contrecarrer l'aspect antichrétien de l’œuvre de Mme Blavatsky. A noter que, parmi les participants à ses soirées mondaines il y avait aussi un bon nombre de prélats et d'hommes d’Église...
- Un autre aspect important est celui du messianisme. Un messianisme féminin : les signes d'une ''fin des temps'' sont là : une nouvelle ère commence, et la femme jouer un rôle important...
La société théosophique ouvre ses portes à de grandes figures féminines comme Emma Hardinge Britten, Mme Blavatsky , Anna Kingsford... Même si ces femmes se lient toujours à des personnalités masculines. Lady Caithness, elle, semble être en mesure d'affirmer son indépendance totale,surtout après la mort de son deuxième mari. A partir de ce moment elle est une femme déterminée, indépendante, riche, qui profite de sa position dans la haute société cosmopolite de son temps, et ne semble pas avoir besoin de l'appui d'un homme pour légitimer ses intérêts ou ses activités.
La Femme ou Principe féminin est au centre de sa pensée. Elle questionne l’idée que Dieu est Père et par là-même donne à la Femme une dimension spirituelle de premier ordre.
Le '' féminisme ' de Lady Caithness se manifeste surtout dans sa manière de lire les textes sacrés, et dans sa tentative de mettre en cause les interprétations théologiques traditionnelles, qui n'auraient pas attribué à la femme le rôle prééminent qui lui revenait. L'aspect féminin de la Divinité a été trop longtemps ignorés par les théologiens.
Pour ce qui est de la dimension sexuelle, certains membres de la mouvance ''occultiste'', y compris Mme Blavatsky et Anna Kingsford, défendent la valeur spirituelle de l'abstinence sexuelle, même à l'intérieur du mariage... Pour beaucoup de femmes, à cette époque, elles aspirent plus à une ''liberté du sexe', qu'à une ''liberté sexuelle'' … L'abstinence n'étant pas justifiée par des considérations de type moral, mais plus sur un discours qui porte sur la sublimation des énergies sexuelles, dirigée surtout sur le corps masculin...
Sa référence fondamentale reste la Bible. Son christianisme fait du Christ une figure universelle. Le Christ est l'un des grands maîtres de l’humanité, ainsi qu'un principe cosmique. Son lien avec le Jésus historique est de plus en plus tenu. La lecture et l’exégèse de la Bible sont de nature symbolique, et rappellent par bien des aspects l'approche de Swedenborg, qui reste une influence fondamentale de la mouvance spirite et de l’ésotérisme du XIXe siècle, particulièrement en France. Le sens littéral n'est que le sens exotérique du texte sacré, alors que son sens ésotérique n'est accessible qu'aux ''chercheurs'' ( volonté + grâce )...
La Bible n'est pas un livre d'Histoire ; dans le sens de la succession d’événements concrets qui mènent, de la chute d'Adam au pacte de l'Alliance de Dieu avec le peuple élu, puis a l'incarnation historiquement située de Dieu dans la chair d'un homme.
La Bible nous parle en revanche, par le biais de '' figures '', de l’évolution de l'âme sur son parcours vers l'illumination divine. Les personnages mêmes de la Bible représentent des stades, des passages, de ce chemin vers la perfection.
La vie mondaine -3- Judith Gautier - L'occultisme
Théophile Gautier, le père de Julie, est l'auteur d'Avatar, de Jettatura et d'autres contes fantastiques ; il a entretenu des rapports avec les milieux spirites.
Honorine Huet (1840-1915) est l' institutrice de Judith, et sans-doute la maîtresse de Théophile Gautier; il parle d’Honorine en ces termes: : « Elle était affiliée à toutes sortes de sociétés singulières, à des êtres inspirés, qui fréquentaient chez les esprits, et ne voyaient que le monde invisible. »
Edmond de Goncourt, dans son Journal, dimanche 28 décembre 1873, note :
«Au convoi de François Hugo, nous sommes accostés, Flaubert et moi, à la sortie du Père-Lachaise, par Judith. Dans une fourrure de plumes, la fille de Théo est belle, d'une beauté étrange, presque effrayante. Son teint est d'une blancheur à peine rosée, sa bouche découpée comme une bouche de primitif sur l'ivoire de larges dents, ses traits purs et comme sommeillants, ses grands yeux, où des cils d'animal, des cils durs et semblables à de petites épingles noires, n'adoucissent pas d'une pénombre le regard, donnent à la léthargique créature l'indéfinissable et le mystérieux d'une femme-sphinx, d'une chair, d'une matière dans laquelle il n'y aurait pas de nerfs modernes. (…) Puis, afin que tout fût bizarre, excentrique, fantastique dans la rencontre, Judith s'excusa auprès de Flaubert de l'avoir manqué la veille: elle était sortie pour prendre sa leçon de magie - oui, pour prendre sa leçon de magie!»
(…) Quelques jours auparavant, le 4 décembre, Victor Hugo avait noté dans ses carnets: « Mme Mendès ( Julie est alors mariée à Catulle-Mendès) m'a amené son sorcier, qui n'est autre que l'abbé Constant, jadis mari de la belle Claude Vignon, aujourd'hui occupé de Kabbale sous le pseudonyme d'Éliphas Lévi, petit homme à barbe blanche. »
Éliphas Lévi (1810-1875) - De 1857 à 1864, il tient boutique de magie 19, avenue du Maine. Il s'installe ensuite au 155, rue de Sèvres, d'où il ne bougera plus jusqu'à sa mort, le 31 mai 1875, des suites d'une maladie de cœur.
Le 29 juin 1874, il écrit à Judith cette lettre si tendrement fleurie où l'on voit qu'il s'inquiète de ses chagrins: « Que devient ma belle déesse antique? Que fait ma ravissante jeune amie? Son autel domestique est-il encore debout? a-t-il été brisé par la foudre? S'il était en marbre comme son cœur ou divisé par un trait de scie, s'il était en bois comme les arbres qui donnent les rosiers et les roses? oh la scie conjugale! je la connais... bref donnez-moi de vos nouvelles, je vous ai dit qu'autrefois j'avais peur de vous regarder c'est-à-dire de vous aimer. Maintenant le mal est fait; je vous ai regardée et vous m'oubliez! je ne vous dis pas que je voudrais en faire autant, mes souvenirs y perdraient trop: faites donc l'aumône de quelques lignes (je n'ose pas dire d'une visite) au vieux sorcier qui vous adore. Je baise respectueusement vos belles mains. »
Par Judith, Éliphas Lévi (1810-1875) connut Mendès, par Mendès connut Villiers de l'Isle-Adam, etc. De proche en proche, il étendait ainsi le cercle de ses relations mondaines, ce qui lui permettait de sélectionner ses élèves en sciences ésotériques, Mme Veuve Balzac, par exemple.
Durant l'été de 1869, Judith rencontra à Munich, Édouard Schuré (1841-1929), écrivain, philosophe et musicologue français, le jour même où elle fit la connaissance de Liszt, chez une amie très chère de Cosima von Bülow, la gracieuse comtesse Schleinitz, femme du ministre de la Maison royale de Prusse et célèbre salonnière allemande.
Richard Wagner in Bayreuth [de gauche à droite, au premier rang : Siegfried et Cosima Wagner, Amalie Materna, Richard Wagner. Derrière eux : Franz von Lenbach, Emile Scaria, Fr. Fischer, Fritz Brand, Herman Lévi. Puis Franz Liszt, Han Richter, Franz Betz, Albert Niemann, la comtesse Schleinitz ( assise), la comtesse Usedom et Paul Joukowsky / [reprod. photomécanique d'une peinture à l'huile de G. Papperitz] – 15 mars 1884 -Bnf-Gallica
Edouard Schuré, alors, lui loue une autre femme : la comtesse Keller, polonaise de grande allure, née Marie-Victoire de Risnitch, nièce d'Éveline Hanska ( l'épouse de Balzac) par sa mère Rzewuska... Il évoque son « esprit supérieur », et n'hésite pas à l'inscrire dans la valeureuse cohorte des Femmes Inspiratrices ; qui elle aussi serait en recherche du ''Grand-secret''. Elle est riche, et appartient au cercle des intimes de l'impératrice Eugénie....
<- La Comtesse De Keller (marquise de Saint Yves d'Alveydre) 1873 - (Alexandre_Cabanel)
Et précisément, à Paris en 1876, Alexandre Saint-Yves d'Alveydre (1842-1909) - théosophe et occultiste, fait sa connaissance ; c'est le tournant de sa vie... D'Alveydre est un rebelle, qui enfant déjà est contraint à la ''colonie pénitentiaire'' ; puis l'armée et l'école de médecine navale … A Jersey, il rencontre Victor-Hugo ; et en Angleterre, Sir Edward Bulwer Lytton, grand maître de la société rosicrucienne et auteur d'un livre ''Zanoni'' ( publié la première fois en 1842, Zanoni préfére perdre son immortalité, que de sacrifier son amour...) qui sous le couvert d'une histoire 'fantastique' raconte les différentes étapes d'un développement spirituel... Edward fut un écrivain favori de Mary Shelley...
Edward Bulwer Lytton, va publier en 1871, '' The Coming race'' où il met en scène la mystérieuse société secrète du '' Vril '', composée d'une race d'hommes souterraine qui disposent d'immenses pouvoirs psychiques d'origine divine et d'une connaissance approfondie des secrets de la nature d'où découle le suprême bonheur... ( A lire dans de prochains articles...)
En 1895, Alexandre Saint-Yves d'Alveydre perd son épouse; inconsolable, il quitte Paris ( pour Versailles..) , et ses relations... et se consacre dans la solitude à l’élaboration de "l’Archéomètre"...
Le Musée d'Orsay possède ce très beau portrait (1873) de la comtesse Keller, devenue plus tard, après son divorce, marquise de Saint-Yves d'Alveydre...
C'est Judith Gautier qui a introduit Joséphin de Péladan (1858-1918) au wagnérisme et à Bayreuth. Du fait de ses tenues excentriques, Cosima Wagner, ne voudra pas le recevoir...
En 1890, il fonde l'Ordre de la Rose-Croix du Temple et du Graal... En 1892, il lance une exposition d'art annuelle intitulée Le Salon de la Rose + Croix, qui englobe le mouvement symboliste, et touche des milliers de visiteurs...
Joséphin de Péladan publie le résumé des opéras de Wagner en français accompagné de ses notes dans un ouvrage intitulé Le Théâtre complet de Wagner en 1894. Il dédie cet ouvrage à Judith Gautier :
« Combien d'heures wagnériennes j'ai passées auprès de Vous en ce Pré des Oiseaux, nid de verdure et de pensée où vous accueillez vos amis, l'été !
Parmi ces heures très nobles, je veux en célébrer une. Il y a cinq ans de cela, j'habitais plutôt la mer de Bretagne que la terre de Bretagne, sur ce fin voilier le Mage (capitaine Poirel), qui a cassé son amarre une nuit et s'est brisé sur les cailloux, malgré les pentacles qui l'étoilaient, C'était un soir de Vaisseau Fantôme, nous avions dansé singulièrement au passage du Décollé; et à grand' peine, par un vent debout, nous avions jeté l'ancre à Dinard : tandis que mon ami Poirel, suffète de la Rose-Croix, mettait des béquilles à la nef des initiés, dans la nuit tempétueuse, je cherchai le Pré des Oiseaux : je parvins à la grève et non à la porte, et ce fut par la porte-fenêtre du salon que j'entrai couvert d'embrun, avec un coup de vent à éteindre tous les cierges de la piété espagnole.
C'était, pour qui connaît Votre glorieux esprit, la meilleure façon d'être le bienvenu : il y avait là Benedictus le maestro de Turandot et de la Sonate du Clair de Lune, et Fournier, l'auteur de Stratonice : on parlait de Wagner, je fis ma partie en ce quatuor d'enthousiasme ; mais quelles basses formidables l'océan pédalait ce soir-là, couvrant nos voix, faisant craquer les vitraux en leur liséré de plomb !
Soudain, vous vous levez disant, très grave : "Je vais chercher les reliques." Revenue avec une sorte de reliquaire, en effet; après avoir étendu une nappe blanche, vous exposiez à notre dévotion : des cheveux blancs, du pain séché et une liasse de lettres. Ces cheveux avaient couvert la tête sublime qui conçut la Tétralogie; ce morceau de pain, le maître l'avait porté à sa bouche, au banquet de Parsifal; ces lettres en français étaient toutes de la main qui écrivit Tristan.
A haute voix, dans une émotion incessée, je lus ces pages évocatrices de la plus belle réalité qu'une femme ait jamais rêvée; et ce fut là vraiment une belle nécromancie, une inoubliable nuit, car l'aube posait sa face livide aux fenêtres avant que nous fussions revenus de notre extase. Fille de Théophile Gautier, amie de Wagner, après ces honneurs, y a-t-il place pour louer Vos visions d'Orient : Dragon impérial et Conquête du Paradis, Vieux de la Montagne et Iskender? Tout pâlit devant Votre naissance et la tendresse de Wagner pour Vous, Oublieux des beaux loisirs de Saint-Enogat, de l'intellectuelle hospitalité, je ne commémore ici que cette insomnie wagnérienne où j'ai senti le frisson même déjà vibré à Bayreuth.
Que ce livre de prosélytisme soit pour Vous le souvenir de mon amitié et de ma gratitude. » Péladan
Judith est intéressée par la Rose + Croix Catholique du Sâr Péladan... Malgré les outrances de celui-ci, elle reçoit son initiation ésotérique, et écrit en 1900 le ''Livre de la Foi nouvelle'' publié anonymement, sorte de testament métaphysique …
Aussi, quand en ce début du siècle, j’imagine la rencontre entre la jeune Anne-Laure et Judith, qui a passé cinquante-cinq ans : la discussion pourrait être celle ci ( reprenant les termes de ce que Judith dit dans son livre...) :
- La gnose établit-elle que la matière, serait tournée vers le mal... Et, l’esprit vers le bien... ?
- Pourquoi, le Bien et le Mal … ? Effectivement, à la création, la nature se présente sous deux pôles, l'esprit et la matière, qui s'interpénètrent... Nous développons alors une image : celle de L'esprit, qui en descendant dans la matière, se ''sacrifie''... La bonne nouvelle, c'est que de ce sacrifice naît la conscience de l' homme.
- Justement, si par sa conscience l'humain se libère de la matière... en quoi a t-il besoin du Divin ?
- C'est vrai, l'homme peut par sa conscience et sa volonté obtenir la délivrance... Ce serait un peu, comme si en possession de la Pierre, tu aurais la possibilité d'en faire un diamant...
- Ce serait quoi, cette Pierre ?
- C'est ton âme … ! « la fine pointe de l’esprit... » Nous avons notre vie, pour arriver à parvenir à ce travail alchimique … Pour qu'au moment de la mort, notre âme autonome, puisse ainsi se dégager de la matière ...
Anne-Laure, qui a reçu une éducation catholique, demanderait alors, en insistant : - par notre seule volonté … ?
- Notre volonté, c'est vrai nous permet d'accéder à une Connaissance, à un savoir … mais les mystiques nous enseignent que le savoir n'est pas une possession, mais seulement le ticket d'entrée vers une contemplation d'un mystère. ..
Notre volonté nous permet plus ici d'accéder à une forme de patience, que d'une force ou d'un pouvoir...
- Cette patience, ce pourrait être de l'amour... ?
- Exactement... !
Finalement, Anne-Laure, dans le Livre de la foi nouvelle, trouve un écho aux grands romantiques allemands ; comme Schelling que lui a transmis sa tradition familiale...
Sources : de Agnès de Noblet : ''UN UNIVERS D'ARTISTES Autour de Théophile et de Judith Gautier'' - dictionnaire – L'Harmattan 2003
Caroline Schlegel-Schelling, et le romantisme allemand. -3/3-
Schelling et Clara : le monde des esprits.
Clara, ou 'Du lien de la nature au monde des esprits', est le roman posthume de Schelling (1775-1854). Il l’a probablement écrit en 1810-1811, à la suite du décès subit de sa femme Caroline, survenu le 7 septembre 1809. Le roman est un dialogue philosophique sur l’immortalité de l’âme, composé sans doute pour faire face au deuil de Caroline.
Caroline, elle-même avait perdu trois enfants... D'ailleurs Schelling aurit d’abord été amoureux de l’aînée de ces enfants, Auguste Böhmer, morte à 15 ans en 1800, et qu’il aima aussi la fille dans la mère, avec laquelle il l’avait pleurée ; tout comme il pleura Caroline avec son amie Pauline Gotter, qui devint plus tard sa deuxième épouse.
Bien sûr, la mort est une limite radicale, mais la littérature sait se nourrir de la fiction des spectres... Schelling écrit une fiction où il rêve de saisir la pensée des morts...
Pour Schelling, la raison peut s'accomplir dans la poésie... La question est ici : l’immortalité de l'âme'.
Clara est Caroline Schlegel-Schilling (1763-1809), déjà devenue personnage littéraire de son vivant avec : Amalia dans l’Entretien sur la poésie de Friedrich Schlegel (Schelling y fut Ludovico), Lucinde (ou Juliane) dans la Lucinde de Friedrich Schlegel, et Louise dans les Tableaux d’August-Wilhelm Schlegel, ainsi que Amalia dans les Quatre lettres sur la poésie, la métrique et la langue d’August-Wilhelm Schlegel. Sans doute, la vraie Caroline était-elle une sorte de Diotima du cercle de Iéna ; mais par là elle était déjà une répétition littéraire d’une figure mythique.
Le roman se construit sur le deuil que Clara porte pour son mari récemment décédé, Albert.
Et, dans le roman : c’est le Médecin, le naturaliste, qui est le plus enclin à admettre l’existence de ces phénomènes mystiques, alors que le Religieux nie toute connaissance et même tout questionnement sur le monde des esprits.
Schilling convoque les esprits au pluriel, et ne les résorbe pas dans un sujet absolu (ni Dieu ni le moi pur de Kant ou de Fichte). (…) Pour Schelling, les esprits sont les âmes des humains, habitants d’un monde voisin du nôtre et communiquant avec lui.
Le mort, poursuit Schelling, n’est pas l’esprit mais un esprit, un être non pas purement spirituel mais démonique, non pas détaché du corps-de-chair mais conservant la quintessence de son corps...
Selon Schelling comme selon Platon, l’au-delà est un monde habité par des esprits (…) les âmes immortelles sont des êtres moraux et donc libres. Selon lui, même après la mort, « ces esprits sont donc capables eux aussi de liberté, donc du bien et du mal ».
A la différence de Platon ( avec la transmigration...) Chez Schelling, la vie terrestre est unique, et après elle l’âme poursuit son chemin dans l’au-delà jusqu’à un « jugement dernier », qui sera « un procès véritablement alchimique » par lequel « le bien sera scindé du mal », le mal étant rejeté « sous la nature » et les morts éprouveront leur résurrection, par quoi « le monde des esprits entre dans le monde effectif », en sorte que la nature et l’homme seront désormais universellement divinisés.
Libérés des limitations de la société mécanique, les esprits sont les hommes transfigurés en leur liberté pure. Leur communauté est le paradoxal lien libre entre des êtres libres, et non pas le lien mécanique d’un assemblage des rouages ; la communauté des esprits manifeste les affinités véritables des cœurs, le pur affect social sans médiateur ; amour et haine, amitié et inimitié comme tels. C’est pourquoi c’est la communauté des morts qui est véritablement libre et vivante, et pas la nôtre. C’est notre société qui est un champ de ruines habitées par les spectres, et le prix d’une société libre est la mort…
- Clara demande comment les morts sentent et pensent, et comment nous pourrions communiquer avec eux. ?
Porte-parole de Schelling, le pasteur du roman croit fermement que les morts connaissent une sorte de jour nocturne ou de sommeil éveillé : « un peu comme s’ils avaient, dans le sommeil, échappé au sommeil et accédé à l’état de veille, endormis pourtant plutôt qu’éveillés ».
Ensemble, le pasteur, le médecin et Clara croient savoir que la pensée des morts est une sorte « d’intuition dépourvue d’images » ; la « vision la plus haute » ; la « conscience la plus intériorisée, [dans laquelle] tout se passe comme si leur être entier parvenait à un point d’incandescence qui réunirait en lui le passé, le présent et l’avenir».
D’après le pasteur et le médecin, nous connaissons, ou plutôt devinons la pensée des esprits par analogie avec le sommeil magnétique, qu’on étudiait à l’époque par des expériences de mesmérisme, hypnotisme et magnétisme. Ce sommeil serait comparable à « l’état qui suit la mort […] une clairvoyance supérieure que n’interrompra aucun réveil », et dont « les approches ont la plus grande ressemblance avec les approches de la mort ».
Celui qui dort d’un sommeil magnétique doit sa clairvoyance à sa soumission totale au médecin magnétiseur. Privé de sa subjectivité – du sentiment corporel et de la volonté spirituelle dans la mesure où ceux-ci relèvent de son individualité – le dormeur a alors accès à la plus haute intériorité, qui coïncide avec un devenir-un avec le dieu.
(…) cette idée de la suppression du moi pour que l’idée puisse se déployer est analogique à la conception schellingienne de la philosophie.
Pour Schelling, du moins dans sa maturité, la philosophie est extase de la raison requérant l’abandon du soi de celui qui pense, afin que la raison – l’absolu, le dieu – puisse se penser en lui.
Extraits de ''Les hantises de Clara'' par Susanna Lindberg, dans la Revue Germanique Internationale