Le carré magique SATOR. - 4/.- Le pouvoir des lettres.
n ne se doute pas à quel point la symbolique des lettres, portée par la graphie, était intégrée par tous les lettrés du Moyen-âge... et avec leur ''pouvoir''... La lettre est en relation avec les astres, et les signes qu'ils gouvernent.
Selon le Livre de clergie de Gautier de Metz la série ordonnée des douze premières lettres de l'alphabet (A-M) correspond aux douze signes du Zodiaque ( A la lune et E le soleil) … La valeur cosmologique des lettres AE, fréquemment représentées dans l'iconographie, permet de désigner le Héros amoureux. Il existe entre le A et le E une affinité substantielle, une osmose symbolique. Ces deux lettres sont parfois figurées adossées, le A enveloppant le E.
Le redoublement ou dédoublement de la lettre suggère une dualité symbolique, qui se reconnaît dans le couplage des chiffres. (…) La répétition du motif de la lettre manifeste une charge du sens. Certaines lettres sont plus fréquemment répétées, ainsi en est-il des lettres A et Y...
Certaines lettres ont une valeur christique ainsi le M et l'Y. Douzième lettre des alphabets latin et grec, la lettre M marque, à l'intersection de ces deux alphabets, le centre de la série des lettres. Cette
position médiane ou axiale est fréquemment représentée...
Le symbolisme de la lettre Y, nourri des interprétations pythagoriciennes et néo-platoniciennes, est des plus fertiles. Identifiée par sa forme au Christ en croix, elle est le chiffre divin.
En tant qu'il symbolise le « Fils », l'Y peut être associé à la lettre P qui représente le Père et au A qui signifie le Saint Esprit.
Les lettres peuvent également signifier des qualités mariales dont elles portent l'initiale : Beauté, Bonté, Clarté, Courtoisie, Douceur, Débonnaireté...
Les astres : le grand support des Etudes au Moyen-âge : la planète Mars gouverne les lettres e, k, r ; Vénus : c, m, t ; Mercure : b, n, o ; le chef du dragon : la lettre y ; la queue du dragon : le z ; Saturne : g, h, p ; Jupiter : f, i, q ; le Soleil : d, i, s ; et la Lune : a, o, x. Cette table est d'un usage complexe : « et donques quant le seigneur de orient use de la seignorie, l'en doit concueillir les lettres de la mansion de la lune en laquelle mansion est tel planète qui use de seignourie, et les adiouster aus lettres du signe ou est et decourt mars... après l'en doit garder le lieu du cercle ou est tel planète significateur et la propre maison ou il est, et aussi les lettres de sa tripplicité adiouster aus lettres du seigneur de orient ». Robert Godefroy, astronomien de Charles V. - Livre des IX anciens juges d'astrologie (1361)
Les lettres servaient en oniromancie à l'interprétation des songes. Un manuscrit de la Bibliothèque d'Esté à Modène nous a conservé cet usage : « Se tu veus ton songe esprover, pren un livre et diras In nomine Patris et Filii et Spiritus sancti Amen, par la premiere letre que tu troveras au commencement de la premiere page, si troveras signifiance de ton songe : A senefie boneur et bone joie, B grant seignourie, C avillement de cors... »
La lettre peut également être chargée d'une valeur apotropaïque, elle protège ou permet de conjurer le sort : ainsi le T préserve contre le « feu de saint Antoine », la lettre S entourant un lys nomme et invoque la protection de Notre Dame de Liesse...
La polygraphie et la polysémie de la lettre sont les plus sûrs garants de son secret. La multiplication des signifiants et des signifiés trame des réseaux de correspondances virtuellement infinis. Le chiffre se noue dans ce maillage complexe du sens.
Utilisant sa valeur homophone (L = aile, elle... M = aime, ame...), la lettre peut former un rébus. Jean Jouvenel des Ursins rapporte que, durant le siège de Compiègne en 1414, le Dauphin faisait porter sur un étendart « tout batu à or » un K, un cygne et un L. Selon cet auteur « la cause estoit pour ce qu'il y avoit une damoiselle moult belle en l'hostel de la Reyne, fille de messire Guillaume de Cassinel, laquelle vulgairement on nommoit la Cassinelle ». Pierre de Bourbon seigneur de Carency portait sur son écu, lors du Pas de l'Arbre d'or, « deux os d'or fin », « dont l'un estoit un O d'une lettre et l'aultre, l'os d'un cheval qui est sa devise »65. Tout aussi énigmatique, la genette attachée à la lettre I figurant sur un manuscrit du Cas des nobles hommes et femmes de Boccace traduit par Laurent de Premierfait.
La solution d'un rébus se complique encore des différentes prononciations de la lettre :
— L'Y (i grec) peut aussi se prononcer WI, UI, bien que selon l'auteur de « l'abecés par ekivoche » : « maintes gens l'apelent « FIUS »
— La lettre H peut aussi se dire HA
— Le X : « IEUS » ou « IUS »
— Le G : « GOIE ou GEAI »
— Le M : « AME »...
Il y aurait encore beaucoup à comprendre … Ces extraits qui tentent de nous le faire sentir appartiennent à l'étude que fit : Jean-Pierre Jourdan ( historien), dans : La lettre et l'étoffe. Étude sur les lettres dans le dispositif vestimentaire à la fin du Moyen Âge.
A noter que Jean-Pierre Jourdan a aussi écrit sur la beauté et l'amour du beau au Moyen-âge... A lire … !
Tout le mystère de la '' langue des oiseaux '' d'origine immémoriale, se nourrit de la correspondance sonore des mots, de leur graphie …
Le carré SATOR, gagnerait a être ainsi compris ..!
« Vois si un mets sage se crée, dit sans les mots »
ou autrement dit : « Voici un message secret disant les mots » :-)
C'est en pratiquant cette '' langue des oiseaux '' que les trouvères ou troubadours inventent un codage pour faire passer des messages qui déjouaient la censure des autorités, notamment ecclésiastiques.
La graphie des lettres est aussi signifiante ...
Le S par exemple représente, lui, la recherche « dans tous les sens », sans axe (au contraire du P, qui possède un axe, symbole de l'axis mundi).
Le A symboliserait la création alors que le Z relie les plans céleste et terrestre.
Quant au V il représente une sorte d'entonnoir, la figure symbolique du verre, du vase (le Saint Graal est une des figures possibles) ou encore de l'athanor, ce contenant mystique des alchimistes.