xixe
Parsifal de Wagner
Je n'ai hélas jamais vu, le Parsifal de Wagner... Je n'en ai écouté que des extraits... Alors, je n'aborderai pas l'aspect musical de l'oeuvre... Je vais seulement rapporter, l'histoire que nous conte Wagner :

En ce temps, les précieuses reliques que sont : le Graal et la Sainte-Lance, sont conservés dans une demeure inviolable et inaccessible aux profanes, sur le '' Montsalvat '', où se dresse un château élevé par le pur Titurel, et les mettre à l'abri des ennemis de la Foi... Autour de lui, une élite de chevaliers que leur pureté a rendus dignes de ces augustes fonctions, sert le Graal qui récompense ces nobles serviteurs de leur pieuse fidélité, en les investissant d’une force et d’une vaillance miraculeuses...
Klingsor, d'une contrée voisine, souhaite être admis dans cet ordre chevaleresque; mais tiraillé par le ''péché''; il ne peut faire taire ce désir qui emplit son âme... Ne pouvant y parvenir, il détruit cette force maléfique en se mutilant... Mais, cette indigne action lui ferme à jamais les portes du Château sacré... ! De plus, il reçoit de l'Esprit du mal les enseignements maudits de l’art de la magie.

Plein de haine alors contre ceux qui l’ont renié comme frère, il a employé son fatal pouvoir à transformer la lande aride en un jardin plein de délices où croissent, moitié fleurs, moitié femmes, des êtres fantastiques d’une beauté irrésistible, déployant leurs séductions pour s’appliquer à perdre ceux des chevaliers du Graal qui sont assez faibles pour tomber dans leurs pièges.

Les uns après les autres, une grande partie des gardiens du Graal se font attirer puis ensorceler par ces femmes dans les ivresses de la luxure. Tant et si bien qu’un beau jour, leur chef Amfortas, n’en pouvant plus de voir sa communauté disparaître ainsi peu à peu, a décidé de partir lui-même armé de la sainte lance pour le jardin magique dans le but d’en finir avec ce Klingsor que son père Titurel avait autrefois rejeté avec dégoût.
La chasteté forcée de Klingsor lui donnait pour accomplir le mal autant de puissance qu’une chasteté librement assumée en donnait aux autres religieux pour faire le bien. Il était parvenu à se rendre maître, grâce à cette force, d’une femme extraordinairement séduisante, sorte de réincarnation d’Hérodias et de Marie-Madeleine, aspirant elle-même à la délivrance de ses fautes et attendant cette grâce d’un être qui, enfin, saurait résister à ses charmes.
Cette femme, se nomme Kundry dans sa vie actuelle ; autrefois dans une vie antérieure, elle avait croisé sur son chemin le Christ montant au Calvaire chargé de sa croix et elle avait ri de Lui... Ensuite, elle dut porter douloureusement le souvenir du regard qu’il lui avait alors adressé... Cette femme, géniale personnification de l’éternel féminin à la fois Eve et Marie, tiraillée entre le mal et le bien, est en quête de cet amour absolu qu’elle avait entrevu autrefois dans le regard du Christ.

Kundry séduit les chevaliers; mais aussi les sert pour expier et réparer le mal qu’elle leur cause au service du mal. Amfortas, le présomptueux, armé de la lance sacrée, n’eut pas plus tôt rencontré l’ensorcelante Kundry qu’il succomba à son tour; Klingsor s’empara de la lance, il lui infligea au flanc une blessure inguérissable avec laquelle il regagna à grand peine le domaine du Graal.
Là, malgré tous les baumes et les onguents, il ne parvint jamais à se remettre de son mal et il ne cessait d’implorer le Ciel pour sa guérison.
Depuis ce temps, la confrérie auguste des chevaliers est plongée dans la tristesse et la honte, chacun d’eux prenant sa part de l’humiliation et des douleurs du roi déchu.

Le plus terrible pour Amfortas venait du fait qu’étant grand-prêtre du Graal, lui seul pouvait officier et découvrir la sainte relique, source de vie et de force pour toute la communauté, et que cette monstrance sublime lui infligeait du fait de sa faute des tortures atroces, faisant saigner sa blessure plus que jamais et anéantissant ses dernières forces.
Un jour où, prosterné devant le tabernacle, il implorait la pitié du Seigneur, il entendit une voix céleste prophétisant la guérison de sa blessure et le rachat de ses fautes par un Être tout de pureté et de miséricorde, un ''chaste'', un ''simple'', qui après avoir ravi aux mains criminelles de Klingsor la lance profanée, la rapporterait au sanctuaire, et viendrait rendre au Graal son éclat immaculé... D'un seul attouchement de la lance cicatriserait la plaie...

La ''Kundry'' créée par Wagner, apparaît tour à tour comme la servante passionnément dévouée des chevaliers du Graal quand elle est livrée à sa propre nature, et comme leur ennemie acharnée, l’instrument de leur déchéance, lorsque, subissant malgré elle le magique ascendant de Klingsor, elle se transforme en une femme « effroyablement belle » et devient le moyen de séduction le plus irrésistible des jardins enchantés. Les pieux chevaliers ignorent cette double nature et ne voient en elle qu’un être bizarre, malade, indompté, dont les fréquentes et longues absences, précédées d’un profond sommeil, correspondent toujours à un nouveau malheur venant fondre sur eux ; mais c’est elle qui a séduit, et perdu Amfortas, et c’est sur elle encore que compte le sorcier pour faire sombrer la vertu du ''chaste fou'' promis. Effroyables missions contre lesquelles l’infortunée se révolte ; aussi la voit-on sombre et angoissée chaque fois qu’elle sent s’appesantir sur ses yeux le lourd sommeil hypnotique dans lequel la plonge Klingsor lorsqu’il veut la soumettre à son odieuse puissance.

Acte I : Une forêt aux environs du château du Graal situé sur une montagne inaccessible. Gurnemanz attend, entouré de jeunes chevaliers, l'arrivée du roi Amfortas. Gurnemanz ( basse) est un vieux chevalier du Graal, ayant servi sous les règnes de Titurel et d’Amfortas.
Apparaît Kundry ( soprano), elle tient une fiole contenant un baume – pour le roi, afin d'apaiser ses souffrances - qu'elle est allée quérir en Arabie...
Soudain, un cygne percé d'une flèche s'abat au sol, mort. Consternation de Gurnemanz, des chevaliers et des pages : les animaux, en particulier les cygnes, sont sacrés sur les terres du Graal.
Et, surgit le jeune Parsifal (ténor), spontané, ignorant de tout et notamment du mal... Le jeune homme ignore tout, sauf qu'il a une mère nommée Herzeleide. Kundry raconte son histoire : sa naissance, sa rencontre avec des chevaliers .....

Le sage Gurnemanz, pressent qu’il pourrait être le sauveur tant attendu. Les cloches de Montsalvat appellent à la cérémonie du service du Graal. Gurnemanz propose au nouveau venu de l’accompagner, ils s’éloignent ensemble.
Scène 2, dans la grande salle du château: Hélas, la torpeur du jeune homme pendant la célébration du Graal, provoque son renvoi.
Acte II : En haut d'une tour de son château, Klingsor se tient à côté de ses instruments de magie. Il tire de son sommeil Kundry, qui était revenue jusqu'à lui, et qui s'éveille en poussant un hurlement. Klingsor sait qu'un jeune héros dangereux approche : il ordonne à sa créature de le séduire et de le perdre, comme tous les autres auparavant....

En son jardin féérique où les filles fleurs séduisent pour les perdre les chevaliers du Graal, Klingsor, enjoint la diabolique Kundry de charmer Parsifal. Elle lui prodigue un voluptueux baiser.. Ce baiser transperce Parsifal d'une douleur folle : « Amfortas ! La blessure ! » : dans un dévoilement, il comprend tout. La compassion pour la souffrance du roi du Graal lui apporte la révélation de la connaissance. Il repousse Kundry. Devant son refus elle le maudit, le réduisant à errer loin de Montsalvat. Parsifal triomphe de Klingsor appelé au secours par Kundry, il récupère la lance.. En un instant, le château de Klingsor disparaît et le jardin merveilleux se transforme en désert aride. Kundry est effondrée : « Tu sais où me retrouver », lui dit Parsifal, qui s'en va pour tenter de retrouver Montsalvat.

Acte III : Une prairie en fleurs, en lisière d'une forêt, dans la gloire du printemps ; une source, une hutte appuyée sur un amas de rochers. C'est le Vendredi Saint ; des années plus tard. Un ermite sort de la hutte : c'est Gurnemanz, encore vieilli, pauvrement vêtu de la robe en ruines de chevalier du Graal.
Au terme de son chemin initiatique, arrive Parsifal, sous les traits d’un chevalier en armure noire, ramenant enfin la sainte lance.
Amfortas ne désirant plus que la mort, néglige le rite du calice, et les chevaliers, privés de réconfort divin, dépérissent. Titurel (basse), le père d’Amfortas, lui-même a succombé. Parsifal se reproche de n'avoir pas su éviter ce désastre. Étreint par la douleur et l'épuisement, il est au bord de l'épuisement...
Kundry, dans un acte de pénitence, comme la prostituée de l’évangile, lave et oint d’un parfum les pieds de Parsifal, avant de les essuyer de ses cheveux.
Gurnemanz, baptise Parsifal et lui donne l’onction, faisant de lui le nouveau prêtre roi de Montsalvat. Son premier office est de baptiser Kundry qui s’endort dans le sommeil de la mort et du pardon.

La scène finale, se passe dans la grande salle de Montsalvat, devant la dépouille de Titurel.
Parsifal s’avance vers Amfortas, pose la lance sur la blessure qui se referme. Enfin il annonce que le Graal sera désormais exposé pour tous et pour toujours. Il aura par la suite un fils, Lohengrin…
Mais là c’est une autre histoire !
Voyage en Allemagne – Bayreuth et Wagner - 2
* Pourquoi vient-on, ici, jusqu'à Bayreuth, pour écouter l’œuvre de Wagner ?

Ce qu'exprime la musique est immédiat, immatériel, et suscite, en nous, des émotions. Là : elle est gagne sur la poésie, par sa puissance ; et la poésie gagne en précision... L'opéra de Wagner, ajoute l'action mythique avec - par la musique - l'objectif de déplacer l'action extérieure... en action intérieure...
Wagner prend le Mythe, car son intérêt est la dimension symbolique.. Ce drame touche à ce qu'est l'humain. Il est universel ; même si Wagner traverse plusieurs périodes où il est lui-même anti-religieux à tendance optimiste, puis dès 1854 religieux à tendance pessimiste ( période schopenhauerienne...) ; enfin, en 1864, Wagner entre dans une quatrième période : une période religieuse, encore, mais optimiste cette fois-ci.
Wagner rompt ce que son époque a fait de l'Opéra : un divertissement comme un autre... Avec Parsifal ( écrit entre 1865 et 1882), l'Opéra est une représentation dramatique et sacrée ; comme s'il revenait à ses origines sacrées de la tragédie grecque.
De manière générale, on peut dire que pour Wagner, l'homme ne se situe pas au dessus de la nature ; mais au contraire, comme un être de la nature.

Wagner utilise, un moyen-âge mythique, un moyen-âge où le paganisme se mêle au christianisme qui se mêle, encore, au panthéisme.. Pour Wagner, le peuple a conservé une innocence quasi naturelle...
En ce début de XXe siècle, le wagnérisme prépare t-il le terrain au nazisme... ? Peut-être, même si wagnérisme ne signifie pas nazisme... !
C'est, par escroquerie intellectuelle, que le nazisme a annexé le wagnérisme... !
Wagner, en revanche, est le grand musicien de la philosophie de Schopenhauer (1788-1860) : La volonté naît du désir d'amour , un désir de vie aveugle et impossible à satisfaire … Ce principe à la fois doux et douloureux, régit le monde et perturbe l'équilibre insondable du néant ( dans le sens où Dieu n'existe pas …) …
L'Amour pour Wagner, s'exprime – avec passion – au travers de la pulsion érotique ; et même dans Parsifal, qui est une œuvre sur la Rédemption. Kundry, la rose de l'enfer, la pécheresse repentie... séduit le '' naïf imbécile'' qu'est encore le jeune Parsifal ; et réveille en lui le désir de sa mission...

Wagner écrit dans '' Ma vie '' que l’origine de son opéra remonte à ce qu'il a éprouvé en avril 1857, le jour du Vendredi saint, dans le jardin de la propriété des Wesendonck à Zurich. « Je m’éveillais pour la première fois avec le soleil le jour du Vendredi Saint : le jardin était verdoyant, les oiseaux chantaient ». Cet enchantement lui rappelle alors le Parzifal de Wolfram von Eschenbach dont il décide de tirer un opéra.
Pourtant, déjà dans le ''Lohengrin'' (1850) : Lohengrin révèle à Elsa qu’il vient d’un château nommé Montsalvat où se trouve le Saint Graal dont son père, le roi Parsifal, est le gardien.
Wagner aurait lu le Parzifal de Wolfram von Eschenbach (1170-1220), lors de son séjour de cinq semaines à Marienbad en 1845. Eschenbach est un des plus grands poètes épiques de son temps et c’est à ce titre qu’il apparaît déjà comme personnage dans Tannhäuser (1845) au moment du tournoi des chanteurs...

Parsifal est créé à Bayreuth le 26 juillet 1882. Wagner a réglé le moindre détail : décors, costumes, mise en scène. Franz Liszt, Anton Bruckner, Richard Strauss, sont dans la salle. Son opéra est conçu pour « son » théâtre... Wagner a interdit que Parsifal soit représenté ailleurs. Chaque représentation devait rester une expérience unique parce qu’inouïe au sens propre.

Le Thème de Parsifal, est donc l’héroïsme rédempteur seul susceptible d’apporter le salut. Pour soigner la blessure du roi Amfortas, blessé par le magicien Klingsor (son plus grand ennemi), il faut un être pur susceptible d’éprouver la plus grande compassion.
Parsifal est naïf ; mais ni chez Chrétien de Troyes, ni chez Eschenbach, il ne renonce aux joies de l'amour physique... Ce qui est alors attendu du parfait chevalier, c'est d'être à jamais fidèle à la dame à laquelle il a engagé sa foi. L'exigence de la pureté-chasteté n'intervient qu'ultérieurement dans les continuations cisterciennes de ''La queste du Saint-Graal '' où le Graal ne sera révélé qu'à Galaad chevalier vierge ; et ne pourra être accompagné dans le service du Graal que de Perceval, et Bohort, qui ne sont que chastes ….

Chez Chrétien et Wolfram, Kundry (Cundrie) est une femme au physique repoussant... Cependant, elle est fort savante... Elle reproche à Perceval de n'avoir pas poser la Question ; et de pas avoir pris les tourments du roi pêcheur en pitié …
Chez Wagner ; Kundry entre en scène sous l’apparence d’une « farouche amazone », messagère des chevaliers. Séductrice pleine de sensualité livrée à l’influence de Klingsor, elle est aussi déchirée par la malédiction qui la condamne à l’errance pour avoir raillé le Christ souffrant. C’est elle qui va éclairer Parsifal sur sa propre histoire, ce qui lui permettra d’accomplir son destin.
« Cette œuvre de vieillesse, très sous-estimée, est pourtant à vrai dire absolument passionnante. On y trouve la plus extraordinaire musique (transformation du IIIe acte) et le personnage de Kundry est sans aucun doute sa conquête poétique la plus achevée. » Thomas Mann
Thomas Mann (1875-1955) a connu Parsifal en 1909 : « Délivrance, aboutissement, achèvement, cet oratorio de la Rédemption pousse à l’extrême l’exploration de mondes écartés, terribles et sacrés, et l’art de les faire parler » Thomas Mann
Voyage en Allemagne – Bayreuth et Wagner - 1
Bien-sûr, les conversations entre Anne-Laure et Emmy portent sur Wagner (1813-1883). Le goût des mathématiques de la jeune scientifique semble questionner les mythes que portent Wagner à la conscience de tous...
En ce début du siècle, tous les étrangers qui se rendent à Nuremberg, sont en transit pour Bayreuth.

* Bayreuth est une jolie ville située sur le Main ( dit rouge) qui, en cet endroit, n'est qu'un petit ruisseau coulant entre deux berges de gazon, ombragé çà et là de minces roseaux et murmurant gentiment sur un lit de cailloux. Aujourd'hui, chef- lieu de la Haute-Franconie, Bayreuth fut jadis la capitale d'un margraviat, où régna la sœur du grand Frédéric. Voltaire y habita.
La salle d'opéra sur la '' Colline sacrée '' conçue par Wagner, est inaugurée en 1876.
Wagner est mort depuis 1883... En ces premières années du siècle, le génie de Wagner est reconnu dans le monde … Les fidèles estiment que c'est à Bayreuth même qu'il faut boire à la source wagnérienne. et presque tous les ans, depuis son ouverture, le théâtre des fêtes qu'il a fait construire s'ouvre pour permettre à quelques uns d'entendre ses opéras.

L'aspect du théâtre est des plus simples.
Huit escaliers conduisent dans la salle disposée en amphithéâtre. Derrière cet amphithéâtre, une galerie tient toute la largeur du fond. L'amphi. disposé à l'antique, permet le mélange des classes sociales, pas de loges, si ce n'est les deux réservées au milieu de la galerie, l'une pour la famille Wagner, l'autre pour les familles princières. Les côtés de la salle sont ornés de hautes colonnes portant chacune une couronne de lampes électriques.

L'arrivée des voitures, qui amènent les spectateurs et gravissent péniblement le versant de la colline, est une des choses les plus curieuses de Bayreuth. Les femmes prennent largement, à ce moment, leur revanche de l'obscurité obligatoire de la salle, et toute leur coquetterie se concentre dans la forme du chapeau et dans la coupe du manteau jeté sur dès épaules qu'on ne peut découvrir. Peu de fleurs ; l'Allemagne ignore ce luxe. Avant le commencement du spectacle, il se forme des groupes sur la terrasse qui précède le péristyle du théâtre. C'est là que se classent les différentes nuances de dilettanti : les muets que l'adoration empêche de parler, les éloquents qui éprouvent le besoin de manifester pour montrer qu'ils peuvent dépasser le diapason normal, les curieux, les sages, puis les initiés qui seuls comprennent, seuls sont dignes d'entendre et sourient doucement, de ce sourire à la fois bienveillant et dédaigneux que les divinités bouddhiques concèdent parfois aux simples mortels.

Les représentations du théâtre de Wagner commencent à quatre heures et durent jusqu'à dix heures avec deux entractes de cinquante minutes chacun. On dîne au restaurant voisin pendant le second entracte, si on peut parvenir à trouver place à une table. Sinon, on en est réduit au lunch debout. Deux avertissements, donnés sur le péristyle par une fanfare qui les emprunte à l'un des motifs de la pièce en représentation, annoncent que l'on doit regagner sa place, si l'on ne veut pas perdre le bénéfice du spectacle.
Wagner, s'est astreint à posséder un théâtre exclusivement destiné à ses œuvres, ayant reconnu les inconvénients que peut amener la distraction du public, la gêne qu'occasionnent ses conversations, le trouble qui résulte du va-et-vient des spectateurs ; il a stipulé que le signal donné, personne n'entre plus dans la salle et n'en puisse sortir.
Les spectateurs ayant pris leurs places, il les a plongés dans la nuit, ne laissant à leurs yeux que la ressource ou, pour mieux dire, l'obligation de se diriger vers la scène seule éclairée.

Pour Anne-Laure ; qui n'apprécie que de loin cette sensation que l'on trouve à l'Opéra dans le sens italien ou français du mot... Elle espère autre chose qui lui rappellerait que c'est bien en Allemagne que la Réforme est née... Elle se plaît à suivre l'esprit allemand dans ses généralisations philosophiques ; cet esprit qui se nourrit volontiers de l'invisible...
C'est - forte de cette distinction - qu'Anne-Laure de Sallembier s'assoit dans un fauteuil du théâtre de Bayreuth et, après avoir suffisamment pensé à Luther, à Kant et à Goethe, elle se préparer à admirer le génie incontestable de Wagner. La durée du spectacle ( sans les entractes) , devrait être au moins de quatre heures... Karl Muck, dirige l'orchestre.
Sources : Albert Lavignac : '' Le voyage artistique à Bayreuth''
Voyage en Allemagne – Nuremberg - 2
Anne-Laure est invitée à une réception en l'honneur de l'impétueux empereur d'Allemagne... Plusieurs personnalités de Bavière sont présentes, ainsi que de nombreux étrangers en transit vers Bayreuth...

Anne-Laure rencontre une jeune femme qui parle très bien le français, avec qui elle va se lier... Elle s'appelle Emmy Noether, elle a alors 24 ans. Après un diplôme d'enseignante d'anglais et de français ; elle a décidée de poursuivre des études scientifiques à l’université d’Erlangen. Erlangen située à une vingtaine de kilomètres de Nürnberg, est sa ville de naissance..
Elle étudie non sans quelques difficultés l'astronomie et les mathématiques: elle doit demander la permission des professeurs pour pouvoir accéder à leurs cours ( non ouverts aux filles) … - sur lesquelles elle prépare une thèse... Ensuite, elle enseignera sans rémunération ni statut officiel.
Emmy Noether va approfondir ses recherches en algèbre abstraite (l'étude des structures algébriques) et publie des articles importants sur les idéaux (en mathématiques, un idéal est un sous-ensemble remarquable d’un anneau).
Emmy Noether va contribuer à faire évoluer l'algèbre...
C'est la ''begriffliche Mathematik'' (les mathématiques purement conceptuelles) qui caractérise Noether. Ce style de mathématiques a été adopté par d'autres mathématiciens et, après sa mort, a refleuri sous d'autres formes...
Irving Kaplansky, notamment, qualifie son article de 1921, qui donne naissance au terme d’anneau noethérien, de « révolutionnaire ». Norbert Wiener considère qu’Emmy est « la plus grande mathématicienne qui a jamais vécu, et la plus grande femme scientifique vivante, tous domaines confondus, et une savante du même niveau, au moins, que Madame Curie ». A sa mort enfin, Pavel Alexandrov dira également d’elle qu’elle était « la plus grande mathématicienne de tous les temps », quand Albert Einstein écrit au New York Times : « Fräulein Noether était le génie mathématique créatif le plus considérable produit depuis que les femmes ont eu accès aux études supérieures jusqu’à aujourd’hui. »
Le gouvernement nazi exclut les Juifs qui occupent des postes universitaires et Noether émigre alors aux États-Unis... En 1935, elle meurt d'un cancer à cinquante-trois ans.
Nürnberg album 1900-1910
Anne-Laure, est invitée par sa nouvelle amie, à visiter la ville de Nürnberg...

Et, voici ce que pourrait en noter la voyageuse en ce début de siècle …
« De toute l'Allemagne Nuremberg est la ville la plus originale, la plus curieuse à visiter. Celui qui s'y trouverait transporté comme par magie, sans avoir rien vu sur son passage, nagerait dans l'enchantement; la surprise doublerait sa jouissance. Le souvenir de Bâle, de Schaffhouse, d'Augsbourg ôte de sa nouveauté au tableau; il ne lui. ôte pas son charme. Nulle cité n'a conservé aussi entière la physionomie du moyen âge, ou plutôt de la renaissance; car peu de maisons remontent au delà du XVe siècle. Les amis de l'ogive en doivent faire leur deuil; les églises de Saint-Sebald et de Saint-Laurent les dédommageront.

(…) Ici, le musée est dans la rue; chaque maison en forme une pièce curieuse. J'ai retrouvé ces hauts pignons pointus et ces longues saillies dû toit qui m'avaient fait aimer Strasbourg. Mais il s'agit bien de pignons ! Ici, maint logis est flanqué de tourelles, couronné de créneaux, festonné de sculptures et d'arabesques. Des vignes capricieuses, s'épanouissent aux murailles; là pendent dés fruits fantastiques, des oiseaux rares voltigent, des figures joviales vous envoient une grimace ou un sourire.
(…) On peut juger de l'ancienne prospérité de la ville par le grand nombre des étages et des fenêtres; on sent qu'il y a eu là autrefois, comme aujourd'hui dans nos capitales, un énorme entassement d'individus.

Dans le labyrinthe de la ville coule une rivière, la Pegnitz. Çà et là sur son cours de vieux ponts au sommet anguleux, aux dalles disjointes, aux parapets sculptés. Pas de quai, pas un sentier sur le bord. La rivière reste enfermée entre les murailles des habitations, dont elle ronge les pilotis. Des maisons nobles, vermoulues, minées de vieillesse et d'humidité, se penchent sur l'eau ou l'enjambent par une seule arche. Dans le lit du fleuve coule une eau vaseuse, si lente qu'on en cherche quelque temps la pente; si triste qu'elle semble dire, comme du temps de Schiller : « Je suis devenue hypocondré, et ne continue de couler que parce qu'ainsi le veut la vieille coutume. »

Nuremberg est une ville fortifiée de murs épais, assis sur la roche vive; de larges fossés,- des tours énormes lui font une magnifique ceinture. Ces remparts furent de leur temps formidables; l'artillerie moderne en aurait, je crois, facilement raison. On les entretient pourtant pour le coup d’œil; chaque pierre remplacée est soigneusement noircie, et l'ensemble est toujours vénérable de vétusté.

L'intérieur du château cause une grande déception. On s'attend à voir de grandes salles d'armes, des lambris travaillés, d'énormes cheminées sculptées et blasonnées; on trouve à la place une longue enfilade de pièces parquetées, tapissées, meublées à la manière moderne.
(...)
En parlant de ses habitants, la voyageuse note que « le souffle de l'art avait touché leurs âmes. Quelque chose de supérieur était en eux. Leur ville l'annonce assez; le moyen âge le reconnaissait : « Esprit de Nuremberg gouverne le monde, » disait le proverbe... »
Sources : Le Danube allemand et l'Allemagne du Sud .. par Hippolyte Durand (1833-1917)...
Voyage en Allemagne – Heidelberg, 1
Pendant ce voyage en Allemagne, Anne-Laure de Sallembier souhaitait absolument passer à Heidelberg; et pour plusieurs raisons...
L'une concerne l'attachement de son grand-père à Edgar Quinet, qui lui a donné l'occasion d'entendre souvent parler de cette ville...
Et surtout, les documents de travail laissés par Jean-Léonard de la Bermondie, et son grand-père Charles-Louis de Chateauneuf, étaient particulièrement pénétrés de la période romantique allemande...

* Charles-Louis de Chateauneuf a reçu comme un immense privilège l'attachement du professeur Edgar Quinet (1803-1875) à son égard... Beaucoup de choses les rapprochent : le goût pour le Moyen-âge, pour les philosophes allemands et pour Madame de Staël...

Je rappelle qu'en 1827, Edgar Quinet arrive à Heidelberg et y reste deux ans : ce sera un moment capital de sa vie. Il souhaitait se confronter à la lumineuse Allemagne ''staëlienne'' ( Germaine de Staël)... Il est suffisamment enthousiaste dans sa correspondance, que Michelet vient le rejoindre en août et septembre 1828.
La découverte d’Heidelberg – et la place centrale de son université - est pour Quinet la découverte d’un ''pays d’université''. Il arrive au moment où l’université de Heidelberg s’érige en mythe, en s’appuyant sur une ancienne tradition...

Au cours d'un spectacle, parmi les chanteuses, une jeune fille en bleu le frappe et le jeune homme, déjà amoureux de la ville et de la musique, va tomber amoureux d'une jeune allemande de Grünstadt, et quand il quittera le pays, il sera fiancé à Minna Moré qu’il épousera ensuite.
« Pas une vallée, pas un recoin de ces bois, pas un détour du Neckar, ne me plaît autant que ma douce Heidelberg.
« Jamais, quoi qu’il arrive, je ne penserai à ces montagnes, à cette ruine, à ce fleuve qu’avec regret et le désir de m’y retrouver encore »
A lire ICI à propos de E. Quinet: LA RENCONTRE AVEC E. QUINET

Le romantisme allemand contraste avec ''Les Lumières'' (l'Aufklärung) parce qu'elles ''dépoétisent'' l'univers ; mais il n'est pas ''irrationnel''...

Le premier cénacle romantique part de Iéna, avec Fichte, Schlegel, Schelling, Novalis … dont nous avons déjà beaucoup parlé ; parce qu'il avait beaucoup intéressé à la suite de Germaine de Staël, Jean-Léonard de la Bermondie, émigré alors, et de passage à Coppet, et séjournant en Suisse et en Allemagne...
Ensuite, une autre génération de romantiques sort de Heidelberg : Clemens Brentano (1778-1842), sa sœur Bettina (1785-1859) impulsive et excentrique, épouse le prussien Achim von Arnim (1781-1831), auteur de contes fantastiques ; et les frères Grimm Jakob (1785-1863) et Wilhelm (1786-1859) qui voient dans les contes et les traditions populaires ''le génie'' du peuple... .
Joseph von Görres (1776-1848), qui, après avoir été révolutionnaire et républicain « cisrhénan », puis champion de la résistance à Napoléon ; était devenu professeur à Heidelberg, où il a, le premier, rassemblé et publié les récits de la mythologie germanique.

L'autre raison qui incite Anne-Laure de Sallembier à s'arrêter à Heidelberg est son intérêt pour des enluminures ; qu'elle a souvent admirées dans un ouvrage auquel elle tient : un Fac-similé d'un extrait du Manessischen Handschrift, manuscrit Manesse (Insel-Bücherei 1900)
** Vous connaissez sans-doute – du moins quelques images de la série des illustrations qui le compose – le Codex Manesse. Le manuscrit compte 137 miniatures en pleine page, réalisées - à la demande de la famille Manesse - entre 1310 et 1340, avec des textes de chansons d'amour courtois composées en allemand médiéval par près de 140 Minnesänger ( troubadours)...
A lire ICI: à propos du Codex Manesse:
En cette fin du XIXe siècle, et suite à un vol massif de manuscrits extrêmement précieux par le Comte Guillaume Libri (1803 -1869), la Bnf va récupérer nombre d'entre eux, grâce entre autres...- à la restitution à Heidelberg, du Codex Manesse : il faisait partie en effet de la célèbre collection de livres du palatinat du Rhin à Heidelberg, la Bibliotheca Palatina (1607).

Anne-Laure de Sallembier est une amatrice de ces manuscrits. Elle connaît Léopold Delisle (1826-1910) un ami de son mari, administrateur de la Bibliothèque nationale , qui va répertorier et tenter de récupérer beaucoup des trésors volés...
Donc, le Codex Manesse vient de retourner à la bibliothèque de l'université de Heidelberg... Et, Anne-Laure profite de ce voyage pour s'y rendre et tenter d'admirer l'original, avec une lettre d'introduction de Léopold Delisle...
A la fin du XVIe siècle, le Codex Manesse, est en possession de la cour palatine de Heidelberg.
En 1622, pendant la Guerre de Trente Ans (1618-1648), le manuscrit est sauvé lors de la prise de Heidelberg par les troupes de la Ligue catholique... Le prince Frédéric V du Palatinat, et sa femme Élisabeth Stuart emportent le document, avec les trésors familiaux les plus précieux, dans leur exil à La Haye. Plus tard, Élisabeth ayant des besoins d'argent de plus en plus importants après la mort de son mari en 1632, est contrainte de vendre le précieux codex ; qui rejoint, peu après, la bibliothèque personnelle de l'érudit français Jacques Dupuy qui, à sa mort en 1656, lègue sa collection au roi de France.
Voyage en Allemagne – Freiburg
Fribourg-en-Brisgau, est une ville universitaire allemande dynamique et ''écologique'', située dans la Forêt-Noire.. Sa vieille ville médiévale fut reconstruite, elle est sillonnée de ruisseaux pittoresques (les bächle).

Notre seul jour de pluie, nous a donné le prétexte de passer un bon moment dans un café... Le Kolben Kaffee conseillé étant plein... Nous nous sommes repliée sur Alstadt Café, qui nous permet de collationner salé et sucré tout en gourmandise … Beaucoup de monde, des serveuses exténuées, mais nous étions satisfaits de notre place...
Remontons au XIXe, beaucoup plus sérieux... Extraits:...

« Fribourg, capitale du Brisgau, n'a que sa cathédrale; mais après Cologne, c'est la plus belle de l'Allemagne. Sa façade pèche par le défaut de développement : on y regrette ce triple portique qui dans la plupart de nos églises fait une si belle entrée à la maison de Dieu. Son portail unique et rétréci est précédé d'un porche qu'étranglent de massifs contre-forts. Mais le porche, quand on y pénètre, présente une innombrable collection de statues. »
Aujourd'hui un porche protégé par un rideau de fins fils de fer ….
La flèche de Fribourg est peut-être ce que l'art gothique a créé de plus parfait en ce genre; pour la bien voir, il faut monter au Schlossberg. Le Schlossberg est une petite montagne qui domine la cathédrale et la ville. Un sentier agréable y conduit. Il monte en Lacet parmi des vignes (...)
Du Schlossberg, la vue s'étend sur la plaine du Brisgau et sur le cercle onduleux des montagnes noires. Au pied, est groupée la ville de Fribourg, dont on compterait sans peine les maisons et les rues. La cathédrale s'élève du sein de cette masse confuse, avec une forêt de piliers, de contre-forts, de pieds-butants, d'arcades, de clochetons et de tourelles : mais sa flèche attire le regard et l'enchante.

Les étudiants de Fribourg me conduiraient assez naturellement à parler des universités allemandes. C'est un sujet curieux et instructif. Je me propose de le traiter en détail quand je décrirai l'Allemagne du Nord. C'est là sa vraie place. Les universités de Heidelberg et de Berlin sont les centres intellectuels de l'Allemagne. C'est là qu'il faut aller juger le système d'enseignement de ce pays.
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Je redescendis à Fribourg avec un groupe d'étudiants endimanchés qui s'en retournaient en chantant vers la ville; leur costume n'avait de particulier qu'une toque de velours brodé d'argent ou d'or, et un ruban de soie en sautoir, dont la couleur Varie selon la nationalité de l'étudiant : lés uns sont bleus, les autres rouges, les autres tricolores, ceux-ci semés de fleurs, ceux-là de croix blanches, selon que l'étudiant est de Suisse, ou de Souabe, ou du duché de Rade. Je comparais ces jeunes élégants, si pimpants dans leur frac noir, portant, comme des pages, leur joli bonnet sur l'oreille, aux écoliers de la même ville, tels que les dépeignait il y a longtemps le premier recteur de l'université de Fribourg :
« Ils sont malpropres, ne se mouchent pas, tachent les livres sur lesquels ils étudient, ont les mains pleines de pailles sales et marquent avec ces pailles les endroits qui leur plaisent. Ajoutez à cela ceux qui vendent leurs livres, ou les mettent en gage chez les Juifs, chez les hôteliers, chez les usuriers. »
*****

Dans la vieille ville, au milieu d'une jolie place ; un monument attire l'attention... Il s'agit de la statue d'un moine, dont on nous dit que l'invention a conduit les peuples et les individus à la ruine, qui a coûté la vie à des millions de personnes... Il s'agit de Berthold Schwarz ( Berthold le Noir) , "l'inventeur de la poudre noire", la poudre à canon …
Amusant, nous dit-on de constater que la statue d'un moine, Berthold Schwarz a remplacé celle de Carl von Rotteck, ''libre penseur'' tombé en disgrâce …
Plus exactement, Berthold Schwarz a été chanoine de la cathédrale de Constance vers 1300 et enseignant à l'université de Paris au cours des années 1330. Il était considéré comme alchimiste …
Il aurait tenté, de transformer du mercure en or mais, sachant que le mercure contenait un basilic, il tenta de le neutraliser…et c’est ainsi qu’il parvint à découvrir la formule de la poudre noire.

La poudre noire peut servir à allumer un feu, en petite quantité... de créer une forte illumination si elle est répandue en une fine couche, ou de créer une explosion... Aussi, la recette de sa fabrication se veut secrète ...
Le monument fut érigé proche de son lieu de naissance en 1853.
Il est semble t-il reconnu qu'en 1257, Roger Bacon, un moine franciscain anglais, a décrit la préparation de la poudre noire dans un ouvrage intitulé De Secretis Operibus Artis et Naturæ et de Nullitate magiæ.
Karl Wenzeslaus Rodecker von Rotteck, né le 18 juillet 1775 à Freiburg où il est mort le 26 novembre 1840, est un activiste politique, historien, politicien et politologue allemand. Il était libéral, et peu favorable à l'Unité allemande si elle se faisait contre la liberté... Karl von Rotteck était un membre de la loge maçonnique de Fribourg-en-Brisgau. En 1817, il devint membre correspondant de l' Académie bavaroise des sciences . Et pourtant … Il était hostile à la participation politique des femmes ; et passablement antisémite .. !!
Une décennie, après avoir perdu sa statue; à l'automne de 1861, on fit ériger le monument sur l'ancienne Rotteckplatz, puis déplacé encore en 1937, devant le Gymnasium , qui portait son nom.
Voyage en Allemagne – L'Alchimie.
En 2016, en préparant mon voyage en Angleterre, '' sur les pas du Roi Arthur'', je rencontrai dans un jeu étrange de correspondances, les images du Tarot... Ces cartes, m'ont ensuite accompagné tout le long du chemin …
Cette année, je me demandai si ces mêmes cartes se présenteraient...
Peut-être n'ai-je pas été assez attentif... En reprenant à présent les notes de ce Chemin allemand... ; je remarquai une chose : la persistance d'autres images à propos... de l'Alchimie.
Dans le fatras de notes laissées par mes aïeux ; une carte d'Anne-Laure de Sallembier lors d'un séjour à Strasbourg, et quelques notes m'ont permis de trouver ce nouveau fil que je regrette de ne pas avoir plus utilisé....
Cette carte, c'est : la reproduction d'un laboratoire d'alchimiste au Musée alsacien de Strasbourg ( alors allemand...), ouvert en 1907. Peut-être Anne-Laure de Sallembier a t-elle visité ce laboratoire...?
Rien de plus sur l'alchimie... Sinon, des images découpées de statues appartenant à la cathédrale de Strasbourg : deux jeunes femmes du XIIIe siècle ; l'une, cambrée et assurée sous sa couronne. Elle porte un Graal et s’appuie sur une grande crosse en forme de croix ; l'autre humiliée , les yeux bandés, la tête inclinée de honte, elle a en mains un bâton brisé et tient dans sa main gauche un document..
Cathédrale de Strasbourg - L'Eglise et la Synagogue
Ces deux statues de la cathédrale de Strasbourg, ont retenu l'attention d'Anne-Laure, en particulier parce que le sculpteur de ces œuvres, est une femme... !

La tradition les attribue à Sabine de Steinbach, la fille de maître Erwin...
Sabina serait l'auteur des statues personnifiant l'Eglise et la Synagogue, qui sont situées aux portes sud de la cathédrale. Ces deux statues sont réputées des chefs-d’œuvre de la statuaire gothique.
Au XIIIe siècle, c'est le siècle des cathédrales, des croisades et du Strasbourg de l'empire allemand... L'Eglise pourchasse l'hérésie, les alchimistes se cachent ...
Avant de partir sur le chemin que m'ouvrait l’Allemagne, sans préfigurer de ce que je trouverai ; plusieurs lectures et rencontres me pointaient l'anthroposophie avec Steiner ; au point d'envisager de passer par Le Goetheanum, à Dornach, en Suisse… Je n'avais pas le temps de tout faire ; ce ne sera pas pour cette fois … !
Pourquoi là ? Le Goetheanum est le siège de la Société anthroposophique universelle... Et, ce lieu conçut par Steiner correspondrait à la localisation de l’ermitage de Sigune au pied de l’emplacement du ''château du Graal'' ( selon les indications de Wolfram Eschenbach )… Rien de moins … ! J'en reparlerai forcément...

Cependant, pour ce qui est de l'Alchimie : L'anthroposophie, intrinsèquement écologique, évoque '' l'Éco-alchimie '' et en notre époque où le seuil d'irresponsabilité de nos gouvernants nous contraint à évoquer à présent des soucis d'ordre collapsologique - la collapsologie désigne l’étude de l’effondrement de la civilisation industrielle et de ce qui pourrait lui succéder - … Ainsi, un livre de McKanan, paru aux Presses universitaires de Californie, explore les concepts d’alchimie et d’équilibre dans la science de l’esprit anthroposophique, à la fois comme source de résilience et de renouveau, ainsi que la différence du mouvement anthroposophique avec d’autres mouvements écologiques et courants politiques.
L’approche anthroposophique conçoit plutôt le changement social depuis l’intérieur, avec la possibilité de faire avancer l’évolution humaine grâce à une sphère culturelle-spirituelle libre au sein de la société, laboratoire décentralisé et libre cherchant à élaborer une vision toujours renouvelée de l’être humain.

Steiner (1861-1925), cherche à voir par l’esprit chacun dans son intégralité, au-delà de son apparence, dans ce qu’il est et peut devenir dans sa relation particulière avec le monde...
* Quatre idées :
- Il est possible d’entrevoir les relations qui lient toutes choses et tous êtres...
- L’attention aux pratiques aussi petites soient-elles qui peuvent constituer une force guérissante pour la société plus large... ( avec des petites communautés en interconnexion...)
- La conviction que les humains peuvent vivre en harmonie avec leurs écosystèmes si seulement nous épousons chacun à sa façon un chemin de développement spirituel...
- La sagesse de voir que l’évolution du monde est continuelle et inévitable, que notre rôle d’humain dans cette époque ne se résume pas à la préservation, ni de nous-mêmes ni de la terre, mais trouve son sens dans une implication pour une évolution de l’humanité allant au-delà du développement économique ou technologique.
Bien … Attention, je ne connais pas la Société Anthroposophique de Steiner; sinon les fameuses écoles Waldorf et ce qu'en dit Anne-Laure de Sallembier qui s'y est intéressée entre les deux guerres...

Revenons à L'Alchimie, en quelques idées simples...
- Le désir de connaître le fonctionnement du ''Monde''... Sachant que la science ne peut donner qu'une partie de la réponse : mais une partie essentielle à connaître...
- Peux t-on agir sur la ''matière''.. ? Comment... Pourquoi... ? Aller où... ?
- L'Alchimie induit un processus de dévoilement... La réalité est voilée … Transmuter, c'est élever, dévoiler...
- L'alchimiste va du laboratoire à l'oratoire... Chemin aller-retour...
- La présence de l'invisible... ( Observer, c'est déjà modifier le phénomène !)
Soyons attentif, tout au long du voyage ...
Voyage en Allemagne 1 - Baden-Baden

A l'occasion de mon propre voyage en Allemagne cette année 2019 ; je suis accompagné des commentaires de voyageurs plus anciens, de cette deuxième moitié du XIXe siècle... Il y a de cela, donc, près de 150 années … !

Les aïeux d'Anne-Laure de Sallembier, ont très souvent été attirés par l'Allemagne ( beaucoup par le Royaume Uni, aussi), précisément par la littérature et la philosophie allemandes. Anne-Laure, veuve un brin fortunée a profité de l'accueil et du confort germanique, ainsi que des nouvelles commodités pour voyager ; et visiter des lieux cités dans les documents que lui avaient laissé Charles-Louis de Chateauneuf, son grand-père, et Jean-Léonard de la Bermondie, le grand-père de son grand-père …

Ce qui anime Anne-Laure avant de partir, c'est le fameux ''Sturm und Drang'', la tempête et le transport passionné du mouvement pré-romantique... Se mettre dans les pas de Hector Berlioz, quand il écrit dans le pays de Goethe : « J'essayai donc, tout en roulant dans ma vielle chaise de poste allemande, de faire des vers destinés à ma musique (…) Je l'écrivais quand je pouvais et où je pouvais ; en voiture, en chemin de fer, sur les bateaux à vapeur ; et même dans les villes, malgré les s oins divers auxquels m'obligeaient les concerts que j'avais à y donner... »
Pour Anne-Laure, comme pour son grand-père Charles-Louis, il s'agit de mettre ses pas sur les chemins des romantiques ( les voyageurs de l'obscur), empruntés eux-même jadis par les Minnesänger, ménestrels et chevaliers errants comme Parsifal, Tristan ou Tannhäuser, par les Meistersinger, voyageurs de commerce des villes hanséatiques et maîtres chanteurs comme ceux de Nuremberg, tirés de l'histoire par les littérateurs d'Iéna, de Heidelberg et de Berlin, par le romantique comme Novalis, Heine ou par Richard Wagner.
Le virus est contagieux, les récits de voyage en Allemagne en témoignent ; quinze ouvrages de Guides paraissent pour la seule année 1842...
Nous sommes là, avant 1870, avant que l'Alsace soit annexée par l'Allemagne...
Kehl, sur la rive allemande du Rhin en face de Strasbourg: pour s’y rendre ils traversent le pont du Rhin nouvellement construit en 1861.

« Le Rhin ne coule pas à Strasbourg : c'est dommage; il ferait un beau miroir à cette grande cité. Il en est éloigné d'environ quatre kilomètres. (…) C'est un fleuve large et sévère, roulant des eaux profondes dans des rives plates et de verdoyantes prairies. Ce n'est pas là que le poète ira cueillir la fleur enchantée des ballades, ni prêter l'oreille aux chansons de Lorely, la fée des eaux. »
« Cette rive, c'est l'Allemagne, l'Allemagne de Goethe, de Mozart, de Leibnitz et d'Albert Durer. C'est la terre de la musique, de la rêverie, de l'amour naïf, de l'idylle, des vertus et du bonheur domestiques. Cette terre a vu naître et le vieux Faust et la jeune Marguerite, et Louise et Dorothée, et tant d'êtres mélancoliques et charmants créés par la poésie.»
« Un magnifique pont de fer relie aujourd'hui les deux rives. Dieu sait ce qu'il en a coûté à la diplomatie pour poser ce trait d'union : jalousies commerciales, jalousies politiques, que d'obstacles s'élevèrent! On finit pourtant, par s'entendre. Nos ingénieurs reçurent la tâche là plus difficile ; c'est eux qui établirent dans ce vaste lit les piles qui supportent toute la masse. Le reste fut confié aux ingénieurs badois. Ils en ont fait un très-bel ouvrage. Chaque extrémité du pont est ornée d'un portique monumental en style gothique, chaque arche de clochetons et de tourelles. Cette porte de l'Allemagne est solennelle comme elle, et comme elle un peu pesante. L'aigle impériale regarde fièrement la rive française, dont elle semble garder l'approche. A l'autre bout, le griffon badois, d'un air moins belliqueux, fait avec bonhomie la même faction, et, comme dit Commines, « tous deux, se tournant le dos, ne risquent pas de se mordre. »
La guerre franco-allemande de 1870 va opposer, du 19 juillet 1870 au 28 janvier 1871, la France et une coalition d'États allemands dirigée par la Prusse et comprenant les vingt-et-un autres États membres de la confédération de l'Allemagne du Nord ainsi que le royaume de Bavière, celui de Wurtemberg et le grand-duché de Bade. Cette guerre est considérée par Otto von Bismarck, qui a tout fait pour qu'elle advienne, comme une conséquence de la défaite prussienne lors de la bataille d'Iéna de 1806 contre l'Empire français. Il dira d'ailleurs, après la proclamation de l'Empire allemand à Versailles en 1871 : « Sans Iéna, pas de Versailles » : par là, il parvinet à ses fins, unifier la nation allemande.
Selon le traité de Francfort ( 10 mai 1871) ; l’Alsace et une partie de la Lorraine sont cédées, et deviennent une terre d’Empire (Reichsland), propriété commune de tous les Etats allemands de l’Empire.
Entre 1871 et 1914, la chaîne des Vosges constitue pour les Alsaciens - dont le territoire est alors annexé à l’Allemagne - une limite à la fois distinctive, dans la mesure où elle permet aux populations de revendiquer une singularité culturelle, et intégrative, parce qu’elle est aussi ce qui lie l’Alsace à la France et préserve donc la région d’un point de vue symbolique face aux tentatives d’assimilation au Reich.

« Vous arrivez, non par une route pavée et boueuse, mais par les chemins sablés d’un jardin anglais. A droite, des bosquets, des grottes taillées, des ermitages, et même une petite pièce d’eau, ornement sans prix, vu la rareté de ce liquide, qui se vend au verre dans tout le pays de Baden […] Une longue allée de peupliers d’Italie ferme, ainsi qu’un rideau de théâtre, cette décoration merveilleuse qui semble être la scène arrangée d’une pastorale d’opéra. »

« Je doute qu’on puisse trouver un pays plus charmant, il n’a que l’inconvénient de laisser douter si l’on n’est pas sur les planches de l’opéra, et si les montagnes et les maisons ne sont pas des décorations […] car, à vrai dire, et c’est là l’impression dont on est saisi tout d’abord, toute cette nature a l’air artificiel. Ces arbres sont découpés, ces maisons sont peintes, ces montagnes sont de vastes toiles tendues de châssis (…)

« La nuit est tombée: des groupes mystérieux errent sous les ombrages et parcourent furtivement les pentes de gazon des collines. Au milieu d’un vaste parterre entouré d’orangers, la maison de Conversation s’illumine, et ses blanches galeries se détachent sur le fond splendide de ses salons. À gauche est le café, à droite est le théâtre, au centre l’immense salle de bal dont le principal lustre est grand comme celui de notre opéra. […] L’orchestre exécute des valses et des symphonies allemandes, auxquelles la voix des croupiers ne craint pas de mêler quelques notes discordantes. […]
Cette retraite romanesque, cette chartreuse riante est, dit-on, l’hospice des cœurs souffrants. On y vient guérir des grandes amours […]

La rivière de Baden coule au pied des murs, mais n’offre nulle part assez de profondeur pour devenir le tombeau d’un désespoir tragique: son éternelle voix se plaint dans les rochers rougeâtres, mais une fois dans la plaine unie, ce n’est plus qu’un ruisseau du Lignon, un paisible ruisseau de la carte du tendre, le long duquel s’en vont errer les moutons du village, bien peignés et enrubannés dans le goût de Watteau. Vous comprenez que les troupeaux font partie du matériel du pays et sont entretenus par le gouvernement comme les colombes de Saint-Marc à Venise. Toute cette prairie qui compose la moitié du paysage ressemble à la Petite-Suisse de Trianon. Comme en effet le pays entier de Bade est l’image de la Suisse en petit. La Suisse moins ses glaciers et ses lacs, moins ses froids, ses brouillards et ses rudes montées. Il faut aller voir la Suisse, mais il faut aller vivre à Baden […]
On revient à Baden en suivant le cours de la rivière, et quelle rivière ! Elle n’est guerre navigable que pour les canards; les oies y ont presque pied partout. Pourtant des ponts orgueilleux la traversent de tous côtés, des ponts de pierre, des ponts de bois et jusqu’à des ponts suspendus en fil de fer. Vous ne vous imaginez pas à quel point on tourmente ce pauvre filet d’eau limpide qui ne demanderait pas mieux que d’être un simple ruisseau. »
Gérard de Nerval - '' Lorely – Souvenirs d’Allemagne ''
À l’été 1838, Gérard de Nerval entreprend un voyage en Allemagne. Fervent admirateur de littérature et de poésie allemande, Il a déjà traduit Klopstock, Goethe, Schiller, Burger et publié quelques années plus tôt une anthologie de la poésie allemande.
Baden-Baden

A l'hôtel :
« Nous sommes réveillés dès le point du jour; de tous côtés les portes s'ouvrent et se ferment avec fracas : l'un, affublé de sa robe de chambre, descend pour prendre son bain ; l'autre va, la canne à la main, parcourir les montagnes voisines ; celui-ci crie après les domestiques pour avoir ses habits ; celui-là à peine éveillé, sonne à coups redoublés pour qu'on lui apporte du thé ; les ordres donnés dans toutes les langues se croisent et se confondent. »
Baden — est la perle de la forêt Noire; nul autre lieu ne rime plus naturellement avec Eden.
Baden-Baden 2019
Le site est charmant. On dirait que tout y fut combiné par une main savante dans l'art de plaire.

Figurez-vous une jolie ville, mi-partie sur la montagne , mi-partie dans le vallon ; des collines dont le cercle riant l'entoure; sur les pentes et sur les hauteurs, des forêts de sapins égayées par de sinueux sentiers et de lointaines perspectives; un ruisseau d'idylle où se mirent des maisons blanches comme des villas, riches comme des palais; aux environs, des ruines, des rochers, des châteaux, où conduisent de charmantes promenades; partout des chemins plantés d'arbres, des routes entretenues comme des allées; en un mot, une nature de vignette et d'album, pleine de gentillesse et de coquetterie, au sein de laquelle on se sent plus amolli qu'ému, plus disposé à jouir qu'à penser, dans d'excellentes dispositions pour passer quelques jours d'insouciance et de farniente.
Là vous n'aurez que d'agréables idées incapables d'agiter, le cœur et d'absorber l'esprit. Poète, vous ferez des sonnets ou des madrigaux; musicien, des romances; peintre, des aquarelles. Le pays tout:entier n'est qu'une grande aquarelle aux contours adoucis, aux couleurs demi-voilées , quelque chose d'indécis et de flottant, dont l'attrait est infini.
Baden - son nom l'indique - est un lieu de bains. Cent mille étrangers y viennent chaque année prendre les eaux.
« D'eau, je n'en ai point vu lorsque j'y suis allé, Mais qu'on n'en puisse voir je n'en mets rien en gage. Je crois même entre nous que l'eau du voisinage A, quand on l'examine, un petit goût salé. »
Un grand portique de marbre est élevé pour lés baigneurs; la maison de Conversation est voisine : c'est le nom allemand du casino. Un parc princier l'entoure. Tout le jour un excellent orchestre fait entendre sous les fenêtres une délicieuse musique. Mais il s'agit bien de musique ! ..

Entendez-vous d'ici le cliquetis des pièces d'or et la voix nasillarde des croupiers? Il n'y a pas pour les joueurs d'harmonie comparable, et Bade est le rendez-vous des joueurs. Ici la roulette est souveraine; elle tient toute la journée sa cour. Les courtisans sont nombreux. Il y en a de toutes les nations, de tous les âges, de toutes les humeurs. L'Europe et l'Amérique sont représentées autour de ces grands tapis verts jonchés d'or. L'observateur peut surprendre comme en un miroir le caractère de chaque peuple. L'esprit national perce jusque dans nos vices. L'Anglais joue avec une prudence habile et un coeur maître de soi. Dépouillé, il se retire les dents serrées, et déguise son dépit sous une morgue hautaine. Le Russe témoigne au jeu l'emportement sauvage qui paraît dans toutes ses passions. L'Allemand n'y perd rien de son flegme : il semble croire, avec le proverbe, que la fortune vient en dormant. L'Italien, l'Espagnol, tous les Méridionaux ont de bruyants transports de joie ou de désespoir. Le Français joue avec une étourderie babillarde et une aisance impertinente. Sur cent joueurs de pays différents, s'il en est un qui dans la perte ou le gain garde le même sourire, déploie la même verve, et se venge du destin par un bon mot, dites hardiment : C'est un Français. La comédie du Joueur n'était possible qu'en France. Partout ailleurs le jeu tourne au drame. »
source : ''Le Danube allemand et l'Allemagne du Sud...'' - par Hippolyte Durand (1833-1917). ...

Réalisation néoclassique (1821 à 1824) due à Friedrich Weinbrenner, elle était la « maison de conversation », le lieu de rendez-vous de la haute société qui organisait là bals et concerts. Le casino occupe l'aile droite. Les quatre salles de jeu furent aménagées dans l'esprit des salles d'apparat des châteaux français.
Villégiature à Suresnes... -4- Un mort...
Pour la suite, de ce véritable vaudeville, la connaissance d'autres personnages, me semble nécessaire :
- Molaert, exégète belge, « se réclamait d’un hellénisme transcendantal, (...) parlait le cophte et le sanscrit, par surcroît, disait-il, était venu à Paris, il n’y avait pas un an dans l’intention de prêter ses lumières à la renaissance triomphale du catholicisme... Il était présentement engagé dans un duel, pour lequel il devait se préparer...
Madame Gougnol : ''la Gougnol'', est la directrice à Montmartre d’une boîte dénommée le Théâtre Fontaine ; chez qui Molaert « vécut donc chez la Gougnol des jours consolateurs de toutes les disettes et de tous les déboires passés. », alors qu'il quittait sa femme enceinte...
- Un sculpteur, ancien ami de M. Truphot, avait atterri ici : - malade, après que deux médecins se soient disputés à son chevet, c'est Morbus qui tentait de le sauver ...etc
- Morbus : le docteur ès ésotérisme, ''sauve'' non pas avec de la vulgaire thérapeutique mais avec des passes et des incantations.

Suite des extraits :
L’Exégète belge n’avait pas cru pouvoir mieux choisir qu’en désignant comme témoins, Siemans, un compatriote, et le noble comte dont le nom jetterait sur cette affaire un lustre indéniable.
- L’adversaire de Molaert est un lâche, disait Fourcamadan; le voilà qui se dérobe piteusement. Il excipe que notre client n’est plus qualifié pour faire tenir un cartel à qui que ce soit. Alors, mon cher, nous allons porter la chose devant un jury d’honneur. Et nous vous avons choisi comme arbitre.
- Que ton incorporel résiste à l’attirance du Super-Monde... Les nitidités astrales ne doivent pas encore aspirer ton entéléchie... Que l’influx de mon rayonnement diffuse dans ta dolence la luminosité du pollen cosmique et curateur...

C’était Morbus qui continuait ses passes et ses exorcismes. La cloche du dîner sonna comme il descendait enfin, très rouge, remettant en hâte la redingote qu’il avait enlevée pour gigoter bien à l’aise. Il ne pouvait pas rester, non, la Truphot lui faisait beaucoup d’honneur en l’invitant, mais après ces séances, outre qu’il était exténué, il devait se maintenir à jeun, sous peine de perdre son pouvoir de médium: car l’émanation occulte qu’il hébergeait ne pouvait entrer en contact avec de viles nourritures. Un autre jour, il se ferait un plaisir de revenir. D’ailleurs on pouvait être sans inquiétude, le malade était sauvé. Et il demanda seulement à la veuve si elle ne possédait pas, par hasard, un bout de ruban violet, un cordonnet quelconque, car il avait perdu là haut ses palmes académiques. Un mauvais tour, sans doute, de quelque esprit plaisantin. La veuve donna un vieux ruban de corset, et il partit, après avoir refait le nœud de sa rosette, en serrant les mains de J. H. et de Modeste Glaviot qui, venant du jardin, rapatriait à pas lents sa déconfiture.
On ne pouvait pas se mettre à table, car la comtesse et Sarigue ne s’étaient pas encore fait paraître. Puis la cloche du dîner n’avait pas ramené non plus Siemans qui était allé faire un tour durant l’après-midi. Il sonna enfin, accompagné de Molaert lui-même, qu’il amenait dîner, tous deux les bras encombrés d’articles d’escrime, fleurets, masques, plastrons, gants à crispin, sandales. Ils avaient même une boîte de pistolets de combat.

- Demain, dès la première heure, dit Siemans à J. H., nous allons faire des armes; il faut que Molaert s’entraîne dur et puis quand il sera sûr de son coup, il giflera en plein café le bonhomme de la Gougnol qui est cause de tout; alors celui-ci sera bien forcé de marcher.
Ce dont il ne se vanta point, c’était d’une scène affreuse dont ils avaient été victimes près des cafés du pont. Ils s’étaient heurtés subitement à la femme de Molaert qui avait dû, pour ne pas périr de faim, utiliser sa maternité en se plaçant comme nourrice dans une famille bourgeoise. A la vue de son mari elle avait laissé là l’enfantelet qu’elle poussait dans une petite voiture et s’était jetée les ongles en avant à la face du Belge. Tout en prenant les consommateurs des terrasses à témoins, elle l’avait traité de sale entretenu, de marlou, etc.
- Si ce n’est pas une indignité, hurlait-elle, moi qui suis d’une bonne famille, dont le père est commandant de la garde civique à Molenbeck, je suis obligée de vendre mon lait, pendant que ce cochon, mon mari, vit aux crochets d’une gaupe...
Les deux hommes avaient dû fuir sous une averse de huées et devant l’approche des torgnoles, car la foule avait pris parti pour la femme. Siemans et Molaert en étaient blêmes encore.
Comme le couple Sarigue ne descendait toujours pas, la Truphot monta frapper à leur porte en les traitant de paresseux. Au bout d’un quart d’heure, on les vit venir, les yeux battus, les joues vernissées par la salive et les succions d’amour, mais très dignes l’un et l’autre. Alors une scène inénarrable eut lieu. A leur vue, la veuve entra en ébullition; une flambée de pourpre irradia sa face parcheminée, cependant que des frissons secouaient son buste maigre. La tête penchée en avant, elle avançait et dérobait le cou, cherchant sans doute à ramener du fond de sa gorge une salive que l’émotion avait fait disparaître.

Et tout à coup, elle se précipita, se rua sur eux, les flairant, les frôlant avec des délices visibles, leur prenant les mains, les approchant pour les réunir, après avoir dessiné dans l’air un geste qui commandait le silence. Alors, debout devant eux elle se mit à détailler d’une voix volubile quoique chevrotante tous les défauts du comte de Fourcamadan. Leur sort l’attendrissait, elle, qui voulait voir tout le monde heureux; elle qui ne pouvait souffrir, près de soi, le marasme sentimental des gens ayant mal convolé. Et son émoi était tel que ses phrases s’entrecoupaient d’une abondante larmitation. Oui, le mari était joueur, coureur et quelque peu aigrefin. Par surcroît, il avait des maîtresses, toutes les souillons des petits théâtres montmartrois qu’il entretenait avec l’argent soutiré à sa belle-mère. Certes, la comtesse qui était jeune ne pouvait consentir à lier pour toujours sa vie à celle d’un si triste monsieur. Par miracle, elle avait rencontré Sarigue, un cœur généreux et chevaleresque qui avait beaucoup souffert, mais que le malheur avait ennobli. Dignes, ils étaient l’un de l’autre. Et, elle, la Truphot, aurait la consolation d’avoir coopéré à réparer une monstrueuse iniquité du sort, de leur avoir donné le bonheur. Oui, leur mère leur avait octroyé la vie sans savoir; elle les gratifiait du bonheur, ce qui était bien davantage... Désormais,[194] s’ils n’étaient point des ingrats, ils n’oublieraient pas sa maison...
Elle fit une pause, pendant laquelle elle étancha son ruissellement, puis brusquement questionna:
- Voulez vous être fiancés par moi? Voulez-vous, devant nous tous, prendre l’engagement définitif d’être l’un à l’autre jusqu’à la mort, en attendant que j’aide de tout mon pouvoir au divorce que nous sommes assurés d’obtenir?...

La comtesse et Andoche Sarigue, enchantés de leur essai préalable, se regardèrent. L’oariste entre ces deux futurs époux fut très court. Un sourire marqua la bonne opinion qu’ils avaient l’un de l’autre et la haute estime en laquelle ils tenaient leur savoir et leur entraînement réciproques. Spontanément, lui, d’une voix chaude, et elle, la fiancée, d’une voix timide, répondirent oui.
La paranymphe, alors, se dressa sur les pointes, se recueillit un moment et fit sur leur tête circuler ses bras osseux, en un geste de bénédiction digne de l’antique. Puis elle leur donna la double accolade, durant que J. H., Siemans, Modeste Glaviot et Molaert venaient, à tour de rôle, féliciter les deux amants, que la Truphot avait promis l’un à l’autre avec non moins de dignité que son mari pouvait en avoir mis jadis à distribuer l’hyménée légal.
En ce moment, Justine, la bonne, dépêchée près du malade revint dire qu’il était très tranquille, apaisé désormais, les paupières closes et les doigts roulant les draps de son lit, d’un geste machinal et continuel.
Le dîner auquel Madame Laurent, qui préparait son départ, n’assista pas, fut morne bien qu’un peloton de bouteilles de crus notoires constituassent un abreuvoir stimulant. Siemans, seul, était à nouveau placé devant sa fiole de lait cacheté, car il ne buvait que du lait pour ne pas abîmer son teint ni la roseur de ses branchies. La veuve et Modeste Glaviot paraissaient maintenant accablés. Aussi, dans l’espoir d’écarter l’idée qui pourrait leur venir à l’un et à l’autre d’atténuer l’amertume de leurs pensées en s’appariant et en couchant ensemble, Jules H. déclencha une faconde inaccoutumée.

Il donna la réplique à la comtesse de Fourcamadan que ses dislocations passionnelles avaient mise en veine, à l’encontre de Sarigue, et qui citait des calembours de son mari,—la seule chose qu’elle regretterait de lui, affirmait-elle. Tous deux réhabilitaient le vaudeville que l’Odéon, du reste, venait de rénover. Mais ils tombèrent d’accord pour honnir le drame ibsénien. La comtesse énonça qu’elle n’avait jamais pu supporter la pièce de Bjornston, où «je vous le demande un peu, sept jeunes femmes viennent affirmer à la queue leu leu qu’elles ont perdu la foi» et le gendelettre lui donna raison. Il voua «le génie fuligineux du Nord» à la réprobation des artistes et des gens de goût. Puis tous deux, par ricochet, se mirent à esquinter Verlaine et à exalter Rostand et Alfred Capus, deux talents bien français au moins ceux-là, et qui avaient réalisé ce tour de force de conquérir le public, de lui nouer les entrailles d’une émotion de bon aloi, en répudiant la langue française et tout esprit inventif. Jules H., aussi, avait trouvé un solécisme dans Baudelaire et un autre dans Mallarmé. Glorioleux il les signala. L’auteur des Fleurs du mal avait écrit dans sa préface: «Quoi qu’il ne pousse ni grands gestes ni grands cris.» Mallarmé dans les Fenêtres parlait «d’azur bleu». Molaert fut, lui aussi, très verbeux. Il expliqua que le sort l’ayant uni à une femme sans culture, à un être fruste, à un « tas quasi informe de vile matière », qui ne comprenait point l’ascèse des pures intelligences vers les sublimités mystiques, il avait dû s’en séparer. La Providence, alors, l’avait fait entrer en conjonction avec Madame Gougnol, un noble esprit, qu’il avait ramené à Dieu, après lui avoir ouvert les yeux sur les splendeurs chrétiennes.

Tous les deux désormais voulaient vivre d’une existence liliale, dans la contemplation sereine des mystères catholiques, purifiant, rédimant leurs corps souillés, par la flamme ravageante et délicieuse que coulerait en leur être la continuelle lecture, la patiente méditation des textes inspirés. Certes, leurs corps étaient toujours peccables; ils n’étaient point arrivés à conquérir d’un coup l’abstraction des basses attirances, mais avant peu, ils n’auraient plus d’autre contact que les effusions purement spirituelles. Déjà, Madame Gougnol avait chassé la volupté des rapprochements sexuels: elle n’éprouvait plus d’autre joie que d’apaiser son ami encore tenaillé, lui, par l’esprit du mal et les affres de la concupiscence charnelle. Si l’un d’entre eux avait pu sortir ainsi du cycle scélérat où le Malin tient l’humanité prisonnière, c’était une preuve manifeste que Dieu veillait et leur avait conféré la Grâce. Sa guérison à lui n’était qu’une affaire de temps, et ils entreraient sûrement dans la gloire sereine des prédestinés. Ce ne serait plus alors que l’embrassement de deux esprits victorieux, le coït immarcescible des âmes.... Et il citait Ruysbroëke l’admirable, évoquait sainte Thérèse, Marie d’Agréda, saint Alphonse de Liguori, Angèle de Foligno. Mais, comme il finissait d’élucider son ichtyomorphie à l’aide de saint Thomas d’Aquin, la femme de chambre survint, terrifiée.

- Madame! madame! il est mort! cria-t-elle, effondrée tout à coup sur une chaise, dans une crise nerveuse, pendant que des pleurs convulsifs glougloutaient sur sa grosse face ridée. On courut voir. En effet, le pauvre diable de typhique était trépassé, et, maintenant, la bouche crispée, ses paupières ouvertes montrant la sclérotique jaunâtre des yeux révulsés, il s’agrippait aux draps qu’avait roulés en boudins, pendant une heure, son tic acharné de moribond.
Cela jeta un froid. Modeste Glaviot, Sarigue et la comtesse parlaient de s’en aller et complotaient même leur départ à l’anglaise, d’autant plus que l’endroit était contaminé et que le coli-bacille devait pérégriner bien à l’aise dans cette maison sans antisepsie. Cependant la Truphot fut à la hauteur des circonstances. Elle exigea qu’on la laissât seule après qu’on eût apporté deux bougies, le rameau de buis et le grand crucifix de sa chambre. Alors, elle tomba à genoux et pria longuement, puis quand elle se fut relevée, sanglotante et toute émérillonnée par les larmes, elle manda Siemans et lui enjoignit de courir à l’église, de s’adresser à l’abbé Pétrevent, son confesseur, de le prier de venir et de lui rapporter de l’eau bénite. Elle voulait que le défunt reçût le sacrement pour n’avoir rien à se reprocher. Car Dieu est une Entité très formaliste, il exige que les nouveau-nés, pour être rachetés, soient saupoudrés de sel et traités telle une entrecôte, et il n’accueille les morts, dans les dortoirs de l’au-delà, que si ces derniers ont été préalablement assaisonnés d’huile et accommodés ainsi qu’une escarole. Mais Siemans préféra charger Jules H. de la commission, dans la crainte de rencontrer la femme de Molaert qui avait déclaré « qu’elle saurait bien les retrouver », lorsqu’ils galopaient tous les deux.

Justement, comme le prosifère ouvrait la porte, une femme exagérément mamelue, coiffée d’un bonnet tuyauté auquel pendait un grand ruban outre-mer, en tablier blanc à poches que gonflait l’hypertrophie de deux énormes mouchoirs ayant dû servir dans la journée à torcher l’enfançon, surgit à l’improviste et irrupta dans la maison. Elle vociférait avec un fort accent belge.
- Où est-il ce sale maq.... cette ordure qui m’a jetée dehors pour se faire entretenir par une guenuche... Je veux l’étrangler... sayes-tu... Il fallut que la Truphot, dont la maigre natte grise s’était dénouée dans son émotion et coulait derrière son dos, à peine plus grosse qu’un lacet de soulier, lui expliquât qu’il y avait un mort dans la maison, lui promît de s’occuper d’elle et lui donnât vingt francs pour qu’elle consentît à s’expédier dans les lointains.
Toute la maisonnée finit par se réfugier dans le salon, après avoir décidé que les deux bonnes passeraient la nuit près du mort et le veilleraient à tour de rôle. La cuisinière devait leur préparer du café véhément; de plus une demi-bouteille de rhum Saint-James et un paquet de cigarettes leur seraient attribués, car les bonnes, chez Madame Truphot, qui n’était pas une bourgeoise selon qu’elle aimait à le déclarer souvent, avaient le loisir de fumer le pétun comme leur maîtresse après chacun de ses repas. Mais elles furent en partie exonérées de cette corvée. Au chevet du décédé elles trouvèrent Madame Laurent qui veillait silencieuse. Malgré tout son désir de quitter cette sentine, elle n’avait pas cru devoir se dérober devant cet hommage à la douleur humaine et à la majesté de la mort.

Le salon, qui attenait à la salle à manger et ouvrait aussi sur le jardin, était, comme toutes les autres pièces, meublé de vieilleries et de rogatons d’un bric-à-brac sans discernement. Des guéridons Louis XVI, pieds-bots et vermiculés, faisaient face à des consoles Louis Philippe, d’un acajou semé de dartres; des fauteuils pompadour en faux aubusson alignaient leurs marquises en casaquins, que les mouches et les mites avaient variolées; un canapé hargneux s’embossait dans un angle pour mieux travailler la croupe du visiteur de ses pointes sournoises dissimulées sous une soie enduite de tous les sédiments humains. Une vieille tapisserie, acquise pour cinq louis à l’Hôtel des Ventes, devant laquelle, sans doute, des générations et des générations de hobereaux et de bourgeois avaient flatulé et mis à jour, à la fin des repas, toute l’imbécillité congénitale dont ils étaient détenteurs, pendait lamentable, et évacuait sa scène flamande, par la multitude polychrome de ses ficelles désagrégées. Puis c’était un invraisemblable fouillis d’abat-jour en dentelles huileuses, de lampes dignes de la préhistoire, un chaos de terres cuites atteintes de maladies de peau, dont la plastique avait succombé dans les successifs déménagements, qui se poussaient partout, haut-dressées sur des selles. Et derrière tout cela, les chiens de Madame Truphot, Moka, Sapho, Spot et Nénette, qui couchaient dans la pièce, circulaient hypocritement, flairant le pied des meubles et levant la patte sur les étoffes suppurentes et dans les coins d’ombre propice.

A suivre : Les Esprits, le mari...
Villégiature à Suresnes... -3-
- Hein! mon petit, dit-elle, remise, en désignant du pouce ramené en arrière la chambre de l’adultère et de l’index tendu la pièce où se débattait le moribond, ici la Vie; là-bas, la Mort! l’éternelle antithèse! et chez moi, dans la même minute... Est-ce assez décadence et XVIIIe siècle?... On ne dira plus maintenant que je ne suis pas une artiste, bien que je ne sois plus de l’école romane et que j’aie répudié l’allure inspirée apte à vous faire sacrer telle par les imbéciles...
Alors entraînant la veuve dans le jardin où l’effort désespéré de quelques lilas atteints d’étysie avait abouti à de maigres thyrses dont les folioles, flétries et dispersées par la brise tiède, tachaient la terre d’un rose évanescent, sous un petit tilleul ceinturé d’une frange sanglante de géraniums, Jules H., rechaussé, se mit en devoir de lui placer son boniment. La tête penchée, en une pose d’amoureux élégiaque, il flûta la chose d’une voix attendrie...

—Ah! si sa chère Amélie voulait! Comme on serait heureux... pas plus tard, non, tout de suite... Quelle place on se taillerait à deux dans la littérature! Déjà... elle pouvait se faire connaître dans la Revue héliothrope... La signature Camille de Louveciennes deviendrait avec un peu d’effort... une signature bientôt prépondérante parmi celles de son sexe qui ont conquis leur public... Et puis son livre, Eros et Azraël, qu’ils allaient écrire à deux, quel triomphal succès, on en pouvait escompter déjà sans trop d’optimisme. Lui y mettrait son sentiment du paganisme, sa passion, sa fougue, l’humour qui le spécialisaient au Napolitain; elle sa conception originale de la vie, son alacrité souveraine et sa facilité d’émotion...

Ils allaient perpétrer un chef-d’œuvre, certainement, le chef-d’œuvre attendu des foules lasses enfin d’apaiser leur fringale dans le restaurant à vingt-deux sous de l’esthétique contemporaine... La Truphot l’avait pris au cou, nouant autour de son faux-col, dans un bel élan d’enthousiasme, ses deux vieilles mains parcheminées que boursouflaient les ficelles violâtres de ses veines engorgées...
—Ah! merci, Jules, je n’attendais pas moins de votre noble cœur... On a plaisir à vous aimer... Vous êtes reconnaissant au moins... Oui... Oui... C’est entendu, mais allons faire de grandes choses... Si je pouvais être Desbordes-Valmore ou qui sait? une George Sand tardive, toi alors peut-être serais-tu Musset à ton tour, dis? On a vu des choses plus inattendues, et entre nous il n’y aurait point de Pagello, va... Et elle se mit à l’embrasser à pleine bouche en des baisers qui rendaient un bruit d’ossements, mais dont l’horreur n’arriva point cependant à tempérer le délire intime de J. H., en lequel une voix profonde clamait intérieurement: tu touches à la Fortune, ô favori des dieux!

Cependant Mme Truphot semblait ne pouvoir encore tenir en place. Elle rajustait à grand renfort de tapes et de tractions sa jupe et son corsage, à l’ordinaire pleins d’hostilité et de mésestime l’un pour l’autre, qui ne pouvaient consentir à la stabilité, et dont la course à travers les escaliers avait encore outrecuidé la répulsion chronique qu’ils éprouvaient à se conjoindre. Et voilà qu’à nouveau elle tirait Jules H. derrière elle, en le tenant par le bout des doigts.—Venez... j’ai quelque chose encore à vous montrer...
Parvenus ainsi à l’extrémité de l’allée principale qui ondoyait, bordée par des tentatives de végétation avortée, ourlée de maigres et impubères arbustes, tordus et recroquevillés, n’ayant pas cru devoir mieux faire, évidemment, que de copier la convexité dorsale de leur habituel éducateur, le père Saça, le prosifère et la veuve débouchèrent à quelques mètres d’une tonnelle faite d’un lattis de bois peint en vert, adossée elle-même à une tente de toile bise. Et de cette tonnelle, une envolée de rire frais et moqueur montait, emperlant le silence de ce jardin râpé d’une ondée de notes cristallines...
- Savez-vous ce qui se passe là? disait la veuve. Eh bien, Modeste Glaviot est en train de réussir ce que vous avez raté tout simplement... petit maladroit... Ce soir Madame Laurent sera sa maîtresse... J’ai déjà préparé leur chambre à côté de celle de Sarigue... Hein? les nuits de Suresnes, quand nous écrirons cela dans mes mémoires!
Sans doute, les choses ne devaient pas aller aussi facilement que le pensait Mme Truphot car, tout à coup, des intonations cassantes, remplaçant les rires, parvinrent jusqu’à elle et à son actuel gigolo.
Dans la tente de toile où ils s’étaient glissés à pas feutrés, le couple savoura nettement ce tronçon de dialogue.

Modeste Glaviot grasseyait de sa voix molle et Madame Laurent lui donnait la réplique.
- Je vous assure que je suis un amant très discret, chère madame. Je n’ai jamais aimé que vous! Avec moi ce serait la sécurité parfaite. Lorsqu’on a le bonheur d’être remarqué par une femme du monde, la discrétion, n’est-ce pas? devient une règle morale. Quand bien même, sachez-le, toute la littérature affirmerait que vous êtes ma maîtresse; par la plume, par la parole et par les actes, je mettrai la littérature à la raison. J’irai même plus loin, quand bien même vous crieriez partout que je suis votre amant, je vous démentirai sans trève ni repos...
Et l’on entendit son poing qui heurtait le bois de la charmille en un geste de matassin.
Un rire arpégé s’éleva.
—Eh bien! c’est entendu. Dès que ma nature pervertie m’enjoindra de goûter à un nègre, vous pouvez être assuré que je vous choisirai la veille, pour que la transition ne soit pas trop brusque...
La Truphot et J. H. virent alors Madame Laurent sortir, le torse redressé, son érugineuse chevelure flambant dans un rais de soleil comme une coulée d’or roux, la pointe de l’ombrelle dardée en une défense répulsive vers Modeste Glaviot, contre la poitrine de l’histrion pâle de colère qui renonça cependant à la poursuivre..

Une heure durant le pître avait mis en œuvre toute sa politique et toute sa stratégie pour circonvenir la femme de l’auteur dramatique. Il avait peint son amour avec les meilleurs vers de son répertoire, allant même jusqu’à lui décerner, debout devant elle, deux ou trois de ses plus déterminants Merdiloques. Il lui avait fait entrevoir que son mari était fini, et que, jolie comme elle l’était, il ne lui fallait pas s’attarder davantage avec un homme dont l’art était inacceptable. Madame Laurent l’avait laissé s’exténuer dans son discours, paraissant même l’encourager par des silences ou des rires qu’il avait escomptés favorablement; puis, selon qu’elle en avait coutume avec tous les crétins qui l’assaillaient, elle l’avait finalement exécuté sans retour possible. Maintenant, l’ombrelle rouge sur l’épaule, elle rejoignait la maison d’une allure lente et placide.
La Truphot rageait à froid. Jules H., réhabilité par l’échec de l’autre, se pavanait dans un sourire béat. Hé, hé! il n’y avait pas que lui qui ratait Madame Laurent. Mais comment diable, était elle venue, seule, à Suresnes?

Ce que le gendelettre ignorait, c’était la machination de Mme Truphot pour obtenir ce résultat. Elle avait joué gros jeu, très gros jeu, dans la certitude que Modeste Glaviot l’emporterait sans difficulté. Laurent s’étant trouvé dans la nécessité d’aller passer deux jours à Bruxelles pour diriger la mise à la scène d’une de ses pièces, la Truphot, au courant de la chose, avait fait expédier de cette ville à sa femme une dépêche fausse—signée de lui Laurent—et lui conseillant de se rendre à Suresnes où elle était invitée et d’y attendre son retour. Le truc devait bien se dévoiler tout seul, plus tard, mais cela n’aurait plus la moindre importance puisque Madame Laurent serait alors la maîtresse de Glaviot et que le mari, à la rigueur, ne pouvait rien contre elle. Certainement il crierait, mais il lui serait impossible de se venger d’une façon efficace. Adresser une plainte au Parquet pour faux? c’était faire éclater son cocuage et ce n’était du reste pas dans les mœurs de l’auteur dramatique de se plaindre à la police. Même s’il s’avisait de conter la chose dans Paris, on ne le croirait pas. Pourquoi la Truphot lui aurait-elle joué des tours aussi noirs puisqu’elle n’y avait en somme aucun intérêt visible, aucun mobile discernable? Donc si quelques petits ennuis étaient présumables, ils ne balanceraient pas sa joie d’avoir enfin détruit la quiétude de Laurent et d’avoir ourdi un collage de plus. Et puis n’était-elle pas belle joueuse? Si la chose avait été exempte de tout aléa elle n’aurait point éprouvé, en s’y risquant, la forte émotion de celui qui s’en remet à la chance du soin de décider.
Installé maintenant dans un rocking d’osier, les jambes étendues, Jules H. tirait de larges bouffées d’un cigare bagué de rouge prélevé dans la provision de Mme Truphot et il promenait sur la villa, le jardin, et tout ce qui l’entourait le sourire protecteur du Monsieur qui en sera bientôt le propriétaire légitime. On devait dîner dans la salle à manger ouvrant de plain-pied avec ses trois baies sur la petite cour, d’où l’on découvrait le bois de Boulogne, les cubes blanchâtres, le hérissement de la masse imprécise de Paris. Le jour agonisait, les frondaisons du bois, la masse des taillis qui dentelaient l’horizon par delà la Seine, se violaçaient, enlevés en crudités sombres par le ciel frotté de cendre rose, des nuages mauves s’étiraient, indolents et paresseux, ouatant l’ithyphallique tour Eiffel d’écharpes couleur d’améthyste, et le soleil sombrait en une hémorragie d’or et de rubis, pendant que la ferveur sereine du soir conquérait lentement les êtres et les choses. Par la fenêtre de la chambre du typhique des bouffées de paroles arrivaient.

A suivre … : La mort, les Esprits, et le mari ...