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Les légendes du Graal

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1952 – Eranos – 3 Le Graal et Jung

27 Septembre 2023 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1952, #Jung, #Perceval, #Graal, #La Quête du Graal, #Löwith, #Eranos

Emma Jung consacre plusieurs heures à Lancelot, sur le travail d'individuation et sur le Graal.

A la lecture des notes de Lancelot, je peux retranscrire quelques notions originales, importantes ou supplémentaires sur le Graal ( beaucoup ont déjà été dites...).

Emma Jung propose une image ''atomique'' de la personne, avec en surface, le moi et la persona ( masque social), la part consciente ; et en profondeur, le noyau : le Soi, la part inconsciente.

Emma Jung nous invite à une lecture subjective de la légende, sorte de rencontre avec le soi... Ainsi, quand elle parle du jeune Perceval, dans sa forêt qui renvoie à la mère ; Lancelot pense à son rapport à Fléchigné.

La quête de Perceval commence avec la rencontre d'un Roi blessé, et d'un affront au féminin : la coupe renversée sur la Reine Guenièvre. Précisément, Perceval est engagé, mais il ne sait pas encore ce qu'il cherche. Comme lui, sans préjugé, avec naïveté, il s'agit d'affronter les ténèbres; et commencer par se rendre compte de ce qui ne va pas en soi.

Emma Jung, parle de la prise de conscience de l'ombre. ''L'orgueilleux de la lande'' est une figure d'ombre qui incarne l'orgueil de la chevalerie.

 

Chez l'homme, l'inconscient peut se personnifier par une figure féminine ( l'anima). Son monde est celui de l'âme. L'anima devient une médiatrice des contenus de l'inconscient : par exemple, la porteuse du Graal ; à différencier de Blanchefleur qui représente plutôt la femme réelle ( entremêlée avec l'anima, sans doute).

 

Le château du Graal, est dans l'autre-monde, l'un des signes est la rivière à franchir. Cet épisode agit, pour Perceval, comme un rêve d'initiation. Les personnages sont de la lignée de Perceval ( nous le saurons plus tard), avec plusieurs figures de père.

La porteuse du Graal transmet l'épée ; comme l'anima révèle certaines fonctions du moi, à partir du fond maternel de l'inconscient. A noter, le fil tranchant de l'épée qui renvoie aux facultés intellectuelles de l'esprit.

L'épée, la Lance, le Graal et la Pierre, édifient une structure quaternaire, expression de la réalisation de la conscience et renvoie au processus d'individuation. Comme, les quatre figures du tarot.

Si l'épée tranche, la lance atteint sa cible ( avec sa fonction guérissante). Cette même lance qui fit couler le sang du Christ sur la croix, et fut recueilli dans le Calice. ( Eucharistie). Le sang contient le principe de vie. La lance de Longin, reprend le motif de la ''Flèche d'amour'' – comme on disait au Moyen-âge – qui vise le cœur du Christ, et nous ouvre à son amour.

la Dame et le Graal

 

La figure de Perceval se transforme en symbole du fait de la lignée d'ancêtres, qu'il récapitule. Il est confronté au problème du Mal, à la question de la relation de l'homme avec la femme, entre autres questions...

Pour Perceval, sa faute est liée à sa mère ( il lui ai reproché de ne pas s'être soucié de sa mère...) ; elle est à rapprocher peut-être de l'offense de la coupe renversée, faite à la reine Guenièvre. Cette faute s'exprime par son silence lors de la procession du Graal ; et auparavant sur le principe féminin, avec la jeune femme à qui il dérobe un anneau, et lors du souvenir ( taches de sang dans la neige) de Blanchefleur qu'il a abandonnée.

 

« La mission de Perceval consiste à chercher la signification du vase qui contient le sang du crucifié et à découvrir la forme sous laquelle la vie intérieure essentielle de la figure du Christ continue à vivre, ainsi que le message qu'elle contient. » (cf La Légende du Graal (p86) – Emma Jung).

Ce message , ce trésor caché, comme un Graal, concerne aussi des contenus inconscients à découvrir ; ils ont à voir avec le soi. Il ne suffit pas que le soi se manifeste, en apparaissant sous forme symbolique ; il ne suffit pas de ''savoir'' ; il s'agit de s'interroger, quelle utilisation en faisons-nous ?

M-L von Franz

 

Lancelot, rencontre également, une collaboratrice de Jung, qui travaille sur l'Alchimie et la légende du Graal. Il s'agit de Marie-Louise von Franz qui lui propose de poursuivre ces discussions par un travail psychanalytique.

 

Le 25 août, après que Karl Löwith ( 1897-1973) ait donné une conférence sur "La dynamique de l'histoire et de l'historicisme", que Scholem a trouvé "très bien", il raconte autour de lui que Jung était furieux et qu'il partit après la première heure.

S'en suit, une conversation avec Jane Untermeyer et Erich von Kahler, et avec Corbin et sa femme.

Peut-on « imposer à l’histoire un ordre raisonné ou d’y saisir l’œuvre de Dieu. », se demande Löwith ? Du moins, cet ordre peut-il être le début d'une philosophie de l'Histoire ?

Lowith pense que l'histoire ne possède aucune logique immanente, il ajoute que la philosophie de Hegel et de Marx conduisent au nihilisme. Sa recherche le conduit plutôt - selon Lancelot – à inscrire l'homme dans une nature immuable, englobant tous les étants. Il reconnaît un « univers dépourvu de fin et sans Dieu », à partir duquel « l'homme aussi » n'est « qu'une modification sans fin ».

Lowith choisirait entre ces deux symboles, le Cercle à la Croix ; l'Antiquité au Christianisme. L'Occident tente désespérément de concilier deux visions : '' - l’antique théorie de l’éternité du monde avec la foi chrétienne en la création ; le cycle avec l’eschaton '' ; - '' l’acceptation païenne du destin avec le devoir chrétien de l’espérance.''

Ce fameux ''sens de l'Histoire'' serait une illusion qui fait croire à l'Homme qu'il est le maître du Monde, alors qu'il est de ce monde, à dimension naturelle, hors ''progrès humain''...

Lancelot, défend la proposition chrétienne de Teilhard de Chardin, pour qui l'Histoire permet de lire la convergence entre Cosmos, Vie et Esprit, qu'il appelle '' Phénomène Humain ''. L'Histoire exprime donc ''la complexification croissante de la matière et la montée en conscience de l’humanité''. Cette conception est une affirmation du monde spirituel et une voie d’épanouissement pour l’homme.

 

Karl Löwith reproche à Jung de ''psychologiser'' l'histoire, en cherchant un sens caché aux événements historiques et culturels. Cette démarche lui semble irrationnelle et ambiguë... On pense, que Lowith qui a quitté l'Allemagne en 1933, reproche à Jung sa position pendant le nazisme : Jung semblait se contenter de psychologiser le peuple allemand, sans condamner explicitement l’idéologie nazie ? Jung reconnaît avoir tenté de comprendre le phénomène nazi comme une manifestation de l’inconscient collectif allemand, mais sans pour autant l’approuver !

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1952 – Ascona – Eranos – 2

22 Septembre 2023 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1952, #Eranos, #Jung, #Corbin

Ascona, Lago Maggiore, ca. 1950

Le séjour est intense ; et très vite le groupe de résidents à Ascona, s'organisent pour les transports jusqu'à la Casa ; et les repas et visites diverses.

Carl Gustav Jung est très sollicité ; grand, assez imposant malgré son âge ; il fait manifestement beaucoup d'efforts, pour être agréable envers chacun. Il est vénéré par tous ici, des femmes en particulier. Lancelot parvient tout de même à s'approcher du maître, et l'interroger sur le Graal.

Il répond : «  Les histoires du Graal ont été de la plus haute importance pour moi depuis que je les ai lues, à l’âge de 15 ans, pour la première fois. J’avais l’impression qu’un grand secret se cachait encore derrière ces histoires. »

C. G. Jung

Mais il s'agit d'un terrain réservé à sa femme; l'appelant aussitôt, il pousse Lancelot vers elle.

Emma Jung a 70 ans; mariée en 1903, elle a eu cinq enfants. Analyste, elle donne encore des conférences, et des cours à Zurich. Elle s'est toujours intéressé à l'histoire du Graal, et elle est souvent sollicitée pour donner des cours à ce sujet. Elle dit que les chemins tortueux de la quête du Graal, ont été une des voies d'accès à sa propre réalité inconsciente. Cette étude lui a ouvert les portes de la compréhension des grandes images archétypiques.

Lancelot lui retrace le contexte de sa propre recherche, et en particulier comment elle se rattache à sa lignée. Emma Jung se dit très intéressée par cette recherche au cours des siècles ; et plus généralement par cet attachement à toute une culture qui peut nourrir ainsi une quête.

Emma Jung

Après avoir écouté longuement Lancelot, elle s'émerveille de sa connaissance du mythe arthurien. Elle note également, son questionnement sur Dieu.

Sur ce point, elle répond que les réponses philosophiques de Dieu, sont purement intellectuelles. Ce Dieu éventuel compris philosophiquement vit-il quelque part, c'est à dire en soi ? - Je dois, avant tout, trouver l'image de Dieu valable pour moi ( celle du Dieu des catholiques, par exemple). Dieu est toujours spécifique à une tradition. Le divin est une force vivante qui me saisit. Jung dit qu'il peut être « barbare, infantile et profondément dépourvu de scientificité. »

Et, sans être contradictoire - pour avancer – Emma Jung insiste sur le concept d'individuation, et estime que nous sommes invités, chacun, à nous différencier de nos racines collectives. Ce chemin, utilise les rêves ou les mythes. L'idéal est de trouver - dans sa tradition - son ''mythe personnel''.

Selon Jung, l’individuation, c’est le fait de devenir qui nous sommes vraiment ; nous sommes unique.

 

Lancelot, pendant cette semaine, a la chance de côtoyer Henry Corbin dont il se met à l'écoute, avec chaque jour toujours plus de curiosité. Ils sont partis de la pensée allemande, avec K. Barth, puis Heidegger. Ensuite Corbin explique sa découverte de l'Iran, puis de la pensée de Jung.

Lancelot comprend que Corbin souhaite utiliser la méthode de l'interprétation - seul chemin vers une Connaissance vraie, telle que Heidegger l’utilise pour le Dasein , l'être dans le monde, inscrit dans ce Temps...

En simplifiant : la Phénoménologie prend en compte tout acte de la conscience, tous : ainsi l'imagination, ou l'amour , bref : tout sentiment participe à la connaissance de l'objet. La connaissance du réel n'est pas seulement affaire de logique, mais l'affaire de l'acte de conscience.

Jung et Corbin

Donc, Lancelot comprend que Corbin envisage de parler de l'être hors de ce Temps ; il s'appuie sur ce que permet la spiritualité orientale, et particulièrement la sagesse iranienne ( qui serait sans-doute, son ''mythe personnel ''). Corbin décrit ainsi, un monde qu'il appelle '' l'imaginal '', à ne surtout pas confondre avec ce que nous entendons par ''imaginaire'' ( c.à d. , pas vraiment réel...). L'imaginaire, en Occident, n'existe pas vraiment et échappe donc à la rigueur et à la méthode. En Iran, la spiritualité ne discrédite pas l'imagination, et la considère comme une faculté de connaissance. Peut-être un peu à la manière de la psychanalyse jungienne avec les rêves.

Ce monde de l'imaginal, Corbin le situerait entre le monde des idées et le monde sensible ; et dans le cas, par exemple des ''idées sur Dieu'', l'imaginal fait le lien entre les deux mondes. De la même façon sur l'idée de la mort : Corbin renvoie au ''Sein zum Tode '' ( ''Etre vers la mort '') de Heidegger ; non pas que cela renvoie à l'après-mort ; mais plutôt à la prise de conscience de sa mort. Précisément Corbin, va plus loin, puisqu'il pense que '' l'âme connaît ce qu'il adviendra d'elle.''

 

Pour répondre à son attente, Lancelot remarque la gentillesse de Corbin, qui n'insiste pas sur la mystique shî'ite qu'il ne connaît pas du tout ; et revient au christianisme, avec cette particularité d'un Christ, comme image de Dieu, et comme image de l'Homme jusque dans son désespoir, et sa mort.

Corbin s'interroge sur le Christ chrétien qui est rapproché de l’Être, mais qui n'est qu'idée de l’Être, spéculation... Quel est ce Christ qui s'adresse à moi et dont je fais l'expérience ?

Finalement, Corbin fait le procès d'une théologie affirmative et rationnelle, pour préférer une théologie négative ( chez M° Eckhart par exemple).

Corbin renvoie à cette parole de Maître Eckhart dans le Sermon N°12 : « L'oeil dans lequel je vois Dieu est le même œil dans lequel Dieu me voit. Mon oeil et l'oeil de Dieu sont un seul et même œil, une seule et même vision, une seule et même connaissance, un seul et même amour. »

Il ne s'agit pas bien-sûr de se prendre pou Dieu, mais de se dépouiller de soi et de laisser la place à Dieu.

 

Quand Corbin parle de chevalerie ( spirituelle ) ; il pense aux sages, aux prophètes.

Selon Corbin, avant d'atteindre cette chevalerie, soyons un pèlerin. Il faut d'abord avoir parcouru un certain itinéraire ; et atteindre le monde imaginal. Ensuite, pour vivre ''chevalier'', il nous faudra revenir vers le monde sensible.

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