femme
Morgane - 1/3 -
Morgane, ne nous laisse pas indifférent... et sa rencontre n'est pas aisée... Fille d'Ygraine, est-elle la fille du duc de Cornouailles, ou d'Uterpendragon ? Est-elle la sœur, la demi-soeur d'Arthur ? Est-elle de notre monde, comme la plupart des proches d'Arthur, ou appartient-elle avec Merlin, au monde des enchanteurs et des fées … ? Est-elle belle, est-elle laide … ? Sa personnalité, même, est ambiguë... est-elle néfaste ? Est-elle avec ou contre le roi Arthur ? Elle n'hésite pas à dénoncer la relation entre Lancelot et Guenièvre, parce qu'elle met en péril la majesté royale d'Arthur ; et s'imaginera aussi, prendre le pouvoir de la Bretagne.... Pourtant, à l'issue de la bataille suprême de Camlan... c'est elle ; qui recueille Arthur blessé à mort dans son île d’Avalon.... Anecdote rapportée par Geoffroy de Monmouth dans sa Vie de Merlin (1150) ; c'est lui qui en parle le premier... Morgane vient du breton Mor, qui signifie « mer » et ganed, qui signifie « né ». Morgane est « née de la mer ».
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par Edward Burne-Jones . Morgane la Fée a rassemblé des herbes dans un bocal. |
Anthony Frederick Augustus Sandys.
Morgane, passe une lampe,et jette un sort sur le manteau du Roi Arthur... |
On parle, alors, de Morgane, comme d'une guérisseuse. Chez Chrétien de Troyes (Erec et Enide, Yvain ou le Chevalier au lion), elle guérit son frère Arthur ainsi qu'Yvain et Lancelot ; chez le chat noir (le Roman de Brut), elle emmène Arthur sur l'île d'Avalon pour le soigner de ses blessures. Thomas Malory reprendra cet épisode dans Le Morte d'Arthur.
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Lancelot prisonnier de la fée Morgane dont il dédaigne l'amour Manuscrit en quatre volumes réalisés pour Jacques d'Armagnac, duc de Nemours. Atelier d'Evrard d'Espinques. Centre de la France (Ahun), vers 1475. BnF, Manuscrits, Français 114 fol. 341v© Bibliothèque nationale de France Après avoir triomphé des épreuves du Val sans Retour, Lancelot rencontre Morgane qui s'afflige de la fin des sortilèges, car les dames et demoiselles du Val perdent leurs amants. Tout à son amour absolu pour Guenièvre, Lancelot résiste aux avances de Morgane qui, furieuse, décide de l'emprisonner. En échange de sa liberté, elle exige l'anneau qu'il porte au doigt. Mais il s'y refuse obstinément car c'est un gage d'amour de la reine. Lancelot menace de se laisser mourir de faim s'il ne part pas à l'assaut de la Douloureuse Tour pour délivrer son ami Gauvain. Morgane y consent contre la promesse qu'ensuite il revienne dans sa prison. |
C'est à partir du XIIIe siècle, avec la nette christianisation du récit, que la légende fait d’elle une magicienne, disciple de Merlin, haineuse envers Arthur et Guenièvre, hostile et séductrice vis-à-vis de Lancelot, en contrepoint de la Dame du Lac. Uther Pendragon ( qui épouse sa mère) la marie à Urien qu’elle n’aime pas. Différents récits du cycle lui donneront plusieurs amants et la font bannir de la cour par Guenièvre pour cette raison. Néanmoins, cette dernière n’étant pas elle-même un modèle de fidélité, on voit dans certains contes Morgane chercher à se venger en la prenant en défaut, par exemple en portant à la cour une coupe magique qui révèle l’infidélité (Tristan en prose). Son hostilité s’étend à d’autres membres de l’entourage du roi, en particulier Lancelot. Dans Sire Gauvain et le chevalier vert Morgane est la complice de la belle dame de Haut-Désert, toutes deux recherchant la mort de Gauvain par des actes fourbes et traîtres. Dans Le Morte d'Arthur elle s’empare d’Excalibur et pousse son amant Accolon à tuer Arthur, mais le plan échoue. Dans certains récits, elle s’empare du fourreau - dans lequel réside, selon certains, le pouvoir protecteur de l’épée - et le jette dans un lac. Demie-sœur du roi Arthur, elle devient sa maîtresse lors du rite de "l'ancienne religion" païenne : Beltane. Le fruit de cette union sera Mordred.
La belle dame, avec Chrétien de Troyes
La Beauté dans la légende Arthurienne: La beauté de la femme.
Au Moyen-âge, l'idée est que le corps féminin est semblable à celui des hommes, mais les organes sexuels inversés. On perçoit ainsi que la structure de la femme se tient de l’intérieur alors que celle de l’homme vers l’extérieur . En plus du corps des femmes qui est mal compris, leurs images le sont aussi. La beauté féminine au Moyen Âge est prise entre l'image d’Ève ( tentatrice, péché ) et la vision de Marie ( rédemption : beauté sacrée ).
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Heures à l'usage de Rome de Marguerite de Coëtivy. Femme de François de Pons, comte de Montfort. Bethsabée au bain 1490-1500 |
Sont valorisés : - La chevelure qui doit être blonde. Un large front : les femmes se tireront abusivement les cheveux par en arrière pour répondre à cette norme de beauté. Le front dégarnit, ce sont les sourcils, préférablement bruns qui embellissent la région du haut du visage.
Les auteurs qui décrivent les yeux mettent l’accent sur l’éclat et l’intensité qu’ils doivent projetés. Le nez ne doit être ni trop gros, ni trop petit, comme il est décrit par François Villon « beau nez droit grand ni petit». Les seins doivent être durs et placés haut, suivi de bras longs et d’une taille mince. Un autre critère est aussi très important et c’est la couleur de la peau. Effectivement, les femmes doivent avoir une peau blanche, on dit même que « tout ce qui n’est pas recouvert par les vêtements frappe par sa blancheur». La seule partie du corps qui peut se permettre de la couleur, c’est la bouche qui doit être douche, fraîche et rosée ( voire rouge). Les auteurs du Moyen Âge mettent aussi l’emphase sur la jeunesse du corps. Effectivement, après l’âge de 25 ans, les femmes entreraient dans une période de «désert de l’amour» et ensuite elles deviendraient vieilles.
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Détail: Yseult par Edmund Blair Leighton (1902) |
L’héroïne, de Chrétien de Troyes, pourrait répondre aux critères suivants : Le poète décrit d'abord les cheveux "de fin or [d'or fin], sor [brillant] et luisant" ; le front "clerc, haut, blanc et plain [lisse]" ; les sourcils "bien fais et large entrueil [bien dessinés et espacés comme il convient]" ; les yeux "vair [brillant, vif], riant, cler et fendu [bien dessiné]" ; le nez "droit et estendu [fin]"...
La figure d'Iseult la blonde peut représenter le personnage féminin à sublimer :
« En vérité, je vous assure que la chevelure, si dorée et si fine d'Iseut la blonde ne fut rien en comparaison de la sienne (celle d'Enide). » Erec et Enide, (v.424-426)
L'évocation du corps vient parachever ce tableau qui donne à voir la disposition harmonieuse des traits :
Il l'admire de haut en bas jusqu'aux hanches :
son menton, sa gorge blanche,
ses flans et côtés, ses bras et ses mains.
(Erec et Enide, v. 1483-1485)
L'évocation du corps est savamment dosée :
Elle ne possédait aucune autre robe
et sa tunique était si vieille
qu'elle était percée aux coudes
Si ses vêtements étaient bien pauvres
par contre son corps en dessous était très beau
Erec et Enide, (v. 406-410)
Car le portrait de la gente dame doit s'attarder sur son visage, il doit en effet débuter par la "lumineuse" chevelure pour décrire minutieusement, trait par trait, le front, les yeux, le nez, la bouche et le menton.
Toutes les héroïnes obéissent à ce stéréotype : Nicolette (blonde elle aussi) ressemble à Enide, double magnifié d'Iseult.
Or se chante. (C'est par cette formule que commencent tous les couplets en vers de la Chante-fable) Que la lune trait a soi.
Nicolete est avuec toi,
Ma petite amie aux cheveux blonds
Je cuit Dieus la vout avoir
Pour que la lumière du soir
par elle soit plus belle
Aucassin et Nicolete
A l'inverse, le portrait de la fée, personnage merveilleux par excellence, débute par le corps afin d'en révéler toute la sensualité :
La dame était vêtue
d'une chemise blanche et d'une tunique à manches (portée selon la coutume par dessus la chemise)
lacées des deux côtés
pour laisser apparaître ses flancs
son corps était harmonieux, ses hanches bien dessinées
son cou plus blanc que la neige sur la branche ;
ses yeux brillaient dans son visage clair
où se détachaient sa belle bouche, son nez parfait,
ses sourcils bruns, son beau front,
ses cheveux bouclés et très blonds :
un fil d'or a moins d'éclat
que ses cheveux à la lumière du jour.
Marie de France, Lai de Lanval, (565-576).
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Blanchefleur, by Edwin Austin Abbey |
Dans l'extrait qui suit, où il est question de Blanchefleur, si le poète s'écarte quelque peu de la rhétorique, il n'en demeure pas moins un exemple dans lequel on trouve toutes les composantes d'une beauté canonique :
ses cheveux étaient tels, chose incroyable
Qu'on aurait dit qu'ils étaient faits d'or fin,
Tant leur blondeur était éclatante.
Elle avait le front haut, blanc et lisse
comme s'il avait été poli à la main,
exécuté par la main même d'un sculpteur
dans la pierre, l'ivoire ou le bois.
ses sourcils étaient bien fournis et espacés comme il convient,
son visage était illuminé par des yeux
brillants, pétillants, clairs et bien dessinés
son nez formait une ligne bien droite,
Et sur son visage contrastait bien mieux
la couleur vermeille avec le blanc
que le rouge sur l'argent.
Chrétien de Troyes, Le Roman de Perceval
ou Le Conte du Graal, (v.1811 à 1825).
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“Bethsabée au bain” de Jean Bourdichon, feuillet détaché des feuillets des Heures de Louis XII. Première peinture représentant une femme nue, “Bethsabée” sous l’oeil du roi David à gauche |
La jeune fille (Fénice) arriva
en hâte au palais
tête et visage découverts
l'éclat de sa beauté dispensait
dans tout le palais une clarté plus vive
que n'auraient pu produire quatre escarboucles.
(Cligès, vers 2728-2733.)
La "blanchor" du teint doit trancher avec la couleur "vermeille" des joues et des lèvres (charnues et rouges comme des cerises).
Les adjectifs : sor, luisan, cler, blan, riant, vair, anluminee et clarté se regroupent dans un même champ sémantique, celui de la lumière. Ces jeux de lumières, qui complètent le portrait, soulignent que l'héroïne doit avoir un visage radieux, signe même de sa beauté et de son noble lignage. En effet au Moyen Age, et jusqu'au début du XXè siècle, le visage hâlé est un signe de vilainie. Une femme de qualité se doit de ne pas exposer son visage aux rayons du soleil.
Dans les romans arthuriens, la beauté physique - signe extérieur de perfection humaine - est la toute première des qualités de l'héroïsme courtois et merveilleux. C'est elle qui conditionne toutes les autres qualités - morales, cette fois-ci - : honneur, sagesse, prouesse, courtoisie ou encore noblesse. Ce n'est donc pas un hasard si Chrétien affirme dans la bouche d'Enide que :
"Li meillor sont li plus sor [blonds]" (v.968).
Sources : en particulier Elisabeth Féghali ( site : Citadelle )
Trois femmes et l'éveil de Perceval
Trois femmes, parmi d'autres, sont sur le chemin de Perceval. Elles accompagnent sa quête...

La femme assume, vis-à-vis de l'homme, un aspect de l'' âme parfaite ' : sa noblesse, faite de beauté et de vertu, est pour l'homme comme une révélation de sa propre essence infinie, donc de ce qu'il "veut être". Il veut l'être parce qu'il "l'est"...
Ce vis à vis féminin ( ou masculin...) permet de symboliser et comprendre par l'imagination l'idéal d'unité que le couple peut représenter dans le conte. Le roi, ou le royaume prospère sera le signe d'une maîtrise et d'une bonne gouvernance de ses émotions, de sa volonté et de son intelligence.
Perceval, - Selon l'attention, peut-être même la contemplation de chacune - peut accéder à une étape vers l'éveil, vers la lumière.

Blanchefleur : Elle symbolise l'union des principes, l'ouverture ( réelle, intentionnée et attentive) à l'autre... Elle est l'Absolu féminin, et le double de Perceval.
La porteuse du Graal : Elle propose un effort supérieur d'attention ( l'homme ne vit pas que de pain ...) ... Déchiffrer l'énigme .: ici, l'attention, le désir, la question ...
La Demoiselle en pleurs devant son ami, sans tête : La parcelle divine qui se lamente de ce que l'harmonie mystique n'a pu être réalisée.
A suivre...