anne laure de sallembier
1954 – Fin de la vie d'Anne-Laure de Sallembier
De façon très inhabituelle, Anne-Laure de Sallembier s'est couchée avant le repas du soir ; elle avait simplement demandé à Madeleine de faire manger Elaine, et de la coucher. Elle se sentait fatiguée, et avait besoin de récupérer. Le lendemain, Madeleine appelait Lancelot à Paris, pour lui faire part de son inquiétude sur la santé de sa mère. La comtesse de Sallembier n'a plus quitté son lit ; et Lancelot vécut les semaines les plus intenses et douloureuses de sa vie.
Après la visite du médecin, et quelques analyses effectuées dans une clinique aux alentours de Paris. La mère de Lancelot exprime son impérieux souhait de revenir à Fléchigné, et de mourir nulle part ailleurs !
Pourquoi Fléchigné ? Parce que une part de soi est ici, parce que cette maison a toujours été un refuge, ce dont elle a besoin à présent. « Ici, je continue à vivre, dit-elle, ailleurs je commencerai à mourir. »
« Si je meurs, dans mon logis, ma présence continuera à vous accompagner ».
Lancelot fit déménager la plupart des meubles de sa chambre dans un petit salon du rez-de-chaussée. Ainsi, pendant la journée, Anne-Laure restait proche de chacun ; et pour la nuit il a été aménagé un coin nuit dans le grand salon pour la personne qui la veillait.
Une infirmière a secondé Madeleine pour les soins, le médecin venait régulièrement, et n'hésitait pas à proposer de la morphine pour atténuer les douleurs.
Lancelot est resté présent, le plus possible proche, frappé par l'abandon progressif de sa mère pour les soucis matériels, et la confiance qu'elle faisait à Madeleine en lui abandonnant tout.
Anne-Laure ne fut jamais irritée envers quiconque, elle semblait plutôt désolée du souci qu'elle donnait à chacun.
C'est à Elaine ( dix ans), qu'elle semblait vouloir raconter encore beaucoup de souvenirs ; la dernière semaine, elle n'en avait plus la force et priait Lancelot de continuer sur l'idée qui lui venait.
Alors, elle fermait les yeux et écoutait Lancelot évoquer certains personnages qu'elle avait connus, sa main acquiesçait ou s’agitait pour réfuter...
Lancelot savait que sa mère était rassurée de partir, entourée de ses proches, en particulier de son fils et de sa petite fille.
« Vous serez mes passeurs » leur avait-elle dit, alors qu'elle feuilletait, comme souvent, les cartes du Tarot. Elle avait devant les yeux l'arcane XIII.
« Il ne faut pas craindre cette image, disait-elle, elle peut apparaître comme la ''lavandière du gué'' annonciatrice d'un malheur, alors qu'elle n'est que l'annonce d'un passage, donc l'instructrice d'une connaissance. Dans notre tradition du Graal, la carte représente aussi la Jérusalem céleste. Elle est le but ultime du pèlerin, le terme de la croisade du templier.
Durant l'existence de nos ancêtres, le Graal avait quitté la Terre sainte pour l'Occident ; pour que la société arthurienne puisse donner à notre monde la dimension sacrée et spirituelle à laquelle nous aspirons. Aujourd'hui, ce Graal que nous cherchons, nous reconduit, par la Foi et la Raison, jusqu'à Jérusalem. »
Elle rappelait souvent, à la petite Elaine, que son grand-père Charles-Louis lui racontait des histoires de l'Autre Monde, tous deux savaient que nous utilisons les images de ce monde, pour évoquer le Vrai Monde ; celui où elle se rendait...
« Si nous parlons en légendes, c'est qu'elles sont bien plus que ce que la plupart des gens se représentent. »
Elle confiait à sa petite fille comment Lancelot, fut le plus beau cadeau que la vie lui avait fait, et comment sa bonne fortune lui a permis de vivre intensément la fin d'une époque aristocratique mais réservée, il est vrai, à une petite partie de la population.
Anne-Laure avait raconté comment elle avait découvert ce monde avec Elisabeth de Gramont en particulier. Elaine se souvenait comment cette jolie demoiselle avait choisi un beau jeune homme, Philibert de Clermont-Tonnerre (1871-1940) comme époux. Elle s'installe alors en Bourgogne, a une petite fille Béatrix ; et elle s'ennuie, revient à Paris avenue Kléber... Anne-Laure et Elisabeth courent les salons, celui de madame Strauss, de Madeleine Lemaire où on pouvait voir Proust, de Robert de Montesquiou ; mais, Philibert est jaloux, violent, elle perd sous ses coups son deuxième bébé !
Anne-Laure a déjà raconté la comtesse Greffulhe, magnifiée par Proust, mais qu'elle ne reçut que vers 1904, quand sa fille épousa Armand de Gramont, ami de Proust. Sa fille, c'est Elaine Greffulhe.
Lancelot rappelle aussi qu'il y avait Anna de Noailles..
Anne-Laure a rencontré la théosophie, a fait tourner les tables. Elle s'est passionnée pour l'étude de la nature, elle fréquentait Camille Flammarion: elle se persuadait que l'idée de Nature, englobe le divin, l'humanité et l'univers... Tout le visible est le miroir de l'invisible ; et l'invisible devient simplement ''naturel''.
D'autres expériences vont enrichir sa représentation du réel, son passage au Figaro, puis au 'Mercure de France'.
Jean-Baptiste de Vassy ( J.B) disciple du mathématicien Henri Poincaré, et admirateur d'Henri Bergson, était passionné d’aviation. Il fut le compagnon de sa mère et une figure paternelle pour Lancelot, il a accompagné Anne-Laure jusqu'à sa disparition au début de la grande guerre ; avec lui elle a rencontré Bertrand Russell, et indirectement Bernanos.
L'esprit, chez les officiers comme J.B, est à la communion dans des valeurs traditionnelles, ils se considèrent comme les lointains héritiers de la chevalerie ; ce que J.B. n'avait pas manqué de développer avec Lancelot ...
Anne-Laure a beaucoup voyagé, en Allemagne, en Italie, en Angleterre et en Ecosse; sur son chemin... le Graal. Sur le chemin, également, une rencontre essentielle, celle du couple Maritain et de tous ceux qu'ils fréquentaient.
L'Italie, c'était avec Edith Wharton, en 1908.. Mais surtout, beaucoup l'Allemagne, et la passion des auteurs allemands.
On a parlé de Vanessa Bell, et du groupe de Bloomsbury, de son ami Paul Painlevé. Puis il y eut la Guerre et ses interventions auprès des allemands, jusqu'au retour à Fléchigné; l'accueil de réfugiés. La visite de Félix, était attendue, et ''ses fruits'', inattendus... !
A sa naissance Lancelot reçoit, par sa mère, une mission : le Graal. La légende arthurienne fournit dans sa version chrétienne, un ensemble d'images qui balisent une voie, en correspondance avec le message du Christ, qui traverse les siècles. L'origine de ces images s'inscrit dans la symbolique médiévale et se confronte, parfois avec difficulté, à la modernité. Pourtant, au XXIè siècle, le Graal reste toujours le chemin et l'objectif.
Avant toute chose, avant même le Graal ; Lancelot a reçu de sa mère et de ceux qui l'entouraient, une Tradition.
Et c'est cet héritage, d'abord reçu, puis fructifié, qu'Anne-Laure espère avoir laissé à son fils.
Effectivement, pour Lancelot, ce qui caractérise le chemin emprunté par sa mère, c'est son attachement à la Tradition.
La comtesse de Sallembier avait en horreur l’idée de Révolution ; elle impose la destruction d'une structure, d'un squelette élaboré au cours des siècles, à partir de la vie des gens.
La question du vrai et du bien, ne peut être résolu par un seul personnage qui ferait table rase du passé.
Pour Anne-Laure :
La Tradition est une somme de ''références'' vécues.
Une Tradition se transmet, se reçoit. C'est une caractéristique de notre humanité.
Une Tradition se vit, au présent. Elle est communautaire, et ne se comprend qu'en ''disputatio''.
Une Tradition ne dépend pas forcément du même référentiel que la connaissance du moment. Il y a malentendu quand elle se confronte à elle, sans ce discernement, comme par exemple lors du procès de Galilée. La raison seule, ne suffit pas à vivre la Tradition.
La Tradition n'est pas une opinion ; elle les nourrit mais ne la fige pas.
On pourrait se demander, s'il y a des traditions erronées ? - Il y aurait plutôt des pratiques erronées.
La dernière semaine, Lancelot est revenu avec Geneviève. Il a fait une surprise à sa mère, en apportant à Fléchigné un combiné radio-tourne-disques ; une boite en bois plaqué acajou, et la façade en plastique et tissu. Le son est impeccable sur toutes les gammes, et a remplacé avantageusement le vieux poste. Quelques disques 33 tours-minutes de musique classique l'accompagnent.
Anne-Laure souhaite écouter des chants grégoriens de l’abbaye de Solesmes.
Un soir, ils écoutent le Miserere mei Deus (Psaume 50), ils pleurent ensemble ; ils se regardent et rient. Anne-Laure dit qu'elle n'a jamais été plus heureuse.
Ces deux derniers jours, Anne-Laure n'était déjà plus là ; pourtant cette dernière nuit, elle et Lancelot ont partagé comme ils ne l'avaient plus fait depuis longtemps. Au matin, Lancelot qui la veillait, s'est réveillé, elle le regardait. Il s'est approché, elle a fermé les yeux et nous a quitté.
Elle lui avait dit : « Et si la mort, était un accomplissement.. ? » et « De quoi, de qui pourrais-je avoir peur ? »
Anne Laure de Sallembier (1875-1954)
Fille de Charles. L. de Chateauneuf... et de Mme J. , reconnue par son père adoptif, époux de sa mère... Cécile-Joséphine J. est née en 1851... Elle vécut enfant avec sa mère, mais connut semble t-il assez bien son vrai père.
Elle épousera l'héritier d'une famille de commerçants, Louis-Ferdinand Vétillard, qui est donc le père d'Anne-Laure ( fille unique), un notable commerçant de Paris...
La lignée dans laquelle s'inserre Charles-Louis de Chateauneuf, est occultée assez souvent par une naissance non légitime... C'est le cas, pour ce qui le concerne, puisque né en 1816 à Limoges - enfant adultérin - il serait le fils ou neveu : de M. Joseph Châteauneuf ( né en 1759) et de Marie-Catherine-Louise de la Bermondie d'Auberoche ( née en 1780) , mariés en 1803.
Marie Catherine de La Bermondie, née vers 1780, a pour parents: Jean Léonard de La Bermondie né le 16 avril 1739 et Jeanne de VILLOUTREYS née vers 1740 ou 1750... J'ai évoqué sa vie, et son parcours sur la Quête du Graal, dans des articles précédents ...
Charles-Louis a été placé en nourrice dans la campagne limousine environnante, et a grandit ainsi, avant d'intégrer le collège royal de Limoges, en qualité d'interne...
Les documents qui nous servent de fil rouge sur cette Quête, s'enrichissent dans le temps, mais ignorent parfois une ou deux générations...
Il semble que ce soit Anne Laure de Sallembier (1875-1954), la petite-fille de Charles Louis de Chateauneuf, qui ai pris la suite de la Quête...
Anne-Laure, unique héritière d'une riche famille de négociants qui a fait fortune dans le commerce des tissus au long du XIXe siècle, épouse donc le Comte de Sallembier, aristocrate – de trente ans de plus qu'elle - qui après une vie de célibataire longue et épicurienne, a su (?) monnayer son titre...
La généalogie indiquerait en amont de ces négociants en toile une Mlle Adélaïde Haton de la Goupillière devenue Mme Vétillard, morte à Pontlieue le 30 décembre 1800 ; et dont le mari faisait commerce de toiles....
* A noter: un peu plus tard, nous retrouverons Julien Napoléon Haton de La Goupillière (1833-1927) qui est un savant français, directeur de l'École des mines de Paris de 1887 à 1900, président de la Société d'encouragement pour l'industrie nationale de 1888 à 1892 et de la Société mathématique de France en 1890, et vice-président du conseil général des mines de 1900 à 1903. Il était doyen de l'Académie des sciences.
La première génération – en Mayenne - négocie la toile de lin.. Puis, le coton va se substituer au lin. La famille ne s'occupe pas à cette époque de tissage mais seulement de négoce et de finition des tissus. Une autre génération ajoute la fabrication de coutils et calicots, puis intervient en tissant et assurant sa totale finition. Le négoce est ainsi doublé d'une réelle activité industrielle.
Autour de 1850, le grand-père est membre de la Chambre consultative, lieutenant de la Garde Nationale. Un peu plus tard juge de commerce... Avant, enfin, de monter à Paris...
Louis-Ferdinand Vétillard, devient un notable commerçant de Paris. Il fut juge du Tribunal de commerce de Paris et membre de la Légion d'Honneur...
Il est propriétaire de biens immobiliers ( la moitié de son patrimoine...) , et d'une propriété à Villeneuve le Roi. Ce domaine a environ 110 ha, comporte une belle demeure et divers bâtiments d'habitation et d'exploitation, ainsi qu'un parc composé de bois et faisanderie. La succession montre également qu'elle est composée de rentes 3 et 4,5 % et divers chemins de fer ; elle est située dans les 1 % des plus grosses successions parisiennes.
Louis-Ferdinand Vétillard, le père d'Anne-Laure, va épouser Cécile-Joséphine J. (la fille de Charles-Louis de Chateauneuf et de Mme J. .. Ils auront donc une fille : Anne Laure ....
En cette fin du XIXe siècle, Anna Laure a su rénover et moderniser le château de Fléchigné, propriété de sa mère…..
A suivre ....