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Les légendes du Graal

traditions

A Limoges, en cette fin du XVIIIe siècle – 2/, -

9 Septembre 2018 , Rédigé par Perceval Publié dans #Limousin, #Limoges, #XVIIIe siècle, #Traditions, #Ostensions

Limoges, capitale du Limosin - XVIIIe s

Limoges, capitale du Limosin - XVIIIe s

Limoges, comme chaque ville du royaume, a son cortège de fêtes et de processions annuelles...

Processions le dimanche de la Passion, le jour de Pâques, à la Fête-Dieu et dans l'octave, pour l'Assomption encore... Le 30 avril, on plante très officiellement des arbres de mai dans la ville, en présence du maire, des valets de ville, des fifres et des tambours. Il faut ajouter à cette trame les noubas du Carnaval et de la Saint-Jean, et le reste! Les Rois, les Rameaux...

Ostensions du Dorat en 1918

A Limoges, chaque année les six prévôts-consuls maudissent solennellement Gauthier, le méchant traître. Au début du XVe siècle, Gauthier Roi dit Pradeau avait cru pouvoir livrer la ville. Mal lui en prit, car, pendant plus de trois cents ans, les Limougeauds consacrent le 27 août à courir sus à Gauthier (voir note *). Cela commence à l'hôtel de ville et se poursuit dans la rue.

Mais tout cela, n'est jamais qu'ordinaire. En fait, les élites ne répugnent pas aux rites colorés, grivois parfois, qui scandaient les douze mois de l'année. A Carnaval hormis quelques dévots qui se réfugient chez les Jésuites pour y expier les fautes de leurs semblables, tout le monde se retrouve pour faire le maximum de ce qu'autorise l'état de son porte-monnaie. Moment sacré à l'occasion duquel les parents s'invitent de loin, comme pour la Saint-Jean, notamment pour le bal, l'un des plus importants de l'année.

On retrouve tout cela à la campagne, où les ''reinages'' des confréries ( vente de titres dans une confrérie) continuent de mêler inextricablement la religion, les gaietés populaires et la mangeaille.

Nobles et bourgeois font partie de la fête...

Dans la banlieue de Limoges, la fête des Cornards de Saint-Lazare sort la population de la ville pour sa première ballade de l'année, le dimanche de la Passion, en plein carême. Les aubergistes du village arborent à leur porte de magnifiques cornes de béliers enrubannées, à la place du bouchon obligatoire qui est le signe de leur commerce, et tout ce joyeux peuple ne manque pas d'aller saluer d'un même souffle les reliques de Saint-Lazare que le curé expose pour l'occasion dans la vieille église.

Les reliques et la fête mêlées, c'est là la marque propre du Limousin. ( …) La confrérie des cornards du lieu; se charge charitablement de déposer chez tout nouveau marié la superbe ramure de cerf qu'il n'aura plus qu'à transmettre à l'époux suivant. On pourrait encore évoquer l'Académie des ânes d'Ambazac...

Pour satisfaire ce besoin de sacré, Limoges a ses pénitent... Bleu, noir, gris, blanc, rouge ou feuille morte, le pénitent de Limoges trouve dans sa confrérie un moyen de sortir de son milieu professionnel et une identité religieuse et sociale que ne boudent pas les officiers de la ville.

L’historien Michel Cassan a écrit : « dans le courant des XVIIe et XVIIIe siècles, de ce dernier surtout, il n’y avait pas un seul chef de famille de Limoges qui ne fut membre de quelque confrérie à laquelle avant lui son père, son grand-père, ses ancêtres avaient appartenu. C’est par centaines qu’elles comptaient leurs membres. » Contrairement à ce que l’on pourrait penser par ailleurs, les confréries se montraient souvent très indépendantes vis-à-vis du clergé, en particulier à Limoges.

Selon Francis Masgnaud, « leur indépendance vis-à-vis du pouvoir religieux a dû plaire aux francs-maçons et, comme dans la ville tout le monde en était, nombre de francs-maçons furent également pénitents. »

Il existait des maçons ecclésiastiques, comme par exemple Cramouzaud, chanoine théologal de saint Martial, membre de « L’Heureuse Réunion » à la fin du XVIIIème siècle.

Dans son costume de pénitent, l'homme qui va pieds nus dans les rues jonchées de fleurs précédant le Saint-Sacrement, est un peu prêtre lui aussi. Instrument d'intégration sociale, la confrérie limousine accueillait les jeunes fils de ses membres, les militaires en garnison, soldats aussi bien que capitaines, et les négociants des villes d'alentour amenés par leur commerce à de fréquents passages.

Le Limousin présente la caractéristique de rester fidèle à ses reliques dont le culte y revêt depuis longtemps, une ampleur toute mérovingienne...

Tous les sept ans - et cela se fait encore au XXIe s. -, des ostensions solennelles permettent aux fidèles de promener et de vénérer les corps, les chefs et les morceaux les plus précieux des saints locaux: Martial, Léonard, Victurnien, Austriclinien, Théobald, IsraëI, Genest, Priest et mille autres, et cela avec une débauche d'usages et de rites qui s'étendent sur plusieurs mois et mobilisent l'ensemble de la population aux côtés de ses cadres sociaux dans un vaste psychodrame.

Procession maçonnique - au XVIIIe siècle détail

Également, un jour de Saint-Jean, les francs-maçons de la loge de Limoges peuvent donner un banquet et faire un feu d'artifice, avant d'envoyer à leurs frais une musique régimentaire donner la sérénade par les rues.

 

Sources : Michel C. Kiener et Jean-Claude Peyronnet : ''Quand Turgot régnait en Limousin''

 

(*) La fameuse conspiration de Gautier Pradeau (1426)

Le procès du consul Gautier Pradeau constitue un des épisodes les plus saillants et les plus dramatiques de notre histoire provinciale au moyen âge.

Limoges Médiéval ( BD de Pascal Jourde)

On sait que Pradeau, originaire de Lesterps ( aux limites du Limousin ), était venu, jeune encore, et avec peu de ressources, s'établir à Limoges où il entreprit un commerce.

Il va entrer dans la bonne société limougeaude par le mariage ; il épouse Marie Vidal qui appartient à une famille de drapiers et lui apporte « moult chevance »

Peut-être '' maître des monnaies'', il fait des prêts à des notables; surtout il devient trois fois consul (1412, 1416 et 1422). C’est donc, en quelques années, une réussite publique fulgurante.

 

Les adversaires de Gaultier Pradeau ont dressé de lui un portrait qui allait devenir traditionnel, celui du traître modèle : étranger à la ville, arrivé pauvre mais enrichi par le mariage et de louches affaires... Ici, le chef d’un parti vicomtal dans la ville, se heurtant à un parti consulaire mené par les anciennes familles patriciennes de Limoges...

Jean de Bretagne, sieur de Laigle, est le frère et le lieutenant général du vicomte de Limoges. Celui-ci revendiquait les anciens droits féodaux de sa famille. Les habitants repoussaient avec énergie cette prétention, rappelant le don fait par la veuve de Charles de Blois de leur ville au roi Charles V, et l'engagement solennel pris par le même prince vis-à-vis des bourgeois, de les garder sous sa main et de maintenir leurs consuls élus seuls maîtres et seigneurs du château de Limoges.

 

Pour dix mille écus et quelques rancunes personnelles, Pradeau consentit à servir les projets du seigneur de Laigle...

Quand ce fut le tour d'investir la charge de prévôt-consul, d'entre tous les magistrats de la Commune, Gautier Pradeau devait faire ouvrir sous un prétexte quelconque , un matin au point du jour, la Porte des Arènes...

Mais, le projet du traître fut découvert avant sa réalisation... L'alarme se répandit aussitôt dans la ville et les bourgeois se précipitèrent aux murailles …

Jean de Laigle demeura une semaine sous les murs de la ville avec les 6 ou 700 hommes qu'il avait réunis pour son expédition; mais avec d'aussi faibles troupes, il ne pouvait songer à prendre Limoges de vive force, il dut se retirer.

 

Le corps de ville s'assembla : Gautier fut appelé devant ses collègues; on mit les preuves de sa trahison sous ses yeux. Il essaya d'abord de nier; mais, bientôt convaincu par l'évidence, menacé d'être appliqué à la question, il se décida à tout avouer: il remit même aux consuls le traité qu'il avait en sa possession. Livré au prévôt criminel, il eut la tête tranchée au pilori de la place des Bancs, le 3septembre. La tête du coupable fut placée au bout d'une pique, au-dessus de la porte des Arènes.

 

Une procession annuelle - organisée peut-être dès les années 1430 et jusqu’à la veille de la Révolution - permettait à la population d’insulter « l’homme de fer » .

 

Sources : L. Guibert.

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