humour
Villégiature à Suresnes... -3-
- Hein! mon petit, dit-elle, remise, en désignant du pouce ramené en arrière la chambre de l’adultère et de l’index tendu la pièce où se débattait le moribond, ici la Vie; là-bas, la Mort! l’éternelle antithèse! et chez moi, dans la même minute... Est-ce assez décadence et XVIIIe siècle?... On ne dira plus maintenant que je ne suis pas une artiste, bien que je ne sois plus de l’école romane et que j’aie répudié l’allure inspirée apte à vous faire sacrer telle par les imbéciles...
Alors entraînant la veuve dans le jardin où l’effort désespéré de quelques lilas atteints d’étysie avait abouti à de maigres thyrses dont les folioles, flétries et dispersées par la brise tiède, tachaient la terre d’un rose évanescent, sous un petit tilleul ceinturé d’une frange sanglante de géraniums, Jules H., rechaussé, se mit en devoir de lui placer son boniment. La tête penchée, en une pose d’amoureux élégiaque, il flûta la chose d’une voix attendrie...

—Ah! si sa chère Amélie voulait! Comme on serait heureux... pas plus tard, non, tout de suite... Quelle place on se taillerait à deux dans la littérature! Déjà... elle pouvait se faire connaître dans la Revue héliothrope... La signature Camille de Louveciennes deviendrait avec un peu d’effort... une signature bientôt prépondérante parmi celles de son sexe qui ont conquis leur public... Et puis son livre, Eros et Azraël, qu’ils allaient écrire à deux, quel triomphal succès, on en pouvait escompter déjà sans trop d’optimisme. Lui y mettrait son sentiment du paganisme, sa passion, sa fougue, l’humour qui le spécialisaient au Napolitain; elle sa conception originale de la vie, son alacrité souveraine et sa facilité d’émotion...

Ils allaient perpétrer un chef-d’œuvre, certainement, le chef-d’œuvre attendu des foules lasses enfin d’apaiser leur fringale dans le restaurant à vingt-deux sous de l’esthétique contemporaine... La Truphot l’avait pris au cou, nouant autour de son faux-col, dans un bel élan d’enthousiasme, ses deux vieilles mains parcheminées que boursouflaient les ficelles violâtres de ses veines engorgées...
—Ah! merci, Jules, je n’attendais pas moins de votre noble cœur... On a plaisir à vous aimer... Vous êtes reconnaissant au moins... Oui... Oui... C’est entendu, mais allons faire de grandes choses... Si je pouvais être Desbordes-Valmore ou qui sait? une George Sand tardive, toi alors peut-être serais-tu Musset à ton tour, dis? On a vu des choses plus inattendues, et entre nous il n’y aurait point de Pagello, va... Et elle se mit à l’embrasser à pleine bouche en des baisers qui rendaient un bruit d’ossements, mais dont l’horreur n’arriva point cependant à tempérer le délire intime de J. H., en lequel une voix profonde clamait intérieurement: tu touches à la Fortune, ô favori des dieux!

Cependant Mme Truphot semblait ne pouvoir encore tenir en place. Elle rajustait à grand renfort de tapes et de tractions sa jupe et son corsage, à l’ordinaire pleins d’hostilité et de mésestime l’un pour l’autre, qui ne pouvaient consentir à la stabilité, et dont la course à travers les escaliers avait encore outrecuidé la répulsion chronique qu’ils éprouvaient à se conjoindre. Et voilà qu’à nouveau elle tirait Jules H. derrière elle, en le tenant par le bout des doigts.—Venez... j’ai quelque chose encore à vous montrer...
Parvenus ainsi à l’extrémité de l’allée principale qui ondoyait, bordée par des tentatives de végétation avortée, ourlée de maigres et impubères arbustes, tordus et recroquevillés, n’ayant pas cru devoir mieux faire, évidemment, que de copier la convexité dorsale de leur habituel éducateur, le père Saça, le prosifère et la veuve débouchèrent à quelques mètres d’une tonnelle faite d’un lattis de bois peint en vert, adossée elle-même à une tente de toile bise. Et de cette tonnelle, une envolée de rire frais et moqueur montait, emperlant le silence de ce jardin râpé d’une ondée de notes cristallines...
- Savez-vous ce qui se passe là? disait la veuve. Eh bien, Modeste Glaviot est en train de réussir ce que vous avez raté tout simplement... petit maladroit... Ce soir Madame Laurent sera sa maîtresse... J’ai déjà préparé leur chambre à côté de celle de Sarigue... Hein? les nuits de Suresnes, quand nous écrirons cela dans mes mémoires!
Sans doute, les choses ne devaient pas aller aussi facilement que le pensait Mme Truphot car, tout à coup, des intonations cassantes, remplaçant les rires, parvinrent jusqu’à elle et à son actuel gigolo.
Dans la tente de toile où ils s’étaient glissés à pas feutrés, le couple savoura nettement ce tronçon de dialogue.

Modeste Glaviot grasseyait de sa voix molle et Madame Laurent lui donnait la réplique.
- Je vous assure que je suis un amant très discret, chère madame. Je n’ai jamais aimé que vous! Avec moi ce serait la sécurité parfaite. Lorsqu’on a le bonheur d’être remarqué par une femme du monde, la discrétion, n’est-ce pas? devient une règle morale. Quand bien même, sachez-le, toute la littérature affirmerait que vous êtes ma maîtresse; par la plume, par la parole et par les actes, je mettrai la littérature à la raison. J’irai même plus loin, quand bien même vous crieriez partout que je suis votre amant, je vous démentirai sans trève ni repos...
Et l’on entendit son poing qui heurtait le bois de la charmille en un geste de matassin.
Un rire arpégé s’éleva.
—Eh bien! c’est entendu. Dès que ma nature pervertie m’enjoindra de goûter à un nègre, vous pouvez être assuré que je vous choisirai la veille, pour que la transition ne soit pas trop brusque...
La Truphot et J. H. virent alors Madame Laurent sortir, le torse redressé, son érugineuse chevelure flambant dans un rais de soleil comme une coulée d’or roux, la pointe de l’ombrelle dardée en une défense répulsive vers Modeste Glaviot, contre la poitrine de l’histrion pâle de colère qui renonça cependant à la poursuivre..

Une heure durant le pître avait mis en œuvre toute sa politique et toute sa stratégie pour circonvenir la femme de l’auteur dramatique. Il avait peint son amour avec les meilleurs vers de son répertoire, allant même jusqu’à lui décerner, debout devant elle, deux ou trois de ses plus déterminants Merdiloques. Il lui avait fait entrevoir que son mari était fini, et que, jolie comme elle l’était, il ne lui fallait pas s’attarder davantage avec un homme dont l’art était inacceptable. Madame Laurent l’avait laissé s’exténuer dans son discours, paraissant même l’encourager par des silences ou des rires qu’il avait escomptés favorablement; puis, selon qu’elle en avait coutume avec tous les crétins qui l’assaillaient, elle l’avait finalement exécuté sans retour possible. Maintenant, l’ombrelle rouge sur l’épaule, elle rejoignait la maison d’une allure lente et placide.
La Truphot rageait à froid. Jules H., réhabilité par l’échec de l’autre, se pavanait dans un sourire béat. Hé, hé! il n’y avait pas que lui qui ratait Madame Laurent. Mais comment diable, était elle venue, seule, à Suresnes?

Ce que le gendelettre ignorait, c’était la machination de Mme Truphot pour obtenir ce résultat. Elle avait joué gros jeu, très gros jeu, dans la certitude que Modeste Glaviot l’emporterait sans difficulté. Laurent s’étant trouvé dans la nécessité d’aller passer deux jours à Bruxelles pour diriger la mise à la scène d’une de ses pièces, la Truphot, au courant de la chose, avait fait expédier de cette ville à sa femme une dépêche fausse—signée de lui Laurent—et lui conseillant de se rendre à Suresnes où elle était invitée et d’y attendre son retour. Le truc devait bien se dévoiler tout seul, plus tard, mais cela n’aurait plus la moindre importance puisque Madame Laurent serait alors la maîtresse de Glaviot et que le mari, à la rigueur, ne pouvait rien contre elle. Certainement il crierait, mais il lui serait impossible de se venger d’une façon efficace. Adresser une plainte au Parquet pour faux? c’était faire éclater son cocuage et ce n’était du reste pas dans les mœurs de l’auteur dramatique de se plaindre à la police. Même s’il s’avisait de conter la chose dans Paris, on ne le croirait pas. Pourquoi la Truphot lui aurait-elle joué des tours aussi noirs puisqu’elle n’y avait en somme aucun intérêt visible, aucun mobile discernable? Donc si quelques petits ennuis étaient présumables, ils ne balanceraient pas sa joie d’avoir enfin détruit la quiétude de Laurent et d’avoir ourdi un collage de plus. Et puis n’était-elle pas belle joueuse? Si la chose avait été exempte de tout aléa elle n’aurait point éprouvé, en s’y risquant, la forte émotion de celui qui s’en remet à la chance du soin de décider.
Installé maintenant dans un rocking d’osier, les jambes étendues, Jules H. tirait de larges bouffées d’un cigare bagué de rouge prélevé dans la provision de Mme Truphot et il promenait sur la villa, le jardin, et tout ce qui l’entourait le sourire protecteur du Monsieur qui en sera bientôt le propriétaire légitime. On devait dîner dans la salle à manger ouvrant de plain-pied avec ses trois baies sur la petite cour, d’où l’on découvrait le bois de Boulogne, les cubes blanchâtres, le hérissement de la masse imprécise de Paris. Le jour agonisait, les frondaisons du bois, la masse des taillis qui dentelaient l’horizon par delà la Seine, se violaçaient, enlevés en crudités sombres par le ciel frotté de cendre rose, des nuages mauves s’étiraient, indolents et paresseux, ouatant l’ithyphallique tour Eiffel d’écharpes couleur d’améthyste, et le soleil sombrait en une hémorragie d’or et de rubis, pendant que la ferveur sereine du soir conquérait lentement les êtres et les choses. Par la fenêtre de la chambre du typhique des bouffées de paroles arrivaient.

A suivre … : La mort, les Esprits, et le mari ...
Villégiature à Suresnes... -2-
Le dimanche, les Parisiens viennent comme des touristes à Suresnes.

La gare de Suresnes-Longchamp est située sur le territoire de la commune de Suresnes, à proximité de l'hippodrome de Longchamp, elle est inaugurée avec la ligne le 1er mai 1889; en plus des trains réguliers, elle accueille de nombreux trains facultatifs les jours de fête et de courses à l'hippodrome de Longchamp, situé sur l'autre rive de la Seine, d'où son nom. Beaucoup de Parisiens l'emploient aussi pour se rendre aux guinguettes, qui bordent à l'époque les quais de Seine de Suresnes

* Suite du récit : Extraits …
Trois jours après, Jules H. trouva dans son maigre courrier une lettre de ''la Truphot'' le conviant à venir dîner à Suresnes, dans la villa où elle passait une partie du printemps et qu’elle avait rejointe depuis l’avant-veille. Venu par la gare du haut.... (…)
Il se trouva soudain prisonnier d’un extraordinaire écheveau de ruelles tortueuses et puantes qui dispersaient une pestilence de souterrain mal famé, venelles serpentines bordées de maisons dont les murailles découragées (…)

D’invraisemblables négoces s’abritaient en ces endroits. En nombre incalculable, des marchands de vin, aux vitres boueuses, au sol de terre battue constellé de crachats, dispensaient les litharges, les furfurols et les trois-six aussi redoutables que le venin du trigonocéphale ou les prussiates sans appel. (…) Des pâtisseries sanieuses élaboraient des tartes aux mouches, des flans à la stéarine, des chaussons aux pommes fourrés d’une gélatine couleur de beurre d’oreille, des éclairs au cambouis et des babas spongieux dont les gamins rôdeurs, aux morves verdâtres, arrêtés un instant devant la boutique, suçaient le simili-rhum, insidieusement. Plus loin, des charcuteries s’ouvraient en contre-bas de la chaussée, Des triperies défilaient avec toute leur affreuse boyauderie appendue aux crocs de fer de l’étal (…)

Des papeteries venaient ensuite rayonnant sur le dehors, par la porte entr’ouverte, la tiédeur ammoniacale de l’urine de chat, et dans lesquelles de vieilles dames en bigoudis et en lunettes régnaient sur des parallélipipèdes de pains à cacheter, des feuilles de soldats coloriés ou sur les volumes visqueux des œuvres de Dumas père, tout en sortant de-ci, de-là, sur la devanture, pour fixer à nouveau, sous l’épingle de bois, le dernier numéro du Petit Scélérat illustré ou de la Lune du dimanche représentant, pour l’éducation artistique des masses, «Tolstoï excommunié par le Saint-Synode» ou bien «le Roi de Portugal au tir aux pigeons»: (…) Deux ou trois marchands de frites maniaient la boîte à sel au-dessus de leur cuvette de fer blanc, où chantait une graisse évidemment prélevée—à en juger par sa mofette—sur les laissés-pour-compte d’équarrisseurs. (…)

La sortie des courses de Longchamps commençait et Jules H., dans la rue principale, tenaillé par l’envie de s’offrir l’apéritif avant les agapes de la Truphot, stationna amusé de cette foule suscitée comme par miracle. Le pont était noir, le bois par toutes ses allées vomissait des multitudes en marche; les ombrelles claires, les toilettes polychromes des femmes, les dos sombres des hommes roulaient sous la poussière dense, les cris d’appel, la galopade des voitures déferlant comme une déroute, les cornes beuglantes des autos laissant derrière eux un sillage empesté. Et subitement les trois cents mètres de chaises des limonadiers voisins du pont furent emportés d’assaut parmi un hourvari prolongé. Chaque dimanche d’été et même souvent le jeudi, la petite localité suburbaine voyait ainsi la foule agitée des parieurs s’abattre, lasse d’émotions, à la terrasse de ses cafés. (…)

Parmi les élégances des filles de music-hall et des bookmakers endiamantés qui, dédaigneux des viles promiscuités, se hâtaient vers la gare voisine, passaient des spirales continues de bicyclistes échauffés, venus de Versailles ou du bois. Ceux-ci ne s’arrêtaient un moment devant la stimulante absinthe que pour transsuder à l’aise sous le maillot et exhiber, en des dialogues semés de mots techniques, le paupérisme de leur entendement. Et des terrasses dont les cafés obstruaient la rue jusqu’à la chaussée, montait une rumeur sourde coupée de strideurs et de vociférations, car des gens discutaient avec passion, en brandissant des journaux de couleur, sur l’issue du prochain handicap, ou sur le brio d’un jockey célèbre qui n’avait pas son pareil pour rafler, chaque réunion, à la pelouse par un beau coup, deux ou trois mille louis de ses paris. (…)
Des tramways vacarmeux passaient saturés de voyageurs agglutinés les uns aux autres, durant que le flot des turfistes attardés dégorgés par le bois coulait impitoyablement. (…)
Et dans le calme du bois proche et de la Seine endormie, que pointillaient d’or, de chrome ou de vert, les lucioles des bateaux amarrés, jusqu’au dernier train, les vociférations des poivrots, les chansons ordurières, les appels aigus des femmes, les paquets de clameurs des «sociétés» qui en étaient venues aux mains, perforaient le silence impuissant à triompher. (…)

L’antique Suresnes du bord de l’eau, frais et feuillu, au dire des vieux conteurs, n’existait plus. (…) Sur les hanches de la colline, s’érigeaient maintenant, à l’exclusion de tout accessoire bucolique, de nombreuses propriétés (…) Il y avait là des maisons normandes, des terrasses à l’italienne, des isbas russes et des castels gothiques, (…)

Dans la villa de Truphot dont le père Saça, le jardinier, un vieil homme courbé qui marchait ployé en deux pour avoir, sans doute, pendant quarante ans, biné des salades et repiqué du céleris, vint lui ouvrir la porte, le gendelettre fut étonné de l’inaccoutumé silence. A l’ordinaire, la maison d’été de Mme Truphot s’emplissait continuellement d’un bruit de vie surexcité car il lui fallait toujours deux ou trois couples, de préférence hilares, énamourés et jacasseurs.
—Chez moi, disait-elle, on décamérone et l’on ne s’ennuie jamais.

Cette fois, tout semblait dormir; nul bruit ne s’élevait de l’intérieur et le prosifère eut un instant de crainte à l’idée que la Truphot pouvait ne pas l’avoir attendu. Lui, qui apportait à la veuve l’offre d’une collaboration à la Revue Héliotrope où elle ferait la critique d’art, les Salons et les Expositions! Même, il lui avait trouvé un joli pseudonyme littéraire; elle épaulerait ses articles de cette charmante signature: Camille de Louveciennes. (…)

Après avoir longé l’étroite courette resserrée entre la façade de la villa et le petit pavillon délabré servant de logement au concierge jardinier, courette qui aboutissait à un jardin en contre-bas de plusieurs mètres, Jules H. se désespérait.—Ça y est, se disait-il, la Truphot a filé sur Paris..
Enfin il poussa une porte ouvrant de plain-pied sur le pavé capricieux et moussu de la petite cour, et il se trouva nez à nez avec la veuve..
- Ah! le malheureux! le malheureux! il a ses bottines, clama-t-elle, à sa vue, les bras dressés, et ses mèches grises encore plus envolées qu’à l’ordinaire devant le saugrenu que présentait, pour elle, l’équipage de J. H. en ce moment. Celui-ci, en désarroi, considérait ses pieds, ses escarpins à 12,50; même, il n’était pas loin de leur concéder un air avantageux.—Mais oui, Amélie, répondait-il d’un air tendre, mes bottines... qu’est-ce qu’elles ont donc?... La Truphot, appelait la bonne.
- Justine, vite, déchaussez-le; ah! le pauvre, c’est vrai, il ne sait pas!... Et elle poussa le gendelettre sur une chaise pendant que la femme de chambre s’acharnait après les boutons. Atterré, Jules H. se laissait faire, non sans mauvaise grâce car il n’était pas très sûr de l’impeccabilité de ses chaussettes. Dieu fasse qu’un orteil indiscipliné et malicieux ne se soit pas avisé de tenter une randonnée au travers d’une des nombreuses reprises conditionnées par sa mère en ses heures de loisir.
- C’est sûrement une épreuve, pensait-il,... les vieilles femmes ont souvent de ces idées baroques.. celle-ci avant de m’épouser veut m’évaluer à sa manière... Mais déjà la Truphot l’entraînait, le tirant par le bras au travers de l’escalier.

- Surtout, pas de bruit, mon petit, disait-elle, montez le plus doucement possible... le moindre craquement ferait tout rater... Et elle poussa à demi une porte feutrée d’une épaisse tenture...
Dans la pénombre de la pièce aux rideaux tirés, donnant sur le jardin, Jules H. aperçut un lit défait dont les draps en désordre tordus comme des linges mouillés, traînaient sur le tapis, et, dans ce lit, rougeoyait, congestionnée, la face barbue de brun d’un homme d’une trentaine d’années, aux joues caves, aux yeux cerclés d’un croissant violet, qui paraissait délirer en une fièvre violente car il agitait les bras convulsivement et proférait des phrases sans suite.
- Ah! la sacrée chauve-souris, hurlait-il... la v’là qui vient sur moi..., pan... (…)
Il reprit haleine et se précipita sur la Truphot et Jules H. totalement médusé qu’il venait d’apercevoir:—Aidez-moi, cria-t-il, il faut placer son lit dans l’axe magnétique de la terre ou sans cela, il va se dissocier dans le Devenir... Ce qui voulait dire, sans doute, que, sans cette précaution, le malheureux allait trépasser... Maintenant la veuve et son compagnon s’arc-boutaient à la couche ravagée...
—Pas comme cela, reprenait l’homme... l’axe magnétique de la terre est dans la direction Nord-Sud... Comment, êtres inconsistants et sans fluidité, n’avez-vous pas encore reçu ce primordial Savoir?... Et il les chassa tous deux avec des gestes exorcisateurs pendant que, tout seul, il s’agrippait aux matelas sur lesquels le fiévreux continuait à trépider et à panteler sans arrêt...
Dans le corridor, Jules H. était vert; il fallut que la Truphot le menât dans la salle à manger et lui fit avaler coup sur coup deux verres de raspail pour qu’il reconquît la salive et l’usage de ses cinq sens. Alors, elle expliqua: le pauvre diable qu’il avait vu dans le lit était un sculpteur, un ancien ami du temps de M. Truphot, perdu de vue depuis cinq années environ. Le vendredi de la précédente semaine, il y avait par conséquent neuf jours, un fiacre était venu le déposer à sa porte, grelottant déjà la fièvre. Un camarade qui l’accompagnait l’avait informée que, se sentant malade et désargenté, le manieur de glaise avait demandé à être conduit chez elle, sachant combien elle était bonne et assuré d’avance qu’elle ne le laisserait point aller à l’hôpital. (…)

- Venez encore que je vous montre quelque chose. Avec moi, il faut toujours s’attendre à l’imprévu.. Vous n’avez pas froid, n’est-ce pas? Vous pouvez marcher encore un peu sur vos chaussettes?
Et, le faisant grimper devant elle jusqu’au second étage, elle s’engagea dans un étroit couloir de service; puis posant le doigt sur les lèvres pour lui recommander le silence, elle écarta une tapisserie masquant à l’intérieur une porte dérobée, tout en collant sa main à plat sur la bouche de J. H. pour étouffer d’avance un probable cri d’étonnement.
Dans la chambre meublée de pichtpin et tendue de cretonne rose, dans le lit de milieu, ce n’était plus un moribond qui s’agitait dans les bonds d’agonie. Non, cette fois, c’était un couple, sans doute apaisé par les préalables conflagrations épidermiques, qui dormait placidement enlacé. Jules H. roulait de stupéfaction en stupéfaction. Un moment, il eut l’envie de mettre cette hallucination—car ce ne pouvait être qu’un phantasme—sur le compte du raspail.
Etait-ce possible?
- Parfaitement, répondit d’un plissement du front la Truphot interrogée d’un cillement d’œil. Oui, il ne se trompait pas. La comtesse de Fourcamadan dormait avec Sarigue, car le fils des croisés ayant eu l’imprudence d’amener ce dernier dîner deux fois chez lui, la comtesse, à la vue d’un amant si fatal, s’était mise à fermenter à un tel point qu’il avait fallu l’écumer au couteau de chaleur comme une pouliche de sang.
Et, connaissant que rien n’était plus agréable à la veuve que ces sortes d’aventures, les deux amants étaient venus requérir l’hospitalité pendant un déplacement de l’époux. Présentement, la femme du patricien se vautrait couchée en travers de la poitrine osseuse de Sarigue. Replète et courtaude, sa tête aux cheveux parcimonieux, aux petits yeux en virgule tapis dans un emmêlement de frisettes en chèvre de Mongolie, exprimait, dans le sommeil, tout l’infini des béatitudes. Ses joues de pâleur maladive, en paraffine scrofuleuse, étaient ocellées de taches rouges, de petites plaques d’herpès que l’excès du plaisir avait poussées au cramoisi véhément. (…)

A suivre …. : Adultère... Mme Laurent ?
Villégiature à Suresnes... -1/5-
En cinq articles, je vous propose une ''récréation estivale'', avec ce récit extravagant, drôle, et typique - dans un milieu d'écrivains qui n'ont pas froid au yeux - d'une ''Belle Epoque'' plus vraie que nature ...

Ce texte qui suit, est l'un des extraits recopiés par Anne-Laure de Sallembier, qui proviendrait d'un manuscrit ou d'anecdotes qui lui auraient été rapportées... Des ''gens de lettres '' pourraient se reconnaître … dit-elle : aussi, les noms, ont été modifiés, pour n'offenser personne....
Pour faciliter la lecture de ces extraits, je présente quelques uns des protagonistes de ce récit '' à clés '', puisqu’ils font allusions à des personnalités connues ...

- Madame Truphot, ( qualifiée par le narrateur de '' la Truphot'' ou même de ''vieille femme''; son amant - Siemans - étant bien plus jeune qu'elle... ; à l'inverse du couple Laurent )... Le gros Siemans, est un Belge à la face poupine, qui rêve d'épouser '' la vieille'' … « Il avait gagné sa fortune à écrire des partitions avec son beau-frère, le compositeur—car sa sœur avait épousé un vague maëstro roumain qui pastichait Wagner et intriguait pour accéder à l’Opéra-Comique. »
- Marie-Louise Laurent, ou Madame Laurent, nommée ici parfois ''la femme de l'auteur dramatique''...
- Jules H. ou ''gendelettre'' : il « avait débuté dans les lettres par un livre qu’il avait intitulé: Drames dans la Pénombre. Sa prose chassieuse et la molle pétarade de ses métaphores ataxiques y faisaient sommation à la Vie, aux Êtres, aux Choses, à l’Univers lui-même, de livrer, sur l’heure, l’atroce mystère de leur Absolu, non moins que l’incognescible de leurs Futurs et de leurs Au-delà. Il est inutile d’ajouter que tout ce qui vient d’être énuméré n’avait rien révélé du tout, hormis la seule inanité de l’auteur. »

Jules H. écrivain ''en peine'', est un habitué du cénacle de Madame Truphot, rue de Fleurus, qui, « deux fois par semaine, traitait des peintres, des orateurs, des gens de lettres et toutes sortes d’autres phénomènes. Peut-être de ce côté-là, y avait-il quelque chose à espérer. L’événement imprévu, la circonstance fortuite qui le tirerait d’affaire pouvait se produire dans ce milieu. Cependant il ne spéculait sur rien de précis, n’arrivait pas à fixer ni même à formuler son espoir. Enfin, il se tiendrait aux aguets de la moindre conjoncture. On verrait bien. Et il se représentait la femme, repassait son curriculum. »
Jules « était décidé; il coucherait avec la Truphot au premier soir. Ah! certes, ce n’était pas par débordement libidineux qu’il consentait à la chose; on ne pouvait pas espérer de la veuve des nuits dignes de l’antique Babylone, mais enfin, cela serait toujours plus rémunérateur que la littérature. Ainsi, il gagnerait loyalement la pension qu’elle lui avait fait entrevoir et qu’il ne pouvait plus espérer, puisqu’il avait raté Madame Laurent. D’ailleurs, s’il parvenait à supplanter Siemans, sa situation serait assise pour toujours, car il irait jusqu’à épouser la veuve s’il le fallait. »
- Le Comte de Fourcamadan, « comte indiscutable à son dire et irréfragablement apparenté, nous devons le croire, aux plus augustes familles et même à un duc de l’Académie, qui trouvait le moyen de notifier à la société son lustre indéniable d’ancien lieutenant de vaisseau. Chaque mortel, en effet, après deux minutes de conversation avec ce fils des croisés, ne pouvait plus ignorer que, sorti du Borda, il avait été promu, au bout de quelques années, à la dignité d’aide de camp de l’amiral Aube, mais qu’il lui avait fallu briser sa carrière et quitter la marine à la suite d’un duel retentissant avec le prince Murat. » (…)

« Sans un décime d’avoir personnel, d’ailleurs, après une vie affreuse de bohème, après avoir été courtier au service d’un marchand de papiers peints, après avoir vendu dans Paris aux mercières désassorties des boîtes de carton pour leurs rubans ou leurs collections de boutons de culotte, il avait fini par épouser, à Béziers, la dernière descendante d’une lignée de négociants en graines oléagineuses, qu’avait esbrouffée le titre de comte dont il se réclamait.
- J’ai épousé ma cousine, disait-il à tous venants. Ma cousine qui est par les Montlignon et les Boisrobert.... une brave fille et qui ne crache pas dessus.... achevait-il, avec un sourire égrillard et une claque sur l’épaule de l’interlocuteur, car M. de Fourcamadan, désireux de rénover les meilleures traditions aristocratiques, estimait congru d’initier le prochain au tempérament de sa conjointe. »
- « Andoche Sarigue, un grand garçon sec et blond, au nonchaloir affecté... » : « Un matin du printemps de 1890, on l’avait trouvé dans la chambre à coucher d’une villa du littoral algérien, la joue éraflée d’une égratignure, faisant de son mieux pour répandre des hémorrhagies apitoyantes et copieuses, et simulant des râles d’agonie près du cadavre de la femme d’un protestant notable de l’endroit, réputée jusque-là pour son rigorisme et son horreur des illégitimes fornications. L’épouse du momier, d’une beauté péremptoire quoique déjà aoûtée, avantagée par surcroît d’une fortune impressionnante, avait le front fracassé d’une balle et, préalablement à la minute où elle fut décervelée par Andoche Sarigue, elle avait répudié ses derniers linges: ce qui est un sacrifice conséquent, comme on sait, pour les personnes conseillées par Calvin. De ce dernier fait, l’assassin argua la passion, la frénésie sentimentale et charnelle qui peuvent, à la rigueur, précipiter dans ce que le bourgeois appelle l’inconduite, les mères de famille jusque là placides et que la quarantaine semble avoir mises hors l’amour. ( ….) Il avait expliqué que les voluptés cardiaques ou génésiques n’étaient pas suffisantes pour le couple sublime qu’ils formaient tous deux; qu’ils avaient décidé d’y surajouter celle de la mort, que la conjonction dans le néant avait été résolue d’une commune entente, mais qu’après avoir tué froidement la malheureuse, la Fatalité avait voulu qu’il se manquât, à la minute suprême.

Ah! il ne s’était pas fait grand mal; il ne s’était pas dangereusement blessé, lui. Non, le revolver s’était senti sans entrain pour saccager une peau d’amant aussi reluisante, et, c’est à peine, si au lieu de cervelle—en admettant qu’il en possédât une—il s’était fait sauter quelques poils de la moustache. Il avait fait cinq ans de bagne sur les huit qui lui furent octroyés et, maintenant, il cuvait son désespoir et promenait son âme inconsolablement endeuillée (…) Très couru d’ailleurs, il était l’amant inquiétant et trouble, le survivant tragique d’une épopée de traversin, et il procurait le frisson romantique dans le XVIIIe arrondissement et les alcoves mieux famées où l’épiderme sans imprévu des agents de change est devenu insupportable. Un grand journal du matin s’était même attaché sa collaboration et, plusieurs fois par semaine, ce cabot de l’assassinat passionnel, plus vil et plus lâche, certes, que le dernier des chourineurs, car il avait histrionné dans le suicide et dupé sa maîtresse avec les contorsions d’un Hernani de sous-préfecture, ce grimacier algérien notifiait la Beauté et l’Amour à deux cent mille individus. »
- Modeste Glaviot, est l'un des invités ordinaires de madame Truphot, - célèbre auteur des Merdiloques du déshérité - il peut débiter, sur les onze heures, un monologue inédit, au Cabaret des Nyctalopes, rue Champollion... Le narrateur, ici, le nomme ''le pître'' sensationnel ou le ''grimacier'' ; pour lui toutes les femmes minaudent, en des poses avantageuses, dans l’espoir d’être chacune remarquées...

« Modeste Glaviot est grand, très grand, avec un teint de panari pas mûr et une tête élégiaque de Pranzini sans ouvrage. » « Ce sordide grimacier des plus basses farces atellanes avait vécu longtemps dans les milieux réfractaires, et, un beau jour, la tentation lui était venue de jaculer, lui aussi, une déjection nouvelle sur la face du Pauvre, du Grelottant et de l’Affamé, sur lequel il est de mode aujourd’hui, pour les pires requins, d’essuyer avec attendrissement les mucilages de leur nageoire caudale. La chose a été inventée, jadis, par Jean Richepin, qui chanta «les Gueux» et qui riche depuis, pourvu de tout ce que l’aise bourgeoise peut conférer d’abjection à l’artiste parvenu, fit condamner, il n’y a pas deux ans, un malheureux chemineau qui s’était hasardé à éprouver la sincérité du Maître en cambriolant son poulailler. Six mois de prison enseignèrent à ce pauvre diable qu’on peut chanter, en alexandrins monnayables, la liberté farouche, la flibuste pittoresque et les menues rapines des outlaws et trouver intolérables ces sortes de comportements lorsqu’il leur arrive d’attenter à une personnelle propriété acquise à force de génie. »
Par exemple, je peux révéler, que Jehan Rictus (1867-1933) s'est ici reconnu : poète français, célèbre pour ses œuvres composées dans la langue du peuple du Paris de son époque ; tel Les Soliloques du Pauvre...


Extraits : ..« (…)
Entrée en matière … à Paris, dans le salon de Madame Truphot.
Madame Truphot, débarrassée du mari, avait réalisé un rêve longtemps caressé. Elle avait ouvert un salon littéraire. Le symbolisme alors battait son plein... (…)
Madame Truphot fut donc préraphaélite ardemment. (…)

Après quelque résistance, le Sar Péladan, coiffé d’une brassée de copeaux à la sépia, d’une bottelée de paille de fer, le Sar Péladan, lui-même, finit par céder et, pendant une année, honora son logis de ses pellicules et de ses oreilles en forme d’ailes d’engoulevent. Grâce à ses bons soins, la veuve fut, sur l’heure, immatriculée dans la religion de la Beauté et n’ignora plus tout ce que le Saint Jean du Vinci ou la sodomie vénale dérobe aux profanes de splendeurs cachées.
Son argent et sa personne furent, longtemps, l’âme du salon des Rose-Croix où elle figura sous les apparences d’une Salomé maigre;
(...)
A cet endroit de son discours, la Truphot se levait et, s’emparant délibérément du bras de Jules H., elle le forçait à arpenter la pièce à son côté, puis volubile:
- Mon petit, j’ai décidé que vous seriez l’amant de Madame Laurent et cela, dès demain, car c’est tout simplement une indignité, Laurent a dix-huit ans de plus que sa femme qui n’en a pas vingt-cinq, elle; or, cela ne peut durer, il faut à toute force rompre une pareille union. La pauvre petite ne peut pas, ne doit pas aimer son mari. Je l’ai deviné. Or, moi, je veux que tous ceux qui m’entourent soient heureux. L’amour seul vaut de vivre n’est-ce pas? Et puis il y a des caractères qui ne savent pas vouloir: il faut les placer devant le fait accompli et aller ainsi au devant de leurs secrètes aspirations. C’est le cas de Madame Laurent, j’en suis sûre....
Un peu ahuri par cette proposition quasi-injonctive... (...)

Oui, nous pouvons, vous et moi, réparer une grande injustice, une des pires de la vie et du Destin: libérer une jeune femme d’un homme déjà vieux. Je fais appel à votre caractère chevaleresque. D’ailleurs, vous allez passer des jours sans rancœur. Ah! mon cher! Quels yeux! quelle plastique! une gorge à déchaponner un sénateur inamovible, comme dit mon scélérat de coiffeur... Et puis, si vous réussissez, ce qui n’est pas douteux, ma maison est à vous, vous en pourrez disposer, car vous n’avez pas de garçonnière... hein? Les garnis sont coûteux et si répugnants, n’est-ce pas?...
- C’est entendu, dites, vous voulez bien?... Ah! quelle bonne odeur, quel charme cela mettra dans ma maison si triste parfois... Une odeur d’amour, la meilleure brise pour parfumer l’existence... Vous me connaissez, j’adore qu’on s’aime autour de moi... Mon Dieu! Entendre le bruit des baisers! voir des caresses! pressentir les étreintes voisines! C’est jeter un défi victorieux à la mort et c’est ne plus vieillir... Aussi, avec moi, pas de fausse honte, pas de gène ridicule. Si vous avez besoin d’argent, un signe, et je suis à votre disposition. Du reste je m’arrangerai avec Madame votre mère pour qu’à partir d’aujourd’hui vous ne lui coûtiez plus un sou...
(...)
Jules H., placé à côté de Madame Laurent, venait d’épuiser le lot de ses comparaisons favorables et de ses épithètes avantageuses. Présentement, il n’avait plus à sa disposition un seul vocable littéraire pour exprimer l’extraordinaire couleur des prunelles de sa voisine. Après l’avoir successivement confrontée à Bethsabée, à Cléopâtre, à la reine de Saba, elle-même, après s’être porté garant qu’elle ravalait, par simple comparaison, les fées Mélusine, Viviane ou Urgande, après avoir affirmé qu’elle détenait des yeux comme il devait en brasiller jadis, dans les coins d’ombre de l’Alhambra, palais des rois Maures, il restait coi, effroyablement muet, et, de la prunelle, faisait le tour de la table comme pour implorer quelque improbable et mystérieux secours. ...

- Monsieur, je vous en prie, lui dit la femme de l’auteur dramatique, amusée de son désarroi et trop parisienne pour le laisser barboter en paix dans les marécages de sa maladive sottise; il vous reste encore les évocations stellaires, les étoiles et les météores, les soleils et les comètes. Ne me jugez-vous pas digne de ces dernières? Il y en a justement une au zénith en ce moment.
Cette pointe éberlua encore un peu plus le malheureux Jules H., qui disparut cette fois dans l’hébétude comme si un boulet de 80 l’eût tiré par les pieds. Pour toute réponse, il ouvrit et ferma convulsivement les yeux, se démena frénétiquement sur son siège, avec la grâce d’un jeune pingouin qui se serait laissé choir sur quelque hypocrite harpon. Madame Laurent, renversée au dossier de sa chaise, riait maintenant d’un rire cristallin et cruel dont les fusées railleuses perforaient le lamentable gendelettre qui, les paupières closes et la bouche pincée, s’enfonçait les ongles dans les cuisses pour se punir, sans doute, d’être à ce point idiot. Certes, il aurait dû prévoir la chose: cette femme l’impressionnait trop pour qu’il pût jamais la conquérir.
(...)

Mais Madame Truphot avait vu la scène et avait assisté à l’effondrement du malheureux. Elle haussa les épaules, eut une lippe de pitié. Un homme qui, en une heure, n’était pas capable de se faire agréer d’une femme n’était qu’un imbécile ou un castrat pour elle. Elle décida que, désormais, Jules H. serait réservé pour ses bonnes, puisqu’il n’était bon qu’à cela.
Et elle se frotta avec plus d’insistance à son voisin de gauche, à Sarigue, un grand garçon sec et blond, au nonchaloir affecté, qui s’efforçait de maintenir son masque au point voulu de mélancolie et de byronisme, comme il sied à un mortel sur qui pesa le Fatum, selon une expression de lui favorisée.
A suivre : ….Chez la Truphot, on ''décamérone''... !