1951-52 – Les Deux Etendards – Rebatet
Le docteur Destouches a été amnistié par le tribunal militaire ce 20 avril 1951 ! Destouches, c'est l’écrivain Céline - on dit que le juge n'avait pas fait la relation... - c'est celui aussi, qui s'en prenait à Pétain pour être trop tiède en matière d'antisémitisme ; qui a soutenu Doriot, et écrit dans les journaux les plus collaborationnistes.
Pétain, lui est mort en prison, lundi matin 23 juillet 1951. Il avait été condamné à mort, six ans plus tôt, pour intelligence avec l'ennemi et haute trahison. Mais ce vieux et glorieux maréchal - il avait 84 ans en 1940 - n'était peut-être que le faire-valoir de Darlan, Laval, et Bousquet...
En 1951, nous souhaitons nous détacher et renvoyer cette absurde période, dans les dossiers de l'Histoire, pour - quand même - qu'elle serve de leçon, à nos héritiers.
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Pourtant, cette même année, Lucien Rebatet, celui-là même qui avait publié en 42, Les décombres, un violent pamphlet antisémite, et fasciste, qui fut un ''best-seller'' pendant l'Occupation ; donc, ce Rebatet publie ''Les Deux Étendards'' en 2 volumes, dans la collection Blanche de Gallimard. Il est vrai que l'écrivain fut gracié le 12 avril 1947 de sa condamnation à mort, grâce à une pétition d'écrivains comme Camus, Mauriac, Paulhan, Martin du Gard, Bernanos, Aymé ou encore Anouilh.
Rebatet avait achevé en prison ce roman commencé à Sigmaringen. Et la rumeur veut que ce soit Camus qui l'ait recommandé à Gallimard.
Lancelot hésitait à se lancer dans la lecture de ce livre de 1300 pages, écrit par un antisémite, anticlérical, collaborateur ; mais Paulhan estime que son boycott n'est pas justifié : il ne traite ni de politique, ni de la guerre ; mais d’amour, de religion et d’art ; il ajoute « un catholique en tout cas ne peut ignorer ce roman de premier ordre. ». La curiosité est donc plus forte...
De plus - le roman de Lucien Rebatet est directement inspiré par cette expérience amoureuse de jeunesse : autour des années vingt, Rebatet est ami avec François Varillon dont l'appel au sacerdoce se heurte à une passion amoureuse pour une jeune voisine ; puis, Rebatet va s'éprendre d'elle.
A l'inverse de son ami, Varillon va choisir la foi, et la résistance. Il va participer à l’aventure de ''Témoignage Chrétien''. Après la guerre, il anime des cycles de conférences mensuelles ; Lancelot en suivra plusieurs ; séduit par son enseignement qui repose sur la raison ; et le discernement.
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Les ''Deux étendards'' sont une référence à un passage des ''Exercices de Loyola'' ; ils exaltent un combat et les deux bannières « autour desquelles les armées s’assemblaient en vue de la grande bataille : celle de l’Enfer et celle de l’Église,.. », en reprenant les mots du jésuite Naphta, dans ''La Montagne Magique '' de T. Mann.
Guillaume et Michel sont deux amis, à l'esprit potache et grossier, anti-bourgeois, anti-chrétiens et misanthropes... Michel, Nietzschéen,( alter ego de Rebatet), se destine à devenir un grand écrivain. Partagé entre Paris et Lyon, pauvre, il s'enivre de la vie parisienne des années vingt.
Régis camarade d'enfance qu'il connaît de Lyon, est à l'opposé, un peu mièvre, et surtout catholique : tout ce que méprise Michel. Régis, pourtant, a l'ambition de restaurer une religion qu'il reconnaît comme déclinante. Régis est un pianiste accompli ; la musique tient une grande place dans ce livre.
Régis est très amoureux d'Anne-Marie ; amour réciproque, mais sublimé, pour l’éterniser plutôt que de le consommer bourgeoisement sur terre.
La raison en est que Régis se destine au sacerdoce dans la Compagnie de Jésus, et Anne-Marie par fidélité à cet amour, après son baccalauréat, envisage d'entrer au couvent. Régis se confie à celui qu'il pense être son ami, Michel est bouleversé par l'incroyable récit de cet amour et souhaite découvrir cette mystérieuse Anne-Marie.
Si Lancelot s'est laissé prendre par cette lecture, parfois rude du fait de jugements à l'emporte pièce , il ressent de la part de l'auteur une certaine ''mauvaise foi'' dans le développement des sentiments que Michel dit éprouver pour Anne-Marie. Quand on comprend dès le début du roman, l'état d'esprit de Michel et Guillaume envers les femmes - qui ne cessent de les obséder – on se laisse difficilement emporté par sa soudaine passion pour l'amoureuse de son ami. A cela, il faut ajouter son désir d'une conversion religieuse dont dépendrait la conquête de la pure jeune fille !. Lancelot estime que la situation est trop tordue pour être honnête ; elle semble construite pour démolir ce qui est pour Régis et Anne-Marie est essentiel, leur spiritualité ( foi, amour, don de soi...)
Michel, passionnément amoureux, envisage de se convertir, seul voie – pense t-il - , pour rejoindre Anne-Marie.
Il n’ose pourtant avouer la vérité et son amour à Anne-Marie que le jour où Anne-Marie et Régis se sépareront.
Finalement, Anne-Marie, n'accepte pas cette séparation qui lui semble absurde; comment pourrait-elle venir de Dieu ? Régis semble s’enfermer orgueilleusement dans un ordre catholique. Cette soumission lui semble être une trahison.
Influencée par Michel, elle perd sa foi.
Anne-Marie se laisse embarquer, dans un voyage en Italie et en Turquie, et dans les plaisirs charnels. Michel tente de détruire en elle son attachement à sa religion, pour la jouissance de la vie.
De belles pages érotiques, laisseraient penser que la jeune fille partage pleinement cette passion. Un mariage entre les deux amants se prépare, les familles y consentent.
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Mais Anne-Marie refuse et rompt avec Michel.
Anne-Marie, n'est-elle que la victime de ses deux amants ? Elle dit elle-même : « Deux garçons se succèdent dans ma vie : le premier me chante le ciel, l'amour en Dieu, pour me lâcher à la porte d'une religion encore plus imbécile que la justice. Le second me prêche pendant un an la révolte, la massacre, et quand il a tout démoli, tout retourné, mon magnifique petit furibond me propose les douceurs bourgeoises, une descente de lit pour la vie. »
L'esprit est-il plus fort que la chair ? Si Anne-Marie ne retrouve pas la foi, elle en garde cependant la nostalgie, et la marque profonde. Elle dit elle-même que le christianisme est une « drogue », mais qu’elle en a pris « une trop forte dose » et « qu’elle ne s’en remettra jamais ».
Rebatet, par l'intermédiaire de Michel, trouve le sens d'une vie, dans l'art, la création d'une œuvre ; cela passe par la connaissance et le développement de soi. Vision élitiste, sans aucun doute, ouverte à une révolution nietzschéenne des valeurs, en opposition nette - selon lui - à un christianisme pervers et empli d'orgueil, à l'image du comportement du ''jésuite''.
Ce roman rempli de cette fièvre nietzschéenne, correspond bien, sans-doute, à l'état d'esprit d'un condamné dans sa cellule, qui écrit jour et nuit. Même si le langage y est cru, c'est plutôt bien écrit. Les sentiments sont disséqués, comme le christianisme, d'ailleurs ; le culte, les dogmes raillés. Il parle bien de Gide, de Proust.
Un roman long, parfois ennuyeux, sauf les dernières cent pages.. On en ressort bousculé, satisfait d'en finir...
S'il n'y avait pas eu la guerre. On aurait crié vive l'artiste ! C'est violent, démesuré, mais c'est artistique... Seulement, cet artiste, s'il prend les rennes de votre vie, devient un fasciste. Le fasciste et l'artiste, sont le même homme.
Lancelot, retrouve à la fin de l'ouvrage, sa première impression concernant la vraie-fausse amitié entre Michel et Régis. Au final, alors que Régis tente son « numéro évangélique. », et propose de se quitter en faisant la paix; Michel fait éclater sa haine, son mépris.
Et comme, il est écrit, en quatrième de couverture : « Régis et son Dieu triomphent, mais sur les ruines de tout bonheur humain ». Rebatet affirme que la doctrine catholique est encore plus nihiliste, que sa philosophie, dans le sens où elle nierait la nature humaine.