1949
1984 de George Orwell - 1
Lancelot en flânant parmi les rayons de livres neufs chez Gibert, feuillette une édition d'un roman qu'il est nécessaire d'avoir lu : 1984 de George Orwell, mort prématurément de la tuberculose le 21 janvier 1950 (à 46 ans). Il repense alors à cette discussion, à propos de livres ''à lire'', avec Edmund Wilson à Rome – je rappelle que Wilson était considéré comme un critique littéraire réputé – Lancelot l'interrogea sur George Orwell, de qui le critique assurait avoir fait sa réputation grâce à ses éloges sur '' la Ferme des animaux'' ( paru en 1945) qui « l'a aidé à vendre plusieurs milliers d’exemplaires aux États-Unis ».
Cependant, pour ce roman 1984, paru en 1949 avec succès, Wilson regrette qu'il ait causé de grands dommages à la langue anglaise ; cette critique cache sans-doute la principale raison, qui tient aux idées politiques de Wells.
Wilson admirait Lénine et Trotsky, et même s'il reconnaissait les dérives de Staline, il trouvait injuste le parti-pris anti-bolchevique d'Orwell.
Il est vrai qu'Orwell, considérait la tactique de terreur stalinienne comme l’aboutissement logique des tendances totalitaires de Lénine :
- Orwell manque de subtilité politique !, et le plus grave, c'est qu'il disait lui-même : « Quand je m’assois pour écrire un livre, je ne me dis pas : '' Je vais produire une œuvre d’art '', Je l’écris parce qu’il y a un mensonge que je veux dénoncer, un fait sur lequel je veux attirer l’attention, et ma première préoccupation est d’obtenir une audience. »
Et cependant, Wilson enjoignait Lancelot, pour d'autre raisons, de lire '' 1984 '' !
Les amateurs de science-fiction pourraient être déçus, et préférer ''Le Meilleur des mondes'' (1932) d'Aldous Huxley, sans doute plus prémonitoire dans ce contexte actuel de ''guerre froide''. D'autres attaquent encore Orwell, le considérant trop conservateur et trop peu confiant en l'humanité...
Dans ce livre, qu'il a fini d'écrire en 1948 ( d'où le titre 1984), Orwell imagine qu'une guerre nucléaire eut lieu en 1950 ; et qu'un régime totalitaire s'est installé à Océania, région toujours en guerre, et gouvernée par un '' Big Brother '' omniprésent et invisible, seulement représenté sur des affiches, avec le slogan « Big Brother is watching you ».
La propagande est incessante, en particulier au moyen d’une écran : le ''télécran'', qui est à la fois l’œil et la voix de Big Brother. La surveillance repose sur la délation, considérée comme une vertu et encouragée aux enfants, promus ''espions'', vis à vis de leurs parents.
Des semaines de la haine, sont organisés contre le complot imaginaire de ''Golstein'', et contre l'ennemi extérieur. « La guerre est une affaire purement intérieure… l’objet de la guerre n’est pas de faire ou d’empêcher des conquêtes de territoires, mais de maintenir intacte la structure de la société… »
Un Ministère de la Vérité, assure un contrôle total du passé… « Nous ne savons jamais de quoi HIER sera fait. », aussi est-il nécessaire de rajuster, de rectifier le passé !
La langue usuelle, la novlangue, est rectifiée, pour être au service de l'idéologie, le vocabulaire est diminué ; et des formules largement affichées comme « La guerre, c'est la paix », « La liberté, c'est l’esclavage », « L'ignorance, c'est la force » tordent le sens de toute réflexion.
Dans cet environnement, Winston Smith, employé du ministère de la Vérité, révise l’histoire pour la rendre adéquate à la version du Parti. Smith est lucide sur les manipulations opérées par le Parti, mais il dissimule ses opinions. Cependant accablé par le doute et la solitude, il écrit son journal intime en cachette du télécran.... Il rencontre une jeune femme, Julia, et ensemble transgressent les règles... Trahis par O' Brien, qu'ils pensaient appartenir à une ''fraternité'' clandestine ; ils vont être arrêtés. Sa rééducation est conduite par O'Brien...
Ce qu'il me reste dans la tête, après la lecture, c'est une formule qui à présent va rester attaché à ce roman : '' 2+2=5 '', et dans ce cadre, une formule terrifiante.
Et si le parti décide que 2+2=5 ? Le totalitarisme de 1984, n'a pas pour fin, une société nouvelle et heureuse ; la volonté du parti d'un contrôle total sur les esprits est la seule fin, une fin en soi.
C'est vraiment pousser la logique du totalitarisme à son paroxysme...
Et le pire, c'est se dire que même les faits passés – à priori à l'abri de l'opinion : '' ce qui a eu lieu, a eu lieu. On n'y peut rien, on ne peut rien y changer...'' Même le passé, se plie à l'autoritarisme. Qui pourra jamais dire qu'il n'est pas tel que Big Brother l'a décidé. Même le passé peut s'effacer définitivement et ne plus exister ! Les promesses du parti, non tenues, peuvent être mises à jour : c'est le travail de Winston Smith de rectifier les archives des journaux selon la vérité du Parti.
Pourtant , il ne peut s'empêcher de ''penser'' : peut-on modifier le passé ? Ce qui était vrai reste vrai, car ce qui a eu lieu a eu lieu ; mais, que se passe t-il, s'il n'y a plus de trace, et à la limite s'il n'y a plus personne pour le croire ?
- « La réalité, c'est ce qui continue d'exister quand on cesse d'y croire. » selon Philip K. Dick
Dans le monde de 1984, ce n'est pas assez d'effacer les traces du passé, il faut aussi effacer dans son propre cerveau les traces de cet effacement. Dans tous les bureaux, qui détruisent des documents, il existe un ''trou de mémoire'': on est censé oublier soi-même ce qu'on vient d'y jeter, et même oublier le fait qu'on vient d'y jeter quelque chose. Ce n'était qu'une '' hallucination '' !
Plus précisément, Orwell décrit le phénomène de ''doublepensée '' : c'est la capacité de se mentir à soi-même consciemment, et en toute conviction ( il ne s'agit pas de mauvaise foi), si parfaitement que l'on oublie s'être menti. Aussi, est-on capable de tenir vrai, même des contradictions, même que 2+2 font 5.
Cette tentative de décrire un fonctionnement de pensée, n'est pas fantaisiste ; elle pose une réponse philosophique : la réalité en soi, serait dépendante de l'esprit humain.
A suivre...
1949-1950 - Lancelot – La Guerre froide
Lancelot, qui dépend toujours de son ministère d'origine, celui de la Défense, est convoqué, en novembre 1949, par le cabinet du ministre Pleven. rue Saint-Dominique.
Lancelot apprécie cet homme politique; il avait tenté, à tort selon beaucoup, un rapprochement entre le MRP et RPF ( de Gaulle). Ministre en pleine guerre d'Indochine , alors que l'opinion est assez indifférente à cette guerre coloniale lointaine; mais pourrait changer de statut avec la Révolution chinoise, et donc l'extension de la guerre froide.
Pleven était partisan de Pacte Atlantique et opposé au réarmement de l'Allemagne.
Lancelot est reçu par son responsable administratif, l'invite à signer l'habituel document qui l'engage à ne rien divulguer de cette rencontre, et lui présente un conseiller de l'ambassadeur américain David Bruce, et Jean-Paul David, qui d'ailleurs fort sympathiquement, lui avait proposé récemment de l'accueillir dans son parti : le RGR, le Rassemblement des gauches républicaines.
Malheureusement, cette réunion ''surprenante'' s'appuie sur une erreur des renseignements américains, selon laquelle Lancelot serait communiste ! Et peut-être même un agent pour la Tchéka !! Lancelot tombe des nues, et ne sait comment convaincre ses interlocuteurs de ses positions, à l'opposé de celles-ci.
Enfin, l'américain dévoile une série de documents qui attestent l'engagement de son épouse Geneviève dans le Parti communiste français. Photos, rapports, à l'appui.
En conclusion : Lancelot reconnaît les choix politiques - différents des siens - de la part de sa femme. Et, au risque de déplaire à ses interlocuteurs, Lancelot refuse d'envisager de travailler avec la CIA.
En conséquence... Il accepte une nouvelle affectation, au service de l’administration française ! Cette entrevue s'avère, pour Lancelot, très désagréable ; et surtout, lui laisse un arrière goût de trahison et d'un manque de jugement incompréhensible sur son travail.
La guerre froide intensifie la fascination pour les États-Unis depuis la libération. La culture américaine est bien présente, avec le succès de différents styles musicaux, du jazz au be-bop, qui influencent nos artistes. Les français découvrent Hemingway, Faulkner, les romans d'espionnage de Ian Flemming. Le ''Journal de Mickey'' commence sa parution en 1952. Avec le cinéma, nous découvrons les lunettes Ray ban, les briquets zippo, les mouchoirs jetables, les chewing-gum, les cigarettes blondes.... Les bases américaines de l'OTAN participent à la diffusion de ''l'American way of life''.
Les États-Unis financent plusieurs organisations comme les congrès pour la liberté de la culture, '' Paix et Liberté '' ; des revues, des brochures...etc
C'est Jean-Paul David, qui est le fondateur de Paix et Liberté, un mouvement anticommuniste très actif qui a sa chronique régulière sur les ondes nationales.
Lancelot a suivi, depuis Paris, la fondation du Congrès international pour la liberté de la culture (CILC) au Titania Palace à Berlin-Ouest le 26 juin 1950. Il s'agit de répondre à l'offensive communiste internationale, pilotée par l'URSS, sur le plan idéologique et politique.
Sont présents parmi ceux que nous connaissons : Denis de Rougemont, Pierre Emmanuel Karl Jaspers, John Dewey, Arthur Schlesinger, Bertrand Russell, Ernst Reuter, Raymond Aron, Jacques Maritain, Arthur Koestler, Robert Montgomery, Tennessee Williams, Ernst Reuter... etc. Plusieurs ex-communistes, comme Koestler et Borkenau, sont parmi les plus véhéments à résister au communisme.
Quelques jours plus tard, Lancelot est nommé au Ministère des affaires Étrangères, à partir du 1er janvier 1950. Il s'avère, même s'il n'a pas pu le rencontrer, que c'est le ministre lui-même, Robert Schuman, qui s'est proposé de le recevoir dans ses équipes.
Schuman est arrivé au Quai d’Orsay, en juillet 1948. La question allemande est l'une de ses premières préoccupations.
Le 5 mai 1949, 10 pays ont signé à Londres le statut du Conseil de l'Europe, mais cela n'a pas satisfait Robert Schuman : ce conseil est consultatif, et peu incitatif à aller plus loin... Le protectorat français sur la Sarre reste un problème pour la RFA ; de même la tutelle internationale sur les bassins miniers de la Ruhr... Schuman élabore, avec Jean Monnet un plan en toute discrétion. Les parlementaires et les industriels ont été écartés du projet, Adenauer le soutient... Le 8 mai 1950, secrètement les cinq ministres des Affaires économiques du Royaume-Uni, des trois pays du Benelux et de l'Italie, sont mis au courant.
Et le 9 mai 1950 - à 18 heures dans le salon de l'Horloge du Quai d'Orsay à Paris - Robert Schuman, ministre français des Affaires étrangères, propose de placer, sous une Haute Autorité européenne, la mise en commun de la production et le marché du charbon et de l'acier.
Cette déclaration provoque un engouement pro-européen, et les négociations aboutissent finalement à la signature du traité CECA à Paris entre les Six (France, RFA, Italie, Benelux), le 18 avril 1951, pour une durée de cinquante ans.
Mais, la mission proposée à Lancelot ne concerne ni l'Allemagne, ni l'Europe ; mais le Vatican ! Il est en effet chargé du conseil et de la rédaction de notes concernant les liens avec le Saint-Siège, via notre ambassade.
Lancelot, reste fortement blessé par l'abandon de ses supérieurs, et ressent cette nouvelle affectation comme une ''mise au placard''.
Anne-Laure de Sallembier a plaint son fils, et aussi beaucoup ri ! Pourquoi ne pas envisager, comme un signe, cette étrange affectation. ?
Elaine, qui a cinq ans, interroge son papa, s'il pourra venir plus souvent à Fléchigné. « Effectivement ! Si je laisse tomber les américains, et les communistes ; j'aurai plus de temps.... »
La conversation avec Geneviève a été plus difficile. Sans donner ses sources, et sans faire allusion à sa convocation ; Lancelot l'interroge sur son engagement politique, lui laissant entendre ce que des collègues lui auraient rapporté ; et, sa propre mise à l'écart. Choquée par ces critiques, Geneviève admet son investissement dans le '' Mouvement de la Paix'' ; mouvement, ouvert à tous et non aux seuls communistes, aux objectifs qu'elle est fière de défendre....
Très vite, elle en vient à ses reproches envers Lancelot, et ce mariage qu'elle qualifie '' d'arrangé''. Lui et sa mère, ne l'aurait ''arrangé'' que pour lui substituer sa fille. Lancelot lui rappelle le contexte de la naissance d'Elaine. C'est elle qui a préféré vivre et rester à Paris, elle est entièrement libre de voir sa fille, à Fléchigné, quand elle le souhaite.