bergson
1951 - Teilhard de Chardin - Une vision du Monde – 1 –
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L'hebdomadaire ''Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques'' du 11 janvier 1951, offre un bel article sur le père jésuite Teilhard de Chardin ( 1881-1955). Il est à présent une des personnalités du monde religieux les plus célèbres, alors que ses écrits non scientifiques sont confidentiels, comme ses conférences.
Nommé Directeur de recherche au CNRS et élu à l'Académie des sciences. Teilhard est célèbre, et très controversé. Il sollicite Rome et interroge le Saint-Office. Fin d'année 1948, il apprend la décision de Rome : - 'non' à la publication de ses œuvres autres que scientifiques, - 'non' à son acceptation de la chaire de paléontologie humaine qu'on lui propose au Collège de France, - 'non' à sa présence en France où ses idées trouvent trop d'écho.
Le père Coignet, par exemple, proche d'une spiritualité ''type Bossuet '', lui reproche de vouloir faire du christianisme une religion de l'évolution, de nier le problème du Mal et de supprimer les notions de péché, de fausser les notions de vie sacramentaire, de Révélation et d'en supprimer tout élément surnaturel. Il lui reproche de poser en principe, la collectivisation fatale de la société. Il note cependant un effort pour repenser nos grandes vérités chrétiennes dans le cadre de la pensée contemporaine ; même s'il en constate l'échec.
A l'opposé, Jean Rostand ( 1894-1977 - agnostique, libre penseur ) lui reproche d'affirmer – au nom de la science – que l'évolution a un dessein : celui d'aboutir à l'Homme ( ou à un ''surhumain''). Il décèle en lui, une volonté désespérée de croire, Teilhard se serait écrié : « la seule issue est la foi aveugle et absolue... Coûte que coûte, je le crois, il faut se cramponner à la foi en un sens et un terme de l'agitation humaine. »
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Lancelot est sensible au difficile combat que Teilhard mène à la fois contre les méthodes de l'Eglise Romaine, d'un autre temps et de plus en plus discutées jusqu'à cette conviction manifestement fausse que le Monde a été créé par Dieu une fois pour toutes ; et aussi contre une vison scientiste et mécaniste du monde.
* Oui, Teilhard est résolument évolutionniste. Dans un texte de 1921, le père écrit: «Dieu fait moins les choses qu'il ne les fait se faire» et dans un texte de 1922 : «Plus nous ressuscitons scientifiquement le Passé, moins nous trouvons de place, ni pour Adam, ni pour le Paradis terrestre.». Le Cardinal Merry del Val, de la Curie Romaine - qui, très engagé dans la lutte contre le modernisme fit condamner le Sillon de Marc Sangnier – lui reproche de nier le dogme du Péché originel...
* Et, le combat de Teilhard est aussi de s'opposer à une vision mécaniste du monde : Forts de notre vision scientifique, nous avons abandonné une vision holistique du monde, pour une vision essentiellement mécaniste.
Que s'est-il passé ? R. Descartes (1596- 1650) acquiert la certitude que les lois de la nature sont accessibles à l'intellect, et permettent à notre esprit de déterminer l'essence des choses. ( Ego cogito, ergo sum ). Il estime que la pratique de la science permet de « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » Discours de la Méthode (6e partie).
Avec Descartes, nous avons pensé que tous les aspects des phénomènes complexes peuvent être compris en les réduisant à leurs éléments constituants. La matière comme objet scientifique est quantifiable ; et ses qualités, sont vues comme étant issues du processus mental et non des propriétés de l’objet même. Newton (1642-1727) va valider cette intuition cartésienne. Sa théorie permet de formuler des lois générales du mouvement des corps solides, jusqu'aux objets du système solaire. L'idée d'un '' Monde – machine'' s'impose et cette vision mécaniste s'étend à la sociologie, à l'économie... L'humain seul réunit deux substances, la matière et l'esprit.
*Teilhard se situe à l'opposé de cette vision mécaniste du monde :
** Autour de 1910, Teilhard lit L’Evolution créatrice (1907) de Bergson, et comprend, au contraire, qu'il existe « une hétérogénéité de fond entre Matière et Esprit - corps et âme, inconscient et conscient, deux “substances” de nature différente […] non point deux choses, mais deux états, deux faces d’une même étoffe cosmique ». Cependant, Bergson dissocie âme et corps, et envisage l'immortalité de l'âme. Teilhard préfère unir ce que Bergson sépare, et va beaucoup plus loin sur l'étendue de la conscience ( Bergson s'en tient aux animaux), il l'a fait déborder du vivant à l'Univers entier....
Je reviens à cet article des Nouvelles littéraires (1951), qui permet au père jésuite d'expliquer ses intuitions : « (...) dans l’ordre de la pensée scientifique, la découverte, la prise de conscience, veux-je dire, de l’idée d évolution — d’évolution biologique, j’entends — me permettait de relier, dans le domaine de l’expérience, les deux notions d’énergie matérielle et d’énergie psychique. »
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« (…) je ne suis ni un philosophe ni un théologien, mais un étudiant « du phénomène » (un physicien au vieux sens grec). Or, à ce modeste niveau de connaissance, ce qui domine ma vision des choses, c’est la métamorphose que l'homme nous oblige à faire subir à l’univers autour de nous à partir du moment où (conformément aux invitations impérieuses de la science) on se décide à le considérer comme formant une part intégrante, native, du reste de la vie. Comme suite, en effet, à cet effort d’incorporation, deux constatations capitales émergent, si je ne me trompe, dans notre perception expérimentale des choses. La première étant que l’univers, bien plus que par une « entropie » (le ramenant aux états physiques les plus probables), est caractérisé par une dérive préférentielle d’une partie de son étoffe vers des états de plus en plus compliqués, et sous-tendus par des intensités toujours croissantes de « conscience ». De ce point de vue strictement expérimental, la vie n’est plus une exception dans le monde ; mais elle apparaît comme un produit caractéristique — le plus caractéristique — de la dérive physicochimique universelle. Et l’humain, du même coup, devient, dans le champ de notre observation, le terme provisoirement extrême de tout le mouvement. L’humain : un bout du monde...
» Ceci posé, la deuxième constatation à laquelle on se trouve amené, à mon avis, par une acceptation scientifique intégrale du « phénomène humain », c’est que le courant de complexité-conscience, dont le psychisme réfléchi (c’est-à-dire la pensée) est expérimentalement issu, n’est pas encore arrêté ; mais que, à travers la totalisation biologique de la masse humaine, il continue à fonctionner — nous entraînant, par effet biologique de socialisation, vers certains états encore irreprésentables de réflexion collective — c’est-à-dire, comme je dis, vers quelque « ultra-humain ». »
** 1900, Max Planck, avec l'hypothèse des quanta, ruine la vision mécaniste du monde. Il écrit : « …une réalité métaphysique se tient à l’horizon du réel expérimental. » ( Max Planck, L’image du monde dans la physique moderne p 74 -1949 ) Puis, avec les relations de Heisenberg, c'est le rêve de Laplace d'un déterminisme absolu, qui s'écroule.
La physique quantique, qui analyse les composants ultimes (particules élémentaires ou quantons), met en évidence une indétermination radicale, et des propriétés de continu et de discontinu...
1914 Comment justifier la Guerre ? 2
Et nos intellectuels ?
La Grande guerre va renverser le modèle ( jusqu'ici) ''dreyfusard '' et universel de l'intellectuel...
Aurions-nous perdu confiance en la civilisation européenne ?
Nos rencontres, nos débats, en Allemagne, n'exprimaient-ils qu'une partie de notre pensée, cachée derrière des apparences de civilité... ?
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Nos discours aujourd'hui sont en rupture des réseaux
Henri Bergson, en séance de l’Académie des sciences morales et politiques : « La lutte engagée contre l’Allemagne est la lutte même de la civilisation contre la barbarie. Tout le monde le sent, mais notre Académie a peut-être une autorité particulière pour le dire. Vouée en grande partie à l’étude des questions psychologiques, morales et sociales, elle accomplit un simple devoir scientifique en signalant dans la brutalité et le cynisme de l’Allemagne, dans son mépris de toute justice et de toute vérité, une régression à l’état sauvage... »... Même Emile Boutroux, connaisseur de la philosophie allemande, présente la guerre sous le jour d'une croisade...
Les scientifiques se mettent au service de la nation en danger, en orientant leurs travaux sur de nouvelles armes
Sources : Les intellectuels français et la Grande Guerre, Christophe Prochasson
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Le quotidien catholique La Croix, accuse la philosophie allemande, dont l'origine remonterait à Luther, pour donner Kant... Il dénonce le panthéisme officiel allemand, avec Fichte, Schelling, Hegel; et c'est Maritain qui affirme que Fichte nous montre « la liaison essentielle du pangermanisme avec la révolution luthérienne et kantienne ». Le philosophe conclut que « le poison panthéiste et hégélien a passé tout entier dans l’organisme intellectuel de l’Allemagne. […] A ce point de vue, on peut dire que c’est Hegel, avec derrière lui Kant et Luther, qui nous fait la guerre aujourd’hui. »
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Dominique Parodi (1870-1955), professeur de philosophie, ( à Limoges de 1897 à 1899), - devenu inspecteur général de l’Instruction publique après la Première Guerre mondial - anticlérical, rationaliste et républicain ; s'interroge sur le ''problème moral'' de la Guerre, et tente de la justifier par la raison.
Agé de 44 ans, il n’est pas immédiatement mobilisable, mais il peut être appelé à servir dans la '' réserve de l’armée territoriale ''. Il est refusé à deux reprises par le conseil de révision... Il ressent une « angoisse de l’inaction» mêlée d’un sentiment de culpabilité...
Il s'oppose à toute mystique patriotique ( comme Bergson) ou guerrière...
Dominique Parodi face à ce qu'il nomme " la dimension spiritualiste et mystique de la morale allemande de la guerre '' défend la rationalité des principes de 1789 ; il tente d'identifier la « cause idéale (…) pour laquelle il vaut la peine de mourir et dont la défaite ferait qu’il ne vaudrait plus la peine de vivre. ». Il tente même de conjuguer : soumission à la censure, consentement intellectuel à la guerre et revendication d’une liberté critique à l’égard de certains discours bellicistes. Il reconnaît la faiblesse intrinsèque des démocraties en situation de guerre, lorsqu'elles restreignent la liberté d’expression ; mais la démocratie ne peut être incompatible avec une guerre patriotique et juste..
Dans cette guerre, il s'agit de montrer une '' altérité allemande irréductible '' et affirmer la légitimité d’une guerre du droit contre la force.
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L'Allemagne justifierait sa guerre, par la suspension du droit au profit de la force ( brutale et divinisée...). La force crée le droit, une certaine nécessité fait loi. Ensuite le peuple allemand se considérerait comme un ''peuple élu'' ; à l'appui cette citation de Rudolph Eucken, l’un des philosophes allemands signataires du Manifeste des 93 : « Au peuple allemand, plus qu’à aucun autre peuple dans l’histoire, est confié le soin de l’âme intérieure et de la valeur propre de l’existence humaine. »
Il semble vrai que le vocabulaire employé par la propagande allemande soit celui d'un « combat pour l’existence » (Kampf um’s Dasein).
Finalement, Dominique Parodi refuse de voir la guerre comme moralement régénératrice, comme une réponse à la « crise morale » de l’avant-guerre.
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Il semble que « la vie humaine a, du jour au lendemain, perdu toute importance», par nécessité la responsabilité collective se substitue à la responsabilité individuelle. La guerre demeure toujours « immorale », et doit être admise comme un « moindre mal ».
Le philosophe ALAIN ( pseudonyme d'Émile-Auguste CHARTIER) (1868-1951)
Brigadier artilleur, pendant la grande guerre, témoin d'atrocités, il publie un pamphlet ''Mars ou la guerre jugée''. Il témoigne que la guerre est le pire des maux : pire que l’injustice sociale et la misère… Pour ce qui est du soldat: « l’ordre de guerre a fait apparaître le pouvoir tout nu, qui n’admet ni discussion, ni refus, ni colère, qui place l’homme entre l’obéissance immédiate et la mort immédiate ».
Alain, impute aux humains la responsabilité de ces horreurs ; il ressent « le terrible remords d’avoir approuvé trop légèrement des discours emphatiques.. »
« La guerre prouve que ce sont les passions qui mènent le monde, et non pas la simple recherche de l’intérêt. L’homme est souvent prêt à tout sacrifier. D’ailleurs « si on explique la guerre par l’universel égoïsme, comment expliquera-t-on cet esprit de sacrifice sans lequel la guerre ne commencerait point ? » (Chap. XIX)
Anna de Noailles, l'Aéroplane, Péguy et Bergson
Avant la cataclysme de 1914, suivons Anne-Laure à la rencontre de quelques personnalités qui ont compté...

Observons cet article qui cite les invités au mariage de Fernand Gregh et Harlette Hayem en 1903... On y croise, avec la comtesse de Sallembier : Mme Louise Halévy, Mme Jean-Paul Laurens (Madeleine Villemsens épouse du sculpteur et peintre, ami de Gide), Mme Jules Lefebvre ( peintre ), la Comtesse Colonna, Mme René Brice ( le politique) fille de l'auteur et cadémicien Camille Doucet, la Comtesse Mathieu de Noailles, Mme Taine ( l'historien), Mme de Porte-Riche, Mme de Saint-Victor... Ludovic Halévy, Louis Ganderax ( journaliste et critique) sont témoins, Henry de Régnier, José-Maria de Heredia, Abel Hermant, Henry Roujon, l'historien Henry Houssaye...etc
Harlette Hayem, est femme de lettres, elle collabore au Figaro, aux Lettres, à L'Illustration, à La Revue de Paris, etc. Elle est jurée du prix Fémina. Son père était homme de lettres, homme politique, disciple de Proudhon , et ami de Barbey d’Aurevilly...
Barbey d'Aurevilly, son parrain, avait choisi le prénom d'Harlette en souvenir de la mère de Guillaume le Conquérant qu'avait aimée Robert le Diable.

Un personnage comme Anna de Noailles est incontournable dans la vie mondaine de cette époque... Anne-Laure de Sallembier a souvent l'occasion de la rencontrer ; et semble cependant s'en écarter... Bien de ses talents pourraient l'attirer - poétesse de génie - ses mots d'esprit courent dans Paris ; mais sa personnalité effraie; elle s'impose, étouffe qui s'en approche...

Un détail : Anne-Laure en est persuadée, Anna de Noailles préfère s’ennuyer à attendre deux heures et arriver en retard aux réceptions où elle est espérée, désirée... Ainsi, elle surgit, étourdissante... Et, elle parle, d'un débit saccadé : les mots sont justes et se pressent... Tous sont à ses pieds, beaucoup lui vouent un culte... Proust la vénère. Lucie Delarue en est tombée amoureuse...
Marthe Bibesco, sa cousine, confie qu'Anna voudrait être aimée de « tous les hommes qui aiment d'autres femmes qu'elle »
Charles Demange, le neveu de Barrès, après un flirt avec Anna qui veut se venger de l'oncle, se suicide en août 1909...
Elle se console, avec Henri Franck, mais il mourra à 24ans, tuberculeux...
Seul Barrès réussira à se faire désirer...
Anne-Laure aime la liberté d'Anna : elle étonne son milieu, mais n'est pas si paradoxale que cela, Anna de Noailles est aristocrate et dreyfusarde, nationaliste et admiratrice de la culture allemande, Heine en particulier.. Elle assiste à un cours de Bergson, et s'écrie « Mais je sais tout cela depuis que je suis née ! »

Anna de Noailles se passionne, comme J.B. pour l'aventure aérienne (Anne-Laure s'en inquiète...) La comtesse de Noailles, fascinée, suit les exploits des frères Wright, le 31 décembre 1908 Wilbur Wright bat le record de distance parcourue avec un avion : 124,7 km, pendant 2 heures, 20 minutes et 23 secondes... Elle admire nos aviateurs Esnauly-Pelterie, Farman, Blériot qui vient de traverser la manche ce 19 juillet 1909
« En vain, l’intelligence, agile et sans limite,
Avide d’infini, vous repousse et vous quitte ;
En vain, dans les cieux clairs, de beaux oiseaux pensants
Peuplent l’azur soumis d’héroïques passants,
Ils seront ramenés et liés à vos rives,
Par le poids du désir, par les moissons actives,
Par l’odeur des étés, par la chaleur des mains...» ( A de Noailles - Le Ciel bleu du milieu du jour, 1913)

J.B. avec le mathématicien Paul Painlevé (1863-1933) affirme sa confiance dans le raisonnement et les calculs pour prévoir un grand avenir au ''plus lourd que l'air'' selon l'expression de l'époque... Beaucoup de grands esprits restent sceptiques... Ainsi Lord Kelvin (1824 -1907), physicien britannique d'origine irlandaise reconnu pour ses travaux en thermodynamique aurait affirmé : « La réalisation d’une machine volante plus lourde que l’air est impossible ». Et en 1905, le physicien en balistique et militaire Emmanuel Vallier (1849-1921) termine une longue série de travaux théoriques en réaffirmant l'impossibilité pratique du vol des appareils plus lourds que l'air....
Cependant, c'est avec émotion, et enthousiasme que Paul Painlevé, le samedi 10 octobre 1908, s’élève dans les airs à bord de l’aéroplane piloté par Wilbur Wright. La balade aérienne de plus de 70 kms dure 1 heure, 9 minutes. Il est le premier passager des frères Wright...
En 1910, Painlevé publie un ouvrage intitulé L'Aviation, en collaboration avec le mathématicien Emile Borel. L'objectif du livre est de mettre à la portée du plus grand nombre possible d'esprits cultivés les lignes essentielles de l'histoire du ''plus lourd que l'air''.

Précisément, le scientifique Painlevé deviendra ministre de la Guerre, alors que le général Nivelle lance son offensive désastreuse le 16 avril 1917; il attire l’attention de Nivelle sur l’indispensable soutien de l’aviation pour repérer les positions ennemies, si le temps est clément. Painlevé défend une nouvelle stratégie aérienne: l’emploi des aéroplanes pour le repérage, la chasse, le bombardement et le transport de troupes.
Anna de Noailles, aime fréquenter les hommes politiques, elle admire et s'accapare Briand, recherche l'avis des ministres ; elle a la gloire, et eux ont la puissance, dit-elle...
Painlevé devant l'enthousiasme d'Anna de Noailles, et son désir de monter dans un aéroplane, lui répond : « Si je disposais d'un aéroplane, il serait en permanence devant votre porte, trop orgueilleux de prêter ses ailes de toile à votre rêve... »
Il serait temps de dire quelques mots sur J.B. ( Jean-Baptiste de Vassy ), complice, ami et amant d'Anne-Laure; disciple du mathématicien Henri Poincaré, et admirateur d'Henri Bergson...

J.B. fait partie de ces jeunes hommes, critiques de cette République qui à présent s'impose à tous, et qui aurait perdu '' le panache, l'héroïsme, le sens du sacrifice...''; la France s'est affaiblie de son anticléricalisme... J.B. Pense comme Péguy, que la guerre peut être nécessaire pour défendre les valeurs de la France, parmi lesquelles il compterait la liberté, l'humanisme, la religion... La guerre est admise comme un choc de civilisation...
Anne-Laure ne partage pas certaines de ses convictions... J.B. défend la liberté et la raison contre l'irrationnel ; idée qui la met mal à l'aise... Anne-Laure redoute la guerre, J.B. la déclare vitale, si elle est juste...
Anne-Laure de Sallembier, est de cette aristocratie qui s'est émancipée dans la vie mondaine parisienne; proche d’Élisabeth de Gramont, elle n'hésite pas à exprimer sa sympathie au clan dreyfusard ; ni éventuellement à soutenir des artistes socialisants, ou anti-cléricaux comme Anatole France (1844-1924) tout en affichant son attachement – par liens familiaux interposés – à l'orléanisme..
Cependant, comme J.B. et la plupart de leurs amis, elle pratique ( hélas!) un antisémitisme de principe, qui placent les juifs à côté de la nation ; et ceci dit-elle : « sans aucune animosité » !
N'oublions pas que ces aristocrates, se considèrent eux-mêmes d'une autre ''race'', que témoignent leur nom, la considération qu'ils se portent mutuellement, et le respect intimidé que leur témoignent les grands bourgeois, les artistes désireux d'être admis dans leurs hôtels...

Cependant, J.B. défend Bergson, contre les antisémites et les fanatiques... Il n'aime pas Maurras... Bergson- dit-il - nous fait considérer le réel pur, et réconcilie la philosophie avec la théologie …
24 janvier 1914 : Henri Bergson entre à l’Académie française, il est alors l'objet d’attaques antisémites ordurières de Léon Daudet dans l’Action Française.
De plus... Le 1er juin 1914, Rome met à l'Index les ouvrages de Bergson !
Voyage en Angleterre -6- Russell - Bergson

Tout le monde est resté sonné par le réquisitoire de Russell, et il est bien difficile d'apporter dans cet environnement si fraternel la contradiction...
Cependant Jean-Baptiste tente avec beaucoup de finesse - c'est Anne-Laure qui le remarque - de présenter une philosophie moins analytique...
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N'y aurait-il pas en l'humain, un point d'insertion entre l'esprit et la matière... ?
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Qu'entendez-vous par esprit... ? Pourquoi, l'esprit ne serait-il pas un phénomène physique... ?
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Restons dans le doute... La perception ne pourrait-elle pas être une sorte de matérialisation causée par l'esprit... ?
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Vous pensez donc que la réalité n'est pas ''une''... ?

On pourrait aussi débattre de la liberté de l'esprit et du déterminisme de la matière.... Russell considère que cette opposition est artificielle … De même entre intelligence et intuition ; entre instinct et subconscient....

Russell reconnaît la valeur de l'argumentation, mais elle est ''littéraire'', esthétique... Quant à Bergson, il a effectivement lu '' L’Évolution créatrice '' publié en 1907, et ses autres ouvrages.... Il « n’est pas meilleur que les précédents » car il n’y a pas « depuis le commencement jusqu’à la fin, un seul raisonnement (…) il ne contient qu’une peinture poétique qui fait appel à l’imagination » !
Pour Bergson on atteint la vérité par l’intuition et non par l’intelligence: elle n’est donc pas matière à raisonnement...
Russell s'en prend ensuite à la notion de ''durée'' telle qu'elle est proposée par Bergson... « de la littérature...!'' - (les deux s'y connaissent... Il seront tous deux prix Nobel de littérature..!!)
Jean-Baptiste de Vassy, qu'Anne-Laure nomme J.B., est un érudit fortuné - je le rappelle – passionné de mathématiques, il a souvent accompagné Henri Poincaré, qu'il vénère, dans des congrès, et même dans son travail... JB, va donc tenté ici, d'expliquer ce que ''durée'' pourrait signifier aussi bien en philosophie qu'en sciences...
Naturellement, nous étendons la durée, qui n'est qu'une donnée immédiate de la conscience, au monde matériel... L'Univers nous parait former un tout... La ''durée pure'' est qualité, changement, mobilité... Elle n'est pas une quantité, même si quand on essaie de la mesurer, on le signifie par de l'espace, comme une longueur sur la ligne du temps...

Henri Poincaré, a noté que le temps est relatif, qu'il dépend du point de vue sous lequel on le mesure.
Dans son ouvrage, publié en 1902 '' La science et l'hypothèse '' Poincaré affirme qu'il n'y a pas d'espace absolu, ni de temps absolu... Non seulement nous n'avons pas l'intuition directe de l'égalité de deux durées, mais nous n'avons même pas celle de la simultanéité de deux événements se produisant sur des théâtres différents.
En 1907, Minkowski reprend les travaux de Hendrik Lorentz et Einstein, réunit l'espace et le temps, que nous avons l'habitude de dissocier, pour finalement les réunir en un « continuum espace-temps » à 4 dimensions... Cela rejoint d'ailleurs l'intuition qu'en a Poincaré...
Vraiment, la ''raison physicienne'' - et peut-être, bien plus que la ''raison mathématicienne'' - est pleine de paradoxes...! Ne trouvez-vous pas...?
Ottoline et Anne-Laure s'interrogent sur la raison et l'amour...
Russell admet qu'il y a des cas où non seulement la raison n’est pas utile mais où elle peut même devenir nuisible.. Ces cas adviennent lors de la relation avec les autres...

L'amour a des formes multiples... Dans le sens courant, il est la relation que deux êtres qui se sont librement choisis vont nouer dans des liens à la fois ''spirituels'' et charnels. « La peur de l’amour (…) n’est que la peur de la vie. Et ceux qui craignent la vie sont déjà aux trois quarts morts »
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Philosopher ne permet-il pas ''d'appendre à mourir''..?
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Tout au plus, à vivre mieux...
Russell énumère trois causes au malheur des hommes: - le mal byronien, sorte de mélancolie où l'amour d'une femme et la misanthropie se rejoignent ; - le sentiment de culpabilité ; et – l'esprit de compétition imposé par la société... Aussi, en résultent de l'ennui et de l'envie, la peur de l'opinion d'autrui, de l'agitation et de la fatigue... qui sont autant d’entraves au bonheur.
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Et donc, pour être heureux...?
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Et bien, selon notre personnalité, nous serons plus disposé à chercher une forme raffinée à notre bonheur, comme l'art, la création ; ou plus intellectuelle comme la recherche scientifique, ou plus simple comme le jardinage … ou plus émotionnelle ou plus instinctive...
Et de grands éclats de rire closent la question...
Henri Bergson, philosophe.

Plusieurs heures avant le début du cours de Henri Bergson (1859-1941), le valet de pied de la comtesse de Sallembier, retient sa place; puis une procession de voitures s'aligne devant le Collège de France. Bergson parle sans notes, parmi les auditeurs beaucoup d'hommes et de femmes du monde, et aussi des sténographes assermentés qui retranscrivent la parole du Maître avec exactitude...
Anne-Laure y croise également Charles Péguy, qui est un disciple fervent du philosophe... Depuis quelque temps elle fréquente le salon de Geneviève Bizet ( ex Straus, et née Halevy) au 104, rue de Miromesnil, et rencontre avec plaisir le clan Halevy, des gens cultivés et sans le moindre snobisme, en particulier Daniel Halévy (1872-1962), ami de Péguy et condisciple de Proust ... Geneviève Bizet lit tout ce qui parait et adore la conversation d'intellectuels... plutôt masculins; les femmes y sont moins nombreuses qu'ailleurs.
Bergson semble bien frêle, avec son col empesé ; mais quand il enseigne, ses paroles débordent d'énergie... Il propose de voir le monde dans leur épaisseur, et pour cela de ralentir le temps... Le réel c'est la durée, et « percevoir c'est immobiliser »... L'espace se loge dans les plis du temps, dans ses ondulations...

" (...) si vous voulez vous préparer un verre d'eau sucrée, fait-il remarquer à ses auditeurs du Collège en 1901, il faut attendre que le sucre fonde. Le temps de la fonte peut sembler inutile à celui qui a soif, il n'en a pas moins une valeur absolue. Car c'est à l'intérieur de ce temps que quelque chose de nouveau advient. Or ce quelque chose se donne à nous comme un bloc de durée, sans division possible. Ce que j'éprouve dans mon attente, ce n'est pas le "temps-longueur" des mathématiciens et des pendules, mais le "temps-invention", flux universel qui se creuse, s'intériorise, au lieu de s'écouler mécaniquement d'un point à un autre. C'est l'univers même en train de se faire. Décomposer la fonte en une infinité de petits morceaux de sucre qui se meuvent dans l'eau, c'est rater sa vérité profonde, car le monde n'est pas une somme de petits morceaux, pas plus que mon attente n'est faite de petites impatiences."

Bergson éclaircit des notions, qui sont traversées par le concept de durée, et qui vont occuper bien des scientifiques: le fini, l’infini, le relatif, l’absolu, le mouvement…
«Si j’envisage non plus du dedans mais du dehors le mouvement de mon bras qui se lève, si au lieu de le sentir, de me sentir l’accomplissant, je le regarde du dehors s’accomplissant, je vois qu’il traverse un point puis un autre point et ainsi de suite ; il parcourt autant de points qu’on voudra, et ce mouvement n’est pas autre chose, pour moi, que la succession des positions du mobile le long de sa trajectoire.»
La connaissance venue de dedans est absolue, «simple» et «indivisible». Celle que l’on a du dehors est relative, obtenue par «composition». C’est pourtant cette dernière qui est la connaissance d’usage, «car nous avons contracté l’habitude de considérer le mouvement comme étant essentiellement cela», une suite divisible de «positions qui se succèdent», mais qui, prises une à une, seraient autant…d’arrêts ( sources: Bergson côté cours de Robert Maggiori)

Le symbolisme est finalement une abstraction générale assez forte où les humains vont progresser de représentations en représentations pour signifier le plus de choses communes avec le moins de mots possibles.
La Quête qui nous motive ici, utilise le signe du Graal; ce signe fixe une attitude que nous exprimons par rapport à ce que nous souhaitons signifier... Le signe est un pont entre moi et la chose, il m'indique le trajet à suivre ... Le concept lui, s'inscrit plutôt dans une saisie intellectuelle...
Bergson emmène le lecteur vers une psychologie originale de la relation du sujet aux choses.

Pour ''connaître ''; il est nécessaire de conceptualiser, et de percevoir; le concept a tendance à figer...
« Il faut que, par un effort d’intuition, nous cherchions à nous replacer dans la chose que nous voulons penser. Au lieu de prendre, du dehors, des vues sur elle, il faut que nous cherchions à sympathiser avec elle » Henri Bergson, Histoire de l’idée de temps. Cours au Collège de France
La pensée religieuse ou magique comme la pensée « scientifique » ne nous montrent qu’un aspect relatif de la réalité : ils symbolisent le monde plus qu’ils ne nous le montrent tel qu’il est.
La Quête du Graal, interroge l'âme, la mort et l'existence d'un ''au-delà''. Anne-Laure en cherche un écho dans l'oeuvre de Bergson...
Bergson entend intégrer dans sa réflexion, les témoignages de la science, mais aussi l'expérience mystique...
Dans le contexte de la psychologie de l’époque de Bergson, l’hypnose ( par exemple) renverse la subordination de l’esprit au corps en montrant l’action causale de l’esprit sur le corps.

Dans le contexte de la IIIe République, la raison doit empêcher un retour en arrière vers la superstition... A l'inverse, Bergson pense que le fait religieux exprime un besoin biologique de l’espèce qu’aucune morale laïque ne saurait satisfaire.
Par la croyance, la nature humaine réagit en défense contre sa raison qui désenchante, contre l'inévitable mort et le néant possible, contre l'annihilation de la personne... Ces scénarios sont eux-même produits par l'intelligence ( la raison) parce que l'homme a la possibilité d'accéder à l'être, par sa négation ...
« Les philosophes ne se sont guère occupés de l’idée de néant. Et pourtant elle est souvent le ressort caché, l’invisible moteur de la pensée philosophique. Dès le premier éveil de la réflexion, c’est elle qui pousse en avant, droit sous le regard de la conscience, les problèmes angoissants, les questions qu’on ne peut fixer sans être pris de vertige » L’évolution créatrice, H Bergson
L'angoisse du néant, chez l'homme, est pour Bergson consubstantielle à l'intelligence; c'est en quelque sorte le ''péché originel'' de l'homme...
La mort est un ''scandale'' pour l'esprit. Nous avons l'expérience de la durée, et nous ne pouvons envisager l'instant dernier... Notre seule expérience est celle de la mort d'autrui...
Cette faculté créatrice qu'est l'intuition nous amène au coeur de l'être. La conscience nous permet d'affirmer l'existence: entre, penser un objet et le penser existant, il n’y a absolument aucune différence...
L’expérience de la conscience révèle notre participation à un principe conscient plus grand et impérissable... Et, l’impossibilité à se représenter le néant pourrait signifier l'existence de l'Etre même ...
« Quand un instinct puissant proclame la survivance probable de la personne, (on a) raison de ne pas fermer l’oreille à sa voix . » L’Evolution créatrice.