xviiie siecle
Versailles – Le temple de la galanterie. 2/3

Pour distraire le roi, Madame de Pompadour organise une petite troupe de comédiens choisis parmi ses amis ; la marquise elle-même tient sa place. La petite troupe se présente soit dans le petit théâtre de la cour des Princes, soit dans des théâtres provisoires et démontables installés d'abord dans la Petite Galerie puis dans la cage de l’escalier des Ambassadeurs. Ces petites salles accueillent très peu de spectateurs...
« (…) je soupai dans la ville avec madame d'Esparbès, et madame d'Amblimont, autre cousine de madame de Pompadour. Madame d'Amblimont fut écrire dans sa chambre après souper. Madame d'Esparbès, sous prétexte d'avoir la migraine, se coucha ; je voulus discrètement m'en aller ; mais elle me dit de rester, et me pria de lui lire une petite comédie, nommée ''Heureusement '' (Première pièce de Rochon de Chabannes, composée d'après un conte de Marmontel ), que nous avions jouée ensemble (Il n'y a que deux personnages importants dans cet acte. ), et depuis elle m'appelait son petit cousin ( Madame Lisban et Marthon appellent Lindor « le petit cousin » ).

Mon petit cousin, me dit-elle, au bout de quelques minutes, ce livre m'ennuie ; asseyez-vous sur mon lit et causons ; cela m'amusera davantage. Elle se plaignait du chaud, et se découvrait beaucoup. La tête me tournait, j'étais tout feu ; mais je craignais de l'offenser; je n'osais rien hasarder; je me contentais de baiser ses mains et de regarder sa gorge avec une avidité qui ne lui déplaisait pas, mais qui n'eut pas les suites qu'elle était en droit d'en attendre. Elle me dit plusieurs fois d'être sage, pour me faire apercevoir que je l'étais trop. Je suivis ses conseils à la lettre. Elle souffrait cependant que je la couvrisse de caresses et de baisers, et espérait vainement que je m'enhardirais. Quand elle fut bien sûre de mon imbécillité, elle me dit assez froidement de m'en aller; j'obéis sans répliquer, et ne fus pas plus tôt sorti que je me repentis de ma timidité, et me promis bien de mieux profiter du temps, si l'occasion s'en présentait encore. »
A Paris, loin de la Cour aux mille regards, le bal de l'Opéra, se tient dans une annexe du Palais Royal.
Le Bal de l'Opéra est le plus fameux de tous les bals du Carnaval de Paris et un de ses principaux événements. Il naît le 31 décembre 1715 par ordonnance du régent...

Très vite, le bal de l'opéra devient un lieu de rencontres, de mixité sociale dans une société encore très hiérarchisée. Sous le masque, on peut bavarder et danser, (voire plus...) avec n'importe qui. Grands seigneurs et nobles dames viennent s'y amuser, se mêlant aux bourgeois et gens du commun, dans un joyeux mélange, au milieu des rires et de la musique, dans une cohue des plus tumultueuses.

Grandes dames, filles entretenues, aventuriers d'un soir, joueurs professionnels, grands seigneurs, actrices, escros de haut vol... Tous se mêlent et viennent danser, sous les yeux de ceux réfugiés dans leur loge.
Marie Louise Élisabeth d'Orléans, duchesse de Berry, la fille aînée du Régent, contribue à la vogue des bals de Carnaval à l'Opéra
Marie-Antoinette masquée et incognito accompagnée de son beau-frère le comte d'Artois adore les bals de l'opéra où elle danse des nuits entières.

L'Opéra, haut-lieu du libertinage, est le plus beau vivier de jeunes personnes prêtes à s'offrir aux caprices des gentilshommes.
Les inspecteurs Meusnier ( aussi espion, faussaire et aventurier …) ou Louis Marais, chargés de la police des mœurs, établissent des fichiers sur les dames " de l'allure " ou " du haut ton ", c'est à dire qui sont entretenues à grand prix. Ces rapports concernant le comportement sexuel des filles de l'Opéra et des théâtres, permettent en particulier de contrer les juteuses escroqueries à la paternité visant des célébrités de l'époque. A partir de 1750, il s'agit de chasser les prêtres ..

« Je fus, quelques jours après, au bal de l'Opéra. Une assez jolie fille, appelée mademoiselle Desmarques, m'agaça vivement ; elle me parut charmante ; elle avait formé la plupart des jeunes gens de la cour, et voulut bien se charger de mon éducation; elle me ramena chez elle, où elle me donna de délicieuses leçons , dont on a vu plus haut que j'avais grand besoin : elle les continua pendant quinze jours, au bout desquels nous nous séparâmes. Je voulus lui donner de l'argent; elle le refusa, en me disant que je l'avais payée dans une monnaie si rare à trouver, qu'elle n'avait besoin d'aucune autre. Je revis madame d'Esparbès à Versailles; je lui donnai le bras un soir, en sortant de chez madame de Pompadour, après souper.
Elle voulut me renvoyer dès que je fus dans sa chambre: Un moment, lui dis-je, ma belle cousine; il n'est pas tard: nous pourrions causer. Je pourrais vous lire, si je vous ennuie. Mes yeux brillaient d'un feu qu'elle ne leur avait pas encore vu. Je le veux bien, me dit-elle ; mais à condition que vous serez aussi sage que vous l'avez été la première fois : passez dans l'autre chambre ; je vais me déshabiller ; vous rentrerez quand je serai couchée.
Je revins en effet au bout de quelques minutes. Je m'assis sur son lit sans qu'elle m'en empêchât.

Lisez donc, me dit-elle. — Non; j'ai tant de plaisir à vous voir, à vous regarder, que je ne pourrais voir un mot de ce qui est dans le livre. Mes yeux la dévoraient ; je laissai tomber le livre ; je dérangeai, sans une grande opposition, le mouchoir qui couvrait sa gorge. Elle voulut parler, ma bouche ferma la sienne ; j'étais brûlant : je portai sa main sur la partie la plus brûlante de mon corps ; tout le sien en tressaillit. En me touchant elle me fit faire un effort qui brisa tous les liens qui me retenaient. Je me débarrassai de tout ce qui pouvait cacher la vue d'un des plus beaux corps que j'aie vus dans ma vie ; elle ne me refusa rien , mais mon ardeur excessive abrégea beaucoup ses plaisirs. .Je réparai cela bientôt après, et souvent, jusqu'au point du jour qu'elle me fit sortir avec le plus grand mystère.
Le lendemain, je fus éveillé par le billet suivant : « Comment avez-vous dormi, mon aimable petit cousin? avez-vous été occupé de moi? désirez-vous me revoir? je suis obligée d'aller à Paris pour quelques commissions de madame de Pompadour ; venez prendre du chocolat avec moi avant que je parte, et surtout me dire que vous m'aimez. » Cette attention me charma, et me parut imaginée pour moi. Je me sus bien mauvais gré de n'avoir pas prévenu madame d'Esparbès ; je me donnai à peine le temps de m'habiller, et je courus chez elle. Je la trouvai encore dans son lit, et je me conduisis de manière à prouver que j'étais tout reposé de la dernière nuit. J'étais enchanté; la personne de madame d'Esparbès me plaisait beaucoup, et mon amour-propre était infiniment flatté d'avoir une femme. J'étais assez honnête pour ne le pas dire ; mais on me faisait un plaisir inexprimable de le deviner , et à cet égard elle me donnait toute satisfaction, car elle me traitait de manière à montrer la vérité à tout le monde. Une cocarde où elle avait brodé son nom, que je portais à la revue du roi, publia mon triomphe, qui ne fut pas de longue durée, car elle prit dans le courant de l'été M. le prince de Condé.

Je m'en affligeai, je me choquai, je menaçai ; le tout inutilement. Elle m'envoya mon congé dans toutes les formes, conçu en ces termes :
« Je suis fâchée, monsieur le comte, que ma conduite vous donne de l'humeur. Il m'est impossible d'y rien changer, et plus encore de sacrifier à votre fantaisie les personnes qui vous déplaisent. J'espère que le public jugera des soins qu'elles me rendent avec moins de sévérité que vous. J'espère que vous me pardonnerez, en faveur de ma franchise, les torts que vous me croyez. Beaucoup de raisons, qu'il serait trop long de détailler, m'obligent à vous prier de rendre vos visites moins fréquentes. J'ai trop bonne opinion de vous pour craindre de mauvais procédés d'un homme aussi honnête. J'ai l'honneur d'être, etc. »
Sources : Extraits des Mémoires du Duc de Lauzin ( 1747-1783)
Versailles – Le temple de la galanterie. 1/3
Les deux premières années, Jean Léonard de LA BERMONDIE fut le plus discipliné et l'un des plus habiles au service de tous les pages. Dès le début de cette troisième année, Solide et agréable de sa personne ; Jean-Léonard fut remarqué par la soeur du duc de Choiseul, madame de Gramont. De caractère ferme et décidé, elle se réserve le jeune garçon et se l'impose dans les carnets du ''grand écuyer''. Le page a su saisir cette chance ; elle va le conduire dans les couloirs du libertinage pratiqué à tous les étages de la cour...

Cela commence avec Mademoiselle Julie, la femme de chambre de madame la duchesse de Gramont, qui s'amuse de caresses et d'agaceries inutiles puisque le garçon, s'il se sent le corps tout brûlant, n'en ai pas plus avancé...

Puis, il croise le regard de madame de Stainville, qui avait juste quinze ans, et en tombe amoureux... « On en fit des plaisanteries qui le lui apprirent ; elle en fut touchée... ».. Cependant, c'est M. le duc de Choiseul, qui en avait l'air occupé ( ce qui déplaisait à sa soeur ) il faut dire que le mari ( 40 ans et peu aimable …) était à l'armée - .
Les dames de l'entourage de la jeune mariée, n'étaient pas fâchées de lui donner un amant choisi par elles. Madame de Gramont, pensait qu'il lui reviendrait « quand il lui plairait, et cela semblait prévenir un attachement dont la perte de son crédit eût été la suite indispensable. Elle protégeait donc nos amours naissants, et nous faisait souvent venir chez elle ensemble »
Ci-dessous: Le-duc-et-la-duchesse-de-Choiseul avec Mme-de-Gramont

Un mot sur le mariage, en ce temps... Voici ce qu'en dit le Prince de Ligne : « On apprend à une fille à ne pas regarder un homme en face, à ne pas lui répondre, à ne jamais demander comment elle est venue au monde. Arrivent deux hommes noirs avec un homme brodé sur toutes les tailles. On lui dit : Allez passer la nuit avec ce monsieur ! Ce monsieur , tout en feu , brutalement fait valoir ses droits, ne demande rien, mais exige beaucoup. Elle se lève en pleurs, tout au moins, et lui, tout en eau. S'ils se sont dit un mot, c'est pour quereller. Ils ont mauvais visage tous les deux et sont déjà portés à se prendre en guignon. Le mariage commence toujours ainsi sous d'heureux auspices. Toute la pudeur est déjà partie. Est-ce la pudeur qui peut empêcher cette jolie femme d'accorder par goût à celui qu'elle aime ce qu'elle a accordé par devoir à celui qu'elle n'aime pas? Et voilà l'engagement le plus sacré des cœurs, profané par des parents et un notaire. »
Ainsi le ''mari'' est à cent lieux de ce que peut-être un ''amant''... Et le libertinage, la possibilité de répondre aux nobles sentiments de l'amitié et de l'amour ...

« Un jour fut l'un des plus heureux de ma vie. Je le passai tout entier avec ma jeune maîtresse, et presque toujours tête à tête. Elle me montrait combien elle était touchée de ma tendresse, et m'accordait toutes les innocentes faveurs que je lui demandais, et je n'en connaissais point d'autres. Je baisais ses mains; elle me jurait qu'elle m'aimerait toute sa vie ; je ne désirais rien au monde. »
Ensuite, « Elle alla beaucoup dans le monde avec madame la duchesse de Choiseul. Elle dansait à merveille ; elle eut le plus grand succès à tous les bals, fut entourée, admirée de tous les gens à la mode ; elle rougit d'avoir un enfant pour amant, me rebuta, me traita durement et prit du goût pour M. de Jaucourt; je fus jaloux, choqué, désespéré, mais je n'y gagnai rien »

« Je pris du goût pour une petite actrice de la comédie de Versailles,, âgée de quinze ans, nommée Eugénie Beaubours, encore plus innocente que moi, car j'avais déjà lu quelques mauvais livres, et il ne me manquait plus que l'occasion de mettre en pratique ce qu'ils m'avaient appris. J'entrepris d'instruire ma petite maîtresse, qui m'aimait de trop bonne foi pour ne pas se prêter à tous mes désirs. Une de ses camarades nous prêta sa chambre, ou pour parler plus vrai , un petit cabinet où elle couchait, et qu'un lit et deux chaises remplissaient entièrement. Une énorme araignée vint troubler notre rendez-vous : nous la craignions tous deux mortellement; nous n'eûmes ni l'un ni l'autre le courage de la tuer. Nous prîmes le parti de nous séparer, en nous promettant de nous voir dans un lieu plus propre, et où il n'y aurait pas de monstres aussi effrayants.
J'attirai, bientôt après, l'attention de madame la comtesse d'Esparbès, cousine de madame de Pompadour, mignonne, jolie et galante; elle me fit inutilement beaucoup d'avances que je n'entendis pas ; je fus enfin flatté de la distinction avec laquelle elle me traitait, et j'en devins amoureux. »
Sources : Extraits des Mémoires du Duc de Lauzin ( 1747-1783)
Du Chevalier courtois au galant homme.
L'amour courtois des chevaliers, serait-il comparable à la galanterie de ce XVIIIe siècle : Jean Chapelain, dans son dialogue ''De la lecture des vieux romans'', tient à marquer la différence : « Je ne le dirai pourtant pas, parce que je veux que la galanterie soit galante, et j’avoue que celle de Lancelot ne l’est pas. » En quelques lignes Chapelain définit la galanterie comme un « art de plaire » et en bannit les chevaliers, véritables amoureux, mais dépourvus d’esprit et incapables « de se mettre bien auprès de [leurs] maîtresse[s] par des paroles étudiées ».

Les chevaliers sont des amoureux qui ne savent pas parler d’amour, et c’est le discours qui fait le galant. La confrontation du modèle galant et du comportement des anciens chevaliers permet ainsi à Chapelain de construire l’idéal d’une conception de l’amour parfait qui unifierait les actes et le langage, l’éthique et l’esthétique.
Il faut plaire : le plaisir est en relation étroite avec l'amour, en une éthique galante.
Le thème de la Galanterie – centrée sur la période de la favorite Mme de Pompadour (1745-1765), - donc la période que connut J.-L. De la Bermondie - est repris en art de la '' Fête Galante'' et popularisé par Antoine Watteau (1687-1721) ; et par Jean Honoré Fragonard (1732-1806) qui illustra les jeux de la séduction et de l'intrigue amoureuse. Ce thème clamait la joie de vivre, les délices de l'amour, l'alchimie des sentiments et le besoin de paraître.

Du 7 au 13 mai 1664, Louis XIV organisait une fête sur le thème de la magicienne Alcine tenant prisonniers en son palais Roger et ses preux chevaliers. La fête officiellement organisée en l’honneur d’Anne d’Autriche, sa mère, et de son épouse la reine Marie-Thérèse, était dédiée en réalité à Mademoiselle de La Vallière, sa maîtresse.

Un peu comme Morgane qui retient dans sa prison du Val sans Retour, de preux chevaliers ''infidèles'' tout en leur offrant maints plaisirs... La magicienne Alcine retient Roger et ses chevaliers prisonniers dans son île pour en faire ses amants et leur propose de nombreux divertissements. À la fin des fêtes, les chevaliers se révoltent et détruisent le palais d’Alcine.
Si les plaisirs d’Alcine sont condamnés au nom de la vertu. C'est qu’Alcine est dominée par l’amour-propre et l’égoïsme. Alors que le plaisir royal est inséré dans un échange fondé sur la réciprocité et la générosité : celle précisément de ces fêtes...

La figure du chevalier galant telle qu’elle se présente dans '' Les Plaisirs de l’île enchantée '' avec ce personnage de Guidon le Sauvage représenté par Saint-Aignan lie ensemble plusieurs composantes : la prouesse guerrière, la prouesse sexuelle ou le service galant des dames. Et c'est précisément en rupture avec l'idéologie médiévale ( et barbare …!).

Pourtant, comme l'amour courtois et chevaleresque développé par les troubadours, la galanterie constitue peu à peu un code non écrit qui commande les rapports entre les deux sexes.
Mais, l'idéal du galant homme est d'être à la fois homme d'honneur et compagnon agréable. les dévots le combattent tandis que certains galants le dévoient en libertinage irrespectueux.
Le libertin, lui est tenté d'aller plus loin, vers l'utopie d'une liberté absolue. Ce libertinage imaginaire ne s'épanouira qu'en littérature. Le libertin est généralement un homme : prédateur à la Valmont ou à la Lovelace, insatiable séducteur à la Casanova, homme " à bonnes fortunes " ou habitué des lieux de plaisir les plus crapuleux...

A notre époque – celle de Jean-Léonard de la Bermondie – si un jeune ''chevalier'' ( page en réalité) tente d'être un '' galant homme '' ; il risque plutôt de ressembler à un '' Petit-Maître '' comme l'on dit d'un jeune élégant, aux allures et aux manières affectées et prétentieuses.
La galanterie est un savoir-vivre de l'élite sociale : elle est associée à « la capacité d’adaptation, la douceur et la maîtrise de manières sociales raffinées »
« Il me semble (...) qu’un galant homme est plus de tout dans la vie ordinaire, et qu’on trouve en lui de certains agrémens, qu’un honnête homme n’a pas toûjours ; mais un honnête homme en a de bien profonds, quoi qu’il s’empresse moins dans le monde. » : Le chevalier de Méré

Très vite, l'usage de la cour consiste à ''courtiser les Dames'' et l'on dit aussi « qu’un homme a gagné quelque galanterie avec une femme, pour dire, quelque petite faveur de Vénus qui demande des remedes » A. Furetière ( homme d'Église, poète, fabuliste, romancier et lexicographe français )... Si la galanterie est un plaisir de bonne compagnie ; elle est aussi comme un ''devoir'' mondain...
Hommes et femmes de cette époque reconnaissent que l'amour est une forme de galanterie qui s'apprend et s'utilise pour son plaisir et son intérêt personnel : Marivaux écrit dans le Spectateur français :

« Les femmes de qualité élevées dans les usages de Cour, qui sçavent leurs droits & l’étenduë de leur liberté, ne rougissent pas d’avoir un amant avoüé ; ce seroit rougir à la Bourgeoisie. De quoi rougissent-elles donc ? c’est de n’avoir point d’amant, ou de le perdre. »
Dans l’Histoire de la vie et les mœurs de Mlle Cronel publiée en 1739 par le comte de Caylus mais rédigée par Pierre Alexandre Gaillard, une mère prépare sa fille adulte, mais encore innocente, à la vie de maîtresse officielle d’un riche protecteur et l’initie à l’art de la galanterie : « Te voilà, ma chère Fille, dans l’état où je te souhaite depuis longtemps […]. La foiblesse de l’homme, & son penchant à la volupté, sont des sources de richesse pour une fille capable de plaire […]. La galanterie est un art méthodique, où l’on n’excelle jamais quand on s’écarte des regles, & ces regles sont differentes selon les divers caractères des Amans […] »
Cependant, n'oublions pas que si l’expression de la sensualité chez les femmes est tolérée dans les cercles les plus élevés, la liberté sexuelle fait toujours l’objet de stricts interdits moraux chrétiens...
Jean Léonard de LA BERMONDIE et Roger LARON
Je reviens en arrière et retrouve Jean Léonard de LA BERMONDIE, en son ''château'' à St Julien le Petit de Laron...

Enfant, il connaît par cœur, les coins et recoins jusqu'au souterrain sous la butte, où se trouve les ruines de l'ancien château de Laron ; que la plupart, ici, appelle le Château de Rochain ( ou rochein)...
Depuis l'abandon ''officiel'' du site par son grand-père ; l'ancienne demeure médiévale a servi de carrière de pierres, pour construire le manoir actuel, mais aussi pour la construction de nombreuses maisons autour …
La mémoire des seigneurs de Laron, est depuis longtemps remisée dans l'obscurité d'un passé ''gothique'', donc barbare... De plus certaines histoires, racontées entre adultes à la veillée, ne sont pas très catholiques … Le passé alchimique, templier ( donc hérétique …) de Roger de Laron semble peu édifiant ...

La famille garde dans les greniers des coffres dans lesquels s'amoncellent des antiquités recueillies avant l'abandon du vieux château...
Jean-Léonard connaît mieux que quiconque ici ( depuis que son grand-père n'est plus), une partie des secrets et des légendes qui entourent le fameux ''Roger de Laron '', et sa femme Margot ; personnages qui hantent les bois et les alentours …
*** J'ai moi-même rapporté quelques unes de ces histoires, ici :( Exemples ...)

C'est un livre de la Bibliothèque Bleue, qui a fait comprendre à Jean-Léonard que ces légendes n'étaient pas que le fruit d'imaginations désordonnées. Il s'agit de '' la Vie de Sainte-Geneviève de Brabant'' ...
Bien sûr, ce type de livre tombe en disgrâce, et emporte aux oubliettes les romans de chevalerie et les contes de fées : Un auteur de la ''Bibliothèque universelle des romans '', en 1787, écrit :
« Honneur soit à la mémoire du brave Oudot, de l’honnête Garnier, dont les presses infatigables ont sauvé de l’oubli les prouesses de nos chevaliers, les amours naïves de nos pères, et toutes ces chroniques intéressantes qu’un injuste dégoût a reléguées sur les rebords de nos quais. […] Cette Bibliothèque bleue si dédaignée de nos orgueilleux critiques, amusa mes tendres années ; oui, j’aime à retrouver encore les doux souvenirs de cet âge, et les premières émotions de l’enfance. »

Effectivement Jean-Léonard de la Bermondie, élève au Collège jésuite de Limoges, puis résident à Versailles, aurait pu renvoyer cette histoire à leurs auteurs anciens ; si … Si les personnages n'avaient pas pris corps, ici : sur l'une des deux collines de l'autre côté de la Maulde, qui fait face au bourg. L'autre colline étant la butte du vieux château. Oui, ici, existent les traces ( encore aujourd'hui) de la fontaine Sainte-Geneviève, et les traces du déroulement de cette histoire :
Pour lire le contenu de cette histoire, c'est ici : SUR LA ROUTE DE ROGER DE LARON, CHEVALIER LIMOUSIN. - 2/3-
Ainsi, Jean-Léonard bien avant de la lire, connaissait et expérimentait cette histoire. Régulièrement des pèlerins venaient faire leurs dévotions ici ; envoyée par une personne initiée ayant le don de désigner '' la'' bonne fontaine correspondant au mal qui vous touche …

Ainsi, Jean Léonard de la Bermondie, est sensibilisé très jeune à la '' présence '' du mythe. C'est l'expérience des histoires de Roger de Laron ; qui vont le pousser à retrouver la trace des Templiers, à découvrir la résurgence d'une nouvelle chevalerie sur les chemins de la '' Rose-Croix'' ; la survivance de l'alchimie ; et la réalité d'une nouvelle société rêvée en Franc-maçonnerie …
A la société du XVIIIème siècle, correspondent les aspirations de la renaissance médiévale des XII et XIIIèmes siècles...
Ces deux périodes vivent une profonde mutation des aspirations et idéaux des hommes et femmes : la chevalerie, l'amour courtois ( ou un certain libertinage …) , la croissance économique, technique et scientifique. Les débats politiques et religieux laissent espérer de nouvelles perspectives. Ces deux périodes sont sur le plan artistique et intellectuel les plus novatrices ; et auront été de merveilleux laboratoires d'idées...
Page du Roi, à la Cour de Versailles -2/2-

Les pages sont suivis, trois fois par semaine, par un maître d'armes, de danse, de géographie, d'allemand, de mathématiques et un maître à voltiger, payés par le roi. Le reste du temps, qui n'est pas occupé par l'équitation, les pages sont libres; et peuvent se payer des maîtres particuliers.
Bien sûr, les pages suivent les célébrations religieuses quotidiennes: les pages doivent faire leurs dévotions ( c'est à dire s'approcher des sacrements) cinq fois par an, à Pâques, à la Pentecôte, à la Notre Dame d'Août, à la Toussaint et à Noël. A noter, la pratique janséniste de la double confession avant Pâques... «On disait la messe dans la chapelle, tous les jours ; et deux capucins, du couvent de Meudon, étaient chargés des prédications et de la direction de nos consciences.»
![]()
| ![]()
| ![]()
|
Les moeurs en usages des pages du Roi - 1715 | Cartouche des pages du Roi - 1755 | Argenterie, menus ... et affaires de la Chambre du Roi |
Le lever est à sept heures et demie, à neuf heure la messe avant de déjeuner. La leçon commence à dix heures. Sortie de midi à une heure, puis dîner et sortie jusqu'à trois heures. Une leçon entre trois et quatre heures, et sortie jusqu'à neuf heures qui est l'heure de souper. « Nous y faisons la plus grande chère du monde.»
Il y a aussi une bibliothèque fort bien composée, d'où on prête des livres...
Versailles - Appartements, chasse et Lever du Roi
Après la deuxième année, la charge devient effective...
Ainsi, la page consiste à se trouver au grand lever du Roi ( Reine) , ou d'un Prince, à l’accompagner à la messe, à l’éclairer au retour de la chasse, et à assister au coucher pour lui donner ses pantoufles.
Les jours de grandes cérémonies, les pages montent sur la voiture à deux chevaux... À l’armée, les pages deviennent les aides de camp, et apprennent, à la source du commandement, à commander un jour.

Certains sont choisis pour des missions, par exemple: « quand le Roi revient la nuit, il faut que nous portions à quatre le flambeau à cheval, en courant devant sa voiture, qui va fort vite, et étant le plus souvent très mal montés, ce qui n'est pas bien agréable.»
Un autre jour, le page est chargé, « par Monsieur le premier Écuyer de la mission de confiance d'aller remettre quelques petits pains de beurre (au château de la Muette) à Monsieur le Dauphin pour son déjeuner: il est heureusement arrivé dix minutes avant que le prince se mît à table, ce qui l'a surpris très agréablement.»

La charge de ''page '' est légère et on peut même se plaindre qu'elle soit trop peu absorbante. Les pages peuvent prendre leurs chevaux s'ils ne font rien et aller dîner à Paris, quand ils y ont affaire. Mais le bonheur d'approcher chaque jour le Roi, ou ses proches, de vivre en leur intimité compense bien des choses... Le page en est ravi, et le sentiment qui perce avant tout dans sa correspondance est bien l'attachement ardent, le loyalisme fougueux que lui et ses pareils nourrissent pour le souverain.
Très vite le jeune noble, est amené à se former au métier de courtisan et saisir, avec une sorte d'habileté instinctive, de finesse native, les moindres occasions qui peut le mettre en vue et en avant.

Les Pages du Roi, de la Reine, etc … formaient à Versailles une jeunesse turbulente, que le Grand Prévôt s'efforçait d'en réprimer les écarts. « Ils fréquentaient cafés et auberge, y faisaient de galantes rencontres, et trop souvent s'y livraient au libertinage. » Paul Fromageot (Historien, spécialiste de Versailles)
Jean-Léonard de la Bermondie, est conscient de bénéficier dans un de ces établissements destinés à perpétuer les traditions de l’ancienne chevalerie, de l'abondance de soins et de plaisirs, dont il n'était pas si coutumier en Limousin ...!
Sources: '' Un page de Louis XV. Lettres de Marie-Joseph de Lordat à son oncle Louis, comte de Lordat, brigadier des armées du Roi (1740-1747).'' ; et de Félix de France d’Hézecques aristocrate français (1774 – 1835) Souvenirs d'un page de la cour de Louis XV. ( « à mon arrivée à Versailles, on y comptait cent cinquante-huit pages, sans ceux d es princes du sang qui résidaient à Paris.»)
Page du Roi à la cour de Versailles -1/2-

La mère de Jean-Léonard était parmi les proches de l'évêque de Limoges, Mrg Jean Gilles du Coetlosquet (1700-1784) qui deviendra le précepteur des petits-enfants de Louis XV... Lui-même protégé par Charles du Plessis d’Argentré à la cour de Versailles, sut recommander Jean-Léonard pour entrer comme page à la Petite écurie.
Cette réception fut un grand honneur pour son père. Bien sûr, il avait fallu apporter des preuves de noblesses qui puissent remonter à au moins 1550, et gagner le certificat délivré par Antoine Marie d'Hozier de Serigny (1721, 1801) juge d'armes de France.
![]()
|
Monsieur de Nestier, Ecuyer Ordinaire de la grande Ecurie du Roy. |
Jean-Léonard fut inscrit au Cabinet des Titres en même temps que Jean-François de Villoutreix de Breignac, et Jean-Batiste de Lubersac; pour ceux originaires du Limousin ...
A Versailles, lorsque l’on tourne le dos au château, deux bâtiments symétriques, sur le côté de l'avenue de paris, sont la Grande Ecurie du roi, et la Petite Ecurie de Paris.
C'est dans les grandes écuries que les chevaux de Louis XIV étaient dressés. Il y avait donc une multitude de personnel qui atteignait souvent 1000 individus : pages, écuyers, valets, palefreniers...sans oublier le chirurgien, l'apothicaire pour les préparations médicamenteuses des équidés, les musiciens pour le carrousel..etc
La plupart des pages étaient formés dans les deux Ecuries du roi, la grande et la petite, sous les charges des Ecuyers du roi.
Avec un appui à la cour, un minimum de qualités physiques, et la possibilité de subvenir à ses besoins ( c'est à dire, avoir une pension de cinq cents livres destinée aux menues dépenses...) on peut prétendre à devenir page à la cour de Versailles... Ensuite, habillement, nourriture, maîtres, soins pendant les maladies, tout était fourni avec une magnificence vraiment royale.

Les pages de la Maison du Roi se divisaient en plusieurs catégories, pages du Roi, de la Reine, du Dauphin, de la Dauphine, de Monsieur, de Mesdames et de plusieurs autres membres de la famille royale qui pouvaient prétendre à un tel train de cour selon le bon vouloir du monarque.
« Les pages de la reine, au nombre de douze, étaient vêtus de rouge, galons en or. Monsieur et M. le comte d’Artois avaient chacun quatre pages de la chambre, douze aux écuries ; et leurs épouses, huit. Ceux de Monsieur et de Madame étaient aussi en rouge et or. Les pages de la chambre étaient habillés de velours brodé ; les différences de la pose du galon faisaient la distinction que les couleurs ne faisaient pas. »

Arrivé à Versailles, armé de ses lettres de recommandations et accompagné de son père, qui paye le trousseau... Jean-Léonard de La Bermondie peut réclamer son habit et avoir un chapeau. Monsieur le gouverneur le présente à tous les pages, et le recommande au premier page...
Malgré tout, chaque nouveau venu craint à juste titre les ''malices'' que ne vont pas manquer lui faire subir les plus anciens pour établir leur autorité indiscutable ...
« Malheur à celui qui n’y apportait pas le goût de s’instruire ! Il en sortait bon danseur, tirant bien les armes, montant bien à cheval ; mais il en emportait des mœurs passablement relâchées, et beaucoup d’ignorance. . Ce qui pouvait compenser un peu ce mauvais côté, c’était un caractère excellent et plié à tout par la sévère éducation que les nouveaux recevaient des anciens. »
Sources: '' Un page de Louis XV. Lettres de Marie-Joseph de Lordat à son oncle Louis, comte de Lordat, brigadier des armées du Roi (1740-1747).'' ; et de Félix de France d’Hézecques aristocrate français (1774 – 1835) Souvenirs d'un page de la cour de Louis XV. ( « à mon arrivée à Versailles, on y comptait cent cinquante-huit pages, sans ceux d es princes du sang qui résidaient à Paris.»)
Charles Antoine Coypel, peintre d'histoire

Charles Antoine Coypel ( 1694-1752), premier peintre du roi, est l'auteur de nombreuses pièces de théâtre... Portraitiste habile, et d'abord peintre d'histoire. Il pensait que la peinture d'histoire pût être renouvelée par le théâtre.
Il fut un habile politicien et il accéda aux plus hauts postes de l'administration artistique. Il exerça la charge de Garde des tableaux et dessins de la Couronne de 1722 à 1752. Il entra à l’Académie royale de peinture et de sculpture le 31 août 1715et en fut nommé directeur en 1747.
Il fut nommé Premier peintre du Roi en 1747 et a travaillé pour Madame de Pompadour. On revalorise alors les grands sujets d'histoire ...
Don Quichotte par C.A. Coypel
Portraits
Lire Lancelot-Graal au XVIIIe siècle.

Précisément, Jean Chapelain ( 1595 - 1674) de l'Académie française nous en parle, au siècle précédent ; mais son ouvrage '' De la lecture des vieux romans '' a en fait été publié pour la première fois à titre posthume en 1728.
Chapelain raconte qu’il a été surpris par deux lettrés Gilles Ménage ( érudit) et Jean-François Sarasin (historien et poète) alors qu’il était plongé dans la lecture d’un roman médiéval : Lancelot.

Sarasin observe que '' Lancelot '' est « la source de tous les romans qui, depuis quatre ou cinq siècles, ont fait le plus noble divertissement des cours de l’Europe ».
Ménage, défenseur des Anciens, déclare sa stupeur quand il a vu qu’un homme de goût comme Chapelain peut louer un livre que même les partisans de Modernes « nomment avec mépris ».
Pourtant, Chapelain réplique que, même s'il a commencé à lire l'ouvrage pour montrer comment la langue française est passé de sa grossièreté initiale au raffinement d'aujourd'hui ; il reconnaît apprécier sa lecture ….

Ménage ne peut retenir son indignation : « Je verrais volontiers quel autre profit on pourrait tirer de cette misérable carcasse. L’horreur même des ignorants et des grossiers. Ne me voudrez-vous point faire trouver en ce barbare quelque Homère ou quelque Tite-Live ? »
Comment Chapelain réagit-il ?
Chapelain défend l'idée que d’un point de vue littéraire, Homère et l’auteur de Lancelot sont complètement différents : le premier est noble et sublime, le second « rustique et rampant ». Mais la matière de leurs œuvres est semblable : l’un et l’autre ont composé des « fables ».Aristote aurait jugé favorablement Lancelot, comme il l’avait fait avec les poèmes d’Homère : le recours à la magie dans le premier n’est pas si différent de l’intervention des dieux dans les seconds.
L’auteur de Lancelot, affirme Chapelain, était un « barbare qui a plu à des barbares mais qui ne l’est pourtant point en tout ».

Ménage demande ironiquement s’il va falloir aussi supporter une comparaison entre l’auteur de Lancelot et Tite-Live... ? Chapelain réplique :
Celle […] qu’on prétendrait faire entre Lancelot et Tite-Live serait aussi folle que si l’on voulait en faire une entre Virgile et Tite-Live, entre la fausseté et la vérité. […] Si toutefois il ne lui est pas comparable par la vérité de l’histoire, n’étant composé que d’événements fabuleux, j’oserai dire qu’il lui pourrait être comparé par la vérité des mœurs et des coutumes dont l’un et l’autre fournissent des images parfaites : l’un [Tite-Live] des temps dont il a écrit, l’autre [Lancelot] de ceux où il a été écrit.
Un écrivain qui invente une histoire, un récit imaginaire qui a pour protagonistes des êtres humains, doit représenter des personnages fondés sur les us et coutumes de l’âge où ils ont vécu : dans le cas contraire, ils ne seraient pas crédibles. Chapelain fait une allusion implicite au célèbre passage de la Poétique où Aristote soutient que « l’affaire du poète, ce n’est pas de parler de ce qui est arrivé, mais bien de ce qui aurait pu arriver et des choses possibles, selon la vraisemblance ou la nécessité. »
Sa conclusion : Lancelot nous offre « une représentation naïve, et s’il faut ainsi dire, une histoire certaine et exacte des mœurs qui régnaient dans les cours d’alors.».
Au XVIIIe siècle, la bibliothèque bleue.

Je reviens un petit peu en arrière dans la biographie de Jean Léonard de La Bermondie... Sous l'influence de sa mère et du bon curé de Saint-Julien le Petit, Jean-Léonard prend le goût de la lecture ; et peut-être du fait d'une bibliothèque familiale assez pauvre, l'enfant nourrit cette envie avec une littérature de colportage...
Après les villes - des almanachs, et des livrets populaires se répandent dans les campagnes par le biais des colporteurs ( ou mercerots) - et les paysans auront accès aux chroniques de Gargantua, à l'histoire de la fée Mélusine, à la chanson de geste de Roland... S'il est vrai que ces paysans ne lisent pas, pourtant ils connaissent le contenu de ces livrets, par l'intermédiaire d'une institution essentielle dans la vie quotidienne rurale : la veillée au cours de laquelle « le lecteur » du village, bon élève du curé, quelqu'un qui a vécu quelque temps en ville, fait pour tous la lecture des livres que le colporteur lui a vendus.

Le ''livre bleu'' est un petit livre broché, en papier ''bleu'' ( de mauvaise qualité), et il signifie qu'il est fait pour plaire « Voilà les contes bleus qu'il faut pour vous plaire », dit un personnage de Molière.
« Le goût de la littérature est si général qu'il serait bien dur et bien difficile d'empêcher entièrement ce genre de commerce. Ce serait priver d'une grande commodité les seigneurs qui vivent sur leurs terres, les curés des campagnes et beaucoup de particuliers qui sont retirés dans les bourgs et les villages où il n'y a point de libraires. » (Malesherbes.). Mais … certains s'inquiètent de cette littérature de divertissement..
S'il y a une prédominance des livres de piété. Des clercs éclairés regrettent que certains soient composés de légendes apocryphes, de pratiques superstitieuses, et critiquent « ces livres pleins d'indulgences & de promesses mal fondées, qui ne sont propres qu'à entretenir le pécheur dans une fausse sécurité. »
Au XVIIIe siècle, un auteur ( le Marquis d'Argens) s'indigne presque d'avoir vu « des personnes du peuple s'attendrir jusqu'aux larmes, en lisant... Geneviève de Brabant ou l'Innocence reconnue » .

De même – autre succès - « les almanachs remplis de semblables misères (l'astrologie), à peine le plus bas peuple y ajoute-t-il quelque foi »
En 1787, un pasteur du Ban-de-la-Roche, en Alsace, crée une bibliothèque de bons livres pour annuler les effets des almanachs. « Annuellement, on tire quarante mille exemplaires de l'Almanach de Bâle (...). Des Savoyards colportent par toute la France ce répertoire absurde qui perpétue jusqu'à nous les préjugés du XIIe. Siècle. Pour huit sols, chaque paysan se nantit de cette collection chiromancique, astrologique, dictée par le mauvais goût et le délire ».

En 1678, l'évêque d'Angers fait ces recommandations aux maîtres des petites écoles : « Ils doivent aussi bannir des petites Ecoles les livres de fables, les romans et toutes sortes de livres profanes & ridicules dont on se sert pour commencer à leur apprendre à lire, de peur que se remplissant la mémoire des choses qu'ils y lisent, ils ne prennent des impressions contraires aux sentiments de religion & de piété... ».
Tant-pis … !
Jean Léonard de La Bermondie apprend à lire avec '' l'Histoire des Quatre Fils Aymon''. Il peut aussi s'isoler en emportant avec lui : des fables de La Fontaine et d'Ésope, des pièces de Corneille ou des traductions abrégées de l'Arioste, de Quevedo, du Tasse ; ou même des récits diaboliques, comme '' Le Chevalier qui donne sa femme au diable ''... !

Très vite, Jean-Léonard traque les livrets d'occultisme qui lui offrent l'ouverture sur l'imaginaire... Leur contenu rejoint, en partie, les éléments d'astrologie du calendrier des bergers, mais avec plus d'ambitions... On y parle du ''Secret des Secrets de la nature'' avec des extraits tant du petit Albert que de philosophes hébreux, grecs, arabes, chaldêens, latins et plusieurs autres modernes. On y note aussi des ''secrets'' de Cornelius Agrippa, Merac, Tremegiste, d'Arnosa, de Villeneuve, de Cardan, d'Alexis Piemontais... Ces recueils livrent quelque chose de plus que le merveilleux : le moyen de connaître soi-même les secrets de la nature.
P. Costadau en 1720, écrit aussi : « Les Ephémérides ou Almanachs... doivent être considérez comme des livres pernicieux, & leur lecture devroit être interdite, comme capable de faire tomber dans l'erreur et la superstition, le simple peuple principalement, qui regarde comme des véritez infaillibles toutes ces prédictions merveilleuses ».
|
|
![]()
| ![]()
|
Ainsi, la littérature bon marché relève d'un contrôle de la part des élites, soit qu'elle transporte des superstitions, soit qu'elle diffuse des textes immoraux ou inconvenants.

Bossuet ne signale-t-il pas, les occasions de manquer aux 6e et 9e commandements : « Tout ce qui donne de mauvaises pensées, comme les tableaux, les livres, les danses et les entretiens impudiques » ?
On condamne donc ces « livres de contes obscènes, les romans et intrigues d'amour, les comédies et autres de ce genre ». On relève en cette seconde moitié du XVIIIe siècle, le colportage également des « chansons obscènes »..
Quant aux veillées, bien souvent évoquées en effet dans les textes d'origine ecclésiastiques, elles sont l'occasion de rencontres entre garçons et filles, de « discours obscènes, de chansons lascives ». On fait mention de lectures profanes à la veillée, dès le XVIe siècle qui concernent la petite noblesse rurale...
On note encore, au XVIIIe siècle, que de nombreux nobles ne possèdent pas de bibliothèques, ou alors très modestes. Dans ces médiocres bibliothèques, des ouvrages de piété — dont certains sont incontestablement des livrets bon marché — , de même que des ouvrages techniques (Parfait Mareschal, Histoire des Plantes, etc.), ou encore une Histoire de Cartouche, des Illustres Proverbes historiques, un Recueil de bons mots...etc
![]()
| ![]()
|
Francion dans '' La Vraie Histoire comique de Francion '' ( aventures amusantes de Francion, gentilhomme français à la recherche du grand amour. ) achète lui-même « de certains livres que l'on appelle des Romants, qui contenoient des prouesses des anciens Chevaliers ». Au XVIIIe siècle, dans la petite bourgeoisie rurale évoquée par Rétif on lit Jean de Paris, Robert le Diable, Fortunatus.
![]()
| ![]()
|
Les textes sont remaniés, le vocabulaire modernisé, le récit rendu un peu plus ''logique'' …
Restent en vogue également les romans de chevalerie (issus des versions mises en prose au XVe siècle des chansons de geste).. Le groupe des contes s'étoffe massivement dans la seconde moitié du XVIIIe siècle avec l'apparition progressive d'une cinquantaine de titres débitant « au détail » les recueils de Perrault, Mme d'Aulnoy, Mlle de La Force.

On peut y ajouter quelques histoires de brigands, certaines anciennes, comme Guilleri, d'autres issues de l'actualité, qui reprennent également une tradition du XVIe siècle. La plupart de ces histoires reposent sur le même schéma : un héros, au cours d'un voyage, avec plus ou moins de magie ou de féerie, surmonte différentes épreuves ou réalise divers exploits.
Cet élément de magie (que nous retrouvons aussi dans les romans de chevalerie), c'est le cheval Bayard des Quatre fils Aymon et le magicien Maugis, Merlin avec Gargantua, la bourse et le chapeau de Fortunatus. Quant à la succession des épreuves ou des exploits (avec à la fin une reconnaissance), c'est le thème de Pierre de Provence, de Jean de Paris, de l'aventurier Buscon, et même de Robert le Diable, d'Hélène de Constantinople. On reconnaît là un élément classique du conte merveilleux.
On retrouve ce thème dans Geneviève de Brabant, livret qui tient à la fois du récit merveilleux par sa forme, et de la littérature de piété par son ton ...
Et c'est précisément cette histoire, qui mettra en chemin Jean-Léonard de La Bermondie sur les traces de Roger de Laron … A suivre …
Au XVIIIe siècle, le collège des jésuites de Limoges.
Les jésuites possèdent, en 1710, six cent douze collèges. Ils sont concurrencés en particulier par les Oratoriens ( fondés en 1611). Les Jésuites mettent au point dès 1599 leur Ratio studiorum, manuel condensant le programme de leurs collèges, accessible à tous.

La belle place est faite aux lettres classiques : latin et grec. Dès la 5e (deuxième année), l’élève est plongé dans un autre univers : il côtoie les auteurs anciens, des cours se font en latin … Le latin est le sésame vers les humanités, fondement à leur tour des Belles-Lettres.
La philosophie est celle d’Aristote. Le collège est pour les jésuites, une citadelle de l’orthodoxie romaine contre les protestants, les jansénistes et les libres penseurs.
L’Histoire et la géographie sont marginales, les sciences naturelles (observations et expériences) sont peu présentes et les mathématiques ne sont abordés que durant la dernière année (deuxième année de philosophie). Cependant au XVIIIe siècle, certains cours innovent avec des leçons de chimie et des expériences sur les phénomènes électriques. Les Oratoriens insistent davantage sur les disciplines scientifiques...

La religion (messes, confessions, prières) tient évidemment une grande place dans l’enseignement, les collèges constituant le « fer de lance » de la Contre-Réforme. A côté de la religion est enseignée la morale et la civilité (l’art de se tenir en bonne société). A la pointe de la Contre-Réforme, la Compagnie de Jésus valorise l’art théâtral qui revêt à leurs yeux trois qualités : améliorer la mémorisation, obliger le contrôle de sa voix (effets de voix) et la maîtrise de son corps (se tenir droit, ne pas faire de gestes brusques). Les représentations sont publiques, les habitants de la ville ou du village venant y assister librement.
La discipline du collège jésuite est stricte; les punitions corporelles sont peu à peu abandonnées (au profit des blâmes, retenues,…). L’émulation et le sentiment de l’honneur sont largement mis à profit Par exemple, on peut diviser les classes en groupes, Romains, Carthaginois... qui s’affrontent pour faire gagner leur camp … En fin d’année se tient la remise des prix en public pour les meilleurs élèves, où les familles et les notables de la ville sont conviés à la cérémonie.

Une grande partie du travail de surveillance est effectuée à l’intérieur de la classe par les élèves eux-mêmes. Dans chaque classe est choisi parmi eux un normateur dont le travail est de tenir le registre quotidien des présences. D’autres élèves (un par groupe, ou décurie, là où existe ce système) jouent le rôle de gardiens de la morale. Ils sont habituellement appelés censores et leur tâche consiste à rapporter au professeur toute manifestation d’indiscipline. Chaque membre de la décurie, du chef jusqu’au dernier de la troupe, est noté en fonction de son travail et apparié avec son homologue des décuries rivales. Les équipes concurrentes combattent pour la meilleure place presque quotidiennement, chaque membre de la décurie défendant l’honneur du groupe contre ses rivaux.
L’objectif ultime de l’élève est de gagner la compétition mensuelle pour prendre le titre d’Empereur, il capo dei capi.
Les élèves des collèges jésuites gardent le même régent quand ils montent de classe en classe, et l’enseignement de ce dernier est supervisé par ses supérieurs.
Le passage d'un élève dans une classe correspond généralement à la durée d'une année, de la Saint-Rémi – soit du 1er octobre – jusqu'à la mi-septembre. C’est seulement après avoir réussi une forme d'examen de passage que le collégien intègre un certain niveau de classe.
Le collège organise cinq niveaux différents de classes : aux trois premiers niveaux – grammaire inférieure nommée aussi « rudiments » ou « figures » ; grammaire dite moyenne ; grammaire supérieure, appelée aussi syntaxe – succèdent l'enseignement de la poésie ou humanités et le dernier niveau prévoyant l'apprentissage de la rhétorique, couronnement des quatre années préalables. Avant d'atteindre cette cinquième classe destinée à la rhétorique, l'élève a bénéficié de quatre années complètes consacrées à la grammaire, à la poésie et aux humanités. Ces quatre étapes jouent en quelque sorte le rôle de classes préparatoires permettant à l'élève jésuite de rayonner dans la discipline reine, celle de l’art de dire. Cet art occupe une place de choix parce qu’il est considéré comme nécessaire aussi bien à l’éloquence du prédicateur qu’à celle du courtisan qui devra plaider sa cause en société.

Au XVIIIe siècle, les effectifs dans les établissements secondaires chutent. En cause :la multiplication des établissements secondaires mais surtout le changement des mentalités. Le contenu enseigné par les congrégations ne correspond plus à « l’air du temps », dans un siècle de déchristianisation. Des voix s’élèvent contre la tyrannie gréco-latine pour réclamer le renforcement des cours de français, d’Histoire, de géographie et de sciences naturelles. Les élites (notamment les marchands) reprochent aux collèges de manquer de pragmatisme, de ne pas préparer les adolescents à la vie adulte.

En 1762, les Jésuites - sont expulsés hors du royaume par ordre du roi… ! ( nous aurons l'occasion d'en reparler …). Ils possèdent alors un tiers des collèges du France … Ce sont des raisons politiques et historiques qui conduisent à la suppression de l’ordre en 1763.
Pour l'heure, les Jésuites assurent même la gratuité de l’externat à partir de 1719, ce qui leur assure un large succès, en particulier de la bourgeoisie des villes... en même temps que croit la contestation de leur emprise sur la jeunesse et les esprits.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, la clientèle des collèges jésuites n'est nullement limitée à la noblesse et aux couches supérieures de la bourgeoisie : les premiers ne constituent, en fait, que 4 à 6 % des effectifs. L'écart d'âge, dans une même classe peut être très important ...

Les jésuites ont introduit trois nouveautés : la progressivité dans les études, les devoirs écrits (thèmes, dissertations latines), les notes, classements, concours, récompenses honorifiques et donc, je me répète : l’esprit de compétition.
En 1661, le collège de Limoges a 1200 élèves et 36 régents. En 1762, le Parlement de Paris proclame que la doctrine des Jésuites est "perverse, destructrice de tout principe de religion et même de probité, injurieuse à la morale chrétienne, pernicieuse à la vie civile". Le collège reste fermé un an , puis douze prêtres, sous le contrôle de l'évêque les remplacent. Le collège s’appellera Collège royal de Sainte Marie de Limoges. Aujourd'hui, il est devenu le Lycée Gay-Lussac.
Les continuelles difficultés de trésorerie ont empêché les pères jésuites d'entretenir convenablement les locaux qui sont abandonnés dans un état déplorable au moment de l'expulsion de la Compagnie. Une des premières tâches du bureau d'administration après 1763 consistera à faire reconstruire le corps principal des bâtiments (1767-1777).