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1943-44 - La vie continue, du côté du Café de Flore. Sartre, Simone de Beauvoir...

Publié le par Régis Vétillard

Fin 43, début 1944. La France se détourne de la collaboration. 1 850 000 prisonniers sont toujours détenus dans les stalags allemands. François Mitterrand ( connu pour son rôle en faveur des prisonniers de guerre) - lors d'une réunion publique salle Wagram, à Paris, le 10 juillet 1943 – interpelle l'orateur : « Nous n'acceptons pas le honteux marché que vous appelez la relève et qui se sert de nos camarades restés là-bas comme d'un moyen de chantage pour justifier la déportation des français... » Masson à la tribune s'insurge, le menace ; la police s'approche, Mitterrand soutenu par la salle réussit à s'enfuir...

La Wehrmacht a renoncé à la conquête de l'URSS. Mussolini est tombé, la Corse est libérée et un débarquement eut lieu en Sicile. Même un vichyste ( honnête), ne peut ignorer l'information sur l'existence de camps d’extermination de juifs. Des maquis sont actifs et la Résistance s'organise.

 

Robert Brasillach

Robert Brasillach, à 34 ans, est rédacteur en chef de '' la Chronique de Paris'', pendant l'été 43 , il a accompagné de Brinon en Allemagne. Les ''collabo.'' s'insurgent contre ceux qui prétendent servir la patrie depuis, ou avec l'aide de l'étranger.

Marcel Aymé reçoit de brillants éloges pour '' La Vouivre ''. Plusieurs hommages s'adressent à Jean Giraudoux mort le 31 janvier 1944. Brasillach se veut indulgent pour les ouvrages de J.P. Sartre (1905-1980) qui s'inspire de Heidegger, et s'améliore, de La Nausée - avec ce style  « chien-crevé-au-fil-de-l’eau » - aux nouvelles, Le Mur (1939) et au théâtre. Il le qualifie de « compagnon de [ses] dégoûts ».

On supporte Céline - quoique anarchiste nihiliste – et d'abord auteur de Voyage au bout de la nuit, mais aux idées ''profondément européennes et aryennes''.

Rebatet exprime son dégoût de la démocratie, et cela passe par son mépris pour l'état vichyssois et bien-sûr républicain. Dans '' Sur les ruines de l'art'', il s'en prend au « sauvage juif et américain » qui bombarde ''tout ce qui rattache la civilisation à son passé''.

 

Le zazou Boris Vian (1920-1959) tout en se moquant copieusement du pétainisme, dit ignorer la chose politique. Mariés depuis 1941, Michèle et Boris organisent des surprises-parties swing dans la maison de ses parents à Ville-d'Avray. On joue du jazz, comme "Lady be good", chanson du compositeur juif Gershwin, rebaptisée, "Les Bigoudis'' de Guère Souigne. Puis, des amis disparaissent dans des rafles, et le STO marque la fin de l'insouciante vague zazou.

Boris Vian, ingénieur, travaille à l'Afnor. Il joue de la trompette avec l'orchestre de Claude Abadie, dans les caves. Sous le nom de Bison ravi, il écrit un poème sur l’interdiction du jazz américain par les Allemands. Il n'a pas encore rencontré le couple Beauvoir-Sartre, piliers du gotha littéraire de Saint-Germain-des-Prés ; mais connaît l'ouvrage à succès de Sartre ''L’Être et le Néant '' (1943); il pèse un kilo (724 pages) et sert de poids dans les épiceries...

 

L'attention de Lancelot, est attirée par différents articles sur les prochains prix littéraires ( Goncourt, Renaudot) en ce début 1944. On commente largement le roman de Simone de Beauvoir, que Gallimard a publié, en 1943, '' L'Invitée''. Lancelot reconnaît, dans l'histoire d'un triangle amoureux, la vie de jeunes Montparnos, qui philosophent leur vie faite de désirs, de vouloir et de pouvoir.

Simone-de-Beauvoir

Simone de Beauvoir (1908-1986), avec un père avocat, et une mère au foyer et profondément religieuse, se déclare athée à l'adolescence. Après la faillite du grand-père, la famille quitte le manoir familial pour un petit appartement. Simone et ses parents, comprennent la nécessité de poursuivre des études pour pallier à cette situation économique. En 1929, elle présente sa thèse sur Leibniz ; et, agrégée, elle enseigne en lycée.

En juin 1943, l'administration de Vichy exclut Simone de Beauvoir, suite à une plainte d'une mère d'élève pour «excitation de mineure à la débauche». Sartre lui déniche un emploi à la ''radiodiffusion nationale'' ( radio Vichy), où elle produit une série d'émissions sur « Les origines du music-hall ».

'' L'Invitée'', dont on parle beaucoup est favorablement accueilli ; même dans l'Action Française avec un article de Thierry Maulnier qui souligne : « un style féminin dans la littérature, un déterminisme si puissant de la nature et de la condition féminines auxquelles de Mme de Lafayette (pour ne pas re monter plus loin) jusqu'à Colette, personne, à ma connaissance, n'a échappé, et que la grandeur des grands écrivains femmes a consisté non pas à s'affranchir de cette condition et de cette nature, mais à porter par l'acuité de l'intelligence, l'intensité des émotions ressenties et transcrites, enfin la beauté de la langue, les problèmes propre ment féminins au-dessus de ce qu'ils peuvent avoir en eux-mêmes, dans leurs formes ordinaires, de médiocre et de limité, au niveau de l'angoisse universelle, de la douleur et de la joie élémentaires, de l'éternelle interrogation au destin. » ( l'A.F. du 21 octobre 1943)

Le Renaudot de 1944, va couronner le premier roman de Roger Peyrefitte '' Les Amitiés particulières''. Si '' L'invitée '' était pressentie pour le Goncourt 43 ( remis en 1944) ; c'est Passage de l'homme, un conte philosophique et pessimiste de Marius Grout (publié le 20 août 1943) de 85 pages, qui est récompensé.  

1943 au Café de Flore

 

Lancelot prend toujours plaisir à observer, en plus de s'y réchauffer, ce qui se passe du côté du café de Flore ( M. et Me Boubal en étaient les propriétaires) . « Il est certain que le café, par soi-même, avec ses consommateurs, ses tables, ses banquettes, ses glaces, sa lumière, son atmosphère enfumée et les bruits de voix, de soucoupes heurtées, de pas qui le remplissent, est un plein d'être. » Sartre, L'Etre et le Néant (1943) - « Nous nous y installâmes complètement : de neuf heures du matin à midi, nous y travaillions, nous allions déjeuner, à deux heures nous y revenions et nous causions alors avec des amis que nous rencontrions jusqu'à huit heures. Après dîner, nous recevions les gens à qui nous avions donné rendez-vous. Cela peut vous sembler bizarre, mais nous étions au Flore chez nous. » Jean-Paul Sartre

Lancelot n'oublie pas ( mai 42) parmi les adeptes du Flore, que Boris Vian évoque lui-même : « le pauvre Jausion dont l'amie, une charmante tchèque (sic!), fut déportée à la demande du père de Jausion qui dit aux allemands : '' Faites peur à cette fille, sinon il va l'épouser.'' On l’arrêta pour lui faire peur, si bien qu'elle mourut en déportation. » ( B Vian - Manuel de Saint-Germain des Près). Voir aussi, 1942 - La vie parisienne - Les légendes du Graal (over-blog.net)

Lancelot s'y rend parfois avec Geneviève. Il remarque qu'elle s'y sent moins à l'aise que lui, mais il la découvre ici plus affectueuse.

Lancelot observe de loin, Beauvoir et Sartre, tous deux très entourés de jeunes gens. Beauvoir n'a pas l'apparence d'une femme de lettres, la voix légèrement éraillée, le visage clair aux yeux bleus, elle est vive, souriante et passionnée.

On commente ''L’Être et le Néant'' Où trouver de l'être si ce n'est dans l'acte ? L'acte est réel, phénomène ; et le phénomène est ce qui « est immédiatement dévoilé à la conscience. ».

Ensuite, sur le Néant, Sartre dit : « l’être est antérieur au néant et le fonde. ». « l'homme est l’être par qui le néant vient au monde. »

Sur la liberté : «  il n'y a pas de différence entre l’être de l'homme et son « être-libre ». Cette conscience de ma liberté peut causer de l'angoisse ( peur vis à vis de moi-même). Y aurait-il des valeurs qui pourraient guider nos choix ?

Sartre répond que « ma liberté est l’unique fondement des valeurs et donc rien, absolument rien, ne me justifie d’adopter telle ou telle échelle des valeurs ». La société peut proposer des « garde-fous contre l'angoisse » ( l'état, la police..).

L'homme s'angoisse parce qu'il est libre...

Jean Paul Sartre et Simone de Beauvoir, Café de Flore

« Le désir est manque d’être » , et comment empêcher que je ne vois l'autre, qu'en ''objet'' ? Je le chosifie. Et lui aussi me chosifie... Nous avons donc la même expérience : il s'avère être.

«  autrui me regarde et comme tel, il détient le secret de mon être, il sait ce que je suis ; ainsi, le sens profond de mon être est hors de moi, emprisonné dans une absence ; autrui a barre sur moi »

L'amour ne serait-il pas, une manière de m'emparer d'autrui ? - «  l’amant ne désire pas posséder l’aimé comme on possède une chose : il réclame un type spécial d’appropriation : il veut posséder une liberté comme liberté »

Enfin Sartre termine sur notre impuissance éventuelle, face à cette liberté offerte... ? Pourtant, il n'y a de liberté que dans un ''monde résistant''. «  Il n’y a de liberté qu’en situation et il n’y a de situation que par la liberté. »

Et l'existentialisme, en partant de Kierkegaard, ce pourrait être quoi ?

L'existentialisme, le mouvement philosophique moderne, place au centre d'une réflexion, l'existence vécue, l'individu dans le monde et la primauté de l'existence sur l'essence.

Pour Sartre, l'homme commence à exister, par rapport aux ''autres'', et ne pas avoir d'être propre. Il se construit à partir de ses projets, et devient ce qu'il projette d'être ; sa liberté est relié à l'absence d'essence ( nature). S'il avait une essence, l'étendue des conduites possibles seraient déterminées... L'homme sans nature, n'a pas d'essence, il est libre et il est ce qu'il a décidé d'être.

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