Albert Camus – Simone Weil
L'année 1962 avait commencé avec des plasticages de l'OAS. Le 8 février une manifestation contre l'OAS était durement réprimée, huit personnes perdaient la vie.
En mars, après la signature des accords d'Evian qui accordaient l'indépendance à l'Algérie ; c'est l'armée française qui tirait sur une manifestation de pieds-noirs à Alger et tuait une cinquantaine de personnes. Les attentats et massacres ne cessent pas.
Le 4 janvier 1960, Albert Camus, à 47ans, disparaissait dans un accident de voiture. Lancelot regrette de ne pas l'avoir plus approché. Sa réflexion, à l'aube de cette nouvelle décennie nous manque.
Déjà, Camus, soulevait la question et le paradoxe de la violence terroriste. Ils se retrouvent dans la maxime du militant révolutionnaire qui serait : « sauver l’humanité en tuant quelques êtres humains », ''sauver'', alors que le résultat certain et concret est le massacre d'innocents.
Plus généralement la question concerne l'emploi de la violence pour atteindre un but politique. Sachant peut-être que pour un révolutionnaire ( ou un fasciste), il s'agit avant tout, de créer un climat d'insécurité... Le terroriste qui se pose en représentant du peuple, affirme qu'il est désintéressé, prêt au sacrifice de sa propre vie.
Quel pourrait être le contenu d'une politique, qui se fondrait sur l'exercice de la terreur ?
La torture, réhabilitée par l'actualité, interroge l'Etat lui-même..
Pour Camus, l'état se discrédite si lui-même utilise la torture, la répression aveugle, et donne raison à ceux qu'il combat, il appelle cela ''la solidarité du sang'' : « La face affreuse de cette solidarité apparaît dans la dialectique infernale qui veut que ce qui tue les uns tue les autres aussi, chacun rejetant la faute sur l’autre, et justifiant ses violences par la violence de l’adversaire. » (Camus, Chroniques Algériennes 1939-1958 )
« Le terrorisme détruit la politique au nom de la politique. »
Comment peut-on justifier sa conduite quand on ne croit ni en Dieu, ni au pouvoir de la raison ?
Après l'Absurde avec L'Etranger, et l'essai Le Mythe de Sisyphe de 1942 ; puis la Révolte avec L'Homme révolté , Camus veut comprendre ce qui pousse des hommes à braver l’interdit du meurtre au nom de la justice. Avec la pièce Les Justes, et dans cet extrait (acte II), Camus illustre deux conceptions :
Stepan : L’Organisation t’avait commandé de tuer le grand-duc.
Kaliayev : C’est vrai. Mais elle ne m’avait pas demandé d’assassiner des enfants. […]
Dora [s’adressant à Stepan] : Ouvre les yeux et comprends que l’Organisation perdrait ses pouvoirs et son influence si elle tolérait, un seul moment, que des enfants fussent broyés par nos bombes.
Stepan : Je n’ai pas assez de cœur pour ces niaiseries. Quand nous nous déciderons à oublier les enfants, nous serons les maîtres du monde et la révolution triomphera.
Dora : Ce jour-là la révolution sera haïe de l’humanité entière.
(...)
Kaliayev : « J’ai choisi de mourir pour que le meurtre ne triomphe pas. J’ai choisi d’être innocent ». (Camus, Les Justes (acte II)
Camus refuse le nihilisme. La vie, l'amour lui donnent « l'orgueil de sa condition d'homme. » (Noces suivi de L’Été )
Pourtant, Lancelot ne peut se satisfaire de ces raisons de vivre que Camus a exprimé dans ses livres.
Et c'est précisément, grâce à la collection Espoir que Camus porte chez Gallimard, que Lancelot est rappelé à l'enseignement et surtout au témoignage de Simone Weil.
Je rappelle que Lancelot par l'intermédiaire d'Auguste Detoeuf ( Alsthom) a rencontré cette jeune fille à l'étrange dégaine, qui faisait parler ceux qui fréquentaient l'ENS. Elle enseignait la philosophie à Bourges, et revenait alors à Paris, dont les usines étaient occupées, nous étions en 1936 ; et elle parlait de son expérience comme ouvrière. A ses yeux, Lancelot était alors un acteur du ministère Daladier de la défense, au sein du gouvernement Blum. Simone Weil, parlait d'aller en Espagne, s'engager auprès des républicains.
Ils avaient pris le temps de parler du « génie de la civilisation d'Oc », qui a su mêler « la chevalerie venue du Nord et les idées arabes, et qui ressemble à une petite réplique de la Grèce Antique ». Ils avaient échanger sur ''le Graal'' ; il parlait de ''La Coupe'', où elle préférait voir une Pierre, comme chez Parsifal. Elle relevait également, que la Question salvatrice, se rapportait à la découverte de l'attention à l'autre ( Quel est ton tourment ?). Elle l'avait prévenu : « La quête du Graal, peut être un détournement, ou un dévoiement, de l’attention. Vouloir trouver le Graal, c’est privilégier la volonté au détriment de l’attention. », comme l'évoque le personnage de Gauvain...
En juin 1940, à Vichy Lancelot croisait Simone Weil, qui fuyait Paris avec ses parents.
Enfin, en 1942, Lancelot avait échangé avec Gustave Thibon leurs impressions sur cet « être supérieur'' comme il disait.
Bien plus tard, après la guerre, Lancelot apprit par Maurice Maillard, que Simone Weil était morte à Londres le 24 août 1943, à l'âge de 34 ans.
Dès 1947, Gustave Thibon avait publié un recueil de pensées de Simone Weil, composé de divers passages tirés de ses carnets personnels écrits à Marseille entre oct. 1940 et avril 1942 et organisés par thèmes : La Pesanteur et la Grâce.
Ensuite, c'est Albert Camus, qui recevait un manuscrit présenté par Brice Parain, un philosophe proche d'André Weil, le frère mathématicien de Simone ; également ami du père Dubarle, dominicain que connaît bien Lancelot. Il propose le titre '' L'Enracinement'' à ce '' Prélude à une
déclaration des devoirs envers l’être humain'' qui sera publié en 1949, chez Gallimard.
Dans le cadre d'un travail d'une commission de réforme de l'Etat, où elle a été affectée en novembre 1942 à Londres, comme rédactrice ; elle écrit ce texte, qui deviendra son testament intellectuel, avec pour thèmes : l'oppression sociale, le travail physique (ouvrier et paysan), la religion, la beauté, le régionalisme, la science, la guerre, l'impérialisme, le colonialisme, le totalitarisme, etc...
Plutôt que ''devoirs'' Simone Weil eut préféré ''aspirations'' : elle parle d' « aspirations essentielles du peuple, éternellement inscrites au fond des âmes »
Elle réfléchit à ce qui '' entrave l’aspiration des êtres humains à la beauté, à la vérité et à la justice''
pour dessiner, ensuite, les contours d’une organisation sociale qui respecterait les hommes, respecterait les corps et, par-dessus tout, respecterait les âmes ; et satisfaire ce qui est « peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine » : le besoin d’enracinement .
Dès le début de l'ouvrage, elle affirme : « la notion d’obligation prime celle de droit, qui lui est subordonnée et relative ».
14 janvier 1963 - le général dit non à l’Angleterre pour le Marché Commun |
Finalement, sous la pression de la France, les six pays de la CEE ajournent les négociations sur l’adhésion du Royaume-Uni. Le rapport de Lancelot sur les possibilités d'un échange scientifique et nucléaire entre nos deux nations, est ignoré.
En 1963, Lancelot décide de se retirer d'une agitation politique et administrative qui n'échappe pas aux enjeux de pouvoirs, et dirigée principalement vers la satisfaction des attentes du consommateur toujours plus avide... Il s'agit sans-doute de l'émergence d'un nouveau monde, mais Lancelot se demande si nous prenons le temps de la réflexion. Quelle est la vision de l'avenir de cette nouvelle société, quel est son désir et pour quel futur ?