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schuman

1952 – Schuman -Rougemont -Corbin

Publié le par Régis Vétillard

On s'accorde à dire que c'est à partir du Congrès de La Haye de mai 1948, que le chantier de l'Europe a commencé. Huit cent "européistes" aux Pays-Bas, dont Camus, Malraux, des politiques, des hommes d'affaires se sont retrouvés aux Pays-Bas. Lors de la séance finale, les congressistes adoptent à l'unanimité le Message aux Européens préparé par le militant fédéraliste suisse Denis de Rougemont.

Depuis que Lancelot ( avec Elaine), avait rencontré Denis de Rougemont, lors d'une soirée au Cercle des étudiants vers 1930, ils n'avaient jamais rompu le contact.

Beaucoup avec Mounier, étaient passé au travers de ces années trente, en espérant, une troisième voie, voire même selon les mots de Rougemont, une'' révolution spirituelle''. Puis la guerre, avait renvoyé chacun à une réalité, bien plus triviale et tragique... Lancelot revit Rougemont, lors des "Rencontres Internationales de Genève", en 1946.

A présent, Schuman, lui-même, souhaitait rencontrer, sur un plan personnel, Rougemont. Il faut dire que Robert Schuman, s’intéressait de près à la question spirituelle.

C'est lors d'une discussion en aparté, que Schuman avait confié à Lancelot, qu'il était assez satisfait de sa disgrâce auprès de son ministère d'origine; et jusqu'à se porter garant auprès de la CIA, et lui permettre de le récupérer aux affaires étrangères sous le couvert du Saint-Siège. Le ministre évoqua Denis de Rougemont, chez qui il appréciait son ''personnalisme'', sa réflexion sur les totalitarismes, et sa spiritualité ouverte ( protestante).

Et finalement, c'est une grande chance, que l'occasion se soit présentée en juin 1952, lors d'une après-midi et du dîner : Lancelot put réunir Schuman, Nanik et Denis de Rougemont, et ( cerise sur la gâteau) Stella et Henry Corbin.

Les discussions tournent alors, bien-sûr autour de l'Europe, mais surtout concernent la spiritualité.

 

L'objectif d'une civilisation, dit Rougemont, c'est de donner un sens à la vie. « Elle pose un ordre, distingue le bien du mal, définit les raisons de vivre et de mourir, et dresse chaque homme, dès son enfance à s’y adapter et conformer. ».

- L'hindou a le karma, la caste... Dans un pays totalitaire, il y a le parti. L'européen, lui, semble un peu perdu. Il cherche, souvent il entre en conflit avec son milieu, les traditions, les préjugés...

- Cela ne daterait-il pas de cette religion « qui fit dépendre le salut de l’homme non point de l’observance des rites collectifs, mais de la conversion personnelle. » ? répond Rougemont.

« On peut donc définir l’Europe comme cette partie de la planète où l’homme, sans relâche, se remet en question, et veut changer le monde de telle manière que sa vie personnelle y prenne un sens. »

«Le fondement de cette révolution, son ressort et sa cause finale, c’est la notion, chrétienne à l’origine, de la valeur absolue de la personne humaine — de chaque personne humaine. »

Stella et Henry Corbin

 

Henry Corbin (1903-1978 ) répond qu'il y eut dans toutes les religions, des hérétiques. Lui-même s'intéresse aux hérétiques de l'Islam que sont les soufis, et les shi'ites... Loin de tout dogmatisme, il s'efforce de lier philosophie et théologie. C'est son professeur E. Gilson, qui l'a incité à apprendre l'arabe, il y a ajouté le persan et le turc... ! Deux rencontres l'ont de plus fortement marqués, Louis Massignon, et Denis de Rougemont... Corbin a traduit Heidegger, qu'il a rencontré avant guerre. Il a vécu à Istanbul, et actuellement son ''pays d'élection '' est l'Iran.

L'occident a perdu son ''sens'', au profit peut-être d'un esprit positif et d'une sécularisation de la société. D'ailleurs, si Corbin, parle de réconcilier l'Orient et l'Occident, c'est aussi de réconcilier la spiritualité et la rationalité, la théologie et la spiritualité... Et, c'est ce qu'il tente de présenter au '' cercle Eranos '' la première fois en 1949, devant des chercheurs, des intellectuels ; au cours de conférences où « chaque auteur traite de ce qui lui paraît essentiel pour l'homme à la quête de la connaissance de soi-même. ».

Les propos de Corbin interpellent fortement Lancelot, d'autant qu'il compare sa quête philosophique à la Quête du Graal, à laquelle seuls accéderont les chevaliers qui ont su s'en rendre dignes. Il fait référence à la querelle des universaux, au Moyen-âge, pour évoquer un monde de l' « imago », intermédiaire entre notre monde sensible, et le monde du pur Esprit.

Nos trois religions sont confrontés à un Texte. Nos théologies sont d'abord des herméneutiques ( un travail sur l'interprétation) ; et c'est sur l'esprit des textes qu'elles peuvent se rencontrer.

Article de Rougemont - l'Europe de la Culture

 

Rougemont plaide pour l'Europe de la culture ; d'autres pour l'Europe des marchandises. Si vous avez un bien A, et l'échangez contre un bien B ; à l'issue de l'échange vous possédez le bien B, et non plus le A ; c'est juste. Si vous avez un savoir A, et l'échanger contre un savoir B ; après l'échange, vous êtes riches des savoirs A et B... Et vous vous êtes fait un nouvel ami.

 

Robert Schuman, exprime lui, la responsabilité qu'il sent lui incomber, du bien commun. Devant les difficultés qui se présentent, s'il ne se décourage pas, c'est qu'il s'en remet – dit-il – à la Providence. Comment aurait-il pu affronter des élections, et les gagner, autrement ? La réconciliation entre L'Allemagne et la France est un autre défi, et préfigurera le projet européen.

Il comprend l'attachement de Corbin aux Textes, comme lui il dit apprendre du Nouveau Testament, « pour penser au plus près du Christ, et non pas selon les slogans du monde. ». Reconnaître dans un signe, comme l'Eucharistie, une Présence renouvelée lui donne l'énergie d'affronter les difficultés de la journée. « Je ne suis, dit-il, qu'un instrument imparfait, de la Providence. »

Schuman, qui hésitait jeune entre la prêtrise et l'engagement politique, a choisi le métier d'avocat, et la politique pour appliquer la doctrine sociale de l'Eglise et promouvoir la démocratie : « La démocratie doit son existence au christianisme. Elle est née le jour où l’homme a été appelé à réaliser dans sa tâche quotidienne la dignité de la personne humaine dans sa liberté individuelle, dans le respect des droits de chacun et dans la pratique de l’amour fraternel à l’égard de tous. Jamais, avant le Christ, de semblables concepts n’avaient été formulés».

Pour répondre à Rougemont, Schuman, pense que l'Europe, ne peut en rester à n'être qu'une entreprise économique et technique ; elle a besoin d'une âme, et il la reconnaît dans l'Europe chrétienne. L'Histoire a un sens, dit-il, elle tend vers plus d'égalité, et vers l'unité.

 

Lancelot interroge Henry Corbin sur ce ''cercle Eranos''. Et, ce qu'il va apprendre l'intéresse au plus au point.

Le projet de Olga Fröbe-Kapteyn (1881-1962), en 1933, était de construire un lieu avec une salle de conférence ("Casa Eranos") à côté de sa maison, sur les rives du Lac Majeur, à Ascona en Suisse . Elle se proposait d'accueillir des penseurs de tous ordres pour faire se rencontrer et dialoguer les philosophies orientales et occidentales.

Henry Corbin et Jung - Eranos

La présence de Carl Gustav Jung (1875-1961) a été décisive, et autour de lui des chercheurs dévoués à trouver la « racine commune de toutes les religions ».

Plusieurs sont devenus des habitués, comme Denis de Rougemont, Massignon, Rudolf Otto, Gershom Scholem, Gilbert Durant, Joseph Campbell, Marie Louise Von Franz, Mircea Eliade, et bien-sûr Carl Gustav Jung et son épouse Emma, et bien d'autres...

Trois types d'études y sont pratiquées : Mythologie comparée; Anthropologie culturelle; et Herméneutique symbolique.

Henry Corbin a donné sa première conférence, en 1949. Eranos est devenu, pour lui, important, Eranos donne un sens, une manière d'être...

Cette année 1952, Eranos se tient du 20 au 28 août. Le thème est l'Homme et l’Énergie ( Mensch und Energie )

Lancelot est enthousiasmé, et évoque la possibilité de s'y rendre ; Rougemont lui explique que les cessions ne sont pas vraiment publiques... Olga, est responsable de la programmation et de l’hébergement. Elle sélectionne et convoque les invités par lettre officielle ; mais peut-être pourrait-il trouver à se loger à Ascona, et assister à quelques conférences ; Rougemont promet de faire ce qu'il faut ; même si cette année, il n'y sera pas ; mais, Lancelot devrait y retrouver Corbin.

En effet, Henry Corbin, prépare une conférence sur '' le Temps cyclique dans le mysticisme et dans l’ismaélisme.''. A noter, que Jung devrait parler à propos de la synchronicité ( Über die Synchronicität).

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1949-1950 - Lancelot – La Guerre froide

Publié le par Régis Vétillard

Lancelot, qui dépend toujours de son ministère d'origine, celui de la Défense, est convoqué, en novembre 1949, par le cabinet du ministre Pleven. rue Saint-Dominique.

René Pleven ( 1901 - 1993 )

Lancelot apprécie cet homme politique; il avait tenté, à tort selon beaucoup, un rapprochement entre le MRP et RPF ( de Gaulle). Ministre en pleine guerre d'Indochine , alors que l'opinion est assez indifférente à cette guerre coloniale lointaine; mais pourrait changer de statut avec la Révolution chinoise, et donc l'extension de la guerre froide.

Pleven était partisan de Pacte Atlantique et opposé au réarmement de l'Allemagne.

Lancelot est reçu par son responsable administratif, l'invite à signer l'habituel document qui l'engage à ne rien divulguer de cette rencontre, et lui présente un conseiller de l'ambassadeur américain David Bruce, et Jean-Paul David, qui d'ailleurs fort sympathiquement, lui avait proposé récemment de l'accueillir dans son parti : le RGR, le Rassemblement des gauches républicaines.

Malheureusement, cette réunion ''surprenante'' s'appuie sur une erreur des renseignements américains, selon laquelle Lancelot serait communiste ! Et peut-être même un agent pour la Tchéka !! Lancelot tombe des nues, et ne sait comment convaincre ses interlocuteurs de ses positions, à l'opposé de celles-ci.

Enfin, l'américain dévoile une série de documents qui attestent l'engagement de son épouse Geneviève dans le Parti communiste français. Photos, rapports, à l'appui.

En conclusion : Lancelot reconnaît les choix politiques - différents des siens - de la part de sa femme. Et, au risque de déplaire à ses interlocuteurs, Lancelot refuse d'envisager de travailler avec la CIA.

En conséquence... Il accepte une nouvelle affectation, au service de l’administration française ! Cette entrevue s'avère, pour Lancelot, très désagréable ; et surtout, lui laisse un arrière goût de trahison et d'un manque de jugement incompréhensible sur son travail.

 

La guerre froide intensifie la fascination pour les États-Unis depuis la libération. La culture américaine est bien présente, avec le succès de différents styles musicaux, du jazz au be-bop, qui influencent nos artistes. Les français découvrent Hemingway, Faulkner, les romans d'espionnage de Ian Flemming. Le ''Journal de Mickey'' commence sa parution en 1952. Avec le cinéma, nous découvrons les lunettes Ray ban, les briquets zippo, les mouchoirs jetables, les chewing-gum, les cigarettes blondes.... Les bases américaines de l'OTAN participent à la diffusion de ''l'American way of life''.

Les États-Unis financent plusieurs organisations comme les congrès pour la liberté de la culture, '' Paix et Liberté '' ; des revues, des brochures...etc

C'est Jean-Paul David, qui est le fondateur de Paix et Liberté, un mouvement anticommuniste très actif qui a sa chronique régulière sur les ondes nationales.

Lancelot a suivi, depuis Paris, la fondation du Congrès international pour la liberté de la culture (CILC) au Titania Palace à Berlin-Ouest le 26 juin 1950. Il s'agit de répondre à l'offensive communiste internationale, pilotée par l'URSS, sur le plan idéologique et politique.

Sont présents parmi ceux que nous connaissons : Denis de Rougemont, Pierre Emmanuel Karl Jaspers, John Dewey, Arthur Schlesinger, Bertrand Russell, Ernst Reuter, Raymond Aron, Jacques Maritain, Arthur Koestler, Robert Montgomery, Tennessee Williams, Ernst Reuter... etc. Plusieurs ex-communistes, comme Koestler et Borkenau, sont parmi les plus véhéments à résister au communisme.

Robert Schuman (1886-1963)

Quelques jours plus tard, Lancelot est nommé au Ministère des affaires Étrangères, à partir du 1er janvier 1950. Il s'avère, même s'il n'a pas pu le rencontrer, que c'est le ministre lui-même, Robert Schuman, qui s'est proposé de le recevoir dans ses équipes.

Schuman est arrivé au Quai d’Orsay, en juillet 1948. La question allemande est l'une de ses premières préoccupations.

Le 5 mai 1949, 10 pays ont signé à Londres le statut du Conseil de l'Europe, mais cela n'a pas satisfait Robert Schuman : ce conseil est consultatif, et peu incitatif à aller plus loin... Le protectorat français sur la Sarre reste un problème pour la RFA ; de même la tutelle internationale sur les bassins miniers de la Ruhr... Schuman élabore, avec Jean Monnet un plan en toute discrétion. Les parlementaires et les industriels ont été écartés du projet, Adenauer le soutient... Le 8 mai 1950, secrètement les cinq ministres des Affaires économiques du Royaume-Uni, des trois pays du Benelux et de l'Italie, sont mis au courant.

Et le 9 mai 1950 - à 18 heures dans le salon de l'Horloge du Quai d'Orsay à Paris - Robert Schuman, ministre français des Affaires étrangères, propose de placer, sous une Haute Autorité européenne, la mise en commun de la production et le marché du charbon et de l'acier.

CECA

Cette déclaration provoque un engouement pro-européen, et les négociations aboutissent finalement à la signature du traité CECA à Paris entre les Six (France, RFA, Italie, Benelux), le 18 avril 1951, pour une durée de cinquante ans.

 

Mais, la mission proposée à Lancelot ne concerne ni l'Allemagne, ni l'Europe ; mais le Vatican ! Il est en effet chargé du conseil et de la rédaction de notes concernant les liens avec le Saint-Siège, via notre ambassade.

Lancelot, reste fortement blessé par l'abandon de ses supérieurs, et ressent cette nouvelle affectation comme une ''mise au placard''.

Anne-Laure de Sallembier a plaint son fils, et aussi beaucoup ri ! Pourquoi ne pas envisager, comme un signe, cette étrange affectation. ?

Elaine, qui a cinq ans, interroge son papa, s'il pourra venir plus souvent à Fléchigné. « Effectivement ! Si je laisse tomber les américains, et les communistes ; j'aurai plus de temps.... »

La conversation avec Geneviève a été plus difficile. Sans donner ses sources, et sans faire allusion à sa convocation ; Lancelot l'interroge sur son engagement politique, lui laissant entendre ce que des collègues lui auraient rapporté ; et, sa propre mise à l'écart. Choquée par ces critiques, Geneviève admet son investissement dans le '' Mouvement de la Paix'' ; mouvement, ouvert à tous et non aux seuls communistes, aux objectifs qu'elle est fière de défendre....

Très vite, elle en vient à ses reproches envers Lancelot, et ce mariage qu'elle qualifie '' d'arrangé''. Lui et sa mère, ne l'aurait ''arrangé'' que pour lui substituer sa fille. Lancelot lui rappelle le contexte de la naissance d'Elaine. C'est elle qui a préféré vivre et rester à Paris, elle est entièrement libre de voir sa fille, à Fléchigné, quand elle le souhaite.

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