1941 – la Gnose et le Graal - 2 Les totalitarismes
Passons à présent aux totalitarismes :
Myrrha décrit ces idéologies ainsi : - L'homme moderne se veut l'auteur de sa propre loi, et l'Infini est sécularisé : '' Dieu est mort''. La sphère théologique avec Dieu ''puissance souveraine'' est remplacée par l'Etat, le Reich, et à sa tête : le Chef.
Ne croyons pas alors que nous sommes affranchis du religieux; non, nous avons sécularisé le religieux. Le résultat, c'est que le XXe siècle, sera appelé le siècle de la barbarie !
L'idéologie totalitaire apparaît comme gnostique, en ce sens que ce monde est livré au Mal, que le salut dépend d'un homme providentiel qui a la connaissance du Bien. Ce manichéisme élabore un racisme de race ou de classe. Ce monde est mauvais, parce qu'il est aux mains des Juifs ; cette connaissance cachée n'est dispensée qu'à une minorité ( le parti, les nazis). Le salut final s'exprime dans un futur totalitaire : une société égalitaire ou celle de la race pure.
Enfin, observons comment une influence gnostique pourrait manipuler la voie du Graal.
- Reconnaissons que l'Eucharistie présentée chez Chrétien de Troyes n'est pas vraiment orthodoxe. Il s'agit bien d'une eucharistie, selon l’explication de l’ermite à la fin du Conte du Graal : « Le saint homme, d’une simple hostie / qu’on lui apporte dans ce graal / soutient et fortifie sa vie / Le graal est chose si sainte / et lui si pur esprit / qu’il ne lui faut pas autre chose / que l’hostie qui vient dans le Graal.. ». Et nous ne sommes pas habitué à ce que l'eucharistie soit tenue par une femme, sauf chez les gnostiques.
C'est encore une femme, la cousine de Perceval, qui va mettre l'accent sur la ''connaissance'' qu'il n'a pas. Perceval a échoué parce qu'il est ignorant. L’éducation qui lui a été rapidement délivrée par sa mère avant de partir, et par le gentilhomme qui veut lui enseigner les principes de la chevalerie, se voulait ''orthodoxe'', et s'avère insuffisante... Bien sûr, il ne s'agit pas de la Quête d'un objet, mais de la recherche de la connaissance autour du Graal.
Un certain gnosticisme, comme mouvement religieux, pourrait entraîner ses adeptes à cette conviction qu'ils sont les initiés, possesseurs d'un secret - c'est à dire d'une connaissance strictement ésotérique – fondé sur une révélation mystérieuse.
Il y a une volonté gnostique de couper le lien théologique et métaphysique qui existe entre christianisme et judaïsme.
Wagner essaie de créer, avec Parsifal, un christianisme gnostique, où le mythe du Graal est détaché de son arrière-plan évangélique, et ouvre la voie à un « Christ aryen ». Bien sûr, on ne passe pas naturellement de Bayreuth à Auschwitz ; mais on ne peut pas empêcher Hitler d'aller nourrir sa passion destructrice dans l’esthétique wagnérienne.
Toute religion, et même toute idéologie, n'aurait-elle pas affaire à son ''agnosticisme'', sorte de maladie. ?
Nous en viendrons à la diagnostiquer, et à la déclarer ''gnostique, selon : son rapport à la connaissance, à la contradiction que vit le groupe entre collectif et individuel, à sa manière de traiter ceux qui sont en-dehors du groupe, selon comme elle traite ce qu'elle juge pur et impur ; ce qu'elle veut réserver à un petit nombre ; ce qu'elle justifie seulement par ''révélation'' ; ce qu'elle rejette parce que trop ''incarné'' ; à sa manière dualiste de juger, de se représenter le monde ; à son obsession de revenir aux origines.... etc...
Merlin, représente cette problématique parce qu'il est confronté au passage d'un monde païen, partie prenante de la nature, à un monde nouveau, chrétien, qui valorise l'humain ( la personne).
Cette carte renvoie pour Lancelot à son souci actuel de ne pas tomber dans cette maladie gnostique...
Myrrha Lot-Borodine conseille à Lancelot, la lecture de La Queste del Saint Graal traduite par Albert Pauphilet (1923).
Albert Pauphilet, lors du vote de l’assemblée des professeurs de la Sorbonne en 1940, s’est opposé à l’application des mesures prévues par le statut des juifs. ( Il sera emprisonné pour fait de résistance).
Vous savez que La "Queste del Saint Graal" est un roman qui forme la quatrième partie du cycle de la Vulgate et a été écrit dans les années 1225-1230.
Pourquoi cette version de la Quête ? Parce que selon les mots de Pauphilet, ce n'est pas un roman, mais une forêt de symboles, que chaque ligne renferme une intention morale ou édifiante.
Pour caricaturer, par quelques exemples, la signification qu'il veut donner : disons que les couleurs blanche et rouge, ce sont les couleurs du Christ, le Château des pucelles c'est l'enfer, la Table ronde est le monde, la vie séculière. Gauvain, c'est le pécheur endurci ; Lancelot c'est le pécheur repentant. Bohort, un « saint laborieux », par opposition, Perceval est le type de ceux qui se justifient par la foi, je dirais ou plutôt qui sont justifiés par la grâce, car, au fond, il est plus coupable que Bohort. Galaad, c'est le ministre du Christ, ou pour dire vrai, c'est le Christ lui-même. La « nef de Salomon » c'est le Temple, c'est l'Église; le lit, le dais, les trois fuseaux qu'elle transporte, figurent l'autel et la croix. L'épée de David c'est la sainte Ecriture. La femme de Salomon c'est « Ancienne loi », la Synagogue. La soeur de Perceval c'est la « Nouvelle loi », c'est l'Église chrétienne. Enfin le Graal, c'est Dieu et la Queste del saint Graal c'est la représentation de l'âme à la recherche de Dieu. Le prétendu roman se révèle sous sa vraie figure, c'est une « Imitation de Jésus-Christ ».
Le ''Lancelot '' se fait un devoir de présenter le récit sous la forme d'une chronique, la Queste commet s'affranchit des règles. La chronologie n'existe pas, parce qu'elle n'a que faire ici : la recherche du royaume de Dieu n'est pas soumise aux lois du temps.
L'auteur de la Queste, sans-doute un religieux cistercien, se soucie peu de la matière de Bretagne ; et beaucoup plus de l'Evangile..
L’œuvre se veut débarrassée de tout agnosticisme. Galaad, c'est le Christ revenant sur la terre sous la forme d'un chevalier errant. A la fin toute différence disparaît entre le Graal et le calice eucharistique. La morale, l'ascétisme, est celle de l'Église chrétienne, et la dogmatique est tout orthodoxe. La Queste est complètement opposée à ceux (tel Amaury de Chartres) qui nient la présence réelle.
Le mysticisme de la Quête peut séduire une âme moderne.
Je reviens sur l'actualité récente :
Anne-Laure de Sallembier a été très touchée par la mort d' Henri Bergson, ce samedi 4 janvier 1941. Comme beaucoup d'autres, elle s'était rendu récemment dans son vaste cabinet du boulevard Beauséjour, désorientée par notre actualité, espérant un conseil, de cet homme immobilisé qui n'avait pas peur. Elle le savait affaibli, mais le départ fut brusque.
Jacques et Raïssa Maritain, se souviennent en quoi la pensée d'Henri Bergson les a véritablement libérés. A l'heure où nous étions bloqués par « les préjugés antimétaphysiques du positivisme pseudo-scientifique» qui correspondait à l'esprit de cette époque, Bergson, nous a bousculé, ramenant «l’esprit à sa fonction réelle, à son essentielle liberté».
«Nous partions pour les cours de Bergson émus d’une curiosité bouleversante. Nous en revenions portant notre cueillette de vérités ou de promesses, comme vivifiés d’un air salubre». « Nous n’étions pas les seuls, sans doute, à qui Bergson rendait la joie de l’esprit en rétablissant la métaphysique dans ses droits (…) Il nous assurait que nous sommes capables de connaître vraiment le réel, que par l’intuition nous atteignons l’absolu.» ( Raïssa Maritain)