Voyage en Allemagne 1 - Baden-Baden
A l'occasion de mon propre voyage en Allemagne cette année 2019 ; je suis accompagné des commentaires de voyageurs plus anciens, de cette deuxième moitié du XIXe siècle... Il y a de cela, donc, près de 150 années … !
Les aïeux d'Anne-Laure de Sallembier, ont très souvent été attirés par l'Allemagne ( beaucoup par le Royaume Uni, aussi), précisément par la littérature et la philosophie allemandes. Anne-Laure, veuve un brin fortunée a profité de l'accueil et du confort germanique, ainsi que des nouvelles commodités pour voyager ; et visiter des lieux cités dans les documents que lui avaient laissé Charles-Louis de Chateauneuf, son grand-père, et Jean-Léonard de la Bermondie, le grand-père de son grand-père …
Ce qui anime Anne-Laure avant de partir, c'est le fameux ''Sturm und Drang'', la tempête et le transport passionné du mouvement pré-romantique... Se mettre dans les pas de Hector Berlioz, quand il écrit dans le pays de Goethe : « J'essayai donc, tout en roulant dans ma vielle chaise de poste allemande, de faire des vers destinés à ma musique (…) Je l'écrivais quand je pouvais et où je pouvais ; en voiture, en chemin de fer, sur les bateaux à vapeur ; et même dans les villes, malgré les s oins divers auxquels m'obligeaient les concerts que j'avais à y donner... »
Pour Anne-Laure, comme pour son grand-père Charles-Louis, il s'agit de mettre ses pas sur les chemins des romantiques ( les voyageurs de l'obscur), empruntés eux-même jadis par les Minnesänger, ménestrels et chevaliers errants comme Parsifal, Tristan ou Tannhäuser, par les Meistersinger, voyageurs de commerce des villes hanséatiques et maîtres chanteurs comme ceux de Nuremberg, tirés de l'histoire par les littérateurs d'Iéna, de Heidelberg et de Berlin, par le romantique comme Novalis, Heine ou par Richard Wagner.
Le virus est contagieux, les récits de voyage en Allemagne en témoignent ; quinze ouvrages de Guides paraissent pour la seule année 1842...
Nous sommes là, avant 1870, avant que l'Alsace soit annexée par l'Allemagne...
Kehl, sur la rive allemande du Rhin en face de Strasbourg: pour s’y rendre ils traversent le pont du Rhin nouvellement construit en 1861.
« Le Rhin ne coule pas à Strasbourg : c'est dommage; il ferait un beau miroir à cette grande cité. Il en est éloigné d'environ quatre kilomètres. (…) C'est un fleuve large et sévère, roulant des eaux profondes dans des rives plates et de verdoyantes prairies. Ce n'est pas là que le poète ira cueillir la fleur enchantée des ballades, ni prêter l'oreille aux chansons de Lorely, la fée des eaux. »
« Cette rive, c'est l'Allemagne, l'Allemagne de Goethe, de Mozart, de Leibnitz et d'Albert Durer. C'est la terre de la musique, de la rêverie, de l'amour naïf, de l'idylle, des vertus et du bonheur domestiques. Cette terre a vu naître et le vieux Faust et la jeune Marguerite, et Louise et Dorothée, et tant d'êtres mélancoliques et charmants créés par la poésie.»
« Un magnifique pont de fer relie aujourd'hui les deux rives. Dieu sait ce qu'il en a coûté à la diplomatie pour poser ce trait d'union : jalousies commerciales, jalousies politiques, que d'obstacles s'élevèrent! On finit pourtant, par s'entendre. Nos ingénieurs reçurent la tâche là plus difficile ; c'est eux qui établirent dans ce vaste lit les piles qui supportent toute la masse. Le reste fut confié aux ingénieurs badois. Ils en ont fait un très-bel ouvrage. Chaque extrémité du pont est ornée d'un portique monumental en style gothique, chaque arche de clochetons et de tourelles. Cette porte de l'Allemagne est solennelle comme elle, et comme elle un peu pesante. L'aigle impériale regarde fièrement la rive française, dont elle semble garder l'approche. A l'autre bout, le griffon badois, d'un air moins belliqueux, fait avec bonhomie la même faction, et, comme dit Commines, « tous deux, se tournant le dos, ne risquent pas de se mordre. »
La guerre franco-allemande de 1870 va opposer, du 19 juillet 1870 au 28 janvier 1871, la France et une coalition d'États allemands dirigée par la Prusse et comprenant les vingt-et-un autres États membres de la confédération de l'Allemagne du Nord ainsi que le royaume de Bavière, celui de Wurtemberg et le grand-duché de Bade. Cette guerre est considérée par Otto von Bismarck, qui a tout fait pour qu'elle advienne, comme une conséquence de la défaite prussienne lors de la bataille d'Iéna de 1806 contre l'Empire français. Il dira d'ailleurs, après la proclamation de l'Empire allemand à Versailles en 1871 : « Sans Iéna, pas de Versailles » : par là, il parvinet à ses fins, unifier la nation allemande.
Selon le traité de Francfort ( 10 mai 1871) ; l’Alsace et une partie de la Lorraine sont cédées, et deviennent une terre d’Empire (Reichsland), propriété commune de tous les Etats allemands de l’Empire.
Entre 1871 et 1914, la chaîne des Vosges constitue pour les Alsaciens - dont le territoire est alors annexé à l’Allemagne - une limite à la fois distinctive, dans la mesure où elle permet aux populations de revendiquer une singularité culturelle, et intégrative, parce qu’elle est aussi ce qui lie l’Alsace à la France et préserve donc la région d’un point de vue symbolique face aux tentatives d’assimilation au Reich.
« Vous arrivez, non par une route pavée et boueuse, mais par les chemins sablés d’un jardin anglais. A droite, des bosquets, des grottes taillées, des ermitages, et même une petite pièce d’eau, ornement sans prix, vu la rareté de ce liquide, qui se vend au verre dans tout le pays de Baden […] Une longue allée de peupliers d’Italie ferme, ainsi qu’un rideau de théâtre, cette décoration merveilleuse qui semble être la scène arrangée d’une pastorale d’opéra. »
« Je doute qu’on puisse trouver un pays plus charmant, il n’a que l’inconvénient de laisser douter si l’on n’est pas sur les planches de l’opéra, et si les montagnes et les maisons ne sont pas des décorations […] car, à vrai dire, et c’est là l’impression dont on est saisi tout d’abord, toute cette nature a l’air artificiel. Ces arbres sont découpés, ces maisons sont peintes, ces montagnes sont de vastes toiles tendues de châssis (…)
« La nuit est tombée: des groupes mystérieux errent sous les ombrages et parcourent furtivement les pentes de gazon des collines. Au milieu d’un vaste parterre entouré d’orangers, la maison de Conversation s’illumine, et ses blanches galeries se détachent sur le fond splendide de ses salons. À gauche est le café, à droite est le théâtre, au centre l’immense salle de bal dont le principal lustre est grand comme celui de notre opéra. […] L’orchestre exécute des valses et des symphonies allemandes, auxquelles la voix des croupiers ne craint pas de mêler quelques notes discordantes. […]
Cette retraite romanesque, cette chartreuse riante est, dit-on, l’hospice des cœurs souffrants. On y vient guérir des grandes amours […]
La rivière de Baden coule au pied des murs, mais n’offre nulle part assez de profondeur pour devenir le tombeau d’un désespoir tragique: son éternelle voix se plaint dans les rochers rougeâtres, mais une fois dans la plaine unie, ce n’est plus qu’un ruisseau du Lignon, un paisible ruisseau de la carte du tendre, le long duquel s’en vont errer les moutons du village, bien peignés et enrubannés dans le goût de Watteau. Vous comprenez que les troupeaux font partie du matériel du pays et sont entretenus par le gouvernement comme les colombes de Saint-Marc à Venise. Toute cette prairie qui compose la moitié du paysage ressemble à la Petite-Suisse de Trianon. Comme en effet le pays entier de Bade est l’image de la Suisse en petit. La Suisse moins ses glaciers et ses lacs, moins ses froids, ses brouillards et ses rudes montées. Il faut aller voir la Suisse, mais il faut aller vivre à Baden […]
On revient à Baden en suivant le cours de la rivière, et quelle rivière ! Elle n’est guerre navigable que pour les canards; les oies y ont presque pied partout. Pourtant des ponts orgueilleux la traversent de tous côtés, des ponts de pierre, des ponts de bois et jusqu’à des ponts suspendus en fil de fer. Vous ne vous imaginez pas à quel point on tourmente ce pauvre filet d’eau limpide qui ne demanderait pas mieux que d’être un simple ruisseau. »
Gérard de Nerval - '' Lorely – Souvenirs d’Allemagne ''
À l’été 1838, Gérard de Nerval entreprend un voyage en Allemagne. Fervent admirateur de littérature et de poésie allemande, Il a déjà traduit Klopstock, Goethe, Schiller, Burger et publié quelques années plus tôt une anthologie de la poésie allemande.
Baden-Baden
A l'hôtel :
« Nous sommes réveillés dès le point du jour; de tous côtés les portes s'ouvrent et se ferment avec fracas : l'un, affublé de sa robe de chambre, descend pour prendre son bain ; l'autre va, la canne à la main, parcourir les montagnes voisines ; celui-ci crie après les domestiques pour avoir ses habits ; celui-là à peine éveillé, sonne à coups redoublés pour qu'on lui apporte du thé ; les ordres donnés dans toutes les langues se croisent et se confondent. »
Baden — est la perle de la forêt Noire; nul autre lieu ne rime plus naturellement avec Eden.
Baden-Baden 2019
Le site est charmant. On dirait que tout y fut combiné par une main savante dans l'art de plaire.
Figurez-vous une jolie ville, mi-partie sur la montagne , mi-partie dans le vallon ; des collines dont le cercle riant l'entoure; sur les pentes et sur les hauteurs, des forêts de sapins égayées par de sinueux sentiers et de lointaines perspectives; un ruisseau d'idylle où se mirent des maisons blanches comme des villas, riches comme des palais; aux environs, des ruines, des rochers, des châteaux, où conduisent de charmantes promenades; partout des chemins plantés d'arbres, des routes entretenues comme des allées; en un mot, une nature de vignette et d'album, pleine de gentillesse et de coquetterie, au sein de laquelle on se sent plus amolli qu'ému, plus disposé à jouir qu'à penser, dans d'excellentes dispositions pour passer quelques jours d'insouciance et de farniente.
Là vous n'aurez que d'agréables idées incapables d'agiter, le cœur et d'absorber l'esprit. Poète, vous ferez des sonnets ou des madrigaux; musicien, des romances; peintre, des aquarelles. Le pays tout:entier n'est qu'une grande aquarelle aux contours adoucis, aux couleurs demi-voilées , quelque chose d'indécis et de flottant, dont l'attrait est infini.
Baden - son nom l'indique - est un lieu de bains. Cent mille étrangers y viennent chaque année prendre les eaux.
« D'eau, je n'en ai point vu lorsque j'y suis allé, Mais qu'on n'en puisse voir je n'en mets rien en gage. Je crois même entre nous que l'eau du voisinage A, quand on l'examine, un petit goût salé. »
Un grand portique de marbre est élevé pour lés baigneurs; la maison de Conversation est voisine : c'est le nom allemand du casino. Un parc princier l'entoure. Tout le jour un excellent orchestre fait entendre sous les fenêtres une délicieuse musique. Mais il s'agit bien de musique ! ..
Entendez-vous d'ici le cliquetis des pièces d'or et la voix nasillarde des croupiers? Il n'y a pas pour les joueurs d'harmonie comparable, et Bade est le rendez-vous des joueurs. Ici la roulette est souveraine; elle tient toute la journée sa cour. Les courtisans sont nombreux. Il y en a de toutes les nations, de tous les âges, de toutes les humeurs. L'Europe et l'Amérique sont représentées autour de ces grands tapis verts jonchés d'or. L'observateur peut surprendre comme en un miroir le caractère de chaque peuple. L'esprit national perce jusque dans nos vices. L'Anglais joue avec une prudence habile et un coeur maître de soi. Dépouillé, il se retire les dents serrées, et déguise son dépit sous une morgue hautaine. Le Russe témoigne au jeu l'emportement sauvage qui paraît dans toutes ses passions. L'Allemand n'y perd rien de son flegme : il semble croire, avec le proverbe, que la fortune vient en dormant. L'Italien, l'Espagnol, tous les Méridionaux ont de bruyants transports de joie ou de désespoir. Le Français joue avec une étourderie babillarde et une aisance impertinente. Sur cent joueurs de pays différents, s'il en est un qui dans la perte ou le gain garde le même sourire, déploie la même verve, et se venge du destin par un bon mot, dites hardiment : C'est un Français. La comédie du Joueur n'était possible qu'en France. Partout ailleurs le jeu tourne au drame. »
source : ''Le Danube allemand et l'Allemagne du Sud...'' - par Hippolyte Durand (1833-1917). ...
Réalisation néoclassique (1821 à 1824) due à Friedrich Weinbrenner, elle était la « maison de conversation », le lieu de rendez-vous de la haute société qui organisait là bals et concerts. Le casino occupe l'aile droite. Les quatre salles de jeu furent aménagées dans l'esprit des salles d'apparat des châteaux français.