Ballade contée au Moyen-âge -7/.-
A vouloir goûté un bien si précieux, il en garde nostalgie, dès sa séparation... Et, le jeune chevalier en désire encore... Mais l'épouse de son seigneur, lui fait comprendre, qu'elle n'acceptera plus de répondre à aucun marché venant de lui.
Cependant, le jeune chevalier souhaite à présent le soutien de sa dame, dans son projet matrimonial – je le rappelle, il avait imaginé avec son ami Bertran, de s'attacher la Dame de son seigneur ; pour obtenir d'elle son soutien à son projet de mariage avec Ermengarde, qui, l'espère t-il, l'attend avec plus de fidélité qu'il ne le fait lui-même...- Mais, depuis sa victoire … Dame Emma, l'évite...
Guillaume se dit, comme si ce nouveau défi l'accaparait à nouveau : que cette fois-ci, il saura utiliser la nouvelle conquête de la dame de son seigneur...
La dame même, après en avoir goûté, s'ennuie de ses empressements ; et Guillaume la prie, alors, de le soumettre, lui, à un défi, qu'il s'engage à mener à bien, pour son amour d'elle. Et, elle imagine de s’en défaire en lui faisant quelque proposition bizarre et dont l’exécution est impossible.
- Il faut me construise ici près, hors de la ville, au mois de janvier, un jardin, rempli de verdure, de fleurs, d’arbres couverts de feuilles, comme au mois de mai
Dame Emma déclare que si Guillaume ne satisfait pas son désir, qu’il ne la revoit plus jamais... !
- Et s'il m’importune encore, elle découvrira à son mari, à ses parents, tout ce qu'elle leur a caché jusqu’à présent...
Elle pense ainsi se débarrasser du chevalier de la bonne façon.
Il arrive enfin, ce mois si désiré, et la nuit après les fêtes de Noël, lorsque toute la campagne est couverte de neige et de glace, le magicien fait tant, avec le secours de son art, qu’il apparaît dans un pré voisin de la ville un des plus beaux jardins qu’on ait jamais vus, réunissant les fleurs et la verdure du printemps aux fruits de l’automne.
Dès que messire Guillaume voit ce prodige, Dieu sait s’il est comblé de joie. Il fait aussitôt cueillir les plus beaux fruits et les plus belles fleurs, et les envoie secrètement à la dame de Hauterive, en l’invitant de venir voir le jardin qu’elle a demandé, pour être convaincue de l’amour dont il brûle pour elle.
Quand la dame voit les fleurs et les fruits que son amant lui a envoyés,... elle commence à se repentir de sa promesse.
Cependant la curiosité de voir des choses si nouvelles la fait glisser légèrement sur le repentir, et elle va, avec plusieurs damoiselles, voir ce jardin miraculeux. Après l’avoir examiné, loué et admiré, elle s’en retourne chez elle le cœur très-affligé, songeant à quoi ce jardin l’oblige. Son trouble est si violent, qu’il ne lui est pas possible de le déguiser, si bien que son mari s’en aperçoit. Il lui en demande la raison. La 'situation' lui fait renfermer pendant quelque temps son secret au dedans d’elle-même ; mais enfin, pressée d’une manière à ne pouvoir s’en défendre, et résolue de sortir de situation, elle lui conte la dernière partie de cette aventure.
D’abord le mari se fâche, se met en colère, sans trop faire du bruit ; ensuite, considérant l’honnêteté de sa femme, il se calme sagement.
« Dame Emma , il ne convient pas à ma femme, lui dit-il, de prêter l’oreille aux discours des amants, et encore moins de faire un marché déshonnête, quel qu’en soit le prix ; car c’est par l’oreille qu’on arrive jusqu’au cœur, et il n’est rien de difficile dont l’amour ne puisse venir à bout. Tu as donc commis deux fautes, la première d’écouter les discours d’un homme amoureux, l’autre de prendre des engagements. Mais, pour la tranquillité, je veux bien te mettre à portée de remplir ta promesse, en t’accordant ce qu’un autre refuserait sans doute ; d’ailleurs, il est à craindre que si Guillaume n’est pas satisfait, ce ''magicien'', qui le sert si bien, ne nous jouera quelque mauvais tour. Va donc trouver le chevalier, et fais tous tes efforts pour sauver à la fois ton honneur et ta parole ; si cela n’est pas possible, que le corps cède, mais que la volonté résiste. »
La dame feint de pleurer, et dit qu’elle ne veut pas de la permission qu’il lui donne ; mais le mari use d’autorité, et il faut obéir.
Le lendemain, dès la pointe du jour, Dame Emma, travestie, accompagnée d’une servante, se rend au logis de messire Guillaume. Quel n'est pas son étonnement quand on lui annonce une pareille visite ! Il se lève et appelle le jardinier-magicien :
« Viens voir, lui dit-il, viens voir de quel trésor ton art me rend possesseur. » Il va au devant de la belle, et après l’avoir saluée avec toutes les démonstrations de la joie, il la fait entrer dans une belle chambre. Quand elle y est assise :
« Madame, lui dit-il, si l’amour que je vous ai voué, et que je vous conserverai toute ma vie, peut mériter quelque récompense, dites-moi, je vous prie, quelle heureuse occasion vous appelle chez moi à cette heure... ?
– Ce n’est point l’amour qui m’amène ici, lui répond-elle , le rouge aux joues ; ce n’est point non plus la promesse que je vous ai jurée, c’est … C'est uniquement pour obéir à mon mari, qui, plus sensible à votre amour criminel qu’à son honneur et au mien, m’a lui-même ordonné de venir vous trouver. Me voilà donc chez vous, par son ordre, et prête à faire tout ce qu’il vous plaira. »
Si la visite inopinée de la femme de son seigneur étonne messire Guillaume, son discours l’étonne bien davantage. Touché de la générosité de Guy de Hauterive, l'amour pour sa dame, se change en admiration.
« À Dieu ne plaise, ma dame, que je sois assez peu loyal et assez ingrat pour souiller l’honneur d’un homme qui a daigné s’attendrir sur mes maux ! Vous pouvez donc demeurer ici, si bon vous semble, tant que vous le jugerez à propos, avec l’assurance d’y être respectée comme ma sœur. Vous en sortirez quand il vous plaira, à condition cependant que vous voudrez bien témoigner à seigneur Guy, dans les termes que vous jugerez convenables, la juste reconnaissance dont je suis pénétré pour son généreux procédé, et que vous l’assurerez que je suis pour la vie son vassal chevalier et son serviteur. »
À ces mots, Dame Emma cache un peu sa déception, et assure être rassurée...
« J’avais de la peine à me persuader, lui dit-elle, que vous fussiez assez peu délicat pour profiter de ma situation...Ma reconnaissance, égale votre sacrifice, et je ne doute point que mon mari ne la partage. »
Guillaume ensuite, s'empresse de la soutenir pour que Guy de Hauterive consent – en suzerain – à son mariage avec Ermengarde la fille du seigneur de Laron... Et Guillaume raconte à sa dame de cœur, le refus du père de la jeune fille à la lui accorder...
Après ces mots, dame Emma prend congé, et court raconter à son mari tout ce qui s’est passé...
Inspiré d'un conte : Le jardin enchanté du Décameron
La femme au Faucon
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Ballade contée au Moyen-âge -6/.-
La Dame de Hauterive, lorsqu'elle se fait voir magnifiquement vêtue et parée, surpasse pour la grâce et le brillant, l'épervier qui s'élance dans les airs. Sa robe est de pourpre et son manteau, bien ajusté, constellé d'or, et sa fourrure d'hermine n'est point pelée ni le riche sebelin qui entourdit son cou.
Quand la Dame laissait s'épancher ses cheveux, ils semblent entièrement d'or fin, tant ils sont luisants et blonds. Elle a le front poli et plein, et, sous les sourcils bruns, les yeux clairs et riants, bien fendus et d'un bleu verdâtre. Elle a le nez droit et en proportion avec son visage où le vermeil et le blanc se marient, entre le menton et l'oreille, mieux que ne le font le sinople et l'argent.
Et c'est merveille de sa bouche qui est comme une passe-rose ; et quant à sa gorge, elle a l'éclat de la glace ou du cristal, et deux mamellettes y viennent poindre, semblables à deux petites pommes.
Enfin, que vous dirais-je de la beauté de cette Dame ? Nature qui l'a faite pour ravir aux hommes le coeur et le sens, y a mis toute son application.
Un jour le Châtelain, dans l'espoir de faire apprécier sa valeur, se résout de repartir et de fréquenter les champs de bataille. Il mène avec lui un grand nombre de chevaliers et de sergents, qui tous, en chemin, vont se montrer dignes de louange, car le plus couard devient hardi sous un tel chef. Guillaume n'a point suivi son maître. Il ne songe pas au gain ni à la gloire, mais seulement à la Dame qu'il convoite.
Par aventure, la Dame se trouve seule dans la salle ; toutes les suivantes se sont rendues autre part, dans une chambre, pour travailler. Elles mènent grande joie, en cousant un lionceau ou un léopard sur un drap de soie qui doit servir d'enseigne au seigneur, leur maître.
La Dame est assise sur un lit : un homme qui de mère soit né ne vit oncques plus belle Dame.
Après un moment d'hésitation, Guillaume s'avance vers la Dame et la salue fort courtoisement. Elle, sans se troubler d'aucune façon, la salue à son tour, tout en riant.
- Guillaume, dit-elle, approchez.
- Dame, très volontiers, répond Guillaume en soupirant.
- Asseyez-vous ici, bel ami cher, fait-elle.
Guillaume s'assied auprès de la Dame au clair visage et tous deux devisent joyeusement. Ils parlent de mainte chose, et, tout-à-coup, Guillaume pousse un grand soupir.
- Dame, fait-il, écoutez-moi. Je vous supplie de me conseiller sur ce que je vais vous dire.
- Dites, je vous le promets, fait la Dame.
Et Guillaume reprend :
- Dame, écoutez-moi : supposez un clerc ou un chevalier, un bourgeois, un écuyer ou qui que ce soit, épris d'une dame ou d'une damoiselle, d'une reine, d'une comtesse ou de n'importe quelle autre femme, qu'elle soit de haut lieu ou bas endroit ; il aime depuis sept ans entiers et il n'ose faire connaître sa passion. Il aurait pu cependant, plus d'une fois, parler à son aise et découvrir son coeur à celle qui cause son martyre. Or, dites-moi ce que vous en pensez : est-ce folie, est-ce raison que de tant celer son amour ?
- Guillaume, dit la Dame, je vous répondrai franchement. Je ne tiens pas, quant à moi, pour sage, l'homme qui se tait si longtemps ; puisqu'il avait le loisir de parler, il convenait de le faire : on aurait pitié de lui, apparemment. Et si l'on ne voulait pas l'aimer, il fallait chercher des consolations. Enfin dans tous les cas, Amour demande hardiesse.
Guillaume soupire profondément.
- Dame, fait-il, voyez-le devant vous celui qui a tant souffert pour votre amour. Oh ! Dame, je frémis de ma témérité... J'ose enfin vous découvrir la douleur et le martyre que j'ai si longtemps endurés. Ma douce Dame, je me rends à vous, je suis en votre pouvoir, guérissez la plaie que j'ai si grande dans le coeur ; vous le pouvez seule, et il n'y a point de remède pour me porter secours. Je suis tout vôtre, je le fus, je le serai. Personne ne vivra jamais d'une manière plus douloureuse que celle où j'ai vécu sans vous. Dame, je vous prie et je vous requiers de ma pardonner et de m'accorder votre amour par qui je suis dans ce trouble et dans ce tourment.
La Dame écoute la plainte de Guillaume, mais elle ne l'estime pas un denier vaillant.
Elle répond sans tarder :
- Guillaume, vous raillez !... Assez de pareils propos, ou, par ma foi, je vous ferai honte. Quoi ! vous aimer ?... Beau sire, fuyez d'ici, allez dehors ; et prenez garde de paraître là où je me trouve. Certes, mon seigneur sera fort satisfait d'apprendre vos façons. Certes, lorsqu'il reviendra, je lui dirai bien de quoi vous m'avez requise. Vous n'êtes qu'un étourdi, un vrai musard... Beau sire, allez par là !...
En entendant ce langage, Guillaume se sent tout ébahi, et il commence à se repentir d'avoir entrepris cette quête. Cependant, beau désir qui lui commande, l'exhorte à parler encore.
Dame, dit-il, cela me pèse de n'obtenir de vous que de mauvaises paroles. C'est un grand péché et vous ne pouvez pas souhaiter de faire plus mal. Vous m'avez pris et lié, tuez-moi, si vous voulez. Ah ! puisque vous me repoussez si durement, je jure de ne jamais manger jusqu'à l'heure où j'aurai obtenu le don de votre amour.
- Par Saint-Omer, dit la Dame, vous jeûnerez longtemps, si vous ne devez point manger avant d'avoir mon amour.
Guillaume sort de la chambre sans mot dire. Il se fait préparer un lit. Il se couche, mais il ne trouve point de repos.
Trois jours pleins, il gît dans son lit, sans manger, ni boire. De cette manière le quatrième jour arrive, et la Dame n'a point l'air de s'en inquiéter. Toutefois, Guillaume jeûne toujours et ne mange d'aucune chose. Sa fierté l'assaut sans trêve et le pauvre garçon a perdu totalement la couleur. Ce n'est pas merveille s'il maigrit ; il ne mange rien et veille continuellement. Parfois, dans son délire, Guillaume se figure que la Dame, cause de sa perte, est dans son lit ; qu'il la tient entre ses bras et en fait tout son contentement. Tant que cela dure, Guillaume est heureux, car il accole et baise ce qu'il aime ; et quand la vision disparaît, il recommence ses soupirs et ses plaintes. Il étend ses bras et il ne rencontre que le vide, hélas ! Il est transi de froid et de désir.
Elle demeure assez longtemps devant le lit, mais Guillaume ne la voit point. Elle l'appele par son nom, mais il ne répond pas, tellement il rêve. Alors la dame le pousse de son doigt et lui crie plus haut. Et quand Guillaume l'entend, il tressaille de tout son corps ; et, quand il la sent auprès de lui, il tremble des pieds à la tête ; et quand il l'aperçoit, il la salue :
- Dame, fait-il, venez-vous à mon aide ? Ah ! Dame, pour Dieu, je vous prie d'avoir pitié de moi.
Aussitôt la Dame lui répond :
- Par ma foi, Guillaume, je n'aurai jamais pitié de vous, de la façon que vous l'entendez... C'est mal payer les bienfaits de votre seigneur que d'adresser à sa femme telle requête ! Vous aimer d'amour ? N'espérez point ce don de moi. Mais vous êtes insensé de vous priver ainsi de nourriture. Ne vous tuez pas, malheureux ; il y va de votre salut éternel ! Levez-vous, et laissez vos folies ; mon seigneur et le vôtre revient de bataille. Je jure qu'il saura tout si vous vous obstinez à vous laisser mourir de faim.
- Dame, dit Guillaume, c'est inutile ! On peut me trancher tous les membres, mais je ne mangerai pas. Ah ! Dame, je le vois bien ; rien ne saura me défendre contre votre inimitié, ni le jeûne, ni la mort.
La Dame quitte Guillaume sans se laisser toucher par son désespoir. Elle revient dans la salle qui est déjà ornée fort richement. On y a dressé les tables et les blanches nappes y sont mises dessus ; et l'on commence à apporter les mets : pain et vin et toutes sortes de viandes rôties.
Bientôt arrive le Châtelain avec tous les chevaliers, et ils s'assoient à table où ils sont servis magnifiquement. Et la Dame mange aussi, à côté de son mari.
Le Châtelain regarde dans la salle pour voir si Guillaume et il s'étonne de son absence.
- Dame, dit-il, ne sauriez-vous dire, vraiment, pourquoi Guillaume ne se trouve point parmi nos amis ?
- Je vous le dirai, fait la Dame, sans mentir. Il est devenu trop délicat. Il souffre d'un mal dont il n'aura point remède, d'aucune façon, comme je crois. - Dame, par Saint-Denis, c'est bien dommage que cela soit, fait le Châtelain, qui aime bien Guillaume.
Il ne se doute point du véritable motif de la maladie du jeune chevalier, ni pourquoi il a perdu la tête.
Après avoir soupé, les Chevaliers se lèvent de table et quittent la salle. Alors, la Dame prend son mari par un pan de son manteau. - Mon mari, fait-elle, je m'étonne que vous n'alliez point voir Guillaume. Vous devriez savoir quel est son mal. Qui sait s'il ne feint point ?
Ils vont et trouvent Guillaume triste et pensif.
Le Châtelain s'assied au pied du lit, et commence à parler à Guillaume, doucement :
- Bel ami, dites-moi, comment vous sentez-vous ?
- Seigneur, fait Guillaume, fort mal.
- De quoi souffrez-vous ?
- D'une grande douleur au coeur et à la tête. Jamais je n'en relèverai...
La Dame ne se tient plus ; elle s'adresse à son mari:
- Seigneur, fait-elle, pour Dieu, laissons cela... Guillaume dit ce qu'il veut, mais je connais la vérité. Certes, il souffre d'un mal qui donne de la sueur et du tremblement.
- Si vous tardez encore à manger, dit-elle, le terme approche où vous ne mangerez plus jamais.
- Dame, fait celui-ci, que voulez-vous ! Dites ce qu'il vous plaira, vous êtes ma Dame et il est mon seigneur. Mais quant à manger, je ne le ferais point.
Et la Dame de s'écrier :
- Or, voyez sire, la fausseté de Guillaume. Lorsque vous fûtes au tournoi, lui qui, maintenant, gît ici malade, vint en ma chambre...
- Et pourquoi y vint-il, Madame ? Et qu'avait-il à vous demander ?
La Dame répond :
- Je vous le dirai, Monsieur. Mais, auparavant, ne mangerez-vous pas, Guillaume ? Sinon, je devrai tout raconter à notre seigneur.
- Non, je ne mangerai jamais plus, fait Guillaume.
- Vous me prenez pour fol ou pour homme de rien, dit le Châtelain à la Dame. Je ne sais ce qui me retient de vous donner du bâton sur les côtes.
- C'est inutile, fait-elle ; je parlerai. Mais Guillaume, avant que je parle, mangerez-vous !
Guillaume soupire et répond tristement :
- A aucun prix je ne mangerai, si le mal de mon coeur n'est pas soulagé.
La Dame en a alors pitié, et touchée de son amour d'elle, elle dit à son seigneur :
- Sire Guillaume que vous voyez là, m'a demandé mon oiseau, mon faucon... Et moi j'ai refusé de le lui donner. Il est mien, mais il est aussi à vous ...
La dame au faucon par jane.merelle |
- J'eusse mieux aimé, dit le Châtelain, que tous nos oiseaux, faucons, éperviers, autours, fussent morts plutôt que de voir souffrir Guillaume.
Cette réponse émeut agréablement la Dame.
- Puisque c'est votre vouloir, Monsieur, donnons-le lui, dit-elle.
Puis, se tournant vers Guillaume, elle ajoute :
- Messire le veut ; je ne lui ferai point cette injure que par ma faute, vous ne l'ayez point.
Guillaume en entendant ces mots se lève, plus joyeux qu'il ne peut exprimer. Il n'a plus ni maux, ni soucis. Sitôt vêtu, il s'en vient à la salle.
En le voyant la Dame soupire. Elle change de couleur, comme surprise par le trait rapide de l'Amour : elle est, tour à tour, pâle et rougissante.
-Je n'en sais pas de plus fous, dit le Châtelain à Guillaume, que ceux qui se laissent, ainsi que vous, prendre le coeur par la possession d'un ''fau-con''. Allez chercher cet oiseau, commande-t-il à un page.
C'est ainsi deux bonheurs qui échouent à Guillaume. Car il a le faucon et l'amour de la Dame.
Plus tard, c'est Guillaume, lui-même, qui viendra dans l'intimité, chercher l'oiseau de sa dame.
Histoire tiré d'un fabliau : '' Guillaume au faucon ''
Ballade contée au Moyen-âge -5/.-
Un jour enfin qu’il cherche et rôde autour des murs, Guillaume aperçoit une poterne ''abandonnée'' close par une forte porte de bois, fermée à clé... , à travers laquelle il est possible de se parler, mieux peut-être, un jour de se voir, de se toucher … Il s'agit, vous savez de cette poterne par laquelle nous sommes entrés en cette ballade …
Il trouve moyen de le faire savoir à Ermengarde, et ne manquent pas d’en profiter. Pour lui il peut venir en sûreté au lieu du rendez-vous par de petits sentiers détournés, à travers la forêt, que lui seul connaît. Ce dédommagement léger fait d’abord le bonheur des deux amants : ils en jouissent pendant quelque temps avec transport ; mais quoi ! se parler sans se voir, s’aimer tendrement et ne pouvoir se le prouver ! pas un baiser ! toujours craindre d’être découverts et d’être séparés pour toujours ! Guillaume ne peut tenir à une pareille situation.
Et Guillaume revient de force au défi que son ami Bertran, lui a soufflé... Un défi qui ne le détournera point de sa passion pour Ermengarde, mais qui lui commande de tourner ses ardeurs vers la dame de Hauterive, gagner son cœur pour qu'elle devienne auprès du seigneur de Laron son ambassadrice...
Alors que Guillaume et Bertran, échangent sur le plan de cette bataille... Le troubadour commence à divertir son ami, avec l’idée même du cocuage, souvent raillé et même fêté à cette époque... Le cocu a de nombreux amis : ceux de sa femme sont aussi les siens. Ils ont même leur Saint-patron : Saint Gengoul assassiné en 760 par un clerc, amant de sa femme (fêté le 11 mai).
Tout homme possède un devenir-cocu en raison du mariage, il s’ensuit que chacun, avant de se marier, a joué le rôle de cocueur. Parfois même, le cocuage est considéré comme unes sorte de ''partage des femmes'', partage qu'affectionne les ''compagnons'' et renforcent le lien d'amitié...
Rabelais écrit les bienfaits du cocuage dans LE TIERS LIVRE, et conseille le mari cocu : n'y fait rien : « Si tu es cocu, ergo ta femme sera belle, ergo seras bien traité d'elle, ergo tu auras des amis beaucoup, ergo tu seras sauvé.... »
Les deux amis rient beaucoup, et Guillaume s'habitue à l'idée même de s'engager à séduire la jeune et belle Emma, épouse du seigneur Guy de Hauterive.
Bertran le supplie d'écouter encore, cette histoire qui court avec succès, dans les châteaux :
* La belle épouse du seigneur, brûle de donner à son nouvel amant une forte preuve de son amour. Elle cherche un défi, imagine et trouve le moyen de satisfaire sa passion en présence de son mari. Elle feint pour cet effet d’être indisposée. Sa femme de chambre a instruit Pirrus son amant, du personnage qu’il doit jouer.
Pirrus va voir madame à l’heure de l’après-dîner, en son logis, où le mari est auprès d’elle. À peine y est-il arrivé, qu’elle témoigne une grande envie de prendre l’air du jardin, et les prie tous deux de vouloir l’y conduire.
Son mari la prend d’un côté, Pirrus de l’autre, et ils la mènent ainsi au pied d’un beau poirier, où ils s’assoient tous trois sur un tapis de verdure. Quelques moments après, il prend fantaisie à la belle de manger des poires. Elle prie Pirrus de monter sur l’arbre pour lui en cueillir des plus mûres. Le galant obéit, et n’est pas plutôt monté sur le poirier que, feignant de voir le seigneur caresser sa femme, il s’écrie :
« Eh ! quoi, monsieur, en ma présence ? mais vous n’y pensez pas ; et vous, madame, n’avez-vous point de honte de vous prêter à un pareil jeu ? Mais, finissez donc ; ce sont des choses qu’on ne doit pas faire devant témoins : les nuits ne sont-elles pas assez longues ? Faut-il venir au jardin pour une semblable besogne ? N’avez-vous pas assez de chambres, assez de lits plus commodes ?
- Que veut-il dire, dit la femme à son mari ? a-t-il perdu l’esprit ?
- Non, madame, je ne suis point fou, je vois fort bien ce que je vois.
- Tu rêves assurément, lui dit le mari, qui rit de son idée.
- Je ne rêve point du tout, monsieur, et il me paraît que vous ne rêvez pas non plus. Mais si vous n’avez point d’égards pour moi, vous devriez au moins en avoir pour vous-même et vous éloigner un peu plus, si tant est que vous désiriez vaquer à un tel exercice. Peste ! comme vous vous remuez ! je ne vous aurais jamais soupçonné une si grande vivacité. Si j’agitais aussi fort le poirier, je doute qu’il y restât une seule poire.
- Que peut donc être ceci ? dit alors la dame ; serait-il possible qu’il lui parait que nous faisons ce qu’il dit ?
- En vérité, je monterais bien sur l’arbre, pour voir ce qu’il croit voir lui-même.
- Soyez sûre, madame, ajouta Pirrus, que je n’ai point la berlue, et que ce que je vois n’est point une illusion.
- Eh bien ! descends, dit le mari, descends, te dis-je, et tu verras ce qu’il en est.
- J’avoue, dit Pirrus, quand il est descendu, que vous ne vous caressez point à présent ; mais il n’est pas moins vrai que vous le faisiez tout à l’heure, et que je vous ai vu, comme je descendais, vous séparer de madame, et vous mettre à l’endroit ou vous êtes maintenant assis.
- Mais tu rêves, mon pauvre ami, dit le mari de la belle: depuis que tu es monté sur le poirier, je n’ai pas bougé du lieu où je suis.
- Si cela est, reprit Pirrus, il faut que ce poirier soit enchanté ; car je vous jure que j’ai vu, mais bien vu, ce que je viens de vous dire. »
Le seigneur du logis, étonné de plus en plus, et persuadé de la vérité du récit de son jeune compagnon par l’air sérieux dont il l’a accompagné, veut voir par lui-même si le poirier est réellement enchanté et l’effet que cet enchantement produit à son égard.
- « Je vais y monter, » dit-il. Il y monte en effet, mais à peine est-il sur les branches, que Pirrus et la dame commencèrent leur jeu.
- « Que faites-vous donc, madame ! et toi, Pirrus, est-ce ainsi que tu respectes ton seigneur ? »
Les amants ont beau lui répondre qu’ils sont assis, il se hâte de descendre, en les voyant ainsi se trémousser ; mais il ne descend pas si vite, et ils ont le temps d’achever à peu près la besogne et de reprendre leur place.
- « Quoi ! madame, me faire cet affront à mes yeux ! et toi, maraud…
- Oh ! pour le coup, dit Pirrus en l’interrompant, j’avoue que vous avez été sages l’un et l’autre pendant que j’étais sur le poirier, et que ce que je croyais voir n’était qu’un enchantement. Ce qui achève de me le persuader, c’est que monsieur croit voir lui-même ce qui n’est pas.
- Tu as beau vouloir t’excuser, reprend le mari, ce que j’ai vu ne saurait être l’effet d’un enchantement.
- Vous êtes, en vérité, aussi fou que Pirrus, dit la dame : si je vous croyais capable d’avoir réellement de pareilles idées sur mon compte, je me fâcherais tout de bon.
- Quoi ! monsieur, dit Pirrus, vous feriez cet outrage à madame, qui est l’honnêteté, la vertu même ! Quand à moi, je ne chercherai point à m’excuser : Dieu m’est témoin que je souffrirais plutôt mille morts avant qu’une pareille chose m’entrât jamais dans l’esprit, à plus forte raison avant de l’exécuter en votre présence. Je vois à présent clair comme le jour que la faute en est au poirier. Il a fallu que vous y soyez monté vous-même, et que vous ayez cru voir ce qui vous met de si mauvaise humeur, pour me faire revenir sur votre compte et sur celui de madame. J’aurais juré vous avoir vus l’un et l’autre dans la posture la plus indécente.
- Est-il possible, dit ensuite la dame en se levant et faisant un peu la fâchée, pour mieux dissuader son bonhomme de mari ; est-il bien possible que, me connaissant depuis si longtemps, vous ayez pu me croire capable de m’oublier à ce point ? Me jugez-vous donc assez dépourvue de raison pour oser vous faire cocu en votre présence ? Soyez persuadé que, si j’en avais la moindre envie, les occasions ne me manqueraient pas, sans que vous en sussiez jamais rien. »
Nicostrate se rend à ces raisons. Il ne peut effectivement se persuader que sa femme et ce chevalier aient osé se porter à un tel excès d’insolence. Il leur fait des excuses, et se met ensuite à discourir de la singularité de l’aventure et des effets de la vue qui ne sont pas les mêmes quand on se trouve sur le poirier. Mais la dame, qui feint toujours d’être fâchée de la mauvaise opinion que son mari a eue de sa fidélité :
- « Puisque ce maudit poirier, dit-elle, fait voir de si vilaines choses, je ne veux pas qu’il me nuise davantage, ni à aucune autre femme. »
Puis, s’adressant à Pirrus : - « Allez chercher une cognée et jetez-le à bas pour le brûler ; quoiqu’il serait beaucoup mieux d’en donner sur la tête de mon mari, pour lui apprendre à mieux penser de la fidélité de sa femme et de la votre. Oui, monsieur, continue-t-elle, vous mériteriez d’être châtié pour l’injustice que vous m’avez faite. Je ne reviens point de votre aveuglement. Quand il s’agit de mal penser de votre femme, vous ne devez pas en croire vos yeux. »
Pirrus, ayant pris une hache, abattit incontinent le poirier. Alors la belle, se tournant vers son mari: « Puisque je vois à terre, lui dit-elle, l’ennemi de ma vertu, je perds toute espèce de ressentiment. Je vous pardonne, ajouta-t-elle avec douceur, et vous recommande, sur toutes choses, d’avoir désormais une meilleure opinion de votre femme, qui vous aime mille fois plus que vous ne méritez. » Le mari s’estime trop heureux de ce que sa femme veuille bien oublier l’outrage qu’il lui a fait. Il fait des excuses à Pirrus d’avoir soupçonné sa bonne foi ; et tous les trois satisfaits, ils rentrent dans le château.
C’est ainsi que ce bon mari est maltraité, trahi et plaisanté par sa femme. A présent, elle vit familièrement avec Pirrus, qui lui fait souvent goûter les plaisirs de l’amour avec plus d’agrément et de liberté qu’ils n’en ont certainement eu sous le poirier.
Guillaume applaudit, et les deux amis jugent ridicule et mérité la situation du mari cocu... Le jeune chevalier se dit que la chose se présentera peut-être moins facilement ...
Histoire tirée du Fabliau ''Le Poirier enchanté ''.
A suivre ...
Ballade contée au Moyen-âge -4/.-
Je rappelle, qu'il s'agit de l'histoire de Guillaume, chevalier riche en bonnes qualités, mais pauvre d’avoir. En quête de l'amour d'Ermengarde, il va arriver sans doute à force de ''courtoisie'' et d'astuce – comme vous allez vous en rendre compte - à se faire remarquer de la fille du seigneur de Laron...
Je reviens donc en arrière, pour vous expliquer l'astuce 'courtoise' utilisée par Guillaume, pour ne pas effaroucher la belle damoiselle...
En effet, si le père est grincheux mais de grande fortune, sa fille – la plus belle – de la Vicomté, semble très difficile, et nombre de prétendants s'y sont cassés les dents...
Il semble qu'il y ait une sorte d'épreuve que tous les chevaliers précédents n'ont pu réussir. La demoiselle refusant subitement de les revoir... !
Guillaume se met en chasse de rencontrer les malheureux chevaliers qui l'ont précédé dans cette quête... Il apprend de l'un que la demoiselle est orgueilleuse, inhumaine, dédaigneuse … D'un autre, que la demoiselle serait une sorte de nonne recluse par son père... Et enfin du suivant qu'elle ne peut entendre parler de ''foutre'' ou de coucherie à aucun prix …
De fait, demoiselle Ermengarde est d'une telle pruderie qu'elle ne peut supporter que soient prononcé devant elle ces mots crus qui désignent l'entrejambe et leur voisinage immédiat. Elle va jusqu'à refuser la proximité d'un quelconque domestique de peur qu'un de ces rustauds-là ne lâche étourdiment , un jour, en sa présence un de ces mots que les jeunes d'aujourd'hui adorent prononcer …
Aussi, ce dimanche d'août, le malicieux Guillaume, demande à la porte du château de Laron, l'hospitalité au pèlerin qu'il est devenu par un travestissement assez habile pour ne pas être reconnu et découvert trop vite...
Le maître le reçoit, et tente de le dissuader de rester, puis enfin le prie sans aucune politesse de surveiller alors son langage, et surtout d'éviter de conter ou chanter ces textes de troubadours qui effraient tant sa fille, en particulier s'ils évoquent quelque foutrerie... !
Guillaume essuie sa bouche, et puis aussi il crache et se mouche, comme s’il avait avalé une mouche. Il dit au prud’homme : « Arrêtez, cher seigneur ! Vous ne devez pas prononcer de mot si grossier ! Taisez-vous, pour l’amour du Dieu céleste, car c’est un mot du diable :
S'il vous plaît, ne le dites jamais plus devant moi ! Si quelqu'un en parle ou prononce le mot de coucherie, une grande douleur me saisit le cœur!»
La fille qui surveille, sans se faire voir, en entendant ces mots ; se presse et fini d’apparaître pour souhaiter la bienvenue au visiteur....
Guillaume est invité à dîner. Il dit le bénédicité, mange la soupe, le gigot, les pommes cuites au four, et boit même l'alcool de cerise réservé aux amis ...
Après cette soirée fort sage. Le père tranquillisé laisse sa fille se charger du coucher de cet honnête homme.
La belle Ermengarde pour la première fois a plaisir à choyer ce pèlerin, chevalier, jeune et bien fait de surcroît. Conformément, aux règles chevaleresques, elle propose dans une chambre avenante et belle, de le baigner elle-même... Puis de le coucher.
Enfin, elle s'allonge à côté de son hôte, et chacun de rester immobile. Enfin, la chandelle s'éteint.
« Oh, qu'est ceci ? Dit le jeune homme, la main sur son sein rondelet.
C'est l'une de mes deux collines. Voici l'autre, Guillaume. Est-ce doux ?
- C'est ma foi vrai. Oh, et ce duvet, sous le nombril ?
C'est ma prairie, mon herbe tendre.
- Seigneur Jésus, quel beau pays ! Et là, au milieu, cette fente ?
C'est ma fontaine, elle est profonde. Vous pouvez y risquer un doigt... Là, un peu plus haut, le perron, clé de tous mes plaisirs...
- Jeune fille, comme il y fait chaud.
C'est qu'au fond est un soleil noir. Mais, vous, qu'avez-vous là qui pousse. Oh, Guillaume, c'est si raide, si dur... ?
- Belle amie, c'est mon cheval rouge ! Il piaffe, il a faim, il a soif... !
Amenez-le donc à mon pré, il faut bien que tout être vive ! Qu'il broute et boive tout son saoul !
- Ainsi soit-il ! Voyez ma mie, comme il va et vient à sa guise !
Qu'il aille donc et vienne, et plus encore...
- Dame, c'est que je redoute le sonneur de cor, dit Guillaume, et que mon cheval ne rue ...
Oh foutre oui ! Répond-elle dans un irrépressible élan... ! »
Quatre fois leurs corps s'entre-burent de minuit au soleil levant.
Sa décision est prise, et exige d'interrompre toute communication entre lui et sa fille !
L’âge ne permet plus au père de monter à cheval, ni de sortir ; ainsi on ne peut espérer aucune absence ... Le vieux renard, d’ailleurs, ayant eu dans sa jeunesse plusieurs aventures, avait appris par son expérience à devenir défiant et rusé. Guillaume ne demande seulement qu’à voir sa mie, mais cette faible consolation lui est désormais interdite !
A suivre ...
Cette histoire reprend le célèbre fabliau : ''La Damoiselle qui ne pooit oïr parler de foutre'', repris aussi par Henri Gougaud.
Balade contée au Moyen-âge -3/.-
Guillaume décide lui de relever le défi lancé par son ami troubadour...
A suivre ....
La dame, le chevalier et l'amour courtois. -2/2-
Les principes de la courtoisie :
Dans la relation amoureuse, c'est la dame qui est en position de maîtrise et c'est l'amant qui, entièrement soumis, la supplie de lui accorder ses faveurs. La mysogynie du temps, saura jouer de cette règle...
Il est admis que si le véritable amour doit rester platonique, une relation de ce genre peut comporter un certains nombre de faveurs sexuelles …
Les troubadours chantaient l’échelle progressive des faveurs de la dame, du regard au « don de merci », en passant par le baiser et, juste avant le stade ultime, l'asag ( ou essai) , au cours duquel l'ami devait passer une nuit avec sa dame, « nu à nue », sans pour autant aller plus loin, afin de manifester sa maîtrise sur son désir …
La cour imaginaire du roi Arthur dans les romans de la Table Ronde devient le modèle idéal des cours réelles : non seulement le chevalier est brave, mais il a en plus le désir de plaire ; parce que les femmes sont présentes, le chevalier doit avoir des attitudes élégantes, des propos délicats. Dans le service d’amour, pour plaire à sa dame, le chevalier essaie de porter à leur perfection les qualités chevaleresques et courtoises : il doit maîtriser ses désirs, mériter à travers une dure discipline l’amour de sa dame. Cet idéal est bien celui des gens de cour.
Ballade contée au Moyen-âge -2/.-
Ensuite, ...Quand le père voit les visites du chevalier devenir trop fréquentes, il défend à sa fille de lui parler et le reçoit lui-même avec une froideur si marquée, que le favori de la demoiselle n’ose plus revenir.
Guillaume s'en ouvre à son ami, Bertran, compagnon de ripailles, et expert dans l'art de séduire les plus belles dames … Pour cela Bertran trouve les mots et la musique, et se fait donc appeler ''trobador''. Il se vante d'affoler les amants, les femmes et les époux et va, disant que si les maris deviennent jaloux et que les dames sont dans l'angoisse, c'est que l'amour va de travers... Et le mieux à faire, c'est de l'écouter et l'entendre.
Aussi, fort de son expérience, Bertran, déconseille à Guillaume de poursuivre cette aventure.
Car enfin … ! Pour un chevalier, la belle aventure, le haut fait dont aujourd'hui on peut se vanter, c'est : - plus que d'avoir remporté le prix d'un tournoi – plus que d'encliner ( fotre) une demoiselle.. C'est … C'est attirer dans ses bras... une fée !
Une fée ? Oui, le haut fait : c'est de s'emparer de la femme, de toutes la plus sévèrement interdite, c'était bravant les terribles châtiments promis à l’adultère et au félon, ravir la dame, l'épouse du seigneur. Double forfait certes. Mais éclatante démonstration de hardiesse, le plus envié des titres de gloire... !
Lui-même Bertran, a rencontré récemment, le bel écrivain chargé d'écrire l'éloge du fameux Guillaume le Maréchal ( 1145-1219) , et ce lettré rapporte que les rivaux de son héros l'ont accusé d'avoir séduit l'épouse de leur commun seigneur, Henri de Plantagenêt, le roi.
Cette épouse n'est rien de moins que la belle Aliénor. L'auteur de la chanson ne cherche pas à disculper Guillaume, il ne confirme pas non plus le fait. Mais ce que Bertran a retenu c'est que Le Maréchal, ce parfait chevalier, alors célibataire, a laissé lui-même planer le doute, fier que cette insigne prouesse ait pu lui être attribuée.
Guillaume n'en croit pas ses oreilles... Il doute encore.
Bertran lui fait entendre, que la dame est l'honneur de son seigneur. Elle fait sa gloire. C'est pourquoi il la couvre d'ornements et l'expose.
Dans le lai de Graelent, que Bertran se promet de lui conter ce soir même ; le grand roi Arthur, chaque année, le jour de la Pentecôte, fête du printemps et de la chevalerie, avait établi une coutume bien singulière. Il faisait monter la reine sur une estrade; puis on lui ôtait son manteau, afin de pouvoir admirer à son aise l'élégance de sa taille et de ses formes. Le monarque s'adressant ensuite à l'assemblée, leur disait : Seigneurs barons, que vous en semble? Avez -vous jamais vu sur terre une aussi belle reine?
La beauté de la reine, la séduction qu’elle peut exercer sur les vassaux, est simplement l’un des attributs, l’un des modes d’exercice de la puissance royale.
«Ne crains pas Guillaume, Le désir et le service d'amour ne viennent-ils pas ricocher sur la personne de la dame pour se porter sur celle du seigneur. ?
Je sais, mon ami, combien grande est la reconnaissance que tu dois au seigneur de Hauterive... Aussi, mon conseil serait de garder tes passions, pour les tourner vers sa dame, Emma de Hauterive … On la dit belle, gentille, gaie, plaisante et très désireuse de prix et d'honneur ; elle n'a pas grandi dans la cour d'Aliénor pour rien … !
Crois-moi, mon ami, il vaut mieux traiter avec un mari même jaloux, qu'avec un père gardien de sa fille … ! Ensuite quand tu auras fait tes armes, et gagné le cœur de celle dont tu auras fait ta reine. C'est elle qui portera jusqu'au grincheux seigneur de Laron, ta demande pour marier Ermengarde. Et lui, sera tout honoré de te prier d'accepter la main de sa fille …
Guillaume est convaincu par ce dernier argument, et le passage par la quête de la dame de Hauterive, ne lui déplairait pas s'il ne connaissait pas l'histoire que l'on raconte à son propos … C'était l'année passée, alors qu'il venait d'être adoubé chevalier par Guy de Hauterive, et qu'il le servait encore...
Vous ne connaissez pas l’histoire du coffre de Dame Emma ?
A suivre ...
Ballade contée au Moyen-âge -1/.-
Voilà mon histoire :
Non loin de là, sur un fief qui ne vaut pas plus de deux cents livres, vit un brave chevalier nommé messire Guillaume, riche en bonnes qualités, mais donc pauvre d’avoir. Obligé de subsister par sa valeur, qu'il a grande, courage, honneur, probité ; il coure les tournois ; mais contraint à l'humilité il ne s’amuse pas à faire aux dames de beaux saluts ou des signes de galanterie ; il s’élance, tête baissée, à l’endroit où la foule est la plus forte, et ne se retire que quand il a terrassé ou vaincu ses adversaires. Aussi, malgré tout devient-il connu et considéré.
Mais le château du vieux seigneur de Laron est bâti sur un monticule fort escarpé ; il se trouve en outre défendu par un fossé profond et par de fortes haies d’épines, de sorte qu’on ne peut y aborder que par le pont-levis. C’est là que s’est retiré le prud’homme ; il y vit tranquillement avec sa fille, faisant valoir sa terre qui lui rapporte annuellement mille bonnes livres de rente.
Avec une pareille fortune, vous jugez bien que la demoiselle, si bien gardée, mais si belle et aimable comme elle l’est, ne doit pas manquer de soupirants.
De ce nombre Guillaume a le projet de s'y associer et réfléchit aux soins de se faire remarquer et tenter de lui plaire...
Y arrivera t-il ?
A suivre ...
La dame, le chevalier et l'amour courtois.-1/2-
Avant toute incursion dans le Roman, la féerie, l'amour courtois...
- Il faut reconnaître la place de la femme dans la société féodale.
La seule manière pour elle d'échapper à ce sort est de se faire nonne dans un couvent, mais, même si les abbesses ( bien dotées …) disposent d'une certaine indépendance, elles sont sous l'étroit contrôle d'ordres masculins.
La femme n'a à peu près aucun droit sur le plan juridique, mais on la considère comme une créature dangereuse, qu'il faut surveiller de près pour l'empêcher de succomber à la tentation, ou d'induire des hommes innocents en tentation …

Les femmes de la noblesse aspirent à plus de liberté, elles l'expriment ou le font exprimer au travers des romans courtois.
Dans les fabliaux, les farces ; la femme y apparaît plus négativement ( la vilain de Bailleul de Jean Bodel, ou la farce nouvelle de Garin …), avec la crainte d'une revendication féministe …
On y décrit aussi une vie « ménagère » moins réjouissante … On pourrait également évoquer le thème de la mal-mariée ...
- D'autre part, la société est fondée sur des qualités guerrières ( et donc la force …) et la féodalité sur sur une pyramide, avec au sommet le roi. Le seigneur protège les populations qui dépendent de lui, et sert son « suzerain ». La condition économique de simple chevalier est parfois difficile.
Un seul fils hérite de son père, et pour éviter qu'un fief soit partagé, seuls le fils aîné est autorisé à se marier.
Beaucoup de chevaliers sont entretenus par le seigneur, et n'ont que peu d'espoir d'acquérir un jour un fief et une épouse … !
- Tout naturellement, ces chevaliers rêvent de la seule femme noble qui se trouve dans leur entourage, la « dame » de la cour, à laquelle ils doivent respect et obéissance … Avec la dame , le rapport féodal s'exprime à travers le code amoureux, et vice versa, : l'amour que l'on dit courtois reprend les formes et le vocabulaire de la féodalité.

Si servantes et vilaines ( paysannes) sont des proies faciles ; dames et demoiselles sont inaccessibles : objets de l'adoration la plus fervente, mais intouchables....
Eglise et suzerains, veillent aux principes de la religion ; l'éventuelle naissance de bâtards renforcent l'interdit ...
Le chevalier « non fieffé », célibataire, est donc soumis à une tension qu'il va sublimer dans la notion de fin'amor, selon laquelle la degré le plus extrême de raffinement de l'amour est le contrôle du désir et le report constant de la satisfaction...
Sources : « Le roman courtois » d'Anne Berthelot.