L'Ecole d'Uriage -3- Lithargoël
Viennent souvent, au château, des conférenciers de Grenoble, ou de Lyon ; et la parole est si libre que Lancelot semble être ici, hors du temps de Vichy.
Philippe Pétain et, à sa gauche, les cardinaux français Emmanuel Suhard et Pierre Gerlier, ainsi que Pierre Laval, en novembre 1942 |
L'un des derniers thème de discussion concerne l''' Explication chrétienne de notre temps ''. On évoque la défaite en remontant dans l'histoire, jusqu'à la fin du Moyen-âge pour y trouver les racines d'une ''crise de civilisation'', lorsque l’homme s’est « coupé de la vie supérieure » pour sombrer dans le matérialisme. La Renaissance ensuite, s'est centrée sur l'émancipation de la tutelle de l’Église ; jusqu'à s'imaginer fonder une société sans dieu, pourtant issue du christianisme...
La défaite de 40, semble donc justifier une pensée réactionnaire catholique. La '' Révolution nationale '' pouvant être le moyen d’effacer '' la République Parlementaire'' issue de 1789.
Le programme de formation intellectuelle comprend l’étude des trois auteurs désignés comme « les Maîtres de la politique française » : Maurras pour la monarchie, Péguy pour la critique du parlementarisme et Proudhon pour le traditionalisme
Le directeur de l'école, ne craint pas – sur ces bases – de provoquer un débat , en organisant un colloque avec Emmanuel Mounier et Jean Lacroix, les fondateurs de la revue Esprit ; Jean-Jacques Chevallier, professeur de droit à la faculté de Grenoble ; Michel Dupouey du Secrétariat général à la Jeunesse ; Henri Massis, de La Revue universelle et surtout principal conseiller du Maréchal pour les problèmes de jeunesse...
Pour Mounier, la personne est une « liberté créatrice qui prend le monde comme problème et le construit comme destin » ; ce qui la constitue, c'est l’Être infini : « un Être personnel présent au plus intime de nous-mêmes ». La personne est '' vocation ''…
La pensée de Massis, même si – à la suite de Péguy - se rattache à une politique de l'incarnation ; elle semble à Mounier trop amère, angoissée. Au point d'en arrêter la recherche ; sa pensée est ''solution ''. Mounier en appelle plus à la ''proposition'', et même au mystère...
Le conflit idéologique éclate, et c'est finalement le contrôle même de l'Ecole qui est en jeu.
Lancelot voit passer des gens estimés de tous, même si, comme René Gosse, doyen de la faculté des sciences, un brillant scientifique, il est révoqué le 6 décembre 1940 de toutes ses fonctions. Au même moment, Mgr Caillot, évêque de Grenoble diffuse un message pour soutenir la politique du Maréchal Pétain, et s'en prend directement aux franc-maçons.
René de Naurois, qui ne cache pas dans ses prédications son aversion pour le national-socialisme, supporte de plus en plus mal, l'idée que la France puisse devenir un satellite de l'Allemagne nazie. Il se rend souvent à Grenoble, et Lancelot sait qu'il soutient un mouvement de résistance qui vient de se créer autour d'une professeure de Lettres du lycée Stendhal, Marie Reynoard.
Début 1941, Dunoyer de Segonzac, prononce à la faculté des Lettres de Grenoble, une conférence, il exalte l'esprit de revanche et, dans un même élan, avoue que son plus cher désir est la victoire de l'Angleterre. Des applaudissements éclatent dans la salle.
Le 17 février 1941, Segonzac reçoit des instructions précises de Vichy: il est sommé de se séparer de Mounier et de l’abbé de Naurois. De ce jour, l’abbé entre dans la résistance active.
Le 20 août, la revue Esprit sera interdite.
Lancelot, dans son rapport au Secrétariat d'Etat à l'Instruction publique et à la Jeunesse, sut mettre en avant les aspects qui étaient attendus par le régime de Vichy ; exposé juste, donc mais réduit...
Lancelot fait l'éloge de ces jeunes stagiaires volontaires, énergiques qui chantent en cadence des chansons folkloriques ou d’actualité comme ''Maréchal, nous voilà ''.
A Uriage, sont régulièrement évoquées des figures comme Jeanne d'Arc, Péguy, Lyautey, et le vainqueur de Verdun. On y exalte les vertus dures et nobles comme, la pureté, l’abnégation, le don de soi, le goût du sacrifice, ou bien encore l'humilité des petites gens. On y évoque le passé, prenant volontiers ses références dans la chevalerie médiévale, prônant le retour aux traditions ancestrales...Etc.
Quelques jours avant le printemps, et le départ de Lancelot. Un événement va le marquer profondément...
Les habitants du village d'Uriage, ont récupéré un homme blessé, et l'amènent inconscient au château … Mutique, il semble incapable de parler... il ne comprend pas le français, mais l'allemand... Lancelot et René de Naurois parlant allemand, tentent de l'interroger...
Il porte sur lui quelques cartes du Tarot de Marseille, - le Fou – l'Empereur - qu'il présente pour expliquer sa présence, ici.
Quand on lui demande comment il s'appelle, il répond, quelque chose comme ''Litarguel'' : Naurois, pense au nom d'un ange ( comme Gabriel, ou Raphaël...) ?
La dernière nuit, il semble aller mieux et retrouver ses esprits. Il s'adresse à Lancelot qui le veille : il souhaite connaître son nom, et le nom du lieu, où il est : puis, il répète ''Lancelot... Lancelot - Vielen Dank ( Merci beaucoup ); comme s'il était soulagé.
- Et vous, que faites-vous, ici... ? - Wir müssen den Stein wiederfinden...( Nous devons retrouver la pierre ) ceci dit, avec beaucoup de difficulté. Enfin, il réclame ses deux cartes de tarot, pose le fou sur son cœur ; puis le tend à Lancelot ; et lui fait signe qu'elle est à lui, à présent.
Lancelot n'a pas bien compris :
- Quelle pierre... ? Pourquoi... ? - Wir müssen den Stein vor ihnen finden ( Il nous faut trouver la pierre avant eux).
L'homme retire une enveloppe de la poche intérieure de son blouson: - Vous la remettrez à une personne travaillant sur Tube Alloys, qui se présentera à vous. Il s'agit des ''Romances du Rosaire'' de Clemens Brentano.
Il ferme les yeux. - Nur die Rose kann... ( Seule la rose peut...) et s'endort.
Le lendemain, son lit, sa chambre sont vides. L'homme a disparu, aucune trace de lui, sinon les deux cartes de tarot, que Lancelot a gardé ; et surtout ce livre.
Lancelot est profondément bouleversé, par le mystère de cette rencontre. Comment cet homme est-il arrivé ici, et pourquoi... ?
Où est-il ?... ? Le médecin pense qu'il était seulement très fatigué; et sans-doute était-il poursuivi par des nazis...
L'abbé Paul Tresson, que j'ai évoqué plus avant, reconnaît dans le nom de l'homme, entendu par Lancelot et Naurois : le nom de '' Lithargoël ''. - De qui s'agit-il ? - D'un ange effectivement, un ange thérapeute. Il est mentionné dans un livre, qui appartient à la série des Actes apocryphes des apôtres. Ce livre a disparu ; mais on connaît une parabole qui devait y figurer, parce qu'elle est rapportée dans la littérature syriaque.
L'étymologie du nom Lithargoël est à chercher en grec du côté de ''pierre brillante '', ce qui correspond au sens de l'histoire ; et la terminaison 'el ' renvoie au nom divin, commune aux noms d'ange.
Cette histoire raconte qu'un marchand, Lithargoël, offre aux pauvres, une pierre, une perle, mais ils ne répondent pas à son invitation; ils l'accueillent, mais ne partent pas dans la cité que leur indique l'ange... Pierre et les apôtres, vont accepter de s'y rendre, ils y seront alors accueillis par Lithargoël, qu'il ne reconnaissent pas, habillé en médecin, et qui va se révéler être le Christ.
''Les Romances du Rosaire'' (1852) sont un long poème inachevé. Il se présente comme une suite de tableaux, qui expriment les embarras du cœur humain par différentes figures. Brentano a probablement pensé au Roman de la Rose.
L'abbé Tresson apprend à Lancelot, que Brentano, converti au christianisme, catholique, fervent du Rosaire, vint s'asseoir pendant six ans au chevet d'une religieuse, Anne Catherine Emmerich, pour retranscrire ses visions, jusqu'à sa mort en 1824.