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Le Page et l'Alchimiste

Publié le par Perceval

Le Page et l'Alchimiste

Un auteur voisin ( limousin et Marchois) :Tristan L'Hermite, en 1643 a écrit un ouvrage – '' Le page disgracié '' que Jean-Léonard a lu, et auquel il peut bien facilement s'identifier.

François L’Hermite, sieur du Soliers, ( Jean-Baptiste de Vauselle) dit Tristan L’Hermite, né à Janaillat (Creuse) au château de Soliers, dans la Marche. Descendant de Pierre l’Ermite, le prédicateur de la première croisade, sa famille est à l'époque ruinée …  Il est malgré tout placé comme page chez Henri de Bourbon-Verneuil, fils illégitime d’Henri IV et de la marquise de Verneuil, en 1604. Il a une vie errante ...

En 1620, il participe aux campagnes de Louis XIII contre les huguenots dans le Sud-Ouest. En 1621, il entre au service de Gaston d'Orléans, frère de Louis XIII et participe à la création de plusieurs ballets de cour.

Il est élu à l’Académie française en 1649. La vie de débauche qu’il mène dans l’entourage de Gaston d'Orléans et son goût immodéré pour le vin et le jeu finissent par avoir raison du peu de santé que lui laissait sa tuberculose.

 

Comme Jean-Léonard de la Bermondie, le « page disgracié » s’intéresse dès sa prime jeunesse aux sciences occultes :

Pere Borrell del Caso

« Un jour parmi d’autres livres d’histoires, j’ouvris par hasard un livre de Baptiste Porta intitulé ''Magie naturelle'', et trouvant là dedans des petits sujets qui me semblaient jolis, je l’achetai pour essayer d’en mettre quelques-uns en pratique. »

Le page réalise alors quelques expériences de chimie, et ce jeu acquiert pour lui à une dimension surnaturelle, de mise en relation avec l'au-delà... :

(…)  nous ne pouvions presque rien discerner en nos visages, tant la fumée était obscure ; il fallut nous mettre fort près de cette sombre lumière »

(…)

 

« J’avais lu force livres curieux, énigmes confus, que l’on estime des guides sacrés pour trouver la pierre philosophale.

Je savais tous les contes qu’ on fait de Jacques Cœur, Raimond Lule, Arnold De Villeneuve, Nicolas Flamel, et autres jusqu’ à Bragardin. »

(...)

« Là je m’étudiai à oublier tout à fait mon nom, et à me forger une fausse généalogie, et de fausses aventures, afin de n’être pas surpris quand on me ferait quelque interrogation. »

(...)

Entre en scène, le personnage de l'Alchimiste, dont le page fait un double d'Artéfius, philosophe hermétique du XIIe siècle. Le page est fasciné par ce personnage dont l'identité est un mystère... C'est un « galant homme », « un homme qui avait la pierre philosophale. »

 

« (…) et vis par cet artifice qu’il avait fait de l’or monnayé qu’il serra secrètement dans un papier, et puis après avoir remis toutes ses hardes dans son sac, il se coucha sans faire bruit.

Je crus donc que celui-ci en était quelque petite copie, et que cet homme-là seul était capable de me mettre mieux à son aise que tous les princes et les rois.

Je ne pensai plus qu’aux moyens de l’accoster et de le disposer à me recevoir en sa compagnie ; je passai toute la nuit à m’entretenir, tantôt du désir de pénétrer bien avant dans sa confidence, tantôt de la crainte qu’il ne s’épouvantât de mon abord, ou qu’il ne s’échappât de mes mains sans les avoir magnifiquement garnies. »

(…)

« Que ce bénéfice si précieux n’était pas produit seulement par le soin des hommes, qu’il y avait une particulière bénédiction dans l’accomplissement de ce grand œuvre, et que ce serait mériter une éternelle malédiction, si l’on n’usait de cette grâce avec grande considération. »

L'homme lui parle du ''grand-oeuvre'', évoque la nécessité d'une initiation et lui présente trois fioles censées contenir des poudres et remèdes miraculeux. Dans la première bouteille, l'huile de talc est pour le jeune garçon une promesse d'éternelle jeunesse ; dans la deuxième bouteille, la poudre de projection est une promesse de richesses, la troisième bouteille contient l'espoir de l'immortalité grâce à un mystérieux remède universel...

 

« C’ est ce qu’ on appelle huile de talc, et ce que les dames qui sont ambitieuses de beauté souhaitent avec tant d’ ardeur ; et en disant cela, il me montra la seconde bouteille, où était enfermée une poudre de couleur de feu si vive, et si lustrée, que j’ eusse bien passé deux heures à la contempler sans m’en ennuyer ; et selon la façon dont m’ en parla ce philosophe, qui n’ en faisait guère plus d’ estat que de l’huile de talc, c’ était cette poudre de projection si recherchée par les alchimistes. »

 

L'homme, l'Alchimiste semble libéré de tout ce qui pèse sur l'humanité... il est aussi celui qui ramène le page égaré sur le chemin de la religion...

« (…)  rien ne troublait la douceur de mes songes que l’importun désir que j’avais de revoir mon Philosophe Chimique, qui, ce me semble, était tel en effet que ces chimériques esprits, qu’on a surnommez Rose Croix -, se sont insolemment vantez d’être. » 

L'ordre des Rose-Croix propose de retrouver la paix dans le monde en rétablissant l'unité des religions et des savoirs, la véritable science ne devant pas conduire à une opposition jugée abusive entre connaissances rationnelles, théologie et magie.

The-Laboratory_John_Collier_1895

Le page passe ensuite ( comme nous l'avons déjà vu …) du charme magique au charme féminin, de la science alchimique à la science amoureuse : «  ce feu subtil ... »

« Je la trouvai dans son cabinet, plus belle mille fois qu’ elle ne m’avait jamais paru, et plus soigneusement ajustée ; elle avait un déshabillé de satin de couleur de roses à fonds d’ argent, avec lequel elle eut pu représenter une aurore ; ses beaux cheveux étaient bouclés avec autant d’art que si elle eut été coiffée de la main des grâces ; et j’aperçus sur son visage un aussi grand éclat de blancheur, que si l’on eut étendu dessus de cette huile de talc si recherchée ; et pour mon tourment je ne sais qui avait mis de nouveaux brillants dans ses yeux, qui me firent abaisser la vue. »

(…)

Il fait le parallèle entre l'alchimie et l'amour... le sentiment amoureux, qui maintient le page dans le domaine de l'imaginaire, du fantasme, permet la poursuite du rêve alchimique...

« Ce feu subtil et vivifiant éveille les âmes les plus assoupies, et subtilise facilement les sentiments les plus grossiers ; dès que l’ esprit en est embrasé, il prend une certaine activité qui n’ est naturelle qu’ à la flamme, mais dans cette délicatesse, que l’ âme acquiert pour tout ce qui concerne la chose aimée, si l’ on est sensible aux moindres faveurs, on n’ est insensible aux moindres injures, et ce commerce est un agréable champ, où les épines sont en plus grand nombre que les roses. »

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