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Bernanos et les Machines
Bernanos bouscule, et Anne-laure de Sallembier ressent l'intime impression qu'il énonce ce qu'elle ne peut réussir à exprimer et qui lui paraît si juste ; à savoir que le totalitarisme prend racine à l'intérieur même de la démocratie avec la Technique. L'Etat totalitaire est un enfant de la Civilisation des Machines. En cause, une conception de l’homme radicalement nouvelle et imposée par « l’État technique qui n'aura demain qu’un seul ennemi: “ l'homme qui ne fait pas comme tout le monde” ou encore “l’homme qui a du temps à perdre” ou plus simplement “l’homme qui croit à autre chose qu’à la Technique”. »
Les deux mots magique du paradis de ''la civilisation des machines'' seront : « Obéissance et irresponsabilité ». Dans les salons Bernanos s'emporte : c'est lui le défenseur de la Démocratie.. ! Que faire si la démocratie nous trompe ? « Les totalitarismes sont les fils de la démocratie. J’emm… la démocratie. » !
Ce que tente d'expliquer Anne-Laure, qui défend Bernanos, c'est que le nazisme n'était pas une parenthèse. Il existe une complicité essentielle entre le libéralisme et le totalitarisme, et s'incarne aujourd'hui dans la technique ; et l'appui des intellectuels par une sorte d'hypertrophie de la rationalité.
« La machine s'est faite homme, par une espèce d'inversion démoniaque du mystère de l'Incarnation. » : c'est du Bernanos.
Plus précisément, Bernanos n'est pas l'ennemi de la technique, mais il se méfie terriblement des techniciens. « Non le danger n’est pas dans les machines, car il n’y a pas d’autre danger pour l’homme que l’homme même. Le danger est dans l’homme que cette civilisation s’efforce en ce moment de former »
Lancelot juge les positions de Bernanos exagérées ; et les propos, cette même année, de Malraux, en conférence à la Sorbonne semble lui répondre. Malraux s'interroge sur les valeurs de l’Occident européen, et juge que ce ne sont ni le rationalisme ni le progrès qui les fondent : « La première valeur européenne, c’est la volonté de conscience. La seconde, c’est la volonté de découverte. (…) La force occidentale, c’est l’acceptation de l’individu. Il y a un humanisme possible, mais il faut bien le dire, et clairement, que c’est un humanisme tragique. » ''L’homme et la culture '', conférence donnée à la Sorbonne le 4 novembre 1946, sous l’égide de l’UNESCO.
Il faut dire que Lancelot, lit à cette époque, les articles de Jean Fourastié (1907-1990) qui se veut délibérément optimiste ; au point que Jean Monnet lui demande de rejoindre son « club des optimistes », c'est à dire ses collaborateurs au Commissariat du plan.
Fourastié veut rassurer l’homme « quant au pouvoir qu’il peut exercer sur les esclaves mécaniques que sa science a créés »
Fourastié, examine la production industrielle américaine, la consommation et le niveau de vie, le rendement du travail humain, le genre de vie et la vie intellectuelle ; et cette évolution progressive du niveau de vie conduit de façon certaine « à une nouvelle forme de civilisation ». Il conclut également que le temps dégagé grâce aux bénéfices du progrès technique est investi dans des activités culturelles. Il prédit l’avènement d’une civilisation tertiaire, « civilisation intellectuelle de l’homme moyen. »
Fourastié dans son ouvrage ''La civilisation de 1960 '' paru en 1947, définit le progrès technique selon trois indices : - l'augmentation des rendements en nature, - l'augmentation du rendement du travail des producteurs directs , et - la baisse des prix salariaux. Ils semblent à Lancelot, assez discutables, et peuvent conduire à surestimer sur ces points l'importance du progrès et l'optimisme qui s'en déduit... ?
Emmanuel Mounier, responsable de la revue Esprit, ne partage pas non plus le pessimisme de Bernanos, il le range sur ces propos, dans la catégorie des réactionnaires et des traditionalistes, réputés promoteurs d’un « esprit apocalyptique » et chantres d’un « prophétisme morose » . Mounier tient au christianisme, et le veut solidaire de la « notion de progrès ».
Mounier se représente l'antimachinisme comme « un mythe bourgeois ». il est convaincu que le développement du machinisme va connaître une « limite » : « Déjà on atteint des paliers, » exemple : le téléphone n'est plus perfectionnable ! Il veut éviter le catastrophisme. La pédagogie de ce moment charnière, est qu'il met à jour des thèmes qui nous habitent comme la nature et son viol par la technique, l'artificiel et notre suspicion. La technique ne serait-elle pas « la nature totalement engagée par l’homme dans l’aventure de l’homme. » ? Il n'y aurait pas de mesure de l'homme, « destiné à exercer la souveraineté sur toute la création terrestre, il est lui-même la mesure de la nature. ».
Depuis quand : « l’angoisse de la fin, à chaque seconde imminente, aurait plus de valeur que la promesse toujours offerte des jours » ?, nous demande Mounier.
7 février 1947 à 21h, Bernanos est à la Sorbonne, pour une conférence : '' Démocratie et Révolution'' ; alors que paraît son ouvrage ''La France contre les robots''.
Anne-Laure de Sallembier s'enthousiasme d'entendre Bernanos parler de la Révolution de 1789, comme celle de l’abolition des privilèges (nuit du 4-Août) et de la fête de la Fédération, c’est-à-dire de la nation unie autour de la notion de liberté, mais aussi du roi et de la religion chrétienne. 1789, dit-il a été rendu possible par l’homme du XVIIIe « tout hérissé de libertés ».
« Ce sens de la liberté propre au peuple français est tout ce qui permet de résister à l’ordre et à la réglementation des capitalistes américains, qui se préoccupent davantage de mécanique et de technique que de démocratie, et de ce point de vue ne valent guère mieux que les marxistes et les fascistes, lesquels ne font pas même semblant de croire à la liberté. »
Avant que Bernanos ne parte pour la Tunisie, nous lui demandons d'être positif et nous fournir quelques conseils pour résister à la ''Civilisation des machines''. ?
- Nous disposons du modèle antique de l’homme contemplatif : celui qui ne se soumet pas à l’impératif technicien de la production et lui préfère l’impératif proprement humain de la liberté.
L’homme contemplatif est précisément celui qui ne « rougit » pas d’avoir une âme, qui s’en soucie et qui estime que la vie intérieure – parce qu’elle a partie liée avec l’Esprit – vaut infiniment plus que celle que tente de lui substituer la civilisation des machines.
- Le peuple français, héritier de la civilisation grecque, demeure par excellence le peuple de la liberté. Il est donc capable de refuser l’obéissance et l’irresponsabilité qui sont les deux mots d’ordre de la civilisation des machines.
La liberté, entendue comme condition de possibilité de l’âme et, de son synonyme, la vie intérieure.
C’est par la vie intérieure que sont transmises des valeurs indispensables sans quoi la liberté ne serait qu’un vain mot.
La conscience n’est plus qu’une relique du passé ? « Les âmes ! On rougit presque d’écrire aujourd’hui ce mot sacré », s’indigne l’écrivain. « L’homme n’a de contact avec son âme que par la vie intérieure, et dans la Civilisation des machines la vie intérieure prend peu à peu un caractère anormal. »
« Il faut, d'abord et avant tout, re-spiritualiser l'homme. »
1946 - L'Esprit Européen – Bernanos
Lancelot obtient l'agrément pour participer aux "Rencontres Internationales de Genève", sous le signe de '' l'Esprit Européen", du 2 au 14 septembre 1946. Elles sont organisées par L'Europa-Union de Suisse, qui anime un mouvement fédéraliste en vue d'une communauté européenne, voire d'une union mondiale ( selon l'article 52 de la Charte de la toute nouvelle ONU).
Le Comité d'organisation, explique dans un texte-manifeste, ses intentions profondes : « Un monde nouveau est en train de naître. Sera-ce un monde civilisé? Quelle sera cette civilisation? Sera-t-elle à hauteur d'homme? Voici que l'heure est dangereuse et trouble. Les espoirs que la fin de la guerre avait fait naître n'osent plus se montrer au grand jour. Les vertus qui s’étaient trempées dans la résistance au mal ont peine aujourd'hui ä s'unir pour le bien commun. L'ivresse de la puissance et des grands nombres, la démesure, l'oubli de la sagesse, menacent les sociétés et les individus. II est vrai que la pensée de l'Europe, en sa totalité doive être tenue pour responsable de la catastrophe. Si les Européens ont donne l'exemple de bien des folies, l'Europe a été, durant 25 siècles, le lieu où souffle l'esprit - (durant des siècles, pour reprendre l'expression de Paul Valery, ). Le temps est venu de se demander ce qui est vivant, ce qui est valable, ce qui est juste, dans la pensée humaine et européenne» Extrait
Sont réunis des intellectuels, des écrivains et des artistes en provenance de plusieurs pays européens, principalement de France, de Suisse et d'Italie. l’Italien Francesco Flora, le suisse Jean Rodolphe de Salis, les français Julien Benda, Jean Guéhenno et Georges Bernanos, le suisse Denis de Rougemont, le hongrois et marxiste Georg Lukács, l’anglais Stephen Spender et l’allemand et libéral Karl Jaspers.
Ils ont accepté en plus de leur conférence de débattre avec des écrivains ou des essayistes : Jean Amrouche, René Gillouin, Jean Lescure, Maurice Druon ; des critiques : André Rousseaux, Jean Starobinski ; des philosophes : Maurice Merleau-Ponty ou Jean Wahl ; également, le chef d’orchestre Ernest Ansermet, le poète et essayiste Max-Pol Fouchet, le musicologue Antoine Goléa.
Lancelot et Geneviève amènent Anne-Laure, ravie de voyager et de se retrouver dans une ambiance de congrès. Ils ont le privilège de résider à l’Hôtel Beau-Rivage ; là même, où il y a quelques mois, le général de Gaulle, accompagné de son épouse, y résidaient lors du mariage de leur nièce.
En marge des conférences et des débats, sont proposés des manifestations théâtrales et musicales : Un récital Paul Valery, L 'Annonce faite à Marie de Paul Claudel, un Récital Ramuz et L'Histoire du Soldat, la Symphonie pour orchestre ä cordes (1941) de Honegger, et Fidelio de Beethoven.
Antony Babel recteur de l’Université de Genève, explique que « ce n'est pas un hasard que nous avions choisi un tel sujet. Nous voulions, avec d'autres, rechercher dans les décombres de l'Europe les éléments vivants qui pouvaient subsister»,
Ce qui touche Anne-Laure, c'est la référence à '' l'esprit européen'' par la figure de Germaine de Staël, développée par Denis de Rougemont, qui ajoute : « La Suisse est intacte. Elle seule a gagné la guerre. »
Pourtant la guerre n'est pas oubliée ; elle est même crainte : Jean Guéhenno, craint « une nouvelle guerre, non pas entre l’Est et l’Ouest, mais une guerre civile mondiale entre la justice sociale et la liberté. » et selon Denis de Rougemont : « Sauver l’Europe, c’est pratiquement et aujourd’hui, empêcher à tout prix la guerre »
Lors d'un débat, il est fait référence à deux ouvrages récents d'Arthur Koestler: - Le Zéro et l’Infini, dans lequel il décrit le mécanisme des aveux lors des grands procès de Moscou en 1936. Dans un régime totalitaire, l'individu représente ''zéro'', il n'existe que par et pour la collectivité. Pourtant, et Malraux le dit dans Les Conquérants : « Une vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie ». Une vie est un zéro mais c’est aussi un infini.
Guéhenno croit et défend ''l'esprit européen'' ; quant à l’objection « Mais l’américanisme, mais le soviétisme ! Mais que sont donc, je vous le demande, l’américanisme et le soviétisme sinon des déformations de l’esprit européen. (…) Et qu’ont-ils fait, l’un et l’autre ? Poussé à l’extrême un seul des principes de l’esprit européen, le principe d’efficacité, le principe du rendement. »
Koestler, dans ''Le Yogi et le Commissaire'', explique que le monde est partagé entre des hommes qui pensent que tout changement social ne peut s’opérer que du dedans de l’homme — c’est l’espèce « yogi », c’est l’espèce des belles âmes, si je peux dire — et d’autres hommes qui croient que tout changement ne peut se faire au contraire que du dehors — c’est l’espèce « commissaire ». « Eh bien, ni le yogi, ni le commissaire ne sont dans l’esprit européen. Ce qui est dans l’esprit européen, c’est, entre le yogi et le commissaire, l’individu. »
Et, plus précisément, pense Lancelot ; c'est, dans la tradition chrétienne : la personne.
Certains orateurs veulent séparer ''l'esprit européen'' de la question politique, comme Jaspers ; d'autres l'estiment liés ( Lukács..) ; ou seulement : empêcher le retour du fascisme. En question également : peut-on faire l'Europe sans la Russie ?
Le 12 septembre, Anne-Laure ne veut pas manquer la conférence de Bernanos. Comme attendu, il ne se veut pas aimable. Il compare le monde à un ''marché noir'' : après celui des cathédrales, il y a le peuple du marché noir, la démocratie du marché noir !
« La Démocratie est la forme politique du Capitalisme, dans le même sens que l’âme est la Forme du corps selon Aristote. »
« L’Europe chrétienne s’est déchristianisée, elle s’est déchristianisée comme un homme se dévitaminise. »
« Je vois se construire un monde où ce n'est pas assez de dire que l'homme n'y pourra vivre ; il y pourra vivre, mais à la condition d'être de moins en moins homme. Ce monde se donne l'illusion de se construire parce qu'on y tronque, mutile, retranche tout ce qui appartenait jadis à l'homme libre, tout ce qu'on avait fait à son usage et qui pourrait rappeler demain, au robot totalitaire, la dignité qu'il a perdue, qu'il ne retrouvera jamais plus. »
A suivre....
Les Années 1930 - ''La Grande Peur des bien-pensants'' de Bernanos
Quelques mois après leur retour, Anne-Laure de Sallembier reçoit Georges Bernanos à l'occasion de sa présence à Paris, pour la sortie de son dernier livre '' La Grande Peur des bien-pensants''.
Précédemment, sa mère avait offert à Lancelot les trois romans qui ont fait de Bernanos un écrivain reconnu , et pour le dernier, ''La Joie'', il reçut le Prix Fémina (1929) .
La lecture de ''Sous le soleil de Satan'' est de l'avis de Lancelot, celle qui l'a marqué le plus à cette époque. En effet, jusqu'à présent la littérature était fière d'affirmer une esthétique qui dépasse les contingences ( de Proust à Gide, Valéry...). Dans ce roman - ce qui enchantait Lancelot - de la boue d'un village d'Artois, d'un quotidien à « la solitude immense, déjà glacée, plein d'un silence liquide... »… surgissait le surnaturel. De plus, la question religieuse de la sainteté , n'était pas traitée dans une pieuse hagiographie, mais dans une traversée des maux d'une humanité inquiète. Satan, bien réel, n'est pas ici une figure de la sexualité, mais du désespoir .. Ici, le saint n'y est pas en paix. Ce n'est pas une mystique du salut et Donissan ne craint pas, même, de sacrifier le sien.
Bernanos prend le parti de la révolte, non de la morale des bien-pensants.
Des critiques regrettent que ce roman soit mal composé, sans voir en quoi celui-ci est novateur : ce qui prime ce n'est pas l'intrigue comme terrain d'expression de personnages, mais la question métaphysique : « le tragique mystère du salut » selon les mots de Bernanos.
Ce ''salut'' qui ne serait pas individuel, mais collectif... !
Pour l'heure, ''La Grande Peur des bien-pensants'' un recueil d'articles ; mais qui doit se lire comme un roman, est soutenu par Léon Daudet dans L'Action française du 28 avril 1931.
Dans ce livre Bernanos tient à nous faire partager son enthousiasme pour Edouard Drumont. Il serait une « Espèce de chevalier français » en croisade contre la IIIème République.
- Drumont s'en prend aux gens raisonnables, aux prudents ; il n'a pas craint les procès, les duels... Il est ingérable : c'est ce que j'appelle un ''enfant humilié '' : Humilié par les atrocités de la répression de la Commune. Humilié par le parti clérical, quand il s'est présenté aux élections de 1890... Un beau personnage de roman, qui ne surmonterait pas son désespoir...
- En quoi, un homme « aigri, revenu de tout », mort, pourrait-il nous intéresser, aujourd'hui ?
- Mon ami, sachez que lorsque votre mère vous mettait au monde, la lecture de Drumont faisait partie du bagage intellectuel de tout royaliste de l’Action française. Mon père, le soir nous lisait La Libre Parole ( le journal de Drumont)... Drumont semblait maudit, pourtant il s'est jeté dans la mêlée politique... Il est peut-être une énigme pour vous ; pour moi, depuis les tranchées, beaucoup moins... Autant les bien-pensants le rejetteront, autant je m'y intéresserai.
La pensée de Drumont n'est pas méthodique, comme celle de Maurras, elle est éruptive.
- Des nationalistes en France, ne craignent pas aujourd'hui de s'afficher ''fasciste'' – selon l'exemple italien – ou '' national-socialiste '' comme en Allemagne... Vous sentez-vous proche de Coty et sa campagne ''anti-juive'' ?
- Je dénonce la ''banque juive'' , c'est tout... ! Je dénonce notre élite conservatrice et son laïcisme républicain. Je hais l'injustice, la mauvaise foi, l'opportunisme... J'attends non pas des chemises brunes, mais des chevaliers ! Lancelot ! Tu vois bien ce que je veux dire.. ! ?
Drumont ,et moi avec ce livre je voudrais vous réveiller... Comme Drumont avec son livre '' La France juive '' ; d'ailleurs, son succès avait été immense. Il faut sauter à la gorge de la politique, de la finance...
- Je vous respecte infiniment ; j'entends très bien votre dénonciation... ; mais je ne vous suis pas, quand vous reprenez cette infâme rengaine de l'antisémitisme de Drumont qui accuse des gens qui se sont battus à vos côtés ; quand nous savons que Dreyfus, était innocent...
Je reviens d'Allemagne, et c'est comme si de Drumont, Hitler n'avait gardé qu'une chose, la haine et l'antisémitisme. En quoi, cette violence pourra t-elle abattre la dictature de l'argent ? En quoi, préfigure t-elle l'irruption du surnaturel, la radicalité du Christ ?
- Je ne veux abattre personne, individuellement. J'ai de la compassion pour chacun d'entre nous, jusqu'au plus vil... J'en veux à « la force immense, informe de l'argent »...
Ne succombez pas aux sirènes du pacifisme, une paix moderne qui annonce une ère d'esclavage, asservissement moderne de l'individu... Un monde sans mystique, un monde qui ne croit en rien, même l’Église s'est laissait corrompre par l'argent... Nous allons vers « l'Usine universelle, l'Usine intégrale »
Anne-Laure conclue cette discussion :
- Bernanos, vous revenez sans cesse à votre rêve d'enfant : une France chrétienne, aux valeurs chevaleresques... si éloignée de notre IIIème république !
La Chevalerie, l'honneur et la guerre de 1914. -2-
Les témoignages ont rapporté que c'était une guerre où l'on est tué, plus que l'on ne tue ; et sans voir l'ennemi. Le héros est un soldat qui s'offre aveuglément à suivre des ordres venus de l'arrière...
Pendant ces quatre années, Anne-Laure n'était retourné à Paris, que très rarement et par obligation... Comment pouvait-elle à nouveau fréquenter le monde, côtoyer ces aristocrates, ou grands bourgeois et aussi leurs domestiques, maîtres d'hôtel et grooms; comme si de rien n'était...?
A Cochet (*) écrit que les Parisiens de 1916, ont perdu la conscience du drame humain... Que reste-t-il ? « Il semble donc qu'à Paris, la guerre se réduit à un thème décoratif, à des stéréotypes auxquels, par exemple, la mode féminine se conforme facilement. Le modèle national est le masculin, le militaire (…) »
« La mort de millions d'inconnus nous chatouille à peine » écrit Proust … « pour les autres, pour les Verdurin (ou pour Proust lui-même ?), les noyés du Lusitania, « les hécatombes de régiments anéantis », restent des notions, des images qui ne peuvent susciter que des « réflexions désolées », nécessairement conventionnelles. »
« Madame Verdurin, est contrariée par la guerre qui raréfie les fidèles de son salon (…), tandis que Proust affirme qu’« elle ne voulait pas les laisser partir, considérant la guerre comme une grande « ennuyeuse » qui les faisait lâcher. Aussi, elle aborde la guerre avec ironie."
« Pour l'ensemble des non combattants, cette tranquillité morale - oscillant de l'oubli à l’indifférence - traduit aussi la confiance dans l'évidence de la victoire (…) ».
Les Parisiens auraient-ils oublié en 1916 le risque permanent de la mort qu'assument les combattants ? On assiste à une scène typique de Proust avec un « pauvre permissionnaire » les « restaurants pleins et « les vitrines illuminées », qui regarde « se bousculer les embusqués retenant leurs tables » avant de se précipiter au cinéma. Il résume, selon Proust, toute « la misère du soldat », « non la misère du pauvre mais celle de l'homme résigné (…) »
Sources : (*) Cochet A., L'amour de la patrie dans « Le temps retrouvé » de Marcel Proust, 1998.,
Bernanos n'a pas abandonné, pour autant, son rêve d'enfant... Il condamne la ligne sociale conservatrice de l'Action Française, et envoie à Maurras, en 1919, sa lettre de démission...
« (…) Il ne faut plus décevoir les enfants de France, jamais. La seule tradition de ce peuple, qu’aucune secte, qu’aucun parti n’ose, n’est capable de revendiquer, la seule qu’aucun parti, qu’aucune secte ne saurait assumer, parce qu’elle ferait plus que les écraser, elle les rendrait ridicules, c’est celle de la chevalerie chrétienne française, C’est celle de la chrétienté, C’est celle de l’honneur de la chrétienté. » dans ' Nous autres Français '
Sous le titre « Nous autres français » sont réunis des pamphlets de Georges Bernanos écrits en 1938 et 1939. Bernanos n'a alors rien perdu de ses convictions... Bien après la Grand Guerre, il s'engage alors, en 1936 contre la "Croisade" du général Franco, contre Maurras, et en général contre les milieux catholiques réactionnaires et conservateurs.
La religion n’est pas une idéologie, ni l’Eglise un parti. Seul l’esprit de la chevalerie chrétienne peut avoir un impact sur les forces politiques de droite ou de gauche, mais aussi sur l’Eglise. L’honneur n’est pas un concept qui s’explique par la logique ou par les raisons. Le concept appartient à une autre dimension, se situant au dessus des raisonnements intelligibles. Bernanos refuse de voir l’honneur comme un concept faisant parti d’une idéologie ou une doctrine quelconque. « Il n’est besoin que d’un court dressage pour faire un fanatique, au lieu que l’élaboration d’un type humain comparable à celui de l’ancien chevalier français reste le travail des siècles. » ( Nous autres Français, page 237 ).
Donc - ce 11 novembre 1918 - ils annoncent qu'à 6 heures du matin, dans la clairière de Rethondes (forêt de Compiègne) des généraux ont signé l'armistice, dans un wagon-restaurant qui - avant la guerre - emmenait les Parisiens à Deauville. ...
Il y a comme une atmosphère d’irréel, difficile à disparaître, qui à force de s'être répandue sur toute chose a modifié le quotidien ...
Bernanos propose que l'on écrive sur le monuments aux morts : « La Victoire ne les aimait pas »
Winston Churchill a 44 ans ; après être allé au front, il est ministre de l’Armement ; il écrira : «Les cloches sonnèrent, et je n’éprouvai aucune allégresse. Rien ou presque de ce qu’on m’avait appris à croire n’avait survécu et tout ce que l’on m’avait appris à croire impossible était arrivé. […] La victoire était indiscernable de la défaite.»
Les vivants font la fête ; ils disent que c'était la «der des ders».
La Chevalerie, l'honneur et la guerre de 1914. -1-
Bernanos, comme J.B. sont des cavaliers, amoureux du cheval... Dans les dragons, ils pensaient éventuellement, affronter une mort glorieuse après une chevauchées lance au poing...
Bernanos est sorti anéanti de cette terrible expérience de quatre années. Loin de la gloire, il a rencontré le Mal... Ses romans, en particulier ''Sous le soleil de Satan '' et L'Imposture'' sont l'expression du combat spirituel au fond d'une tranchée... Une œuvre qui prend racine dans son enfance...
« Qu’importe ma vie ! Je veux seulement qu’elle reste jusqu’au bout fidèle à l’enfant que je fus. » dans 'Les Grands Cimetières sous la lune'
« Certes, ma vie est déjà pleine de morts. Mais le plus mort des morts est le petit garçon que je fus. Et pourtant, l’heure venue, c’est lui qui reprendra sa place à la tête de ma vie, rassemblera mes pauvres années jusqu’à la dernière, et comme un jeune chef ses vétérans, ralliant la troupe en désordre, entrera le premier dans la Maison du Père ».
« Pauvres petits garçons français, mis à la torture par les fabricants de morale civique, et qui n’auraient connu d’autre image de la France qu’un cuistre barbu qui parle de l’égalité devant la Loi, si le bonhomme Perrault – disons saint Perrault, puisqu’il est sûrement dans le Paradis ! – n’avait offert aux rois et aux reines exilés l’asile doré de ses contes, les châteaux du Bois dormant. Quel symbole ! les cuistres du siècle des cuistres poursuivant la majesté royale – leurs sabots à la main pour courir plus vite, les imbéciles – et la majesté royale déjà était à l’abri dans les pans de la robe des Fées. Le petit homme français, abruti de physico-chimie n’avait qu’à ouvrir le bouquin sublime, et dès la première page, il pourfendait les géants, il réveillait d’un baiser les princesses, il était amoureux de la Reine. [...] Je connais un jeune Lorrain de quatre ans qui, à ma demande : "Qu'est-ce qu'un roi ?" m'a répondu : "Un homme à cheval, qui n'a pas peur ! » : un chevalier ! » De 'Noël à la Maison de France', 1928, Essais et Ecrits de combat, I, Pléiade
Des contes, un roi, des chevaliers.... ? Ce n'est pas très sérieux.. !
« On peut faire très sérieusement ce qui vous amuse, les enfants nous le prouvent tous les jours.. » dit Bernanos... Adolescent, camelot du roi, il écrit - dans le journal Le Panache, revue royaliste illustrée, en 1907. - des nouvelles avec des chevaliers mourant à la guerre au service du trône de France. Pour Bernanos, la chevalerie c'est du sérieux...
Quand Bernanos parle d'Honneur, et pour donner corps au concept, il évoque la Chevalerie et le Moyen Age... Il n'est pas le seul...
Le chantre du patriotisme, son héraut : c'est Maurice Barrès (1862-1923)... Avant 1914, il est le maître à penser à droite et de certains à gauche...
« Si Monsieur Barrès n'eût pas vécu, s'il n'eût pas écrit, son temps serait autre et nous serions autres. Je ne vois pas en France d'homme vivant qui ait exercé, par la littérature, une action égale ou comparable. » Avis du jeune critique Léon Blum.
Avant et pendant la guerre, Maurice Barrès va être le 'propagandeur' de la guerre ; Romain Rolland le surnomme : « le rossignol des carnages... » Même à la fin de la Guerre, il reste le champion du « jusqu'auboutisme ».
Maurice Barrès est fasciné par les chevaliers, les croisades... En Orient, il en a cherché les traces ; et a exprimé son admiration dans '' Un jardin sur l’Oronte '', un roman qui présente dans un orient médiéval fantasmé, une histoire d'amour entre un chevalier et une sarrasine... En rapport avec la guerre, on peut y retrouver le goût de la gloire et de l'aventure.
Pendant toute la durée du conflit mondial, Barrès donne à L’Écho de Paris, des centaines d'articles... On peut lire, de Barrès, l'oraison funèbre de Paul Déroulède (1846-1914), en février 1914 ; il s'adresse au défunt : « Et maintenant, chevalier de la France, va rejoindre les grands chevaliers, tes pareils, la cohorte toujours accrue que mènent, depuis le fond des âges, les Roland, les Du Guesclin et les Bayard. » ( Chronique de la Grande Guerre, t. I,) Bernanos avait admiré Déroulède...
Il va comparer Péguy à Bayard, le capitaine Driant à Tristan ; et finalement tout soldat français... A un jeune soldat français, il écrit : « Cher enfant, Déroulède vous eût armé chevalier. […] je reconnais et salue (…) un des jeunes compagnons de Jeanne d’Arc, un de ces pages dont l’histoire n’a pas gardé le nom, et qui la comprenaient tout aisément, servaient sa gloire et sa tâche. » ( Chronique de la Grande Guerre, t.I )
Encore : … Nos soldats de 1914 possèdent intact l’héritage moral de nos vieux chevaliers (…). La civilisation des cathédrales n’est pas morte ! Nos soldats pratiquent toujours le code de la chevalerie et ses commandements précis. » ( Chronique de la Grande Guerre, t.I )
Enfin, Au printemps de 1919, à propos des aviateurs, Barrès notait dans ses Cahiers : « Les romans chevaleresques, vivre une vie de chevalier, conquérir le ciel, que cela est tentant ! Et de nos jours encore, je vois des gens qui réinventent une vie de chevalier »
Alors même que les armes parlent ; des spécialistes de l'art ou d'histoire rapportent que c'est en France, au Moyen-âge que la pensée chrétienne a trouvé sa forme parfaite ; au XIII e siècle, elle s'est exprimée au travers des cathédrales. Ils cessent d'employer l'adjectif ''gothique''... Les ravages exercés sur les cathédrales sont exploités dans la presse : la cathédrale blessée est souvent représentée, sous forme d’une allégorie féminine martyrisée... A la France : le Moyen Âge lumineux du temps des cathédrales et à l'Allemagne : les âges sombres des Grandes Invasions.
On retrouve la même symbolique en Angleterre et aussi aux Etats-Unis où la guerre est assimilée à une croisade contre le mal : c'est la « Pershing’s Crusaders »
Comme l'avait déjà observé Anne-Laure de Sallembier, et plus explicitement pendant la guerre, le chevalier arthurien est présenté comme le précurseur du gentleman britannique qui part à la guerre...
Jeanne d’Arc est un modèle pour tous les alliés : elle oppose à ses juges une foi inébranlable et symbolise le courage face au fanatisme. Sa vertu constitue l’ultime mode de l’expression chevaleresque.
Bernanos, décoré de sa croix de guerre, est défait... Le poilu n'est qu'un rouage d'une machine qui ne le considère que comme de la chair à canon. A la différence de Barrès, il ne s'est pas soustrait au destin tragique de sa génération.
L'après-guerre lui semble vide d'un pourquoi ? Pourquoi la guerre ? Pourquoi la Victoire ? Vide spirituel, et aussi intellectuel.
« De 1914 à 1918, l'arrière s'est parfaitement bien passé de nous. La mort de quinze cent mille des nôtres n'a rien changé à son aspect (…), je dis plus : ne fût-il pas revenu un seul d'entre nous, l'histoire de l'après-guerre n'en aurait pas été modifiée pour autant. Elle était faite par avance, et elle était faite sans nous ! » ''Les enfants humiliés: Journal 1939-1940''