1947 - Teilhard de Chardin.
Lancelot a réussi à retrouver Dominique Dubarle (1907-1987), dominicain, théologien, philosophe et scientifique. Le père Dubarle, lui annonce aussitôt le retour en France de Teilhard de Chardin
Dubarle est convaincu que le progrès des sciences et des techniques provoque une rupture dans le cours de notre civilisation, c'est à dire a un impact sur l'humain et son devenir, sur notre culture. Il est donc nécessaire d'actualiser notre discours sur la foi. N'est-il pas important de reconnaître dans la philosophie de la science, un matérialisme et une œuvre spirituelle ?
Nous avons abandonné notre vision ancienne du cosmos, sous la pression d'une vision scientifique matérialiste du monde. La réalité du spirituel ne contredit pas l'explication matérialiste.
C'est d'ailleurs un point important de la discussion qui s'est déroulée le 21 janvier 1947, organisée par l'équipe '' Science et conscience '' du CCIF, entre le P. Teilhard de Chardin et Gabriel Marcel.
Un débat fort intéressant qui a fait défendre par Teilhard l'idée que « l'effort collectif pour pénétrer les secrets de la matière est un acte spirituel », et « plus l'acte est spirituel, plus il peut être hautement christianisé si l'Esprit le complète »...
G. Marcel, est sceptique : il envisage par exemple, la conscience des médecins des camps de concentration, des savants nazis: « qu'il y a t-il là d'hominisant ? » N'est-ce pas plutôt une conception anti-chrétienne, qui nous ramène à l'homme prométhéen ?
Teilhard répond : « ce qui fait l'homme prométhéen, c'est le refus de transcender son geste.. »
Tous les deux sont d'accord pour reconnaître la fêlure profonde que le mal a introduite dans la condition humaine... L'homme oscille de l'invocation au refus. G. Marcel voit dans le collectivisme et la technique , une nouvelle manifestation de l'esprit prométhéen.
Note : Prométhée « Le héros enchaîné [qui] maintient dans la foudre et le tonnerre divins sa foi tranquille en l’homme. C’est ainsi qu’il est plus dur que son rocher et plus patient que son vautour. Mieux que la révolte contre les Dieux, c’est cette longue obstination qui a du sens pour nous. » Camus. - Camus dirait, qu'un '' esprit prométhéen '', prône sa foi en l’homme, en l’action et la transformation de la nature.
Teilhard ne nie pas le mal, mais pour lui la technique est un effort pour spiritualiser la matière, pour assimiler le cosmos à l'homme, et donc pour enrichir le plérôme ; le «plérôme» : « la mystérieuse synthèse de l'Incréé et du Créé, la grande complétion de l'Univers en Dieu».
L'idée de collectivisation, ne le gêne pas, elle crée une complexité nouvelle , et permet la maturation de l'humain, dit-il : ce serait l'ultra-humain....
Dans le même cadre, Lancelot, au mois de mai, entendit Louis Lavelle ( ce philosophe donnait des cours privés à Elaine, c'était en 1938.) répondre devant un abondant public à la question : '' A quoi sert le monde ? '' - L'homme, tout en étant dépendant du monde, peut – par sa vie spirituelle – se dégager des réalités extérieures ; Il s'agit donc – au-delà de la société des corps – d'assurer des rapports plus étroits entre les esprits. Le monde et nos limites, sont une épreuve, mais une épreuve féconde.
Teilhard ne partage pas cette conception. Il regrette l'opposition Dieu-Monde. « Être c'est s'unifier », dit-il. Le Monde ( le cosmos...) n'est pas un obstacle, au contraire.
Le père reconnaît la crise actuelle de la conscience ; mais il a une confiance philosophique ( et chrétienne) sans faille dans l'avenir humain.
Le mal c'est le prix de l'être. La création ( le multiple ) permet l'apparition du mal. Le multiple évolue vers l'unification ( bien).
Le Père reconnaît que le mal devient de plus en plus grave ( la bombe atomique) : - « cela laisse en suspens le succès de l'univers. Mais par l'infaillibilité statistique des libertés, rien n'empêche une vérité de monter. »
Certains philosophes « se meuvent encore dans un Univers pré-galiléen » : « une des dimensions les plus essentielles du '' Phénomène '' , qui n'est pas d'être perçu par une conscience individuelle, mais de signifier à cette conscience individuelle, qu'elle se trouve incluse dans un processus universel de '' noogénèse '' ( qui aboutit à une noosphère) ».
Lancelot est émerveillé par cette représentation du Monde. Hélas Teilhard ne publie pas, le père refuse les grands conférences, et préfère des rencontres dites ''privées'' ( et parfois peuplées).
1947 – La science prolétarienne.
Geneviève, impressionnée par l'engagement de Dominique Desanti au parti communiste, s'engage avec elle dans le ''Mouvement de la paix''. Il s'agit de préparer un congrès mondial des partisans de la Paix.
Au Parti Communiste français, Victor Leduc, directeur d'Action, professeur de philosophie, est chargé de passer les consignes aux différents cercles d'intellectuels; sous la responsabilité de Laurent Casanova et de Louis Aragon, Il s'agit de faire l'apologie du réalisme socialiste, et d’insister sur l'apport soviétique : « en ce qui concerne les philosophes ( au sens large), je les engage à exalter l'apport de Staline au marxisme-léninisme, la science prolétarienne. » ( Leduc)
Victor Leduc ne manque jamais de demander aux physiciens de dénoncer l'interprétation idéaliste du deuxième principe de la thermodynamique. Il tempête contre l'indéterminisme de la théorie des quanta. Il appartiendra aux chimistes de faire traduire et de diffuser la ''théorie soviétique de la structure chimique'' et de lutter contre celles de la ''résonance'' et de la ''mésomérie''.
Louis Aragon et Pierre Daix, parlent de ''science prolétarienne'' et se réfèrent aux théories du biologiste et agronome Trofim Lyssenko (1898-1976) qui remettent en cause chromosomes et gènes.
« Grâce à Lyssenko, l'homme n'est pas un loup pour l'homme » (Pierre Daix)
Et, c'est en février 1949, que Laurent Casanova, évoque une « science prolétarienne » qui serait en opposition à une « science pure » et à une « science bourgeoise », et provoque la gène des scientifiques communistes...
Jean-Toussaint Desanti est chargé de donner une épaisseur épistémologique à la thèse des « deux sciences. » ( science bourgeoise et science prolétarienne ). Il soutient que la science, est une « idéologie historiquement relative ». La science serait-elle donc un discours sur le monde comme un autre, ni plus ni moins vrai... ?
Lancelot et Geneviève se disputent sur ce que Lancelot qualifie d'intransigeance de l'idéologie communiste. Comme Marguerite Duras, il estime que les Desanti se laissent entraîner par le vent inquisiteur de la stalinisation. Après une littérature au service du parti, ils défendent l'idée d'une science qui serait ''prolétarienne'' ! ? La science serait donc sous influence de la classe sociale ?
« Il y a, bien sûr, science bourgeoise et science prolétarienne, tant pis pour ceux qui rient; en biologie, le conservateur a tendance à être fixiste, le « front populaire » évolutionniste, les radicaux demeurant dans la pure tradition darwinienne, les socialistes réformistes séduits par le lamarkisme et le dialecticien communiste fatalement attiré par les Weismann, de Vries, Giard... » Vailland, Drôle de jeu, 1945
Dominique Desanti, avoue choisir le ''courant du parti'', au ''courant de l'amitié''. Elle accepte de brûler ses idoles, « comme les missionnaires l’exigeaient des païens convertis. Rester animiste, c’est-à-dire adepte des esthétiques considérées comme décadentes, et se déclarer marxiste ne convenait plus. Avant la création de La Nouvelle Critique, on louvoyait. Là, nous nous trouvions au pied du mur. Je jetais au bûcher les dieux de ma première jeunesse en persiflant Gide ».
Entre communistes, on hésite pas à dénoncer '' les coucheries de Marguerite et son obscénité''. Duras ne reprendra pas sa carte en 1949 ; et Antelme sera exclu.
Jusqu’en 1947, Edgar Morin partage un appartement rue Saint-Benoît avec Marguerite Duras, Robert Antelme, Dionys Mascolo, sortant le soir pour écouter Boris Vian trompetter au Tabou ou Juliette Gréco au Vieux-Colombier. « Marguerite cuisinait des déjeuners franco-vietnamiens et des dîners de fête réunissant les Queneau, les Merleau-Ponty, les René Clément, Georges Bataille ».
Edgar Morin, et Mascolo contestent l'accusation ''d’agents américains'', et d'autres plus grotesques, accolées à Sartre et Merleau-Ponty. Suite à un article (1951) qu'il écrit pour pour l'Observateur, il sera convoqué par Annie Kriegel ( Annie Besse) et exclu. « Ce fut comme un chagrin d'enfant, énorme et très court. » dira-t-il.
Morin ( 28 ans) travaille sur une réflexion de la manière dont les civilisations ont construit et vécu la question de la mort ( L'Homme et la Mort, paraîtra en 1951). C'est assez original ; puisqu'il ose une étude transdisciplinaire. Pour lui l'humain est à la fois rationnel et relié à l'imaginaire. Sa motivation est d'ordre matériel pour organiser sa survie, et sans se couper du mythe, de l'imagination.
Homo sapiens a conscience de la mort et peut en même temps admettre la disparition de sa chair, et croire en une vie au-delà de la mort. Homo sapiens, malgré sa peur, est capable de risquer sa vie pour une cause supérieure : la famille ou la patrie.
1947 - Un monde bipolaire.
1947 : Une année en France, dont on se souviendra : c'est l'année de la mise en place de la IVe République, qui doit immédiatement faire face à la menace du Parti communiste ( « ils ne sont pas à gauche, ils sont à l'Est. » comme dira V. Auriol ) et à celle du Général de Gaulle, tous deux s'estimant incarner le recours à la politique du passé.
L'hiver toujours froid oblige à gérer avec soin son attribution de charbon. Les repas chez soi, ou au restaurant, sont qualifiés de jours ''avec'' ou jour ''sans'' (viande) ; d'ailleurs les boucheries ou les boulangeries n'ouvrent que deux ou trois jours par semaine.
Le ministère de la Défense où travaille Lancelot, vit difficilement l'entrisme des communistes au sein de sa direction. En septembre 45, Charles Tillon, nommé ministre de l’Air, met ses services civils sous la tutelle du PC, son départ en fin novembre soulage le commandement militaire.
Le 16 janvier 1947, c'est l'élection de Vincent Auriol à Versailles, comme président. Il rejoint l'Elysée, ''vide'' depuis 7 années. Le gouvernement est socialiste, gouverné par Paul Ramadier.
Le communiste Pierre Billoux devient ministre de la défense, et va proposer un projet d'une « nation en armes ».
Ainsi, s'installe un tripartisme : PCF, Socialistes, MRP. Le général de Gaulle propose le 7 avril 1947, devant une foule immense : un Rassemblement du peuple français (RPF) qui se veut '' au dessus des partis '' ou du moins au dessus des clivages politiques. Beaucoup s'interrogent : un militaire, qui se pose au-dessus des partis, ne deviendra t-il pas, un autocrate ?
Les ministres socialistes et démocrates-chrétiens se désolidarisent des ministres communistes, alors que les mouvements sociaux se multiplient, que la guerre continue en Indochine et à Madagascar ; et qu'enfin Ramadier, les congédie du gouvernement ( 5 mai 1947 ).
La situation internationale se tend, entre le plan américain Marshall de reconstruction économique et le rapport soviétique Jdanov qui fixe à tous les partis communistes une nouvelle ligne anti-impérialiste.
La pénurie en Europe inquiète les américains. Un risque de faillite peut amener des révolutions. Il s'agit de freiner l’expansion soviétique et d'ouvrir de nouveaux marchés à l'économie américaine.
Les USA proposent leur aide à tous : il s'agit d'aider ''les amis'' de l'Amérique, sans être accusé de couper le monde en deux. Staline refuse, et exerce des pressions contre les pays qu'elle occupe et qui montrent leur intérêt.
Le Plan Marshall a, de fait, l'objectif d'aider les pays à se réformer, s'enrichir, et à résister au communisme; ses adversaires y voient une colonisation américaine ; et ses partisans un des bastion du monde libre. C'est le début de la guerre froide, et peut-être de la reconstruction européenne...
Déjà, le 5 mars 1946 au Westminster College, de Fulton (Missouri), en présence du président Truman, Winston Churchill prévenait dans un discours :« De Stettin dans la Baltique jusqu'à Trieste dans l'Adriatique, un rideau de fer est descendu à travers le continent. » . C'était la première fois que l'on employait l'expression de ''rideau de fer ''.
De début avril à la fin octobre 47, chaleur et sécheresse obligent la population à subir des restrictions d’eau ; et en même temps, la ration quotidienne de pain est ramenée, au 1er mai, de 300 à 250 grammes, en cause une récolte peu satisfaisante due aux gelées.
Au ministère, ce 1er juillet 1947, la parole se lâche avec l'annonce dans les journaux de la découverte dans la cheminée du château de Lamballe, d'un « plan bleu », un projet d'attaque armée contre les institutions actuelles. Nous avions connaissance, depuis l'année dernière, sans l'évoquer librement, de l'existence d'un ''maquis noir'' qui groupait des ''vichyssois'', des collaborateurs, des résistants d'extrême droite. M. de Vulpian ( château de Lamballe), le général Guillaudot, le commandant Loustaneau-Lacau et Max Jacquot, ont été arrêtés. On parle aussi de maquis rouge , avec des communistes, et de maquis blanc, avec des gaullistes, des catholiques.
Le ministre de l'Intérieur Edouard Depreux a tenu à dévoiler à la presse cette opération, et rallier autour du gouvernement toutes les forces démocratiques, au moment du départ des députés communistes.
A l'automne, aux élections municipales, le RPF obtient déjà 36% des voix, et s'empare des grandes villes de France.
En France, à présent le RPF mène l'opposition, et les communistes animent les grèves, aux côtés de la CGT. Une partie non-communiste du syndicat, va faire scission et former la CGT-FO.
Le gouvernement Ramadier quitte le pouvoir en novembre 47, pour être remplacé par un gouvernement MRP ( démocrate chrétien ), mené par Robert Schuman.
Bernanos et les Machines
Bernanos bouscule, et Anne-laure de Sallembier ressent l'intime impression qu'il énonce ce qu'elle ne peut réussir à exprimer et qui lui paraît si juste ; à savoir que le totalitarisme prend racine à l'intérieur même de la démocratie avec la Technique. L'Etat totalitaire est un enfant de la Civilisation des Machines. En cause, une conception de l’homme radicalement nouvelle et imposée par « l’État technique qui n'aura demain qu’un seul ennemi: “ l'homme qui ne fait pas comme tout le monde” ou encore “l’homme qui a du temps à perdre” ou plus simplement “l’homme qui croit à autre chose qu’à la Technique”. »
Les deux mots magique du paradis de ''la civilisation des machines'' seront : « Obéissance et irresponsabilité ». Dans les salons Bernanos s'emporte : c'est lui le défenseur de la Démocratie.. ! Que faire si la démocratie nous trompe ? « Les totalitarismes sont les fils de la démocratie. J’emm… la démocratie. » !
Ce que tente d'expliquer Anne-Laure, qui défend Bernanos, c'est que le nazisme n'était pas une parenthèse. Il existe une complicité essentielle entre le libéralisme et le totalitarisme, et s'incarne aujourd'hui dans la technique ; et l'appui des intellectuels par une sorte d'hypertrophie de la rationalité.
« La machine s'est faite homme, par une espèce d'inversion démoniaque du mystère de l'Incarnation. » : c'est du Bernanos.
Plus précisément, Bernanos n'est pas l'ennemi de la technique, mais il se méfie terriblement des techniciens. « Non le danger n’est pas dans les machines, car il n’y a pas d’autre danger pour l’homme que l’homme même. Le danger est dans l’homme que cette civilisation s’efforce en ce moment de former »
Lancelot juge les positions de Bernanos exagérées ; et les propos, cette même année, de Malraux, en conférence à la Sorbonne semble lui répondre. Malraux s'interroge sur les valeurs de l’Occident européen, et juge que ce ne sont ni le rationalisme ni le progrès qui les fondent : « La première valeur européenne, c’est la volonté de conscience. La seconde, c’est la volonté de découverte. (…) La force occidentale, c’est l’acceptation de l’individu. Il y a un humanisme possible, mais il faut bien le dire, et clairement, que c’est un humanisme tragique. » ''L’homme et la culture '', conférence donnée à la Sorbonne le 4 novembre 1946, sous l’égide de l’UNESCO.
Il faut dire que Lancelot, lit à cette époque, les articles de Jean Fourastié (1907-1990) qui se veut délibérément optimiste ; au point que Jean Monnet lui demande de rejoindre son « club des optimistes », c'est à dire ses collaborateurs au Commissariat du plan.
Fourastié veut rassurer l’homme « quant au pouvoir qu’il peut exercer sur les esclaves mécaniques que sa science a créés »
Fourastié, examine la production industrielle américaine, la consommation et le niveau de vie, le rendement du travail humain, le genre de vie et la vie intellectuelle ; et cette évolution progressive du niveau de vie conduit de façon certaine « à une nouvelle forme de civilisation ». Il conclut également que le temps dégagé grâce aux bénéfices du progrès technique est investi dans des activités culturelles. Il prédit l’avènement d’une civilisation tertiaire, « civilisation intellectuelle de l’homme moyen. »
Fourastié dans son ouvrage ''La civilisation de 1960 '' paru en 1947, définit le progrès technique selon trois indices : - l'augmentation des rendements en nature, - l'augmentation du rendement du travail des producteurs directs , et - la baisse des prix salariaux. Ils semblent à Lancelot, assez discutables, et peuvent conduire à surestimer sur ces points l'importance du progrès et l'optimisme qui s'en déduit... ?
Emmanuel Mounier, responsable de la revue Esprit, ne partage pas non plus le pessimisme de Bernanos, il le range sur ces propos, dans la catégorie des réactionnaires et des traditionalistes, réputés promoteurs d’un « esprit apocalyptique » et chantres d’un « prophétisme morose » . Mounier tient au christianisme, et le veut solidaire de la « notion de progrès ».
Mounier se représente l'antimachinisme comme « un mythe bourgeois ». il est convaincu que le développement du machinisme va connaître une « limite » : « Déjà on atteint des paliers, » exemple : le téléphone n'est plus perfectionnable ! Il veut éviter le catastrophisme. La pédagogie de ce moment charnière, est qu'il met à jour des thèmes qui nous habitent comme la nature et son viol par la technique, l'artificiel et notre suspicion. La technique ne serait-elle pas « la nature totalement engagée par l’homme dans l’aventure de l’homme. » ? Il n'y aurait pas de mesure de l'homme, « destiné à exercer la souveraineté sur toute la création terrestre, il est lui-même la mesure de la nature. ».
Depuis quand : « l’angoisse de la fin, à chaque seconde imminente, aurait plus de valeur que la promesse toujours offerte des jours » ?, nous demande Mounier.
7 février 1947 à 21h, Bernanos est à la Sorbonne, pour une conférence : '' Démocratie et Révolution'' ; alors que paraît son ouvrage ''La France contre les robots''.
Anne-Laure de Sallembier s'enthousiasme d'entendre Bernanos parler de la Révolution de 1789, comme celle de l’abolition des privilèges (nuit du 4-Août) et de la fête de la Fédération, c’est-à-dire de la nation unie autour de la notion de liberté, mais aussi du roi et de la religion chrétienne. 1789, dit-il a été rendu possible par l’homme du XVIIIe « tout hérissé de libertés ».
« Ce sens de la liberté propre au peuple français est tout ce qui permet de résister à l’ordre et à la réglementation des capitalistes américains, qui se préoccupent davantage de mécanique et de technique que de démocratie, et de ce point de vue ne valent guère mieux que les marxistes et les fascistes, lesquels ne font pas même semblant de croire à la liberté. »
Avant que Bernanos ne parte pour la Tunisie, nous lui demandons d'être positif et nous fournir quelques conseils pour résister à la ''Civilisation des machines''. ?
- Nous disposons du modèle antique de l’homme contemplatif : celui qui ne se soumet pas à l’impératif technicien de la production et lui préfère l’impératif proprement humain de la liberté.
L’homme contemplatif est précisément celui qui ne « rougit » pas d’avoir une âme, qui s’en soucie et qui estime que la vie intérieure – parce qu’elle a partie liée avec l’Esprit – vaut infiniment plus que celle que tente de lui substituer la civilisation des machines.
- Le peuple français, héritier de la civilisation grecque, demeure par excellence le peuple de la liberté. Il est donc capable de refuser l’obéissance et l’irresponsabilité qui sont les deux mots d’ordre de la civilisation des machines.
La liberté, entendue comme condition de possibilité de l’âme et, de son synonyme, la vie intérieure.
C’est par la vie intérieure que sont transmises des valeurs indispensables sans quoi la liberté ne serait qu’un vain mot.
La conscience n’est plus qu’une relique du passé ? « Les âmes ! On rougit presque d’écrire aujourd’hui ce mot sacré », s’indigne l’écrivain. « L’homme n’a de contact avec son âme que par la vie intérieure, et dans la Civilisation des machines la vie intérieure prend peu à peu un caractère anormal. »
« Il faut, d'abord et avant tout, re-spiritualiser l'homme. »
1946 - L'Esprit Européen – Bernanos
Lancelot obtient l'agrément pour participer aux "Rencontres Internationales de Genève", sous le signe de '' l'Esprit Européen", du 2 au 14 septembre 1946. Elles sont organisées par L'Europa-Union de Suisse, qui anime un mouvement fédéraliste en vue d'une communauté européenne, voire d'une union mondiale ( selon l'article 52 de la Charte de la toute nouvelle ONU).
Le Comité d'organisation, explique dans un texte-manifeste, ses intentions profondes : « Un monde nouveau est en train de naître. Sera-ce un monde civilisé? Quelle sera cette civilisation? Sera-t-elle à hauteur d'homme? Voici que l'heure est dangereuse et trouble. Les espoirs que la fin de la guerre avait fait naître n'osent plus se montrer au grand jour. Les vertus qui s’étaient trempées dans la résistance au mal ont peine aujourd'hui ä s'unir pour le bien commun. L'ivresse de la puissance et des grands nombres, la démesure, l'oubli de la sagesse, menacent les sociétés et les individus. II est vrai que la pensée de l'Europe, en sa totalité doive être tenue pour responsable de la catastrophe. Si les Européens ont donne l'exemple de bien des folies, l'Europe a été, durant 25 siècles, le lieu où souffle l'esprit - (durant des siècles, pour reprendre l'expression de Paul Valery, ). Le temps est venu de se demander ce qui est vivant, ce qui est valable, ce qui est juste, dans la pensée humaine et européenne» Extrait
Sont réunis des intellectuels, des écrivains et des artistes en provenance de plusieurs pays européens, principalement de France, de Suisse et d'Italie. l’Italien Francesco Flora, le suisse Jean Rodolphe de Salis, les français Julien Benda, Jean Guéhenno et Georges Bernanos, le suisse Denis de Rougemont, le hongrois et marxiste Georg Lukács, l’anglais Stephen Spender et l’allemand et libéral Karl Jaspers.
Ils ont accepté en plus de leur conférence de débattre avec des écrivains ou des essayistes : Jean Amrouche, René Gillouin, Jean Lescure, Maurice Druon ; des critiques : André Rousseaux, Jean Starobinski ; des philosophes : Maurice Merleau-Ponty ou Jean Wahl ; également, le chef d’orchestre Ernest Ansermet, le poète et essayiste Max-Pol Fouchet, le musicologue Antoine Goléa.
Lancelot et Geneviève amènent Anne-Laure, ravie de voyager et de se retrouver dans une ambiance de congrès. Ils ont le privilège de résider à l’Hôtel Beau-Rivage ; là même, où il y a quelques mois, le général de Gaulle, accompagné de son épouse, y résidaient lors du mariage de leur nièce.
En marge des conférences et des débats, sont proposés des manifestations théâtrales et musicales : Un récital Paul Valery, L 'Annonce faite à Marie de Paul Claudel, un Récital Ramuz et L'Histoire du Soldat, la Symphonie pour orchestre ä cordes (1941) de Honegger, et Fidelio de Beethoven.
Antony Babel recteur de l’Université de Genève, explique que « ce n'est pas un hasard que nous avions choisi un tel sujet. Nous voulions, avec d'autres, rechercher dans les décombres de l'Europe les éléments vivants qui pouvaient subsister»,
Ce qui touche Anne-Laure, c'est la référence à '' l'esprit européen'' par la figure de Germaine de Staël, développée par Denis de Rougemont, qui ajoute : « La Suisse est intacte. Elle seule a gagné la guerre. »
Pourtant la guerre n'est pas oubliée ; elle est même crainte : Jean Guéhenno, craint « une nouvelle guerre, non pas entre l’Est et l’Ouest, mais une guerre civile mondiale entre la justice sociale et la liberté. » et selon Denis de Rougemont : « Sauver l’Europe, c’est pratiquement et aujourd’hui, empêcher à tout prix la guerre »
Lors d'un débat, il est fait référence à deux ouvrages récents d'Arthur Koestler: - Le Zéro et l’Infini, dans lequel il décrit le mécanisme des aveux lors des grands procès de Moscou en 1936. Dans un régime totalitaire, l'individu représente ''zéro'', il n'existe que par et pour la collectivité. Pourtant, et Malraux le dit dans Les Conquérants : « Une vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie ». Une vie est un zéro mais c’est aussi un infini.
Guéhenno croit et défend ''l'esprit européen'' ; quant à l’objection « Mais l’américanisme, mais le soviétisme ! Mais que sont donc, je vous le demande, l’américanisme et le soviétisme sinon des déformations de l’esprit européen. (…) Et qu’ont-ils fait, l’un et l’autre ? Poussé à l’extrême un seul des principes de l’esprit européen, le principe d’efficacité, le principe du rendement. »
Koestler, dans ''Le Yogi et le Commissaire'', explique que le monde est partagé entre des hommes qui pensent que tout changement social ne peut s’opérer que du dedans de l’homme — c’est l’espèce « yogi », c’est l’espèce des belles âmes, si je peux dire — et d’autres hommes qui croient que tout changement ne peut se faire au contraire que du dehors — c’est l’espèce « commissaire ». « Eh bien, ni le yogi, ni le commissaire ne sont dans l’esprit européen. Ce qui est dans l’esprit européen, c’est, entre le yogi et le commissaire, l’individu. »
Et, plus précisément, pense Lancelot ; c'est, dans la tradition chrétienne : la personne.
Certains orateurs veulent séparer ''l'esprit européen'' de la question politique, comme Jaspers ; d'autres l'estiment liés ( Lukács..) ; ou seulement : empêcher le retour du fascisme. En question également : peut-on faire l'Europe sans la Russie ?
Le 12 septembre, Anne-Laure ne veut pas manquer la conférence de Bernanos. Comme attendu, il ne se veut pas aimable. Il compare le monde à un ''marché noir'' : après celui des cathédrales, il y a le peuple du marché noir, la démocratie du marché noir !
« La Démocratie est la forme politique du Capitalisme, dans le même sens que l’âme est la Forme du corps selon Aristote. »
« L’Europe chrétienne s’est déchristianisée, elle s’est déchristianisée comme un homme se dévitaminise. »
« Je vois se construire un monde où ce n'est pas assez de dire que l'homme n'y pourra vivre ; il y pourra vivre, mais à la condition d'être de moins en moins homme. Ce monde se donne l'illusion de se construire parce qu'on y tronque, mutile, retranche tout ce qui appartenait jadis à l'homme libre, tout ce qu'on avait fait à son usage et qui pourrait rappeler demain, au robot totalitaire, la dignité qu'il a perdue, qu'il ne retrouvera jamais plus. »
A suivre....
1946 - L'existentialisme – Baden – D. Desanti.
Lancelot et Geneviève trouvaient un intérêt commun à la philosophie abordée par Jean-Paul Sartre ; même si une personnalité comme Camus semblait mieux convenir à Lancelot, alors que Geneviève reprenait volontiers quelques critiques communistes à propos de Sartre. Bien-sûr Lancelot conteste que l'absurde puisse faire partie de la condition humaine ; mais le doute - partie prenante de la foi – ne cesse de le renvoyer à cette tentation ; dans cette hypothèse les questions posées par Sartre, nous permettent de rester lucide. Pour Camus, c'est « la révolte qui joue le même rôle que le ''cogito'' dans l'ordre de la pensée. ». Camus propose la figure du révolté de Dostoïevski qui voudrait s'émanciper de toute divinité ; Nietzsche annonce lui, la conscience du nihilisme ; et pour Camus, la conjonction de Nietzsche et de Marx donne en Russie, le totalitarisme !
Geneviève demande à Lancelot ce qu'il en est, pour Camus, du Parti communiste ?
- Selon Camus, et je partage son opinion, Staline - le révolutionnaire - n'est plus '' l'homme révolté '' ( si, il l'a été...), il est devenu « le policier, le fonctionnaire qui se tourne contre la révolte. (…) tout révolutionnaire finit en oppresseur ou en hérétique. » ( Camus).
Aux élections du 21 octobre 1945 le Parti Communiste est la première force politique et obtient 26,2 % des suffrages exprimés (contre 14,76 % en 1936), il dépasse la SFIO. Son image repose sur celle d'être le « parti des 75 000 fusillés ».
Le PCF bénéficie, de ses forts liens avec les autres partis qui, en Italie, en Yougoslavie et en Grèce, ont contribué à la défaite du nazisme et surtout, du rôle joué par l’URSS et l’Armée rouge avec le fort impact de la bataille de Stalingrad.
Geneviève reprend la crainte communiste que l'existentialisme ne soit qu'une manifestation d'un idéalisme bourgeois; en effet, ne s'inscrit-il pas dans une ligne métaphysique ; et les questions posées ne sont-elles pas qu'individuelles, abstraites et théoriques ?
Lancelot ne comprend pas cette réserve ''idéologique'':
- Nous ne cessons de vouloir nous baser sur la vérité ! Ce que les communistes refusent, c'est que l'homme est d'abord, un homme libre. « Nous voulons la liberté pour la liberté et à travers chaque circonstance particulière. » ( Sartre). Et Roger Garaudy de répondre à Sartre : pour vous, « Être libre, c’est refuser. La liberté est une négation : c’est le point de vue de ceux qui appartiennent au passé. »
L'esprit très rationnel ( et scientiste...) de Geneviève, est entièrement séduit par la dialectique marxiste. Il me semble qu'après cette période trouble de l'occupation, pendant laquelle seule la force semblait justifier la bonne attitude ( selon l'autorité civile) ; le marxisme offre un socle idéologique qui sécurise la raison, justifie des choix de vie non individualistes, pour une société juste dont on comprend tous les rouages. Geneviève souhaiterait-elle, également, tordre le coup à une suspicion douloureuse de sympathie envers le diable ; le parti communiste lui-même n'est-il pas fréquemment tourmenté par le pacte germano-soviétique de 1939 ?
Elaine va passer sa première année aux côtés de sa maman à Paris, avec l'aide d'une gouvernante Madeleine, qui va beaucoup s'attacher à elle. A partir du printemps 46, Elaine et sa gouvernante passent une très grande partie de leur temps à Fléchigné, en compagnie d'Anne-Laure. Notre ''bonne'' Louise nous a subitement quittés pour être hospitalisée, et y mourir rapidement. C'est ainsi, d'ailleurs, que Madeleine va devenir, de gouvernante d'Elaine, la gouvernante de Fléchigné.
En février 1946, Lancelot retourne à Baden Baden, pour un court séjour qu'il effectue avec Geneviève. C'est l’opportunité d'y rencontrer un jeune homme, Edgar Morin (1921-), afin de rapporter au ministère un état de la dénazification de l'opinion publique allemande.
En 1946, E Morin est nommé Chef du bureau ''Propagande '' à la Direction de l'information au Gouvernement militaire français en Allemagne, il publie son premier livre ''L'An zéro de l'Allemagne'', dans lequel il pose la question de savoir comment le pays le plus cultivé d’Europe a pu produire cette monstruosité qu’est le nazisme.
Sur place également, Alfred Döblin (1878-1957), officier culturel français à Baden-Baden, juif allemand exilé en France depuis 1933, puis ayant acquis la nationalité française, et présent à titre d'occupant. Ce médecin psychiatre classé très à gauche est connu pour son roman ''Berlin Alexanderplatz''. Il a en charge le Bureau des Lettres au Service de l'Éducation Publique du Gouvernement Militaire ; et prépare un projet d’académie de littérature et des arts, à Mayence.
L'administration doit reconstituer une presse locale. Lancelot s'engage à défendre certains projets, et permettre quelques largesses dans la répartition du papier, et pour quelques subventions de la part des autorités militaires. C'est parmi d'autres, que voit le jour une publication appelée : '' Lancelot : der Bote aus Frankreich'' - créée et dirigée par Jacqueline Grappin-Prévost, la revue s'est donné pour but de faire connaître aux Allemands, par la traduction d’articles parus dans des revues françaises, la culture française contemporaine dont les avait tenus éloignés douze années de dictature et de guerre.
La revue '' Lancelot '' a profité de deux patronages: celui du gouverneur militaire de la zone, le général Pierre Koenig, et à Paris, de celui de Louis Aragon.
Trois vers tirés de son Cantique à Elsa servent de devise à tous les numéros de la revue :
« La terre accouchera d’un soleil sans bataille
Il faut que la guerre s’en aille.
Mais seulement que l’homme en sorte triomphant. »
Aragon explique le sens du titre : « …Lancelot-du-Lac est l’image la plus pure de la chevalerie de la France, de cet esprit de générosité qui s’oppose à la morale des maîtres, à la loi des seigneurs de la tradition germanique, codifiée par les nazis. Lancelot, c’est celui que n’arrêtent ni le qu’en dira-t-on, ni la règle établie, imposée. C’est celui qui met sa fidélité plus haut que son orgueil. Celui qui, par obéissance à sa dame (comme hier les vrais Français à leur patrie) n’hésita point à monter dans la charrette des condamnés, parmi les voleurs et les assassins, et calmement traversa la ville sous les crachats et les huées. Lancelot le chevalier à la charrette, jamais humilié des refus qui lui viennent de l’objet de son amour, mais l’inlassable champion de cet amour. Lancelot le contraire de Machiavel, Lancelot qui a rompu tant de lances pour les faibles et les asservis, qu’on l’imagine arrivant aux portes de Buchenwald ou de Dachau » (Cité d’après V. Wackenheim '' création de Lancelot) )
Enfin, c'est à Baden, au centre de presse, que Geneviève rencontre Dominique Desanti (1919-2011), une jeune femme d'origine polonaise mariée à un philosophe, qui travaille pour le journal communiste ''Action''. Geneviève sera emballée par le couple Desanti, et les retrouvera à Paris, dès que possible. Les Desanti souhaitent rencontrer le philosophe Heidegger, chez lui et Lancelot leur facilite la démarche.
Lors de la démission du général de Gaulle (20 janv 46), Lancelot comprend avec les responsables de son ministère que son retour sera cautionné par une nouvelle constitution qui lui convienne. La crainte d'une prise de pouvoir par les communistes reste vive ; mais à la différence de la Yougoslavie, en France, nous n'avons pas l'armée rouge mais des troupes américaines. Le PCF avec à sa tête Maurice Thorez revendique la présidence du Conseil.
Un projet de constitution est rejeté par le suffrage universel ( mai 46). Une nouvelle Assemblée Nationale est élue en juin, et De Gaulle définit, dans son coin, les grandes lignes d'un projet de constitution, marqué par un pouvoir exécutif qui procéderait directement du chef de l'état.
Selon Léon Blum : il en est du principe républicain d'avoir une Assemblée directement issue du suffrage universel ; et c'est elle, qui doit avoir le premier et le dernier mot.
Sous le gouvernement Bidault, le Référendum ( Oct 46) adopte la nouvelle constitution, celle de la IVe république. Le président du Conseil est investi par l’Assemblée nationale et responsable devant elle.
Les élections législatives du 10 novembre 1946 font du PC le premier parti politique de France avec 28,8 % des suffrages exprimés et la plus forte représentation à l’Assemblée nationale.
Une certaine désillusion politique, s'ajoute aux difficultés de la vie quotidienne : il est toujours difficile de se chauffer, se ravitailler. Selon votre classe sociale, vous vivez plus ou moins difficilement cette période d'après-guerre, Les grands rêves des jours d'après, seraient-ils déjà abandonnés ?
1945 - Fabrègues – Jouvenel – Sartre – Denoël
Toujours dans un contexte d'épuration, Lancelot va apporter son témoignage pour défendre des personnes pour qui il garde - malgré leurs errements qu'il considère compréhensibles - du respect.
Jean de Fabrègues à gauche avec Jean Peyrade ( écrivain scout, journaliste) maréchaliste, puis rallie la résistance gaulliste Jacques Boudet, journaliste et un proche de Bernanos |
Ainsi de Jean de Fabrègues, à qui on reproche d'avoir maintenu - après novembre 1942 - son hebdomadaire Demain. Des amis résistants, apportent les preuves de son action aux côtés des prisonniers et il ne sera plus inquiété. Fabrègues reste un catholique de droite. Il s'inquiète de la puissance des « éléments matérialistes et marxistes » et il estime qu'à présent « le monde est engagé dans une immense lutte de valeurs » ; aussi il milite sur l'urgence de définir les institutions nécessaires pour défendre le respect de la personne humaine et assurer une « maîtrise des puissances collectives et des déterminismes matériels. »
Fabrègues craint une vision idéologique de l’organisation de la vie de la Cité, qui éluderait ''le spirituel'' et empêcherait de « voir le réel tel qu’il est ». Il en appelle à ceux qui lui semblent partager cette vision du monde, comme Gabriel Marcel, Gustave Thibon, Étienne Gilson, Gonzague de Reynold. Aussi dans certains domaines Daniel Rops, Daniel Halévy, souvent Thierry Maulnier, Jean Lacroix, Joseph Folliet, François Perroux, Raymond Aron, Jacques Madaule...
Après 1945, il devient rédacteur en chef de l'hebdomadaire France catholique.
Lancelot aime partager avec lui ses lectures de François Mauriac et de Georges Bernanos dont il a été proche dans l'entre-deux-guerres.
De même, Bertrand de Jouvenel (1903-1987), réfugié un moment en Corrèze ( aux côtés d'Emmanuel Berl, d'André Malraux et de sa compagne Josette Clotis), puis en Suisse : on lui reproche son interview d'Hitler en 1936 ; mais du fait de sa coopération avec le SR, échappe à l'épuration, mais se voit considéré, selon sa propre expression, comme un « pestiféré ».
Il a écrit entre 1943 et 1945, un ouvrage majeur '' Du Pouvoir '' qui paraît en mars 45, à Genève. Ce livre est né de la guerre, et du constat que la guerre n'est pas une chose du passé...
Le Pouvoir se présente comme une maladie, d'abord sous la forme de tentation, celle de la ''toute-puissance'', puis effective avec le totalitarisme. Très vite, la croissance du pouvoir, le rend irréversible. L'appareil mis en place, son administration s'apparente à « une chambre des machines » , dont les leviers sont toujours plus perfectionnés.
Issue de notre histoire, la démocratie ferait des gouvernants : des organes de la volonté générale ; ce qui peut être malheureusement une duperie, et un moyen de faire accepter leur pouvoir.
La liberté, seule devrait régir nos actions « arrêtée uniquement lorsqu’elle offense les bases indispensables de la vie sociale » (pp. 513-514). Pour Jouvenel, la liberté ne peut être ''un phénomène de masse ''. Il pourrait s'agir évidemment d'une vision toute aristocratique de la Liberté, si elle n'était pas l'attribut de chaque personne.
Jouvenel écrit ces pages, dans un contexte de ''guerre totale'' : où les peuples ont été « décervelés » au profit d’un bourrage de crâne belliqueux orchestré par le Pouvoir.
Jouvenel estime qu'il ne suffit pas de briser Hitler ; puisque, encore, l'Etat ( ou le Pouvoir) se présente comme le responsable du sort des individus.
Pour Jouvenel, les totalitarismes naissent des démocraties. Les sociétés traditionnelles, avec des ''corps constitués'' s'opposaient à un Pouvoir désireux de tout régenter. Un ''esprit libre'' n'a de cesse de dénoncer l’empiétement du Pouvoir.
« La démocratie, telle que nous l’avons pratiquée, centralisatrice, réglementeuse et absolutiste, apparaît donc comme la période d’incubation de la tyrannie » (p 36)
La masse du peuple en effet préfère à la liberté la sécurité. Et c’est bien ce qu’elle attend d’un Pouvoir fort. Jouvenel décrit une machination où Pouvoir et Individu conspirent ensemble à détruire l'harmonie de la Société.
Jouvenel propose quelques solutions dans cette lutte qu'est le ''Minotaure'' : - établir des ''contre-pouvoirs'' ; - suprématie du Droit ( indépendant du pouvoir) ; - affirmation de la ''dignité'' de la personne ( sens de la liberté).
Si le livre est peu commenté en France ; l’écho est important en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis.
En France, suite à sa devenue célèbre conférence du 29 octobre 1945, Jean-Paul Sartre ( 40 ans) est devenu une vedette.
Lancelot a eu la chance d'être présent à Paris, ce soir là. Avec Geneviève, ils croisent dès 20h15 de nombreux groupes, assez jeunes, qui se pressent vers la rue Goujon. Impossible d'entrer dans la salle ; heureusement, une connaissance bienfaisante ( Lancelot marche aidé d'une canne), les infiltre vers les coulisses, et ils trouvent deux places devant la scène. Ils sont près de Gallimard. A 20h30, Sartre n'est toujours pas là ; et la foule semble toujours s'écouler vers le moindre recoin. Même la chaise du conférencier a été subtilisée. Des personnalités s'inquiètent de la situation, on parle d'appeler Police-Secours, sachant qu'à l'extérieur la situation est, parait-il, critique. Vers 21h15, Sartre apparaît. On lui propose de s'asseoir sur la table. Il refuse. Il demande à certains ( mais qui?) de sortir. Bien-sûr, personne ne bouge. La chaleur est intenable ; des personnes se trouvent mal.
Sartre - il parle sans notes - s'attelle à défendre '' l'Existentialisme'' : « une doctrine qui rend la vie possible... ». Contre les chrétiens, et contre les marxistes ; il affirme l'optimisme des existentialistes.
Une jeune fille s'évanouit. Ne faut-il pas évacuer la salle ? Sartre est encouragé à continuer. Il reprend son cours, sur la nature humaine - qui n'existe pas ( par essence, donc) - et commente de nombreux philosophes. Quelques idées fortes peuvent être retenues : - l'Homme ne se définit que par rapport à ses actions ; - l'Homme se conçoit lui-même, en dehors de lui-même il n'y a rien ; - l'Homme est essentiellement seul, et il est condamné à être libre ; - l’Existentialisme, orientée vers l'action, est un ''optimisme'', un humanisme. Pour Sartre, l'Européen de 1945 est un personnage qui peut se placer au centre du monde, et il est capable de comprendre chacun, qu'il soit chinois ou indien.
Il cite l'exemple du colonel Lawrence, qui « se voyait du dedans et du dehors. ». Personne n'a le courage d'apporter la contradiction ; vivement et sagement, la foule rejoint la sortie.
De nombreux articles dans les quotidiens font état - ce soir là - de la foule, des chaises cassées et des femmes évanouies. Nous apprenons que Sartre apercevant la foule, pensait qu'il s'agissait d'une manifestation hostile des communistes. La presse salue, le sang-froid du conférencier, son magnétisme personnel. Au même moment Julien Benda, au théâtre du Grand Colombier , renonça à sa conférence : la salle était vide.
La popularité de Sartre, grandit avec la parution de son roman ''Les Chemins de la Liberté'' dont 2 tomes sur trois sont parus, mais déjà épuisés.
Lancelot apprend, par la presse et avec stupeur, l'assassinat de Robert Denoël, dans la soirée du 2 décembre 1945, au boulevard des Invalides. L'éditeur accompagné de Mme Voilier ( Jeanne L.), se rendait au théâtre de la Gaîté, lorsque qu'un pneu de la voiture éclata. Pendant que Jeanne L. allait au commissariat pour chercher un taxi, Denoël qui s’apprêtait à changer la roue, a été agressé, puis abattu d'une balle dans le dos.
Denoël avait été poursuivi pour délit de collaboration, pour la publication d'ouvrages antisémites ( Céline, Rebatet), mais il semblait tiré d'affaires. On parle de vengeance politique, mais la presse fait plutôt état d'une bande de jeunes spécialistes d’agressions nocturnes qui sévissent dans le quartier, dont plusieurs viennent d'être arrêtés.
Par ailleurs, nous savons que Robert Denoël, séparé officieusement de sa femme, vivait avec Jeanne L. avec qui il était en ''relation d'affaires''. Puis, nous apprendrons que les affaires personnelles de Denoël, laissées dans la voiture ont disparu.
Plus tard, les éditions Denoël, vont devenir la propriété de Jeanne L. , déshéritant sa femme et son fils. Il semblerait que Denoël devait repasser devant la commission d'épuration, et qu'il avait d'ailleurs préparé un dossier à charge sur de nombreux concurrents ( dossier volé dans la voiture !) et craignait de ne plus pouvoir exercer son métier d'éditeur ; aussi il avait pris ses précautions pour transmettre ses parts à sa maîtresse.
Nous apprendrons plus tard encore, que Jeanne Loviton - après la mort de l’éditeur - a contre-signé les parts conservées en blanc par lui, et se retrouvait ainsi en possession des Éditions Denoël.
Chacun sait également que Gallimard convoitait les éditions Denoël ; ce qui sera réalisé, en 1951, quand Jeanne L. les lui vendra.
1945 - Les savants allemands
Un jour, à Baden-Baden, Lancelot reçoit une carte signée K.M., dont le verso est une reproduction de la carte XVII, l’Étoile. Cette fois-ci, c'est avec joie, qu'il retrouve cet assistant de Gentner qui avait dû rentrer dans la clandestinité, alors que son patron était rappelé en Allemagne, parce que trop proche des français. Wolfgang Gentner, depuis 1941, travaillait à l'Université de Heidelberg ; pour achever la construction du cyclotron de Heidelberg, inauguré finalement le 2 juin 1944.
Kurt M. fait part à Lancelot du désir de Gentner, fixé à Heidelberg en zone d'occupation américaine, de rejoindre la zone française.
Lancelot profite du désordre de l'appareil administratif, pour imposer dans le recrutement du personnel scientifique, la candidature de Gentner sur un poste d'enseignant à l'institut de physique de Freiburg, entièrement détruit d'ailleurs, et qu'il faut donc reconstruire.
Cet objectif facilement réalisé ; K.M. revient à la signification de sa carte du tarot. '' L'Etoile '' est l'annonce d'un temps nouveau ; elle évoque Perceval qui, face au Graal, commence à se révéler. La quête a été laborieuse, déroutante ; et si même le château, au matin, s'avère vide ; Perceval a peut-être acquis la sagesse nécessaire pour accéder à nouveau au château du Graal. Dans l'actualité de notre contexte, l'Etoile évoque un nouveau défi, la conquête spatiale.
A côté de la science de l'atome, qui agite beaucoup les esprits, à raison ; un autre chantier mériterait d'être développé, l'aéronautique … K.M. en est persuadé et nous fournit alors de nombreux renseignements sur la station d' Ober-Raderach située près du Lac de Constance et de Friedrischshafen ; et sur les installations de Nordhausen, non loin de Gottingen. Grâce à nos services de renseignements, nous avons pu doubler les américains sur leur propre terrain, ainsi à l'hôtel Wittelsbacher Hof de Bad Kissingen où sont retenus plus de 120 spécialistes allemands avec leurs familles, gardés par des militaires américains; nous avons pu en convaincre quelques uns de nous rejoindre !
Photographie extraite du rapport de la mission Moureu « Sur la station expérimentale de contrôle et de réception des “V2” de Ober-Raderach », (c) Cnes, fonds Barré |
Lancelot prévient aussitôt, Henri Moureu (1899-1978) : ce savant alors collaborateur de Joliot qui a mis en sûreté l'eau lourde jusqu'à Bordeaux, avant que le produit soit acheminé en Angleterre ( 1940 - La guerre et l'énergie nucléaire ( l'eau lourde) - Les légendes du Graal (over-blog.net)). En lien avec la résistance, Moureu a analysé les V2 tombés au nord de Paris, pour informer les alliés des armes ''secrètes'' employées par les allemands. Le missile V2 - tombé sur Paris en septembre 44 - avait mis 4 minutes pour effectuer un vol 320 kms. Plus de 1500 V2 sont tombés sur Londres, volant à 5500km/h, ils étaient équipés d' un moteur à turbo pompes de 25 tonnes de poussée, ce qui pour une fusée de 12 tonnes permettrait de gagner 80 km d' altitude.
Moureu obtiendra les autorisations nécessaires, notamment de la part des américains, pour visiter les installations, ramener du matériel en France et procéder à des essais sur site avec des prisonniers allemands. Les français vont ainsi récupérer de nombreux savants et ingénieurs, avec l'objectif de parier sur des recherches spatiales.
Les installations de la station d'étalonnage des tuyères de fusées V2 d'Ober-Raderach, vont être démontées, entre 1947 et 48 puis transférées au LRBA (Laboratoire de Recherches Balistiques et Aérodynamiques) de Vernon où elles seront utilisées dans le cadre des premières recherches françaises en matière de moteurs de fusées. Le LRBA de Vernon, créé en mai 1946, travaillera au projet de la fusée Véronique.
Lancelot, lance le fichage systématiques des savants allemands avant leur recrutement. Il s'agit de connaître leurs travaux, et leur action pendant la guerre. Nombreux sont les scientifiques allemands qui offrent leur service. Plusieurs milliers vont être recrutés. Heinz Bringer, Hermann Oestrich, Eugène Sanger, Irène Bredt, Friedrich Nallinger parmi les plus connus permettront de développer les programmes : fusée Ariane (réacteurs), chasseurs Mystère ou Mirage III, missiles SS-10...
A Vernon, ce sera une soixantaine de spécialistes allemands des V2 - dont le directeur ingénieur Otto Müller, expert en guidage et Heinz Bringer (1908-1999), spécialiste de la propulsion qui inventera le moteur Viking des Ariane), Helmut Habermann et Otto Kraehe qui travaillaient sur la base secrète de Peenemünde, en mer Baltique, aux recherches de Wernher von Braun - qui vont directement participer à la mise au point des premiers missiles français.
A son retour en France, Lancelot se lance dans la recherche d'un lieu où installer un premier groupe d'une trentaine d'ingénieurs allemands pour travailler sur les technologies spatiales. Les anciens Ateliers Edgar Brandt offrent un terrain militaire situé sur le plateau à l'écart et au-dessus de la ville de Vernon ( Eure). C'est là que s'installe le Laboratoire de Recherches Balistiques et Aérodynamiques '' LRBA '', qui vient ainsi d’être créé. On travaille alors sur de ''supers V2'' d’une portée de 3600 km, avec une charge utile de 1000 kg.
Ces cerveaux allemands, au service de l'ennemi, travaillent désormais pour la France. Cependant, les premières années, des femmes de ménage sarroises bilingues, avaient mission de consigner tout signe de trahison ou de désertion.
Lancelot a l'opportunité de revoir Jean Painlevé; il suivait - avant la guerre – ses conférences, et surtout ses films qu'il présentait au palais de la Découverte ( La quatrième dimension), ou lors d'une soirée où il vit ''Voyage dans le ciel '' (1936).
Jean Painlevé (1902-1989) est le fils de Paul Painlevé ( mathématicien et homme politique), sa mère est morte à sa naissance. Je rappelle que Paul Painlevé était le ''grand'' ami de la mère de Lancelot. Jean fut pionnier en ce qui concerne le cinéma scientifique. Il n'aime pas les spécialistes ( professeur, chercheur...) et préfère la recherche, et l'enseignement par une intelligente vulgarisation ; il s'agit dit-il '' d'honorer le savoir ''.
À la Libération, il est nommé directeur général de la Cinématographie française ; poste qui ne lui convient pas. Il préfère retourner à ses expériences cinématographiques. En 1945, il présente ''Solutions françaises'' un film qui devait être prêt pour 1939, mais qu'il a refusé de montrer pendant l'occupation. Sur une musique de Duke Ellington, il vante les invention des chercheurs français comme Louis Lumière, Paul Langevin, Joliot-Curie...
Dans son ''Voyage dans le ciel '', Jean Painlevé simulait un voyage depuis la Terre jusqu’à la périphérie de la voire lactée. Le film commence par une présentation de la méthode de mesure des distances par triangulation. Puis le voyage débute, de la Terre à la Lune, puis Mars, Saturne, enfin à la limite de notre univers. Le film montre des paysages imaginés (à l'aide de maquettes, d'animations) et formule des hypothèses sur d’autres univers lointains. Il nous fait découvrir quelques lois fondamentales de l'Univers et se termine par des questions philosophiques sur la place de la planète Terre.
Nous profitons alors de quelques notes, sur une séance d'exposé-débat sur un sujet scientifique, qui vont se poursuivre sur le thème de l'aéronautique spatiale.
Lancelot remarque à la lecture du Figaro de ce jour ( 14 Nov 1945) que la fusée ( de type V-2 allemand) n'est évoquée que dans le contexte de la guerre, contre des avions, ou assurant le transport de bombes. A partir des réflexions des ingénieurs allemands rencontrés, Lancelot se fait vite à l'idée qu'à côté des recherches sur l'énergie atomique, se profile la course de l’aéronautique spatiale. Et, il s'agit là d'une quête, car à son propos, les termes utilisés par les savants, ou de ceux qui simplement s'y intéressent, sont de l'ordre de la '' conquête spatiale'' ou de '' l'aventure humaine des temps modernes '', et de ''vieux rêve de l’humanité ''. Lors d'une discussion un peu plus intime, cette aventure peut s’apparenter à une quête spirituelle, qui permettrait de répondre aux questions fondamentales de l’origine et de la nature de l’humanité.
Beaucoup d'entre nous, ont lu les ouvrages de Jules Verne – notamment De la Terre à la Lune (1865) et Autour de la Lune (1870) – qui avaient la particularité d’être scientifiquement plausibles ; le vol spatial était possible, et aujourd'hui il nous semble à notre portée.
Une fusée, doit s'élever, donc s'opposer à la gravité ; mais cette attraction diminue en prenant de l'altitude. Si le travail nécessaire à l’élévation d’une masse d’un kilogramme à la hauteur d’un mètre, est le Kg/m ; à 3.000 kilomètres d'altitude, il ne faudra plus que 0,462 kg/m pour gagner 1 mètre.
Pour s'élever en altitude, l'avion à hélice - ayant besoin d'atmosphère – ne convient pas pour les hautes altitudes. L'obus ou le moteur à réaction conviennent, le premier demande une vitesse initiale impossible à réaliser et le second a l’inconvénient de transporter son carburant. On pourrait envisager un V2 qui consommerait la très grande partie de son carburant en quelques minutes, un V2 animé d'une grande accélération. S'il atteignait 3200kms au bout de 10 minutes, il devrait obtenir la vitesse de 11,3 km/m nécessaire pour sortir de l'attraction terrestre. On parle aussi de fusée de type ''gigogne'', c'est à dire plusieurs fusées disposées les unes sur les autres, très coûteux et peu pratique...
La question, posée par Geneviève, qui va occuper les esprits ce soir là, est sur la qualité de la force qui propulse la fusée.
La réponse est : C'est la Réaction qui permet la propulsion ; et surtout, il faut bien comprendre que la pression du moteur ne "s'appuie" pas sur quelque chose dans ce phénomène, ( ni sur la terre, ni sur l'air...) : phénomène que l'on nomme action/réaction, selon la 3e loi de Newton sur le mouvement (toute action produit une réaction opposée).
On peut dire que la fusée s'appuie sur l'inertie ou la masse des particules qu'elle éjecte. Ainsi, les forces exercées par la fusée sur le gaz éjecté sont égales aux forces exercées par le gaz sur la fusée.
La propulsion à réaction marche un peu mieux dans l'espace, hors atmosphère.
1945 - Zone française en Allemagne.
Alors que Lancelot suit – via la France – le rapatriement de dix physiciens allemands vers l'Angleterre ( Opération Epsilon) ; il apprend que le 2 mai 1945 - Wernher von Braun et son équipe qui travaillaient pour le compte des nazis sur le programme V1 et V2 – se sont rendus aux américains. Ils rejoindront les États-Unis, le 20 septembre 1945.
Lancelot insiste au sein de son ministère pour que l'armée française puisse intégrer en son sein une section, rattachée au 2e bureau, qui prospecte pour notre compte le recrutement de scientifiques allemands.
Le 17 mai 45, le général de Gaulle, dans une note secrète, ordonne : « Il y aura tout lieu de transférer en France les scientifiques ou techniciens allemands de grande valeur pour les interroger à loisir sur leurs travaux et éventuellement les engager à rester à notre disposition. ».
Aussitôt, une ''section T'' est intégrée à la Première Armée conduite par le général de Lattre de Tassigny. Dirigée par le colonel Gaston de Verbigier de Saint-Paul, elle regroupe des spécialistes militaires chargés de découvrir et d'exploiter toutes les usines et centres de recherche - situés dans la zone française - pouvant intéresser la Défense nationale. Cette zone du sud-ouest de l'Allemagne, abrite un potentiel scientifique important, concentré essentiellement dans le Wurtemberg-Hohenzollern et le sud du pays de Bade.
En parallèle, Frédéric Joliot-Curie, crée au sein du CNRS, une mission ( sous la responsabilité de M. Lwoff assisté de M. Berthelot) pour collaborer avec le section T ( nommée par les alliés ''french FIAT).
Seulement, les américains - plus rapides, plus déterminés, et craignant les sympathies communistes de Frédéric Joliot-Curie, s'emparèrent ( mission ALSOS) - dans la zone française - de matériels et de savants, comme Otto Hahn et de Werner Heisenberg.
La préoccupation principales des investigations alliées, concernait la capture de renseignements sur les recherches nucléaires allemandes.
Le 5 juin 1945, lors de la Déclaration de Berlin, les alliés organisent l'occupation de l'Allemagne. Ils n'ont traité avec aucun gouvernement allemand, et le régime actuel ayant été aboli; l'Allemagne se trouve dépourvu de gouvernement. L'état allemand est divisé en quatre protectorats : russe, américain, anglais et français.
En juillet 1945, Marie-Pierre Kœnig est nommé Gouverneur militaire de la Zone française d’occupation en Allemagne. Le quartier général des '' Troupes Françaises d’Occupation en Allemagne '' a son quartier-général à Baden-Baden. Cette zone comprend également les districts ouest-berlinois de Reinickendorf, et de Wedding.
Mandaté par son ministre, Lancelot se rend en zone française. Il constate les destructions dans Fribourg-en-Brisgau : étrange image que celle de la cathédrale de Fribourg qui se dresse en arrière-plan des ruines de la ville.
A Tübingen dont le château a été épargné, Lancelot fait une curieuse rencontre : celle de Friedrich Sieburg (1893-1964), auteur de Dieu est-il français ? (1929), qui dit se souvenir de la comtesse de Sallembier, croisée dans les salons, avant et pendant l'occupation.
Sieburg représente ces personnalités allemandes qui malgré leur engagement nazi, se disent francophiles. Sa liaison avec Louise de Vilmorin en 1933, est connue.
Son livre était devenu un best-seller, des deux côtés du Rhin. Sieburg y honorait la France comme cultivée et aimable, et la critiquait pour son arrogance nationale, fondée religieusement sur Jeanne d'Arc ( une femme...!).
En 1940, Sieburg devenait conseiller à l’ambassade d’Allemagne en France occupée. Il démissionna deux ans plus tard et retourna au Frankfurter Zeitung en février 1943, qui fut cependant interdit en août de la même année. Le château de Sigmaringen, devenu une enclave française et collaborationniste, reçut son ambassade d'Allemagne, avec Otto Abetz et Friedrich Sieburg.
Très perturbé par sa ''guerre'', faite de batailles et de réconciliations avec sa deuxième épouse Dorothee von Pückler qu’il a épousée en 1942. Sieburg vit la moitié du temps sur le domaine de Dorothee, le Schloss Rübgarten, et l'autre moitié dans un appartement à Tübingen chez le professeur d'université Paul Kluckhorn. Sieburg précise que Kluckhorn est un spécialiste de la littérature des Xe et XIIIe siècle dans le sud-est de l'Allemagne, et connaît très bien Chrétien de Troyes et bien sûr Wolfram von Eschenbach.
Sieburg ne craint pas de scandaliser en affirmant bien fort que l'Allemagne ne peut accepter sa défaite, elle « ne peut que chanceler entre la grandeur surhumaine et la honte la plus profonde.», selon ses propres mots. Il s'adresse à Lancelot, comme s'il n'était pas ici, un représentant des alliés victorieux : « Ils veulent '' éradiquer '' le national-socialisme, ne sachant pas que ses ''idées '' ne peuvent pas être '' éliminées'' ; peu importe qui les reprendra ! ». Sa vision de l'avenir, semble bien inquiétante, il se dit persuadé que l'URSS prépare la prochaine guerre ''de civilisation'', que devront affronter bientôt, les ''démocraties occidentales''.
Le plus étrange est le parallèle, qu'il fait avec les relations dans le couple. Il attribue les échecs - qu'il semble avoir vécu au cours de deux mariages, en particulier le dernier ( avec Dorothée, née von Bülow et veuve comtesse Pückler) - à la ''femme'' qui serait « un être capricieux et obsédé par ses blessures, un être tourmenté qui devient le bourreau de celui qui ne peut s'empêcher d'y être attaché. » Il explique comment la catastrophe de sa relation avec Dorothée, s'apparente au désastre de la situation politico-militaire de l'Allemagne.
Denoël – Valéry
En avril 1945 ; alors que la victoire engendre l'épuration et que Jeanne L. cache Robert Denoël dans un petit appartement qu'elle loue; elle annonce à Valéry, son projet de mariage avec Denoël. Nous savons que Valéry est fou amoureux d'elle, alors qu'elle est plus jeune de 32 années.
« Ma Bien-Aimée, / Un jour si beau / Le malheur vint / D’entre tes lèvres… / (…) / Ma bien aimée / Ta bouche tendre / Fit un poison / De tout mon sang… / (…) / Ma bien aimée / Trois mots suffirent : / Ce fut pour dire : / Tu dois mourir…
La vie exige / Qu’un autre obtienne / Celle qui fut / La seule Tienne ; (…) »
L’absence habite l’ombre où je n’attends plus rien / Que l’ample effacement des choses par le mien. »
Trahi, de plus malade, Paul Valéry meurt le 20 juillet. Son enterrement a lieu le jour de l'ouverture du procès du Maréchal Pétain.
Jeanne L. connaît Denoël depuis 1943, alors qu'elle prend - à la mort de son père - la tête des éditions d'ouvrages de droit ( les Editions Domat-Montchrestien ). Denoël ( 1902-1945) est fasciné, exalté par son amante ; il la seconde dans ses affaires.
Denoël qui a édité Rebatel, Céline, mais aussi Aragon et Elsa Triolet, est isolé par ses confrères; et plus gravement par ses auteurs sur qui, il comptait... Seule, Jeanne L. se démène pour le sortir d'embarras.
Avec le procès de Pétain ; on se contente de refaire l'histoire, celle de la IIIe république et de l'armistice. Blum évoque l'armistice comme « un énorme abus de confiance moral » ; mais surtout, on accuse le Maréchal d'intelligence avec l'ennemi. On parle de la traque et de la cruauté envers les résistants, et trop peu de la déportation des juifs.
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Le 15 août. La sentence de mort rendue sera commuée en réclusion criminelle à perpétuité. Transféré à l'Ile d'Yeu, Pétain y mourra le 23 juillet 1951.