Août 1944 : Valéry - La résistance à Fléchigné.
Paul Valéry et Jeanne L. (Jean Voilier) |
Le 1er août 1944, Anne-Laure de Sallembier et son fils, sont invités dans les jardins de la demeure de Jeanne L., 11 rue de l'Assomption, pour entendre la lecture d'une pièce que Jeanne appelle '' le troisième Faust'' , et que l'auteur, Paul Valéry, nomme ''Lust'' ( idéal en allemand, idéal féminin) et qui est tout à la gloire de sa maîtresse. Les invités échangent dans le jardin; beaucoup de gens ''bien'', comme Duhamel dont on dit qu'il « tient en respect les forces maléfiques » - Anne-Laure apprécie beaucoup sa femme, Blanche Albane célèbre actrice dans les années 1920 - Mauriac est absent. Duhamel est de formation scientifique, et Lancelot profite également de la présence de Louis de Broglie pour l'interroger sur la genèse de la mécanique ondulatoire.
Lancelot a retenu, en particulier, que Louis de Broglie a profité de l'analogie entre le principe de moindre action en mécanique et le principe de Fermat en optique pour formuler la mécanique ondulatoire. Ce serait intéressant d'en reparler, car cela met en valeur, - pense Lancelot - à la place d'un langage mathématique sous forme d'équations différentielles, un système de formulations ''élégantes'' exploitables en science et en philosophie. Paul Valéry ne pourrait qu'apprécier...
Si chacun, ici, reconnaît Jeanne L. dans Lust, et peut-être Valéry dans Faust ; que penser de Robert Denoël, présent également et nouvel amant de cette femme ambitieuse ? Lust pourrait bien finalement, tomber dans les bras du ''disciple''.
Faust - transporté à l'époque moderne - est l'intellectuel qui se voudrait le maître de sa secrétaire, et qui se venge ; elle qui - si elle ''n'est pas là pour comprendre'' - interroge le sens du message, le commente, ironise... Lust répond avec son rire, son corps. C'est parole contre parole.
Deux personnages interviennent, Méphisto ( ridicule, avec un esprit médiocre, ordinaire) et le disciple auquel Faust se confie : « revivre, ce n'est plus vivre ».
Mais, Faust découvre un moment de plénitude : « Je respire ; et rien de plus, car il n’y a rien de plus. Je respire et je vois (...). Mais ce qu’il y a peut-être de plus présent dans la présence, c’est ceci : je touche (...) » Et, Lust devient '' l'autre '' : « Viens faire un tour dans le jardin », murmure Faust » ( le jardin, la femme, le fruit, l'arbre, le serpent...).
Lust tient tête à Méphisto et se dérobe (?) à l’amour banal du Disciple.
Cette pièce inachevée, se termine ici par un Faust qui meurt d'amour. « II dépend de ton coeur que je vive ou je meure / Tu le sais à présent, si tu doutas jamais / Que je puisse mourir par celle que j'aimais. »
Après qu'une jeune femme, accusée de '' collaboration horizontale '' avec l'ennemi, ait été molestée; Geneviève a été dénoncée et inquiétée pour avoir eu une relation avec un officier allemand.
Au mois d'août 1944, Lancelot et Geneviève enceinte, ont rejoint Fléchigné. Avec l'accord d'Anne-Laure, ils ont pris la décision d'organiser très rapidement leur mariage. Il eut lieu dans l'intimité.
Ils assistent de loin à la libération de la Normandie …
Il a fallu attendre, après le 6 juin, que l'armée américaine du général Patton perce les lignes allemandes à Avranches. Le 3 août 1944, elle libère Rennes. Ensuite partagée en trois, un corps d'armée reçoit l'ordre d'établir des têtes de ponts à Mayenne, Laval pour prendre les Allemands à revers.
Le 5 août, les américains sont à Mayenne, qu'ils libèrent.
De plus près, la comtesse de Sallembier, son fils et leurs employés soutiennent l'intendance du maquis Fleury.
Tout se précipite alors, les soldats allemands sont harcelés. Trois d'entre eux sont tués route d’Izé à Bais en début d’après-midi ; en représailles, les Allemands encerclèrent dans la nuit le village de l’Aubrière situé à 500 mètres de Bais. Le 5 août, dans une ferme appartenant à un cousin de notre famille, Albert Vétillard, lui et quatre autres personnes sont désignés comme otages. Alignés, battus et fouillés, ils sont froidement abattus.
Le 6 août, à proximité de Fléchigné, des résistants du groupe Fleury tendent une embuscade sur la route au lieu-dit la Nivelaie, en tirant un fil de fer en travers de la route. Une moto ennemie arrive et heurte le fil de fer. Le conducteur chute, se relève et essuie les tirs des maquisards. Après avoir fait demi-tour, il revient accompagné d'une automitrailleuse, qui oblige les résistants à décrocher, après un cours mais violent engagement au cours duquel Edouard Lemée est tué.
Le 12 août au matin, Alençon est libérée par la 2e Division Blindée française du Général Philippe Leclerc de Hauteclocque.
De retour d'une promenade aux Tuileries, le 11 août 1944, Drieu la Rochelle a tenté de se suicider. Il travaillait - avait-il dit - sur une pièce concernant Judas. Il s'interrogeait sur le rôle que le traître devait maintenir pour que les choses s'accomplissent. Judas nécessaire, mais Judas méprisé. Pour Drieu, une des valeurs supérieure qui légitimerait sa trahison, serait la dimension européenne du patriotisme nouveau. Drieu est un précurseur, et son suicide semble pour les jeunes générations, une réponse à cette phrase qui ouvre l'essai de Camus '' Le Mythe de Sisiphe '' : « Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide ? »
Découvert par sa femme de ménage, c'est Colette Jéramec ( sa première femme) qui l'a conduit à l'hôpital américain.
Quelques semaines auparavant, Lancelot, avait noté quelques idées de sa conversation. Il se disait vexé « de l'incapacité du fascisme, de l'incapacité allemande, de l'incapacité européenne. » Il parlait souvent de la mort, il avait commencé à vivre ''l'heure de la mort''. Elle lui devenait « merveilleusement, délicieusement familière. »
De sa difficulté de croire en Dieu, il disait : « Impossible d'imaginer l'infini créant le fini... Pourquoi le parfait rêverait-il de l'imparfait ? Pourtant, c'est l'explication la moins impossible. Mais l'Infini n'a pas besoin du fini pour se concevoir ; il n'a pas à se concevoir. »
L'idée de la survie de l'âme individuelle lui paraissait, enfin, lui paraît ( il n'est pas mort...), vulgaire. Se confronter à la mort, volontairement ou non, ne consiste pas à s'interroger sur la question de perdre ou sauver son âme : « Ce que je sens de spirituel en moi, d'immortel, d'inépuisable, c'est justement ce qui n'est point particulier. J'ai toujours eu le sentiment, dans mes moments de plénitude, de lucidité, que ce qui compte pour moi, en moi, c'est ce qui n'est pas moi, c'est ce qui en moi participe à quelque chose d'autre que moi. »
Si la rivalité entre Giraud et De Gaulle tourne à l'avantage de De Gaulle ; beaucoup s'inquiètent de la volonté des communistes de s'imposer dans la résistance pour prendre le pouvoir. Les communistes ne souhaitent pas seulement la libération du territoire ; mais aussi le pouvoir de conduire le peuple vers une idéologie, elle-même totalisante ; ainsi ce tract, dans lequel le PC se dit être « le parti qui, guidé par le marxisme-léninisme et par l'enseignement de Staline, a su dégager ce que représente la nation comme facteur de libération humaine. »
La nouvelle du succès du débarquement de Provence, le 15 août, a déclenché l'insurrection à Paris.