munich
Septembre 1938 – Accords de Munich
Jean Luchaire, qui fréquente toujours les bureaux ministériels, lors des ministères Chautemps, sous des visites cordiales, s'ouvre à l'un ou l'autre dont Lancelot sur ses critiques du Front Populaire et en particulier envers la politique sociale démagogique communiste. Il veut soutenir les politiques d'apaisement, dit-il de Chautemps, Bonnet et Paul-Boncour.
Le directeur de Notre Temps, sent la guerre se rapprocher, mais - dit-il - on peut l'éviter si on s'arrange avec l'Allemagne et si la France prend de l'assurance ( forte de son Empire) : la France doit reprendre le travail !
Daladier et Georges Bonnet au quai d'Orsay, lui redonnent confiance... Leur voyage à Londres et la volonté britannique de ne pas garantir l'indépendance de la république tchèque conforte Luchaire.
Nos services de renseignement, s'accordent avec Bonnet, pour demander à Luchaire de rester en contact avec Abetz ( qui a épousé la secrétaire de Luchaire en 1932) , afin de connaître l'état d'esprit de Ribbentrop et d'Hitler...
« Dans les huit jours qui précédèrent la conférence du même nom [Munich], Abetz vint à Paris et reprit avec moi les contacts interrompus depuis si longtemps. A ses yeux, comme aux miens, il fallait éviter le conflit menaçant ; je fis de mon mieux pour ma part auprès de mes amis politiques, notamment auprès de Georges Bonnet, Ministre des Affaires étrangères, Eugène Frot, Gaston Bergery, Anatole de Monzie et Pierre-Etienne Flandin. Ces efforts ne furent pas vains, comme on put le constater la semaine suivante ( Interrogatoire Luchaire, Nice, 02/07/1945, p.16.). »
Luchaire pense que huit français sur dix, refusent la guerre, par ''mauvaise conscience'' envers l'Allemagne, victime de Versailles ; nous ne pouvons plus tenir cette politique internationale tendue depuis vingt ans.
Les opinions politiques britanniques se satisfaisaient que la France empêtrée dans un socialisme ( finalement moins dangereux qu'elles craignaient...) ne pouvait plus espérer dominer l'Europe ( même du haut de ses colonies..) ; mais elle reste belliciste, aussi pensent-ils, pourquoi ne pas laisser les Français, ou encore mieux les Russes, livrer bataille en Europe...
Les français pensent que la Grande-Bretagne - à l'abri derrière la Manche - nous laisse le risque de la sécurité en Europe; cependant elle reste notre principal allié, et il n'est pas judicieux de s'en détacher. Quant à l'Urss, si elle n'est pas avec nous, elle sera contre nous, mais Daladier craint d'alarmer l’Allemagne, face à ce qu'elle appellerait une tentative d'encerclement...
Chamberlain rejette l'idée de ''grande alliance de Churchill '' et la proposition soviétique d'une conférence internationale. Chamberlain semble disposer à négocier avec Hitler, mais refuse une alliance avec Staline.
Après l'annexion de l'Autriche, Hilter s'est tournée du côté de la Tchécoslovaquie avec le rattachement des sudètes au Reich. Or la France a signé en octobre 1925 à Locarno un pacte d'assistance avec la Tchécoslovaquie et la Pologne contre une éventuelle agression allemande. L’Angleterre décide de négocier, mais Hitler élève ses exigences ( encore plus, et plus vite … !)
Le 24, la France décide une mobilisation partielle.
Sur la ligne Maginot, les troupes françaises sont en état d'alerte.
André Weil, comme diplômé de l'École normale, est versé dans le cadre des officiers de réserve. En septembre 1938, il voit se préciser des risques de guerre... Il n'est pas prêt à mourir pour un conflit absurde, selon lui. Il écrit « ...je me sens aussi loin des pacifistes inconditionnels que des patriotes intransigeants, s'il en reste, ou bien des gauchistes fanatiques ».
Il part en pays neutre, la Suisse, puis envisage d'émigrer aux États-Unis. Il invoque un prétexte quelconque ; il y restera deux jours...
La Guerre est là ! La France doit répondre à ses engagements
Mussolini propose une conférence...
** 29 - 30 septembre 1938: accords de Munich. ( sans la Tchécoslovaquie, sans l'Urss …)
Les quatre puissances décident de la cession immédiate des Sudètes à l'Allemagne. La Tchécoslovaquie n'a pas participé aux négociations. Hitler proclame la fin de ses revendications européennes...
Daladier et Chamberlain sont, chacun, accueillis triomphalement. La Paix est saluée : Léon Blum, dans Le Populaire du 1er octobre : « Il n'y a pas un homme et pas une femme en France pour refuser à Chamberlain et à Daladier leur juste tribut de gratitude. La guerre est écartée. Le fléau s'éloigne. On peut reprendre son travail et retrouver son sommeil. On peut jouir de la beauté d'un soleil d'automne. Comment ne comprendrais-je pas ce sentiment de délivrance puisque je l'éprouve ? »
La chambre des députés ratifie l'accord : ont voté contre les 73 députés communistes, un socialiste Jean Bouhey, et un député de droite Henri de Kérilis.
Emmanuel Berl affiche sa satisfaction que l'on ait évité la guerre de justesse. Quelques-uns de des amis de la NRF, le condamnent. Au nom de l'ant-fascisme, la polémique s'écrit entre ''Les Pavés de Paris'' ( de Berl) et, Julien Benda et Schlumberger de la NRF.
Berl veut vaincre Hitler par la paix, et non par la guerre,
Berl ajoute que sa revue (les ''Pavés de Paris'') a été fondée pour démasquer et pour déjouer le complot ourdi contre la paix par les agents directs, ou indirects, ou avoués, ou secrets du Komintern.
Daladier entretient une confusion volontaire entre ''réfugié'' ( tchèques, allemands, autrichiens ou espagnols) et agents communistes. Loi du 12 novembre 1938 pour « le contrôle absolu à l'accès sur notre territoire » prévoit un internement administratif des « indésirables étrangers »/
Berl soutient cette politique, que les réfugiés soient juifs ou non.
Au moment de Munich, après une hésitation due à ses convictions pacifistes qui le rangent d'abord du côté munichois, Mounier ne tarde pas à rejoindre le camp des anti-munichois. Fabrègues, en revanche, reste hostile à tout conflit menaçant la civilisation occidentale et se montre délibérément favorable à Munich.
Emmanuel Mounier réagit et parle de « la félonie Daladier-Chamberlain ».
Fabrègues qui avait préparé sa valise en cas de mobilisation est rassuré, au contraire : « s’il n’y a pas de trop gros incidents guerriers en Tchéco-Slovaquie et si le parti juif de la guerre qui se démène en France ne parvient pas à nous affoler, si. (comme il est actuellement certain) l’Angleterre est décidée à maintenir la paix et la France décidée à modeler son attitude sur celle de l’Angleterre, il ne doit pas y avoir de guerre européenne. » Et cela, même s'il considère avec Maulnier que l'empire français, l’empire britannique, et un jour ou l'autre la puissance industrielle des Etats-Unis, font que nous avons « dix fois plus d’atouts que l’adversaire encore aujourd’hui ». Mais la guerre moderne serait trop destructrice, et mettrait en péril la civilisation..
1931 - L'Allemagne - 8 – ''La Montagne Magique'' Th. Mann
Lancelot rejoint ensuite Munich, pour rencontrer André d'Ormesson (1877-1957), ministre plénipotentiaire chargé de la légation de Munich entre 1925 et 1933.
L'actualité est à l’« incident Naviasky » survenu à la suite d'un cours de Hanz Nawiasky professeur de droit administratif sur « le Traité de Versailles et le traité de Brest-Litovsk ». Il défend la thèse de « la force qui crée le droit » ; c’est-à-dire l’idée que les vainqueurs imposent toujours les conditions de paix aux vaincu : « A Versailles, nous avons été traités de la même manière que nous avions employée envers les Russes à Brest-Litowsk ». Immédiatement, s'organisent de grandes manifestations patriotiques contre le Traité de Versailles et ses « défenseurs allemands ». Le recteur de l’université doit « appeler la police, pour évacuer les salles et les couloirs » et « suspendre les cours pendant 4 jours et procéder à une enquête contre le Professeur de droit international, M. Naviasky ».
En 1931 le parti nazi totalise environ deux cent mille adhérents, il s'implante assez vite, et les étudiants nazis de Munich ont réussi à devenir une force politique importante et représentent 35% des voix au conseil des étudiants de l’université.
Elaine et Lancelot retrouvent à Munich Jean Cavaillès qui parcourt aussi l'Allemagne pour ses recherches. Il a rendu visite à Husserl, suivi un cours d'Heidegger, et doit rencontrer le père jésuite Przywara, directeur spirituel d'Edith Stein...
Ils se rendent tous les trois dans une brasserie de la vieille ville, et le hasard les amènent à entendre Adolf Hitler encadré par sa garde en uniforme. Son visage retient l'attention, autant par sa mâchoire que par son regard qui fixe le vide, il mine ses slogans et s'en prend aux parlementaires...
D'Ormesson est un ami de Thomas Mann, qui est installé avec sa famille dans une villa de la Poschingerstrasse à Munich. Lancelot s'arrange pour accompagner le ministre chez le prix Nobel de littérature ( depuis 1929); il n'en espérait pas tant...!
Thomas Mann habite avec sa grande famille dans une maison dont le style correspond au goût de l’époque wilhelminienne et au climat culturel au temps de Guillaume II...
Le beau temps permet une visite du jardin ; et la présence d’un groupe de frênes sur le gazon devant sa maison, permet à l'écrivain de signaler à ses visiteurs français que c'est cet arbre qui fournit à Wotan la hampe de sa lance, et son bois desséché va permettre d’embraser le Walhalla; lui a son arbre préféré, et c'est un bouleau. Ils ont emménagé dans cette maison, qu'il a fait construire et entourée de deux cours d'eau, en 1914. Le matin, Thomas Mann, s'enferme dans son bureau pour travailler; et le laisse ouvert l'après-midi pendant lequel le couple lit, ou reçoit des amis,
D’Ormesson évoque les troubles particulièrement violents des jeunes nazis à l’université...
Ces jeune nazis - pour désavouer l’humanisme et restaurer la barbarie en politique - brandissent les notions philosophiques à la mode du sang, de l’instinct, de la pulsion et de la violence. Ils le font contre les pensées prétendument abolies, les pensées de liberté et de démocratie. Ces jeunes, incapables de toute vie spirituelle, se fabriquent un culte romantique brutal du passé, un mélange de révolution et de réaction qui se donne des airs d’un avenir juvénile et s’entend ainsi à séduire. »
Thomas Mann s'inquiète des résultats des élections du Reichstag de septembre 1930... Effectivement, le parti national-socialiste remportera une spectaculaire victoire électorale : près de six millions et demi de voix contre 800 000 deux ans plus tôt, cent sept députés au Reichstag au lieu de douze.
Un mois plus tard, à Berlin, Thomas Mann va s'engager contre le national-socialisme dans un discours qu'il nomme « Un appel à la Raison » ; il appelle à s'unir autour de la social-démocratie, pour faire barrage au nazisme...
Lancelot réussit à revenir le lendemain, avec Elaine, à Poschingerstrasse pour interroger Thomas Mann sur le livre qu'il classe parmi ses dix essentiels: ''La Montagne Magique'':
- « En 1912, ma femme souffrait d’une maladie pulmonaire, heureusement pas très grave; pourtant, il lui fallait passer six mois en haute altitude, dans un sanatorium de Davos. En mai et juin, j’ai donc rendu visite à ma femme pendant quelques semaines à Davos. Il y a un chapitre dans La Montagne Magique, intitulé « Arrivée », où Hans Castorp dîne avec son cousin Joachim dans le restaurant du sanatorium, et goûte non seulement l’excellente cuisine Berghof, mais aussi l’atmosphère du lieu et la vie « bei uns hier oben. » Si vous lisez ce chapitre, vous aurez une image assez précise de ma rencontre avec ce lieu étrange, et de mes propres impressions à ce sujet. Ces impressions sont devenues de plus en plus fortes au cours des trois semaines que j’ai passées à Davos... Ce sont les trois mêmes semaines que Hans Castorp devait à l’origine passer à Davos, bien que pour lui ils se soient transformés en sept années de conte ''magique''. Je peux même dire qu’elles auraient pu annoncer la même chose pour moi. L'une de ses expériences est un transfert assez exact à mon héros de ce qui m’est presque arrivé; je veux parler de l’examen médical du visiteur insouciant, et de la nouvelle qui en résulte, à savoir qu'il devient lui-même, un patient!
En effet, j'étais là , au Berghof, depuis dix jours, et assis sur le balcon par un temps froid et humide, quand j’ai pris un coup de froid bronchique assez gênant. Deux spécialistes étaient dans la maison, le médecin en chef et son assistant, alors j’ai pris la décision de les consulter. J’ai accompagné ma femme au bureau, elle-même ayant été convoquée à l’un de ses examens réguliers. Le médecin en chef, qui ressemblait bien sûr un peu à Hofrat Behrens, m’a examiné et a découvert tout de suite un endroit soi-disant suspect dans mon poumon.
Si j’avais été Hans Castorp, la découverte aurait pu changer tout le cours de ma vie. Le médecin m’a assuré que je devrais agir sagement, c'est à dire rester ici six mois et suivre la cure. Si j’avais suivi ses conseils, qui sait, je serais peut-être encore là-bas! J’ai écrit Der Zauberberg à la place.
« Le récit que j’ai planifié - et que j'ai immédiatement intitulé ''La Montagne Magique '' - ne devait être qu’un équivalent humoristique de la « Mort à Venise », un équivalent par son ampleur, c’est-à-dire une longue nouvelle... Son atmosphère devait être un mélange de mort et d’heureuse villégiature que j’avais éprouvé dans cet endroit étrange...
Quand je suis revenu à Munich, je me suis mis à travailler sur les premiers chapitres.
Puis, la Première Guerre mondiale éclata.
Il en a résulté deux choses : - cela a mis un terme immédiat à mon travail sur le livre, et - ce temps a incalculablement enrichi son contenu en même temps. Je n’y ai pas travaillé pendant des années.
Au cours de ces années, j’ai écrit Les Considérations d'un apolitique , une œuvre d’introspection douloureuse, dans laquelle j’ai cherché la lumière sur mes propres vues à propos du conflit. En fait, c'est devenu une préparation pour mon livre lui-même; une préparation qui a grandi énormément et consommé de grandes quantités de temps. Goethe a appelé un jour son Faust « cette plaisanterie très grave. » Eh bien, ma préparation concernait ce livre qui ne pouvait plus devenir une plaisanterie, ou une plaisanterie très grave...
- Je comprends bien ce que Hans a pu ressentir... Il entre dans une nouvelle existence ; et, en relativement peu de temps, il se coupe de sa vie '' d'en-bas''.
- Exactement... Bien sûr, ce que j'ai décrit y compris la conception du temps, je l'ai faite à échelle réduite... Le traitement est long, sur plusieurs années; mais après les six premiers mois, le jeune homme n’a plus d'autre idée en tête que le flirt et le thermomètre sous sa langue. Après, encore six mois, il a même perdu la capacité de toute autre idée; il devient complètement incapable de vivre '' en-bas ''.
Des institutions comme le Berghof étaient un phénomène typique d’avant-guerre. Elles n’étaient possibles que dans une économie avantageuse pour les grandes fortunes qui fonctionnait alors. Ce n’est que dans ce cadre qu'il était possible pour des patients d’y rester année après année aux frais de la famille. La Montagne Magique est devenue le chant du cygne de cette forme d'existence.
- Ce qui frappe le lecteur dès le début du livre, c'est que ''là-haut'', la notion de temps, change ... Joachim prévient Hans que tout ici devient étrange, en rapport avec la vie d'en bas... Le climat, et surtout le temps... Que sont trois semaines?: "trois mois sont pour eux ici, comme un jour"
- Oui, parlons du mystère de l’élément temps, traité de diverses façons dans le livre. C’est dans un double sens un temps romancé. D’abord dans un sens historique, en ce sens qu’il cherche à présenter la signification intérieure d’une époque, la période d’avant-guerre. Et deuxièmement, parce que le temps est l’un des thèmes du livre: le temps, traité non seulement comme une partie de l’expérience du héros, mais aussi en soi et à travers lui-même. Le livre lui-même est la substance de ce qu’il relate: il dépeint l’enchantement mystérieux de son jeune héros dans l’intemporel... Il essaie, en d’autres termes, d’établir un ''nunc stans'' magique ( un éternel-présent) pour utiliser une formule de la scolastique. Il prétend donner une parfaite cohérence au contenu et à la forme, à l’apparent et à l’essentiel; son but est toujours et constamment d’être celui dont il parle. »
- C'est tout à fait ça...! Le fond et la forme. C'est un livre '' magique ''!