le modernisme
Années 50, toujours le '' modernisme '' et L'Eglise.
Depuis l'encyclique Humani Generis d'août 1950, le CCIF se sent menacé, le Saint-Office dénonce un « goût très prononcé pour la liberté ». la crise des prêtres-ouvriers présage de nouvelles tensions. En 1953, on s'interroge, avec Jean Lacroix, personnaliste, sur la compatibilité entre le christianisme et le monde moderne, et « sur le sens et la valeur de l’athéisme » ; ne contribue t-il pas, par exemple, à purifier notre foi ? Ce choix de sujet, a choqué quelques-uns.
L'année suivante, la Semaine des intellectuels catholiques propose des conférences-débats centrées sur l'homme. L'homme Jésus, la sexualité, la mort etc... On pouvait y rencontrer : Henri Bartoli, René Rémond, Georges Suffert et le père Thomas ; Jean Guitton, Pierre-Henri Simon et le père Carré ; Gabriel Marcel et Robert Garric, Étienne Borne et le père Hans Urs von Balthasar.
La Semaine 1955, s’interroger sur la valeur des civilisations, et constitue un véritable plaidoyer pour une Église ouverte et moderne : L’Église n’est pas cléricale, l’Église conteste et comprend le communisme, (…) l’Église parle toutes les langues humaines, l’Église ne redoute pas une civilisation de la science et la technique et l’Église croit à l’avenir du monde »; participent le Père Danielou, François Mauriac, René Rémond... On s'interroge sur une institution qui serait trop attachée à un pouvoir politique et sur le concept de la laïcité. Henri-Irénée Marrou montre les ambiguïtés de la civilisation médiévale.
La Semaine 1956, avec le sujet « Monde moderne et sens du péché », doit se préparer sous la responsabilité de l'épiscopat. Son programme et surtout ses intervenants sont revus. François Mauriac et l’abbé Oraison ne sont pas sollicités, Albert Béguin et Julien Green se désistent, et on fait appel à Daniel-Rops, André Frossard et Gustave Thibon.
Le désarroi des lendemains de guerre, cède la place à une certaine confiance dans l'avenir et le progrès. La société est en mutation autour de l'attrait des villes, et l'exode rural, avec le progrès des moyens de communication, de transport. Les structures traditionnelles sont remises en question, et l'american way of life nous inspire. Face au matérialisme marxiste athée, s'oppose un matérialisme occidental, à propos duquel on pourrait se demander si le Vatican, ne le néglige pas.
Depuis le XIXè siècle, l'Eglise bute sur une controverse : le ''modernisme'' . Que signifie t-il ?
Lancelot répondrait : une émancipation de la conduite et de la pensée par rapport à la foi religieuse, ce mot pourrait s'opposer au médiévalisme quand la ''loi chrétienne'' régnait sur les individus et les sociétés... Le modernisme commencerait alors au XVè siècle, et signifierait déviation , erreur... Le protestantisme était qualifié de ''modernisme'' . Le modernisme pourrait encore remonter aux encyclopédistes et à Rousseau. Pour Loisy, il est beaucoup plus récent et provient des adversaires orthodoxes. Pie X, l'aurait repris des pères jésuites de Rome - à l'origine un sobriquet méprisant - en ce début du XXème siècle.
Le pape Pie X a condamné le ''modernisme'' parce qu'il soumet l'interprétation du message chrétien aux méthodes de la critique historique et philosophique. Il est vrai que cette approche historique de l'écriture de la Bible, interroge ensuite la nature du dogme, et le mode de connaissance de Dieu.
Finalement : s'agit-il de moderniser le christianisme, ou de christianiser la modernité ; sans pour autant, tomber dans certaines dérives ? Charles Journet, lui-même, s'en inquiète : «Un jour le monde risque de se réveiller complètement privé de Dieu transcendant, ou, si l’on peut dire, de se réveiller dialectico-matérialiste-chrétien»
Ernest Renan (1823-1892) aurait dit – à juste titre – « Ce sont les idées qui mènent le monde », après Friedrich Hegel (1770-1831) « l’idée est en vérité ce qui mène les peuples et le monde, et c’est l’Esprit, sa volonté raisonnable et nécessaire, qui a guidé et continue de guider les événements du monde » ( La Raison dans l'Histoire) et avant Antonio Gramsci (1891-1937) qui préconisait avant toute prise de pouvoir de privilégier la culture, les valeurs, l'idéologie...
Le marxisme, comme idéologie, donne un sens à la réalité comme organisation d'une société, et du sens à l'action politique. Il y a la critique du capitalisme, et la promesse d'une libération des ''exploités'', et des exclus... Ce thème de la libération n'est-il pas commun au christianisme et au marxisme. La revue ''Esprit'' milite à démontrer que la religion n'est pas une aliénation, une résignation, un opium... Mauriac aurait même dit : « seuls les esprits religieux comprennent à fond les communistes » Paul Ricoeur n'est pas insensible à cette attraction marxiste, mais il prévient qu'il ne s'agit pas de collaborer dans la confusion : pour les chrétiens les enjeux sont spirituels.
Le marxisme peut-il se séparer de son athéisme ?
Si l'on nie Dieu, la morale peut-elle encore exister ? « Une fois supprimé le respect dû à Dieu législateur et juge, le droit et sa violation sont des mots vides de sens, la loi morale est réduite à néant » (Pie X II, exhortation Conflictatio bonorum aux évêques du monde entier, 11 février 1949, AAS, 41 (1949) 60).
Le père Dubarle admet qu'une morale individuelle a besoin d'un horizon de réalité supérieure à cette réalité ; et qu'il peut exister une morale athée ( Pour un dialogue avec le marxisme, p 97). Ses contradicteurs, ajoutent, que oui, de fait, un athée peut avoir le sens moral, mais n'est ce pas qu’un conformisme sociologique ou un choix gratuit personnel ?
Cependant :
Les valeurs de l'Evangile engagent le chrétien à rechercher la justice, donc à s'engager et rejeter un certain apolitisme religieux, et affirmer '' le primat de la conscience sur l’obéissance ''.
Pourtant :
La revue des dominicains, ''La Quinzaine'', est condamnée en 1955 par le Saint-Office, et cesse de paraître, sa devise était ''Le journal de ceux qui se veulent « des chrétiens dans le temps présent » '' . Dans l'éditorial du dernier numéro, on pouvait lire : « Depuis plusieurs années des coups répétés frappent les efforts entrepris pour assurer la présence de l'Église dans les milieux déchristianisés. Condamnations et mises en garde interrompent successivement toutes les recherches d'ordre doctrinal et, ainsi, c'est le cas pour " la Quinzaine ", toute appréciation de la situation présente et tout comportement qui s'écartent des habitudes de penser et d'agir de la civilisation " chrétienne ".
« Dans la crainte de voir les laïcs et les prêtres entièrement absorbés par le milieu dans lequel ils travaillent et ils luttent, l'Église se replie sur elle-même. Certains semblent vouloir utiliser l'Église comme puissance d'ordre et la lancer dans une croisade contre les forces du mal. »